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CONFERENCES DE PRESSE - Page 6

  • Présentation des premiers extraits de "Titanic" en 3D par Jon Landau (producteur): vidéo et avis

     

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    Ce matin, j'ai eu le plaisir de découvrir en avant-première quelques extraits de "Titanic" en 3D (le film sera en salles seulement le 4 avril 2012) suivis d'une séance de questions réponses avec le producteur Jon Landau. Ce dernier a notamment produit "Avatar" et "Titanic". Il a également notamment été  vice-président éxécutif de la production longs métrages chez Twentieth Century Fox mais surtout son travail avec les meilleurs talents créatifs fait qu'il maîtrise parfaitement le processus de création qui a conduit à cette nouvelle "version"  d'un des plus grands succès cinématographiques de tous les temps (amplement mérité, je vous en reparlerai plus longuement bientôt avec une critique du film).

    Le 4 Avril 2012, vous pourrez ainsi redécouvrir Titanic. Et je dis bien "redécouvrir" et non "revoir". J'étais au préalable sceptique... et il faut le dire d'emblée  : le résultat est saisissant. Jamais encore la 3D ne m'avait semblée avoir cet impact (d'ailleurs, jamais encore la 3D ne m'avait semblée avoir d'impact tout court)...et c'est d'autant plus fascinant que ce matin ne nous ont été montrés que des extraits. L'immersion a pourtant été immédiate. L'émotion au rendez-vous. La 3D n'est pas ici un gadget mais un véritable atout qui donne au spectateur de vraies sensations et émotions, d'ailleurs les scènes intimistes sont presque plus impressionnantes que les scènes à grand spectacle tant le spectateur a l'impression d'être un intrus, de s'immiscer dans l'action, et pas seulement d'en être spectateur.

    La scène où Rose déambule dans les couloirs en cherchant de l'aide nous donne la sensation magique et inquiétante d'être à ses côtés, et celle où Jack et Rose s'enlacent et "volent", la sensation est étourdissante comme si nous virevoltions aussi. La lâcheté, le courage, la beauté vous happent et heurtent plus que jamais, et c'est particulièrement troublant.

     Alors, bien sûr, l'art c'est aussi de laisser place à l'imaginaire du spectateur et sans doute ce nouveau procédé est-il une manière de prendre le spectateur par la main, de lui dicter ce qu'il doit regarder et même éprouver, ce qui pourrait faire s'apparenter le cinéma à une sorte de parc d'attraction. Mais dire cela après ce que j'ai vu ce matin serait réducteur. Au contraire, tous les éléments artistiques sont justement ainsi mis en valeur: jeu des acteurs, décors ...

    Je vous le garantis, ce Titanic-là permet de revisiter le film de James Cameron. Ou quand le cinéma devient une expérience au service de l'émotion, des sensations mais surtout du film et du spectateur ( et de l'industrie, sans doute: ce film a coûté 60 semaines et 18 millions de dollars...).

     En tout cas, vous aurez la sensation étrange, vertigineuse d'être réellement impliqué dans  une des plus belles histoires d'amour de l'histoire du cinéma. Histoire d'amour mais aussi d'orgueil, d'arrogance , une tragédie métaphorique des maux de l'humanité qui fait s'entrelacer mort et amour et qui reste aussi actuelle15 ans après. Un film avec de la profondeur (dans les deux sens du terme désormais), et pas un simple divertissement. Un moment de nostalgie aussi pour ceux qui, comme moi, l'ont vu en salles il y a 15 ans et pour qui ce sera aussi une romantique réminiscence.

    Le 12 Avril, plongez au "coeur de l'océan" et au coeur du cinéma... Je vous promets que vous ne regretterez pas le voyage, cette expérience unique, magique, étourdissante, réjouissante : définition du cinéma (du moins, de divertissement) finalement porté ici à son paroxysme! A voir et vivre absolument.

    "Il y a toute une nouvelle génération qui n'a jamais vu Titanic tel que nous l'avons conçu pour être présent" sur grand écran. Et cette fois, ce sera Titanic comme personne ne l'a encore jamais vu, remastérisé numériquement en 4K et minutieusement converti en 3D. Avec sa puissance émotionnelle intacte et des images plus fortes que jamais, ce sera  une expérience fabuleuse pour les fans comme pour ceux qui vont le découvrir". James Cameron

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  • Théâtre - « Les Liaisons dangereuses » au Théâtre de l’Atelier : interview de John Malkovich et critique de la pièce

    Vingt-quatre ans après avoir interprété Valmont dans le magnifique film de Stephen Frears « Les Liaisons dangereuses », adapté du chef d’œuvre éponyme de Choderlos de Laclos, John Malkovich le met aujourd’hui en scène, au Théâtre de l’Atelier.   Une idée qu’il a eue avant même de jouer Valmont dans le film de Stephen Frears, rôle auquel il doit sa notoriété et une interprétation à laquelle les futurs Valmont lui doivent d’être condamnés à une cruelle comparaison tant il est indissociable de ce rôle dans lequel il était  aussi époustouflant, charismatique que machiavélique.

    Avant-hier, j’ai eu le plaisir de découvrir la pièce lors de sa répétition générale puis de pouvoir interviewer John Malkovich, après la représentation.  Cette adaptation du roman pour le théâtre a été faite par le dramaturge britannique Christopher Hampton, dans une nouvelle traduction de Fanette Barraya.

