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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 418

  • Aujourd'hui à Paris Cinéma: "L'autre monde" présenté par Gilles Marchand, Louise Bourgoin et Melvil Poupaud

    Le temps me manque pour vous parler des films vus hier et aujourd'hui dans le cadre de Paris Cinéma  mais je me rattraperai dès que possible. En attendant, aujourd'hui, je vous recommande "L'Autre monde" de Gilles Marchand, projeté à 22H15 au mk2 Bibliothèque et présenté par le réalisateur, Louise Bourgoin et Melvil Poupaud.

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    Alors que le virtuel prend de plus en plus le pas sur le réel ou en tout cas fait partie intégrante de nos existences, le cinéma s'empare de plus en plus du sujet, thème d'ailleurs récurrent de ce Festival de Cannes 2010. Gilles Marchand réalise là son deuxième long après « Qui a tué Bambi »  qui, comme « L'Autre monde » sélectionné hors compétition du Festival de Cannes 2010, figurait en sélection officielle du Festival de Cannes (2003). Gilles Marchand est avant tout scénariste, notamment des films de Dominik Moll dans lesquels une situation ordinaire dérapait déjà toujours vers une réalité déroutante. Déjà vers un autre monde.

    L'été dans le Sud de la France. Gaspard (Grégoire Leprince-Ringuet) vient de tomber amoureux de Marion (Pauline Etienne.) Il partage son temps entre cette dernière et ses deux meilleurs amis. Mais un jour, alors qu'il se trouve avec Marion, il va tomber par hasard sur un portable égaré, celui d'Audrey (Louise Bourgoin). Les jeunes amoureux vont alors aller à un rendez-vous donné sur le portable d'Audrey.  Gaspard ne peut s'empêcher d'être attiré par cette jeune femme belle, sombre et double. Gaspard découvre que sur un jeu en réseau « Black hole » Audrey est Sam. Gaspard se crée à son tour un avatar pour la rejoindre.  La vie de Gaspard va alors basculer. Dans L'Autre Monde...et dans celui-ci.

    L'écueil à éviter était de tomber dans le film pour jeunes ou uniquement destiné aux amateurs de jeux vidéos. Un écueil intelligemment contourné par un scénario qui mêle judicieusement l'univers réaliste et lumineux de la réalité par lequel le film commence, à celui inquiétant et sombre de l'univers virtuel dans lequel il nous plonge progressivement. Si les adultes ou du moins les personnes responsables sont peu présentes, (à l'exception du père de Marion, autoritaire et menaçant) chacun peut  néanmoins s'identifier à Grégoire Leprince Ringuet qui incarne un jeune homme normal et heureux qui perd progressivement le sens des réalités.

    Par un habile jeu de mise en abyme, le frère d'Audrey (Melvil Poupaud) est d'une certaine manière le double du scénariste/réalisateur et le spectateur celui de Gaspard puisque le film le plonge lui aussi dans un « autre monde » sur lequel il désire en savoir davantage et puisqu'il est lui aussi manipulé par le réalisateur/démiurge comme l'est Gaspard. Le film joue sur la tentation universelle de fuir la réalité que ce soit par le cinéma ou en s'immergeant dans un univers virtuel. Audrey/Sam symbolise à elle seule cet autre monde, celui du fantasme, et des tentations adolescentes de jouer avec son identité et avec la mort. Un monde de leurres, ici aussi troublant, fascinant que malsain. Un univers factice qui donne une illusion d'évasion et rejaillit sur la réalité. Un monde qui a pour seul loi les désirs, érotiques et/ou morbides. Que serait un monde sans morale et sans loi ? Black hole. Un trou noir.

     Sans être moraliste (et heureusement), le film met en garde contre ces univers virtuels dans lesquels mourir se fait d'un simple clic et où jouer avec la vie devient un jeu enfantin. Le sens, absurde, de cette réalité virtuelle se substitue alors au sens des réalités et la mort, mot qui perd alors tout sens, devient un jeu dans la vie réelle comme dans cette scène où les amis de Garspard se placent devant des voitures lancées à vive allure.

     « Black hole » c'est à la fois l'évasion et le paradis (heaven comme le tatouage que porte Audrey) mais Heaven symbolise aussi cet univers de perdition dans lequel Audrey est Sam. Un univers auquel les images d'animation procurent une beauté sombre et troublante.