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    C’est avec un plaisir non dissimulé que je me suis rendue au Théâtre de l’Atelier, d’abord parce que « Les Liaisons dangereuses » est un de mes romans préférés (mais quel amoureux de la littérature et de l’écriture ne le serait pas tant, au-delà de son histoire, c’est un sublime et terrible hommage au redoutable pouvoir de l’écriture) et parce que j’étais particulièrement curieuse et impatiente d’en découvrir cette mise en scène ayant beaucoup aimé celle, également de John Malkovich, de « Good Canary » (cf ma critique en bas de cette page), ensuite parce que aller au théâtre est toujours pour moi comme un rendez-vous amoureux, auquel je me rends avec fébrilité et bonheur, et parce que j’en ai pris trop peu le temps ces derniers mois, enfin parce que je me réjouissais de pouvoir interviewer John Malkovich (je croyais d’ailleurs alors que nous serions plusieurs à l’interviewer en même temps, ignorant que j’aurais le plaisir d’une interview individuelle, juste après la pièce, bien qu'étant encore dans l’émotion, dévastatrice, de celle-ci).

    Pierre Choderlos de Laclos a écrit son célèbre roman épistolaire en 1782  lorsque, militaire dans l’armée de Louis XVI, il s’ennuyait dans sa triste vie de garnison.  Qu’en est-il aujourd’hui de la résonance de ce texte devenu un chef d’œuvre de la littérature?

    Il m’a d’abord fallu quelques minutes avant de me départir de mes souvenirs de la musique incisive des mots de Choderlos de Laclos, du style épistolaire, de mes souvenirs vivaces du roman, de ce duel libertin au Siècle des Lumières, puis pour m’habituer à la mise en scène, au décor et aux costumes volontairement inachevés, intemporels, incluant des éléments contemporains pour nous rappeler l’incroyable modernité de cette œuvre écrite en 1782. Les dix comédiens (choisis par John Malkovich parmi les 300 environ qui ont auditionné) sont présents sur scène d’emblée au milieu d’un décor relativement dépouillé, en arc de cercle. Un cercle vicieux sans doute. Le vice du libertinage.  Le cercle épistolaire, littéraire qui les relie tous les uns aux autres dans un manège implacable et fatal, aussi.  Il m’a fallu aussi quelques minutes pour oublier Malkovich, Close et Pfeiffer et substituer à  leurs souvenirs ces visages juvéniles (à l’exception de la comédienne Sophie Barjac, tous ont moins de 27 ans, d’ailleurs pas un anachronisme mais au contraire une fidélité au roman puisque les personnages avaient entre 15 et 30 ans).

    Je me suis d’abord sentie comme en dehors de l’intrigue. Ne vous méprenez pas : il ne s’agissait pas d’ennui mais au contraire de la légèreté contagieuse, celle de Valmont (je n’étais donc pas en dehors de la pièce mais bel et bien dedans), sa désinvolture… et puis, peu avant l’entracte, la cruauté dissimulée derrière cette légèreté désinvolte a  commencé à agir, à retentir. Les lumières se tamisent et se teintent alors de couleurs mystérieuses, inquiétantes même. La violence des sentiments gronde. La musique résonne, poignante. Oui, poignante comme un coup de poignard. Le jeu de séduction se transforme en rivalité meurtrière. Le combat de Merteuil contre Valmont. Mais aussi celui de Mme de Tourvelle  contre  Valmont, contre elle-même, contre ses sentiments mais elle cède, enfin, déjà, à ses sentiments irrépressibles, alors tragiquement belle et passionnée. Ses mots, sa douleur, sa passion résonnent dans la salle, en moi. L’interprétation (vraiment sidérante) de Jina Djemba m’a donnée des frissons. L’âge des comédiens n’a plus d’importance. Jina Djemba EST alors Mme de Tourvel, ses tourments exaltés et ravageurs. Le corps et le cœur dominent la raison. (La mise en scène retranscrit d’ailleurs parfaitement cela, de par l’engagement physique qu’elle réclame aux acteurs, impressionnant duel de fin et impressionnantes scènes entre Tourvel et Valmont). L’émotion surgit, brusquement. J’ai beau connaître le tragique dénouement, je n’ai pu m’empêcher d’espérer que Mme de Tourvelle ne s’échappe avant qu’il ne soit trop tard, je n’ai pu m’empêcher d’espérer que Valmont n’éprouve un remord salutaire. Les comédiens sont convaincants pour certains, voire époustouflants pour d'autres ( en particulier Jina Djemba dans le rôle de Mme De Tourvel mais aussi Julie Moulier qui joue toute la cruauté, l’assurance, l’impertinence, la perversité avec un aplomb, une diction, une facilité admirables ; Rosa Bursztejn est parfaite dans le rôle de l’ingénue Cécile de Volanges, et Yannik Landrein campe un Valmont très différent de celui de Frears mais d’une sournoise désinvolture tout aussi redoutable  ) à tel point que j’ai tout oublié : le décor, l’époque, la lumière qui un jour se rallumera, pour ne voir que ces personnages qui luttent contre les autres et contre eux-mêmes, que ces sentiments cruels, réfrénés, exaltés. La preuve de l’incroyable modernité du texte d’où, à mon avis, l’inutilité d’y inclure ipad et iphone pour en témoigner et de faire que des scènes libertines frôlent alors la farce et même le graveleux. Seul vrai bémol qui ne m'empêche pas de vous recommander la pièce, ne serait-ce que pour (re)découvrir le texte et des comédiens épatants.  Quant à savoir si cela résonne encore aujourd’hui… Est-ce si différent aujourd’hui dans certains "cercles" parisiens ? Seulement, les masques ne finissent pas toujours par tomber… Et puis les sentiments, leur violence, est évidemment intemporelle tellement bien retranscrite grâce à la lucidité cruelle de Choderlos de Laclos.