    Par une réalisation fluide, Gilles Marchand nous embarque nous aussi dans un autre monde, un monde de contrastes entre luminosité et noirceur, entre film réaliste et archétypes du film noir (avec sa femme fatale et ses rues sombres de rigueur), un monde dangereusement fascinant, sombre et sensuel comme cette plage noire, purgatoire où se retrouvent les morts de « Black hole ».

    Louise Bourgoin est parfaite en fragile femme fatale, sensuelle et mystérieuse face à un Grégoire Leprince-Ringuet dont la douceur et la normalité semblent à tout instant pouvoir basculer, un être lumineux dont « Black hole » va révéler les zones d'ombre. Pauline Etienne est elle aussi parfaite en jeune fille enjouée et fraîche qui connaît ses premiers émois amoureux.

     « L'Autre monde » est une brillante mise en abyme,  un film  sur le voyeurisme, la manipulation, la frontière de plus en plus étroite entre réel et virtuel qui  plonge le spectateur dans un  ailleurs aussi inquiétant que fascinant, un film haletant, savamment « addictif » comme « Black hole », qui nous déroute et détourne habilement de la réalité. Un film que je vous recommande vivement !

    En introduction à la projection, Gilles Marchand a ainsi précisé que le rapport du joueur au jeu, à l'écran l'avait toujours intrigué : « Les choses qui se passent dans le monde virtuel me paraissent particulières à notre époque et universelles. Ce qui m'intéressait c'était d'avoir une narration fluide et un montage parallèle entre ces deux mondes. Second life a fait partie de l'inspiration. Le fait qu'il n'y ait pas de but précis dans le jeu m'intéressait. On était entre le réseau social et le jeu. Ce qui m'intéressait aussi c'était le parcours de Gaspard, son hésitation entre deux femmes, deux archétypes de femmes ».

    Je vous signale également que vous pouvez devenir coproducteurs de ce film sur touscoprod.com .

    Sortie en salles : le 14 juillet

     

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  • Festival Paris Cinéma 2010- Compétition : « Alamar » de Pedro Gonzalez-Rubio et « If I want to whistle, I whistle » de Florin Serban

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    Parmi nos privilèges de jurés blogueurs de ce Festival Paris Cinéma 2010, nous avons celui, inédit, de pouvoir parler des films en compétition avant le palmarès. Voici donc un premier rapide tour d’horizon des quatre premiers films de cette compétition sur lesquels je reviendrai plus en détails ultérieurement.

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    La compétition a débuté avec le film mexicain « Alamar » de Pedro Gonzalez-Rubio. « Alamar » raconte la vie d’un père, Jorge, et de son petit garçon, Natan, sur la barrière de corail de Chinchorro. Une parenthèse enchantée pour l’un et l’autre puisque le petit garçon n’est là que pour quelques mois devant ensuite retrouver sa mère, qui vit à Rome, dont Jorge est séparé.  Pedro Gonzalez-Rubio vient du documentaire duquel sa première fiction tire le meilleur : une caméra qui laisse vivre ses personnages et une très petite équipe (le réalisateur et un preneur de son) en harmonie avec le dépouillement du sujet, facilitant la proximité avec le sujet donc mais aussi avec le spectateur, les acteurs et la nature. La beauté, la simplicité, la richesse de la nature font ainsi écho à celles de la relation père/fils qui vivent à son rythme doux, lent, empreint d’une lumineuse nostalgie suscitée par le caractère éphémère de ces quelques mois.  A l’image de la nature qui les environne, ces quelques mois sont pour eux un ilot paradisiaque, ensemble, et loin de la vie urbaine pour Natan. Avec Natan, nous apprivoisons la nature, belle et sauvage, à laquelle le film est un hymne constant. La qualité d’un film se juge souvent à l’empreinte qu’il vous laisse quelques jours après l’avoir vu et « Alamar », quelques jours après, m’accompagne encore, renforçant la douce empreinte laissée lors de la projection.  « Alamar » est une rencontre à la fois simple, universelle et magique entre un père et son fils, entre des Hommes et la nature… une parenthèse enchantée d’une beauté enchanteresse qui vous ensorcelle progressivement bien après la projection comme on imagine que ces quelques mois agiront dans la mémoire du petit garçon passée des bras (dont l’île a la forme circulaire symbolique) de sa mère à ceux de la mer qui l’auront d’une certaine manière l’une et l’autre enfanté et ouvert au monde, à sa fragile beauté que ce film éclaire magnifiquement.

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    La compétition s’est poursuivie avec un film roumain : « If I want to whistle, I whistle » de Florin Serban dans lequel Silviu, un jeune délinquant de 18 ans, attend sa libération de la maison de redressement où il termine sa quatrième et dernière année d’emprisonnement.  Seulement, après une longue absence, sa mère est rentrée d’Italie pour emmener son petit frère avec elle. Il la tient pour responsable de sa situation et ne veut pas que son frère vive la même chose. Son enfermement devient insupportable. Pris de panique, il kidnappe Ana la jeune assistance sociale dont il est tombé amoureux.  Il y a des films, comme celui-ci, et plutôt rares, qui captent votre attention pour ne plus la lâcher. La caméra à l’épaule au plus près de Silviu, au plus près de sa fébrilité, de sa rage qui affleure, des tourments qui le hantent, de la déraison qui le menace, nous plonge entre ces quatre murs qui l’oppressent, à cette liberté qu’il enrage de retrouver. Le film doit beaucoup à son acteur principal, George Pistireanu au mélange de force, de fragilité, de tension qui émanent de son regard et de ses gestes. Florin Serban le filme comme un animal sauvage, apeuré, dont la violence est, à ses yeux, une question de survie. La tension culmine lors de la scène de la prise d’otage, lorsque Silviu et Ana se retrouvent seuls. Notre souffle est suspendu à chacun de ses gestes, à ce corps-à-corps presque fiévreux, au souffle saccadé d’Ana, au regard à la fois déterminé et perdu de Silviu. Puis, le cadre, les couleurs, le décor changent. Le décor champêtre procure à cette liberté chèrement payée et éphémère une tension encore plus palpable alors que le calme règne et que pourtant le piège qu’il s’est construit se referme sur lui. Les longs silences et regards entre Ana et Silviu sont alors riches de sens, de douleurs, de regrets, de pardons après ce corps-à-corps intense, d’une violence presque sensuelle.  Un huis-clos haletant et fiévreux, tout en forces et fragilités, sur la fureur de vivre et d’être libre que la caméra de Florin Serban sait si bien débusquer dans le regard de son talentueux acteur principal. Après « Un Prophète » de Jacques Audiard, la prison et le sentiment de révolte qui l’anime n’a visiblement pas fini d’inspirer les cinéastes et de procurer à leurs films une rage fascinante.

    Cet article serait complété ultérieurement par les critiques des deux autres films en compétition déjà visionnés.  Mon « devoir » de festivalière m’appelle pour aller voir « Les Félins » de René Clément… Je vous en parlerai évidemment également ainsi que du très beau film de Neil Jordan « Ondine », vu en avant-première hier.

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  • Bande annonce de "Djinns" d'Hugues et Sandra Martin

    En attendant ma critique du film, voici, en exclusivité, la bande-annonce du film "Djinns".

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  • L'affiche Viscontienne du 2ème Festival Lumière de Lyon

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  • "Les petits mouchoirs" de Guillaume Canet : extraits du making of

    En attendant la sortie des "Petits mouchoirs", le nouveau film de Guillaume Canet voici deux extraits du making of qui rendent vraiment impatient d'être au 20 octobre, date de sortie du film!

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  • Festival Paris Cinéma: "La Poursuite impitoyable" d'Arthur Penn, à ne pas manquer aujourd'hui

    Comme vous le savez Jane Fonda est l'invitée d'honneur du Festival Paris Cinéma 2010( retrouvez ici mon compte rendu et les vidéos de sa master class). A cette occasion le festival propose de voir ou revoir des classiques avec cette dernière. Aujourd'hui notamment au programme: "La Poursuite impitoyable"  (The Chase), un film de 1966 d'Arthur Penn (présenté par Sophie Bénamon), à 17H45 à la Filmothèque du Quartier Latin.

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    A l’occasion du Festival Paris Cinéma 2010 dont Jane Fonda sera l’invitée d’honneur, je vous propose de découvrir un des films incontournables projeté en son hommage dans le cadre du festival.  Il s’agit donc d’un film de 1966 réalisé par Arthur Penn (« Bonnie and Clyde », « Little big man », « Georgia »…).