    Après l’entracte, la cruauté, la sauvagerie dominent en effet. Le décor même s’écroule violemment, se dépouille un peu plus encore, pour n’être plus que débris et corps enchevêtrés,  avant que le masque de la Marquise de Merteuil ne tombe,  qu’elle ne se démaquille, que soit enfin découvert son ignominieux visage si longtemps et bien dissimulé. Reste la beauté, celle sacrifiée, de Mme De Tourvelle. Celle des mots de Choderlos Laclos. Celle, terrible et envoûtante, de l’écriture. Celles de la manipulation, de la séduction  et de l’échange épistolaire dont Choderlos Laclos fait  un art. Pouvoir terrible, magique, des mots qui peuvent susciter le désir, la passion mais aussi détruire impitoyablement, et tuer. Physiquement comme Valmont. Socialement comme Mertueil. Sans doute la plus cruelle des vengeances mais qui les laissera tous deux vaincus, sans que personne d’autre ne sorte victorieux  de cette lutte impitoyable, annonciatrice d’un 1789 et d’une autre Terreur en réponse à celle des mots et de la débauche dont la Noblesse se servait et abusait. Revoyez d’ailleurs également « Ridicule » de Patrice Leconte qui en témoigne aussi magnifiquement et cruellement.

    Reste aussi et enfin un texte, le vertige sensuel, cruel, intemporel des mots, de l’œuvre, sa clairvoyance sur la duplicité des apparences, à tel point que je n’ai qu’une envie : le relire.  Un texte bouleversant de lucidité, de beauté, de cruauté, que cette mise en scène singulière, surprenante, donnera, je l’espère, envie de découvrir à ceux qui ne le connaissaient pas encore et qui, peut-être, mésestiment le pouvoir de l’écriture et des mots, peut-être, finalement, les seuls vainqueurs.

    Retrouvez également cet article à la une de mon nouveau site : http://inthemoodlemag.com

    Pour tout savoir sur la pièce rendez-vous sur son site officiel, sa page Facebook et son compte twitter. Et retrouvez mon interview de John Malkovich ci-dessus, en haut de cet article.

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    En bonus, ci-dessous, ma critique de « Good Canary » précédente mise en scène de John Malkovich

     "Les Liaisons dangeureuses" - Théâtre de l'Atelier, à partir du 12 janvier, 1, place Charles-Dullin (XVIIIe). Tél: 01 46 06 49 24.- Horaires: 20 h du mardi  au samedi, mat. Samedi et dimanche. 16 h. - Places: de 10 à 38 €. Durée: 1  h  55.- Jusqu'en mai.

    Un petit extrait ci-dessous qui, je l'espère, donnera envie de lire le livre mais aussi de voir le film remarquable de Stephen Frears et j'en profite enfin pour vous rappeler que vous pouvez soutenir la publication de mon recueil de nouvelles, en vous inscrivant comme fan sur la page suivante: http://www.mymajorcompanybooks.com/meziere

    Critique de "Good canary" de Zach Helm - Mise en scène de John Malkovich

    89fe8546ccd9f5530eef0c187c719b17.jpgAdaptation de Lulu et Michael Sadler

    Décors : Pierre-François Limbosch

    Costumes : Caroline de Vivaise

    Effets spéciaux et lumières : Christophe Grelié

    Musique originale : Nicolas Errera-Ariel Wizman

    Avec Christiana Reali, Vincent Elbaz, Ariel Wizman, José Paul, Jean-Paul Muel, Stéphane Boucher, Bénédicte Dessombz

    J’ai rarement vu des comédiens saluer avec autant de gravité à la fin d’une pièce de théâtre. Et un public applaudir avec autant de gravité, de gravité émue. Comme si les uns et les autres étaient encore plongés dans ce qu’ils venaient de jouer (de vivre ?), ou de voir (de vivre aussi ?).

    Flash-back. 2H30 plus tôt. New York. Milieu des annés 80. Annie (Christiana Reali) ne peut plus supporter le regard des autres. Pourquoi Jacques (Vincent Elbaz), son compagnon éperdument amoureux d’elle, vit-il si mal le succès du roman qu’il vient d’écrire et dont l’histoire sulfureuse et provocatrice semble inspirée d’un passé douloureux ?