    Synopsis : Bobby Reeves (Robert Reford) s’évade du pénitencier avec un dangereux criminel quelques mois avant sa libération et se retrouve dans sa ville natale, une petite ville du Texas, alors qu’il souhaitait initialement fuir vers le Mexique. Entre le shérif  Calder (Marlon Brando) qui souhaite le protéger des autres habitants, sa femme (Jane Fonda) et son amant qui est à la fois un ami d’enfance de Bobby et le fils de Val Rodgers, un richissime propriétaire, sans compter d’autres habitants qui n’ont pas la conscience tranquille, l’annonce de son évasion et son retour imminent mettent toute la population en émoi…

    Un an avant « Bonnie and Clyde », Arthur Penn pose les premiers jalons du renouveau du cinéma américain. « La poursuite impitoyable » est certes en apparence relativement classique dans sa forme mais l’atmosphère de décadence dans lequel il baigne dès le début et qui ira crescendo tout au long du film est déjà annonciatrice d’un changement qui se matérialise par une scène de lynchage d’une violence et d’un réalisme radicaux pour l’époque.

     Lors d’une soirée de fête interminable, Bobby devient la proie d’une population paranoïaque et haineuse. A ces figures d’une classe moyenne et d’une bourgeoise sur lesquelles il porte un regard sans concessions, Arthur Penn oppose  le shérif incorruptible qui cherche avant tout à protéger  Bobby, et ce dernier que cette société semble avoir enfanté, écorché vif malchanceux voué à un triste sort.

    Dans cette ville enivrée par l’alcool et par la haine, des passions et des rancœurs vont éclater au grand jour. La tension monte progressivement jusqu’au paroxysme final lors duquel la ville s’embrase comme prise d’une folie meurtrière face à laquelle Bobby, pourtant visiblement instable, semble finalement incarner une forme de raison.

    « La poursuite impitoyabe » dresse un tableau peu glorieux de la classe moyenne et de la bourgeoisie de cette petite ville du Texas. Racistes, menteurs, lâches, cyniques. Tel est le portrait de ces habitants sans parler de cet argent avec lequel Val Rodgers imagine tout pouvoir acheter. La peur et l’alcool mais aussi l’ennui font tomber les masques et laissent apparaître de pitoyables visages. Bobby va devenir une bête traquée et sa fuite désespérée la macabre attraction des ces Texans oisifs. Arthur Penn dénonce ainsi la violence aveugle d’une foule grégaire. Face à elle le shérif représente l’intégrité, la tolérance, l’humanité et la justice que la population en furie essaiera très significativement de défigurer. Pour ne plus voir la noblesse de ce visage qui s’oppose à la médiocrité du sien ?

    Au milieu de ce triste tableau, les personnages de Robert Redford et Jane Fonda émergent comme les êtres les plus purs et naïfs alors que la société corrompue, sinistrement cynique les marginalise et les condamne.

    Un film pessimiste qui à travers cette petite ville du Texas décadente dresse un tableau tristement universel et intemporel d’une ville de province, néanmoins illuminé par les présences de ses acteurs principaux qui y apportent leur beauté mélancolique, aussi fascinante que ce film fièvreux étrangement envoûtant d’une noirceur cruelle et hypnotique. Un film qui s’achève par le plan d’un visage anéanti saisissant de désespoir et que vous n’êtes pas prêts d’oublier…

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  • Festival Paris Cinéma : "Babel" d'Alejandro Gonzalez Inarritu

    Aujourd'hui, dans le cadre du Festival Paris Cinéma, à 14h, au mk2 bibliothèque sera projeté "Babel" (prix de la mise en scène du Festival de Cannes 2006), à voir ou revoir absolument.

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    En plein désert marocain, des enfants jouent avec un fusil que leur père vient d’acheter. Un coup de feu retentit et blesse une touriste américaine dans un bus qui passait sur la route, en contrebas. Les destins de cette femme (Cate Blanchett) et de son mari (Brad Pitt) dont le couple battait de l’aile, les destins des deux enfants responsables du coup de feu, le destin de la nourrice mexicaine des enfants du couple d’Américains, le destin d’une jeune Japonaise, en l’occurrence la fille de l’homme qui a donné le fusil à un Marocain qui l’a revendu au père des deux enfants : ces destins vont tous avoir une influence les uns sur les autres, des destins socialement et géographiquement si éloignés, mais si proches dans l’isolement et dans la douleur.

    Rares sont les films que je retourne voir, mais pour Babel vu au Festival de Cannes 2006 où il a obtenu le prix de la mise en scène et celui du jury œcuménique, c’était une vraie nécessité parce que Babel c’est plus qu’un film : une expérience.  Ce film choral qui clôt le triptyque du cinéaste après Amours chiennes et 21 grammes fait partie de ces films après lesquels toute parole devient inutile et impossible, de ces films qui expriment tant dans un silence, dans un geste, qu’aucune parole ne pourrait mieux les résumer. De ces films qui vous hypnotisent et vous réveillent. De ces films qui vous aveuglent et vous éclairent. Donc le même choc, la même claque, le même bouleversement, quelques mois après, l’effervescence, la déraison et les excès cannois en moins. Malgré cela.

    Si la construction n’avait été qu’un vain exercice de style, qu’un prétexte à une démonstration stylistique ostentatoire, l’exercice  aurait été alors particulièrement agaçant mais son intérêt provient justement du fait que cette construction ciselée illustre le propos du cinéaste, qu’elle traduit les vies fragmentées, l’incommunicabilité universelle.

    Le montage ne cherche pas à surprendre mais à appuyer le propos, à refléter un monde chaotique, brusque et impatient, des vies désorientées, des destins morcelés. En résulte un film riche, puissant où le spectateur est tenu en haleine du début à la fin, retenant son souffle, un souffle coupé par le basculement probable, soudain, du sublime dans la violence. Du sublime d’une danse à la violence d’un coup de feu. Du sublime d’une main sur une autre, de la blancheur d’un visage à la violence d’une balle perdue et d’une blessure rouge sang. Du sublime  du silence et du calme à la violence du basculement dans le bruit, dans la fureur, dans la déraison.

    medium_P80601087315038.jpgUn film qui nous emmène sur trois continents sans jamais que notre attention ne soit relâchée, qui nous confronte à l’égoïsme, à notre égoïsme, qui nous jette notre aveuglement et notre surdité en pleine figure, ces figures et ces visages qu’il scrute et sublime d’ailleurs, qui nous jette notre indolence en pleine figure, aussi. Un instantané troublant et désorientant de notre époque troublée et désorientée.  La scène de la discothèque est ainsi une des plus significatives, qui participe de cette expérience. La jeune Japonaise sourde et muette est aveuglée. Elle noie son désarroi dans ces lumières scintillantes, fascinantes et angoissantes.  Des lumières aveuglantes: le paradoxe du monde, encore. Lumières qui nous englobent. Soudain aveuglés et sourds au monde qui nous entoure nous aussi.

    Le point de départ du film est donc le retentissement d'un coup de feu au Maroc, coup de feu déclenchant une série d'évènements qui ont des conséquences désastreuses ou salvatrices, selon les protagonistes impliqués. Peu à peu le puzzle se reconstitue brillamment, certaines vies se reconstruisent, d’autres sont détruites à jamais.

    Jamais il n’a été aussi matériellement facile de communiquer. Jamais la communication n’a été aussi compliquée, Jamais nous n’avons reçu autant d’informations et avons si mal su les décrypter. Jamais un film ne l’a aussi bien traduit. Chaque minute du film illustre cette incompréhension, parfois par un simple arrière plan, par une simple image qui se glisse dans une autre, par un regard qui répond à un autre, par une danse qui en rappelle une autre, du Japon au Mexique, l’une éloignant et l’autre rapprochant.

    Virtuosité des raccords aussi : un silence de la Japonaise muette qui répond à un cri de douleur de l’américaine, un ballon de volley qui rappelle une balle de fusil. Un monde qui se fait écho, qui crie, qui vocifère sa peur et sa violence et sa fébrilité, qui appelle à l’aide et qui ne s’entend pas comme la Japonaise n’entend plus, comme nous n’entendons plus à force que notre écoute soit tellement sollicitée, comme nous ne voyons plus à force que tant d’images nous soit transmises, sur un mode analogue, alors qu’elles sont si différentes. Des douleurs, des sons, des solitudes qui se font écho, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre. Et les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude. 

     Véritable film gigogne, Babel nous montre un monde paranoïaque,  paradoxalement plus ouvert sur l’extérieur fictivement si accessible et finalement plus égocentrique que jamais,  monde paradoxalement mondialisé et individualiste. Le montage traduit magistralement cette angoisse, ces tremblements convulsifs d’un monde qui étouffe et balbutie, qui n’a jamais eu autant de moyens de s’exprimer et pour qui les mots deviennent vains. D’ailleurs chaque histoire s’achève par des gestes, des corps enlacés, touchés, touchés enfin. Touchés comme nous le sommes. Les mots n’ont plus aucun sens, les mots de ces langues différentes. Selon la Bible, Babel fut  ainsi une célèbre tour construite par une humanité unie pour atteindre le paradis. Cette entreprise provoqua la colère de Dieu, qui pour les séparer, fit parler à chacun des hommes impliqués une langue différente, mettant ainsi fin au projet et répandant sur la Terre un peuple désorienté et incapable de communiquer.