    Ce ne sont pas d’abord des comédiens que nous voyons mais des mots (que je vous laisse découvrir) sur des cubes luminescents. Définitifs, avec un peu d’espoir tout de même. Si peu. Des mots graves, presque cruels. Lucides en tout cas. Et puis on nous souhaite une bonne soirée. Le ton est donné. Entre légèreté de la forme et gravité du fond. Nous sommes déjà happés. Et puis nous découvrons Annie et Jacques à la terrasse d’un café. Annie lit sa chaussure (oui, vous avez bien lu). Jacques n’a pas l’air si étonné. Il est habitué à son caractère fantasque et aux excès, aux absurdités parfois poétiques, que les amphétamines qu’elle (sur)consomme engendrent. Et puis, un peu plus tard, il va lui acheter un canari, celui dont on a expliqué au début que son étouffement prévient des coups de grisou dans les mines de charbon. Celui qui annonce l’inéluctable. Jusqu’à ce qu’Annie suffoque. Et à partir de là pour nous aussi l’air se raréfie. Annie nous agrippe, avec son désespoir, nous embarque dans son univers fait de destruction, de trivialité aussi, et puis  de violence et de passion, Annie l’écorchée vive dont les pensées déforment les images projetées sur les cubes. Annie et ses déchirures et ses blessures et ses hantises. Annie tourbillonne, danse frénétiquement, alpague, déroute, inquiète,  cache sa détresse derrière sa violence. Annie interprétée par une Christiana Reali méconnaissable, surprenante, électrique, désespérée, suicidaire. Magistrale. Annie qui nous embarque dans ses délires fantasmagoriques, entre Warhol et Munch. Un cri qui se déforme. Un cri de Munch qui aurait été repeint par Dali. Annie avec la cruauté et la drôlerie de l’ironie de son  désespoir proclamé, jeté aux visages des ignorants. La musique nous encercle, les images nous hypnotisent, l’émotion nous envahit. Nous ne savons plus si nous sommes au théâtre ou au cinéma tant cette pièce est cinématographique. Egarés, comme Annie. Annie qui s’exhibe pour ne pas être vue. A coté de ce personnage si fort dans sa fragilité, si obstiné à se détruire, les autres comédiens sont évidemment (volontairement) plus effacés même si le jeu de Vincent Elbaz (qui pour l’occasion a gardé son look du « Dernier gang »), en intensité sombre et mystérieuse est aussi remarquable, même si celui d’Ariel Wizman, comédien débutant en dealer, est prometteur, même si celui des deux éditeurs dédramatisent et esquissent ainsi en toile de fond une satire du milieu de l’édition, ici féroce et cupide, même si celui du critique si humain, et destructeur sans le vouloir vraiment, si inélégant même lorsqu’il ne veut plus n'être élégant que dans son apparence. La mise en scène, si inventive, de John Malkovich qui, cinq ans après « Hysteria », revient à Paris en adaptant cette pièce d’un jeune auteur américain, devrait nous rassurer (elle crée aussi parfois une distance salutaire, ironique, intelligente avec la gravité du propos) mais elle renforce l’émotion et nous plonge encore davantage dans les abimes des tourments d’Annie. Et permet à la pièce d’atteindre parfois des instants de grâce comme lorsque les mots projetés sur l’écran se substituent aux silences et aux paroles qu’ils ne savent se dire. Peu à peu le secret qui lie leur silence, leur complicité, jaillit, suscite notre empathie. On voudrait respirer, oublier, s’échapper, s’évader de la cage, mais nous sommes comme le canari, enfermés dans notre cage, condamnés à suffoquer aussi, à étouffer sur fond de brasier impitoyable et meurtrier,  face à elle, avec elle, impuissants, terrassés. Et puis vient une autre scène qui nous rappelle la précédente. Avec sa petite lueur en plus. D’espoir peut-être. D’espoirs déchus en tout cas. L’écran ironique nous souhaite de nouveau une bonne soirée. Fondu au noir. Rideau. Applaudissements. Gravité. La lumière nous éblouit après tant d’obscurité. De belle et retentissante obscurité.

    Une histoire d’amour extrême servie par une mise en scène qui la magnifie, entre vidéos et photos projetées et meubles mouvants. Une pièce qui vous prend à la gorge comme un bad canary, qui vous fait manquer d’air pour que vous le trouviez encore plus appréciable ensuite, pour que vous respiriez chaque seconde, saisissiez chaque lueur d’espoir. Une pièce à la base peut-être moyenne dont la mise en scène et l’interprétation, si ingénieuses, la rendent si marquante et réussie… Ne la manquez pas. Il vous reste encore quelques jours pour être enfermés dans la cage mystérieuse, oppressante et fascinante, de ce « Good canary »…

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  • Critique de « Or noir » de Jean-Jacques Annaud et interview de Tahar Rahim et Jean-Jacques Annaud

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    Depuis huit ans, l’écriture de mes différents blogs est guidée par le désir (inaltéré et même croissant) de raconter mes pérégrinations festivalières, de partager mes coups de cœur cinématographiques mais surtout de transmettre ma passion viscérale pour le cinéma…mais il m’aura aussi permis d’écouter et rencontrer   des artistes aussi talentueux que passionnés (et humbles, j’ai remarqué d’ailleurs que cela coïncide souvent avec le vrai talent et la passion sincère).

     Cette « interview » de Jean-Jacques Annaud et Tahar Rahim restera parmi les beaux moments que m’aura permis de vivre ce blog et qui auront renforcé ma conviction que le cinéma, quand il est fait avec ardeur, est le plus beau métier du monde et permet de conserver un regard juvénile et curieux sur l'existence. Interview entre guillemets parce que ce qui devait être une table ronde de 30 minutes (nous étions 5 blogueurs*, vous reconnaîtrez aisément ma voix, la seule féminine de l’assistance) s’est transformé en une passionnante leçon de cinéma d’une heure si bien que j’oubliais parfois un peu que nous étions aussi d’une certaine manière « acteurs » de la rencontre et que, tellement attentive, j'en oubliais de tenir correctement la caméra (avec une pratique involontaire du hors-champ de laquelle vous pourrez toujours induire une interprétation hautement philosophique).

     Il y a encore tant d’autres questions que j’aurais aimé poser…notamment à Tahar Rahim sur « Les hommes libres » que j’avais beaucoup aimé (voir ma critique, ici: http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2011/09/27/critique-les-hommes-libres-d-ismael-ferroukhi-avec-tahar-rah.html   ), sur  ses projets dont le prochain film de Cyril Mennegun, réalisateur d’un très beau, sensible, âpre premier long intitulé « Louise Wimmer » et qui avait déjà réalisé un documentaire sur Tahar Rahim « Tahar l’étudiant » ( Cyril Mennegun avait révélé au Festival de Saint Jean de Luz que Tahar Rahim serait l’acteur principal de son prochain film). Cela m’a aussi donné envie de voir le dernier film de Lou Ye que j’avais inexplicablement manqué lors de sa sortie. J’aurais aussi aimé leur dire à quel point j’admirais leur travail mais des compliments peuvent toujours aisément passer pour de la flagornerie dans ces circonstances et auraient sans doute mis leur auteure encore plus mal à l’aise que les destinataires. Et enfin cela m’a donné envie de persister dans ma passion aussi sinueux soit le chemin qui mène à  la réalisation de mes projets.

     La rencontre s’est déroulée dans les locaux labyrinthiques et chaleureux de Warner, sans rapport donc avec les press junkets habituels anonymes, aseptisés et expéditifs. Il y a évidemment été question d’ « Or noir » (en salles aujourd’hui et que je vous recommande, voir ma critique ci-dessous) mais aussi de révolution tunisienne, de Claude Chabrol, de Sean Connery, de dromadaires, de Kurosawa, de Moussinac… et de passion(s) cinématographiques(s) avant tout. Je vous laisse découvrir cet instructif échange, la passion exaltée de Jean-Jacques Annaud, la réserve rare et d’autant plus louable de Tahar Rahim (dont le talent mais aussi l’humilité font honneur à ses deux César, rappelons qu’il était le premier acteur à obtenir le César du meilleur espoir et du meilleur acteur la même année, en 2010, pour « Un Prophète » de Jacques Audiard) et ses propos non moins pertinents.

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    Avec ce treizième film (un nombre moins élevé que pour nombre de ses confrères mais qui démontre aussi son souci de la documentation, du perfectionnisme, et l'ampleur de ses projets), Jean-Jacques Annaud nous embarque à nouveau dans des contrées lointaines pour lesquelles il témoigne, comme à chaque fois, d’une fascination contagieuse pour le spectateur, alternant scènes grandioses et intimes comme il l’avait si bien réussi déjà dans « Sept ans au Tibet » et « Stalingrad ».

    Dans les années 30, le pétrole s’immisce dans la vie des peuples arabes. Symbole de richesse mais aussi d’une altérité dangereuse, celle d’un progrès qui n’en est pas forcément un pour tout le monde. Après avoir triomphé  du Prince Amar (Mark Strong), pour conclure une trêve, le Prince Nessib (Antonio Banderas) prend en otage ses deux fils pour les élever. Des années plus tard, un Américain découvre du pétrole dans une zone située entre les deux royaumes, une zone censée rester neutre et qui, justement, était la cause initiale de leurs conflits.  Le Prince Nessib veut l’exploiter pour s’enrichir tandis que le Prince Amar y est totalement hostile. Pour être certain que son fils « adoptif » Auda (Tahar Rahim) lui restera loyal, Nessib lui donne sa fille en mariage. Il en tombe amoureux. Auda rend visite au Prince Amar, son « vrai » père, pour le raisonner. Il va alors se retrouver confronter à des choix cornéliens et va devoir endosser un rôle auquel lui, l’intellectuel porteur d’un message de paix, n’était apparemment pas destiné…

    Jean-Jacques Annaud et ses scénaristes (Menno Meyjes et Alain Godard)  ont eu la judicieuse idée de ne pas conserver le titre du roman dont ils se sont inspirés : « La soif noire » de Hans Ruesch. Or noir. L’oxymore du titre reflète ainsi parfaitement ce entre quoi est écartelé Auda, au cœur de plusieurs dilemmes. Entre deux pères. Entre le progrès et le conservatisme. Entre deux interprétations du Coran.  Entre la paix et la guerre. Entre les valeurs morales et la corruption.  Cela reflète aussi évidemment ce qui est à l’origine du conflit : le pétrole.

    Jean-Jacques Annaud a choisi l’angle de la fable, ce qui réduit d’emblée à néant les arguments de ceux qui trouvent le film suranné ou académique. Ce parti pris permet de renouer avec ces grandes fresques cinématographiques, trop rares, qui s’assument pleinement et embarquent le spectateur loin pour ne pas moins et parfois mieux évoquer des problèmes contemporains : la place des femmes, ici dans l’ombre, les interprétations du Coran, la cupidité, le combat pour le progrès (qui fait ainsi écho à la vraie Histoire qui se déroulait pendant le tournage dont une partie a eu lieu en Tunisie au moment du printemps arabe). Les violons emphatiques et mélodiques de James Horner exacerbent le caractère épique du film.  Le regard de Jean-Jacques Annaud est celui d’un homme fasciné par ces terres au centre des convoitises, un regard clairvoyant et jamais condescendant.

    Jean-Jacques Annaud et Tahar Rahim étaient faits pour se rencontrer. Les personnages écrits et mis en scène par le premier ont en commun d’être en périodes de transition et de s’accomplir bien souvent dans le combat. Ceux interprétés par le second s’élèvent et se révèlent dans l’adversité. Tahar Rahim confirme, une fois de plus, en incarnant Auda, cet amoureux des livres devenu lui aussi une forme de Prophète (mais très différent de celui du film éponyme qui l’a fait connaître) héros et héraut, à quel point il s’investit dans chacun de ses rôles (au point même ici de s’être réellement blessé et que sa blessure qui le faisait boiter ait été intégrée à la fin du scénario), à quel point il sait faire évoluer ses personnages d’ailleurs très différents les uns des autres mais ayant en commun d’être au départ effacés pour se révéler héros ou antihéros : d’invisible, courbé, velléitaire, Auda révèle ainsi sa hauteur, son pouvoir de décision, sa majesté mais aussi toutes la force des contradictions qu’il incarne. Lui venu en intellectuel pacifiste sera un redoutable combattant et s’y révèlera.  Mark Strong est également remarquable en roi attaché à ses valeurs qui incarne les traditions d’un monde en péril. Seul bémol : le « surjeu » d’Antonio Banderas mais vous comprendrez en écoutant l’interview que la responsabilité en incombe plus à l’acteur qu’à la direction d’acteurs.