    medium_P80601161052655.jpgC’est aussi un film de contrastes. Contrastes entre douleur et grâce, ou plutôt la grâce puis si subitement la douleur, puis la grâce à nouveau, parfois. Un coup de feu retentit et tout bascule. Le coup de feu du début ou celui en pleine liesse du mariage.  Grâce si éphémère, si fragile, comme celle de l’innocence de ces enfants qu’ils soient japonais, américains, marocains, ou mexicains. Contrastes entre le rouge des vêtements de la femme mexicaine et les couleurs ocres du désert. Contrastes entres les lignes verticales de Tokyo et l’horizontalité du désert. Contrastes entre un jeu d’enfants et ses conséquences dramatiques. Contraste entre le corps dénudé et la ville habillée de lumière. Contraste entre le désert et la ville.   Contrastes de la solitude dans le désert et de la foule de Tokyo. Contrastes de la foule et de la solitude dans la foule. Contrastes entre « toutes les télévisions [qui] en parlent » et ces cris qui s’évanouissent dans le désert.  Contrastes d’un côté et de l’autre de la frontière.  Contrastes d’un monde qui s’ouvre à la communication et se ferme à l’autre. Contrastes d’un monde surinformé mais incompréhensible, contrastes d’un monde qui voit sans regarder, qui interprète sans savoir ou comment, par le prisme du regard d’un monde apeuré, un jeu d’enfants devient l’acte terroriste de fondamentalistes ou comment ils estiment savoir de là-bas ce qu’ils ne comprennent pas ici.

    medium_P80601693016905.jpgMais toutes ces  dissociations et ces contrastes ne sont finalement là que pour mieux rapprocher.   Contrastes de ces hommes qui parlent des langues différentes mais se comprennent d’un geste, d’une photo échangée (même si un billet méprisant, méprisable les séparera, à nouveau). Contrastes de ces êtres soudainement plongés dans la solitude qui leur permet finalement de se retrouver. Mais surtout, surtout, malgré les langues : la même violence, la même solitude, la même incommunicabilité, la même fébrilité, le même rouge et la même blancheur, la même magnificence et menace de la nuit au-dessus des villes, la même innocence meurtrie, le même sentiment d’oppression dans la foule et dans le désert. 

     Loin d’être une démonstration stylistique, malgré sa virtuosité scénaristique et de mise en scène Babel est donc un édifice magistral tout entier au service d’un propos qui parvient à nous transmettre l’émotion que ses personnages réapprennent.  Notons que malgré la pluralité de lieux, de langues, d'acteurs (professionnels mais souvent aussi non professionnels), par le talent de son metteur en scène, Babel ne perd jamais sa cohérence qui surgit, flagrante, bouleversante, évidente, au dénouement.

    La mise en scène est volontairement déstructurée pour refléter ce monde qu'il met en scène, un monde qui s'égare, medium_P80601398560603.jpget qui, au moindre geste , à la moindre seconde, au moindre soupçon, peut basculer dans la violence irraisonnée, un monde qui n'a jamais communiqué aussi vite et mal, un monde que l'on prend en pleine face, fascinés et horrifiés à la fois, un monde brillamment ausculté, décrit,  par des cris et des silences aussi ; un monde qui nous aveugle, nous assourdit, un monde de différences si semblables, un monde d’après 11 septembre. 

     Babel est un film douloureux et clairvoyant, intense, empreint de la fébrilité du monde qu’il parcourt et dépeint de sa lumière blafarde puis rougeoyante puis nocturne. Un film magnifique et éprouvant dont la mise en scène vertigineuse nous emporte dans sa frénésie d’images, de sons, de violences, de jugements hâtifs, et nous laisse avec ses silences, dans le silence d’un monde si bruyant. Le silence après le bruit, malgré le bruit, le silence de l’harmonie retrouvée, l’harmonie éphémère car il suffirait qu’un coup de feu retentisse pour que tout bascule, à nouveau. La beauté et la douleur pareillement indicibles. Babel, tour de beauté et de douleur. Le silence avant les applaudissements, retentissants, mérités. Si le propre de l’Art c’est de refléter son époque et de l’éclairer, aussi sombre soit-elle, alors Babel est un chef d’œuvre. Une expérience dont on ne peut ressortir indemne ! Mais silencieux, forcément.

    Retrouvez également, en cliquant ici, ma critique de "Biutiful" le dernier film d'Inarritu, projeté en compétition du dernier Festival de Cannes.

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