     Mais le vrai héros du film, et il suffit de voir l’affiche pour s’en convaincre, c’est ce désert qu’Annaud aime éperdument, que sa caméra caresse et affronte pour nous le montrer dans toute sa flamboyance et sa cruelle beauté,  avec toute son humilité devant cette nature majestueuse, royale, indomptable. Jean-Jacques Annaud s’est ainsi beaucoup inspiré de textes et tableaux d’Orient et on retrouve en effet un vrai souci du détail et de la véracité, de même que dans les différentes interprétations du Coran pour lesquelles ses scénaristes et lui-même se sont beaucoup documentés.

    Enfin, il a eu le mérite, en tournant au Qatar et en Tunisie, de ne recourir que très exceptionnellement aux effets spéciaux donnant à l’art de filmer et mettre en scène toutes ses lettres de noblesse. Les scènes de combats sont ainsi impressionnantes en particulier celles entre les chars et les dromadaires, par ailleurs tout un symbole, celui de deux mondes qui s’opposent, se rencontrent et se confrontent. Celui qui s’enlise n’est d’ailleurs pas forcément celui auquel on aurait songé de prime abord. Très beau plan également de cette tâche noire qui noircit le désert, et s’étend comme une tâche de sang vorace. Toujours par souci de perfectionnisme, Jean-Jacques Annaud a également la particularité de réenregistrer tous les sons ainsi que toutes les voix du film sans exception, après le tournage.

    Jean-Jacques Annaud signe donc là une fable initiatique flamboyante avec des péripéties haletantes dignes d’une tragédie grecque, un conte qui permet une métaphore d’autant plus maligne des heurts de notre époque, un conte intemporel et très actuel au souffle épique incontestable, aux paysages d’une beauté vertigineuse dans la lignée des films de David Lean (d’ailleurs pas seulement « Lawrence d’Arabie » même si le contexte y fait  songer, évidemment). Le retour à un cinéma romanesque, flamboyant où tout est plus grand que la vie sans pour autant en être totalement déconnecté mais qui en est au contraire le miroir réfléchissant (dans les deux sens du terme). Un film emp(h)athique qui rend hommage à ces terres lointaines et plus largement au cinéma qu’il montre à l’image du désert : une redoutable splendeur à côté de laquelle le spectateur se sent dérisoire mais tellement vivant.

    *(Autres blogueurs présents à l’interview : Vodkaster, Filmosphère, Lyricis, Myscreens)

  • Conférence de presse et critique de « Time out » de Andrew Niccol avec Justin Timberlake et Amanda Seyfried

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    En 1998, dans le cadre du jury jeunes du Festival du Film de Paris, je découvrais « Bienvenue à Gattaca » d’Andrew Niccol en sélection officielle du festival.  Un choc. Un film malin et passionnant, une brillante métaphore de l’eugénisme et des risques de la génétique servie par une mise en scène époustouflante et un scénario d’une rigueur implacable.
     
    Que ce soit dans « Le Terminal » ou « The Truman show » (deux films dont il avait écrit les scénarii), pour mettre en exergue les risques de déshumanisation de notre société, Andrew Niccol mettait en scène  une situation poussée à l’extrême, souvent métaphorique d’un mal de notre société, recourant à la science-fiction mêlant anticipation et réalité.

    C’est à nouveau le cas dans « Time out » dont il est à la fois scénariste, réalisateur et producteur. Le temps a remplacé l’argent. Les hommes ne vieillissent plus après 25 ans. Mais après cet âge, chaque minute compte et vaut de l’or, et il faut sans cesse gagner du temps (au sens propre) pour rester en vie. Alors qu’une partie de la société a accumulé du temps par dizaine d’années et ne compte dans sa population que des gens riches, jeunes et beaux pour l’éternité, l’autre partie dont elle est séparée par une frontière qui se franchit en donnant de son temps de vie, est condamnée à mendier, voler, emprunter pour quelques heures de vie supplémentaires et pour échapper à la mort. Accusé à tort de meurtre après qu’un inconnu à qui il a sauvé la vie lui ait donné des années, un des habitants du ghetto Will Salas (Justin Timberlake) prend alors la fuite avec une otage de « l’autre monde », Sylvia Weis (Amanda Seyfried). Elle va devenir son alliée dans cette course effrénée contre et pour le temps.

    Une nouvelle fois, l’idée était brillante : illustrer au sens propre l’expression « le temps c’est de l’argent » pour souligner les disparités d’une société capitaliste exacerbée où les uns s’enrichissent au profit des autres, où les uns détiennent le bien le plus précieux qui soit (l’immortalité) au détriment des autres qui ne luttent que pour quelques heures ou même minutes de vie supplémentaires. Certains ont des milliers d’années, d’autres 24 heures et des expressions comme « Vous avez deux minutes » prennent ironiquement un sens tout autre et vital. « Pour peu d’immortels beaucoup doivent mourir ». Le stock et le décompte du temps que chacun possède est marqué par un code sur le bras qui en rappelle un autre, dramatiquement célèbre, pour montrer la volonté d’extermination des habitants des ghettos par les immortels qui les exploitent, une autre forme d’eugénisme pour illustrer le culte de la jeunesse poussé à l’excès, de même que le cynisme de la société puisque la vie même y devient monnayable.

     Tous les ingrédients étaient donc là pour faire de ce film un thriller au suspense quasi hitchcockien et, au départ, Andrew Niccol nous donne l’illusion d’y parvenir, notamment dans cette scène trépidante où la mère de Will Salas (Olivia Wilde en réalité plus jeune que Justin Timberlake) voit le bus, le temps, la vie lui échapper sous les yeux de son fils qui arrive la fatidique ultime seconde trop tard. La première partie alterne judicieusement entre ironie tragique et scènes de suspense avant de basculer dans la seconde dans le blockbuster.

    La première partie du film est en effet haletante et la photographie de Roger Deakins (L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Les noces rebelles, True grit) illustre magnifiquement le propos du film opposant les couleurs du ghetto à l’univers grisâtre et aseptisé de ceux dont le temps n’est plus compté. Malheureusement le film reste un peu trop dans cette métaphore dichotomique qui ne cesse de se répéter : bourse de la vie etc. Dans la deuxième partie, ce qui aurait pu devenir une palpitante course contre la montre se transforme ainsi en blockbuster entre « Robin des bois » et « Bonnie and Clyde » avec un manichéisme un peu trop appuyé.

    On en ressort avec une impression d’inachevé, la déception que ce film ne soit pas à la hauteur de sa brillante idée de départ d’autant plus que la première partie était plutôt prometteuse. Un film qui mérite néanmoins d’être vu, étant bien au-dessus d’un grand nombre de blockbusters vides de sens et qui, s’il ne vous fera pas gagner de votre précieux temps, ne vous en fera pas perdre et vous fera au moins réfléchir sur la valeur inestimable du temps et de la jeunesse, sur cette course vaine pour repousser les stigmates finalement invincibles du temps et sur les vertus de la mortalité, finalement. Carpe diem.

    Je vous invite à découvrir la bande-annonce du film...vrai modèle du genre, particulièrement réussie.

    Sortie en salles : le 23 novembre 2011

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     Le film brassant de nombreux sujets passionnants, j’étais ravie de pouvoir assister à la Conférence de presse, à l’hôtel Bristol, avec Amanda Seyfried et Justin Timberlake. Je vous laisse découvrir ma vidéo ci-dessous.

     

  • Conférence de presse de "Time out" d'Andrew Niccol avec Justin Timberlake et Amanda Seyfried

    En attendant la critique, voici la vidéo de la conférence de presse de "Time out" d'Andrew Niccol avec Justin Timberlake et Amanda Seyfried.

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  • Critique de « J’aime regarder les filles » et interviews de Frédéric Louf et Pierre Niney : le film coup de foudre de cet été

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    L’été est désormais l’occasion pour les majors de sortir certaines de leurs grosses productions …mais c’est aussi et  heureusement l’occasion pour des films aux budgets et à la promotion moins conséquents d’émerger. Ce fut le cas pour « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon en 2008 et j’espère vraiment que ce sera le cas cet été pour « J’aime regarder les filles », premier long-métrage de Frédéric Louf, un film que j’ai découvert dans le cadre du dernier Festival du Film de Cabourg où il était présenté, dans la section Panorama. Mon coup de cœur du festival. Un coup de foudre même. Une belle évidence. Pas de budget ni de promotion pharaoniques mais un film écrit et réalisé avec sincérité, et brillamment interprété.  Et indéniablement le film le plus romantique de ce festival : celui qui évoquait le mieux les tourments de l’âme et du cœur, et qui fait preuve  de sensibilité (agréablement) exacerbée. Et vous faire découvrir et partager mon enthousiasme pour des films comme celui-ci est sans doute la plus belle raison d’être de ce blog.

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    L’action du film  débute la veille du 10 mai 1981, en plein bouillonnement électoral. C’est ce jour-là que Primo (Pierre Niney) et Gabrielle (Lou de Laâge) se rencontrent, suite à la belle audace et inconscience de Primo qui s’immisce dans une fête à laquelle il n’était pas invité. Ils ont 18 ans. L’âge de tous les possibles. Tous les excès. Toutes les audaces. Primo va bientôt passer le bac. Gabrielle fait partie de la bourgeoisie parisienne. Lui est fils de petits commerçants de province. Primo est ébloui par le charme de Gabrielle. Il va s’inventer une vie qui n’est pas la sienne… Et puis, dans l’ombre, il y a Delphine, amie de Gabrielle (Audrey Bastien)…

    Frédéric Louf arrive à transcrire la fébrilité et la fougue de la jeunesse, cet âge où tout est possible, à la fois infiniment grave et profondément léger, où tout peut basculer d’un instant à l’autre dans un bonheur ou un malheur pareillement excessifs, où les sentiments peuvent éclore, évoluer ou mourir d’un instant à l’autre, où tout est brûlant et incandescent. De son film et de ses interprètes se dégagent toute la candeur, la fraîcheur mais aussi parfois la violence et l’intransigeance de cet âge décisif.

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    La littérature cristallise magnifiquement les sentiments avec notamment les références à une des œuvres les plus marquantes du romantisme « On ne badine pas avec l’amour » de Musset, judicieux parallèle pour cette histoire qui , dans une certaine mesure, peut rappeler celle de Camille et Perdican, mais aussi pour la présence de la violence sociale, présente dans l’œuvre de Musset et ici également en arrière-plan avec l’éveil de Primo à la politique grâce au personnage de Malik (là encore un choix judicieux : Ali Marhyar). C’est donc l’histoire (avant tout) d’une « éducation sentimentale » mais aussi d’une éducation politique, l’un et l’autre symbolisant un bel et fol espoir. Celui du 10 mai 1981. Et celui de cet amour naissant.

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    Au sommet de la distribution, Pierre Niney (que vous avez pu notamment voir dans « les Emotifs anonymes » de Jean-Pierre Améris et « L’autre monde » de Gilles Marchand, plus jeune pensionnaire de la comédie française mais pas seulement, cf interview ci-dessous) qui incarne Pierre, personnage éminemment romantique capable notamment de se jeter par la fenêtre, d’une touchante maladresse et d’une maladroite élégance, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire, audacieux et inconscient…mais aussi Audrey Bastien (que vous avez déjà pu voir dans « Simon Werner a disparu ») qui incarne une Delphine à la fois forte et fragile, mystérieuse et déterminée.

     A eux deux, ils incarnent toutes les nuances, les excès, les passions, la vulnérabilité et la force de la jeunesse avec un naturel confondant et avec ce petit quelque chose en plus, si rare et précieux, qui se nomme la grâce. N’oublions pas non plus Lou de Lâage,  dont le personnage, à l’image de ceux précités, évite intelligemment l’écueil du manichéisme.  Michel Vuillermoz, Johan Libéreau, Ali Maryhar notamment complètent cette épatante distribution !

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    Le caractère de Primo (inconscient, follement romantique, maladroit, déterminé) rappelle Antoine Doinel et en particulier le Doinel de « Baisers volés ». La vitalité qui se dégage du film, les références à la littérature, cette apparente légèreté doublée d’une réelle profondeur procurent à ce film un bel air truffaldien.

    Le tout est  servi par des dialogues particulièrement bien écrits. Agnès Jaoui qui a écrit ce qui est à mon sens un des films avec les meilleurs dialogues qui soient (« Le goût des autres », chef d’œuvre du genre à voir absolument si ce n’est déjà fait) ne s’y est pas trompé: elle est la marraine du film.  Le film a par ailleurs reçu le label « Cinéaste de demain » décerné par Canal +, UGC et un collectif de cinéastes.

    Un film simple, touchant, drôle (je ne l’ai pas assez dit, mais oui, vraiment aussi drôle) qui a la grâce des 18 ans de ses personnages, à la fois fragiles et résolus, audacieux, d’une émouvante maladresse, insouciants et tourmentés et qui incarnent à merveille les héros romantiques intemporels même si le film est volontairement très ancré dans les années 80 à l’image du tube de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles » qui a donné son titre au film.

    Un film au romantisme assumé, imprégné de littérature, avec un arrière-plan politique, avec un air truffaldien, voilà qui avait tout pour me plaire, sans oublier ce petit plus indicible, le charme peut-être, la sincérité sans doute, et le talent évidemment, ingrédients d’un coup de foudre cinématographique comme celui-ci.

    Je crois que vous l’aurez compris : c’est LE film de cet été à ne pas manquer… Et quand ses jeunes interprètes seront nommés comme meilleurs jeunes espoirs aux prochains César et/ou le film comme meilleur premier film (je ne vois pas comment il pourrait en être autrement) vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus!

    Et juste pour le plaisir de la beauté et clairvoyance redoutables des mots de Musset :

    « Adieu Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'on empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois : mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » On ne badine pas avec l'amour (acte 2 scène V)- Alfred de Musset (1810-1857)

    INTERVIEWS DE PIERRE NINEY ET FREDERIC LOUF

     

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    Ci-dessus: Audrey Bastien, Pierre Niney et Frédéric Louf lors de la présentation du film en avant-première, au Festival du Film de Cabourg.

     Pour achever de vous convaincre, je vous propose ci-dessous de retrouver mes interviews du réalisateur Frédéric Louf et de l’acteur principal Pierre Niney. Je les remercie encore une fois  d’avoir pris le temps de me donner ces réponses précises et enthousiastes, qui, je pense, devront vous donner une idée du ton du film, à leur image…

    martineden.jpgUne petite parenthèse à propos de la référence à « Martin Eden » de Jack London (que vous pourrez lire dans l’interview de Pierre Niney), un chef d’œuvre parfois méconnu, un des trois romans que je relis le plus souvent et que je vous conseille vraiment de découvrir . Dès l’instant où mes yeux se sont posés sur ce roman, le ténébreux « Martin Eden », je n’ai pu les en détacher, le dévorant littéralement jusqu’à la dernière ligne. Pour ne pas en gâcher le plaisir de la découverte, je ne vous en résumerai pas l’histoire. C’est à la fois une brillante histoire romanesque et une peinture de la société, de son hypocrisie, de la superficialité de la réussite, des bas-fonds de San Francisco aux salons de la bourgeoisie. C’est l’itinéraire d’un être passionné et idéaliste qui sombrera dans le désappointement. C’est un roman d’un romantisme désenchanté empreint de passion puis de désillusions. C’est aussi et avant tout un roman sur la fièvre créatrice et amoureuse qui emprisonnent, aveuglent et libèrent à la fois. Le roman le plus autobiographique de Jack London publié en 1909 et réédité aux Editions Phébus (collection Libretto). Je vous le recommande vivement.

     

     

    INTERVIEW DE PIERRE NINEY (Primo dans le film)

    niney3.jpgBiographie (source : Wikipédia et Allociné et interview/photo ci-contre: extraite du film "J'aime regarder les filles") Pierre Niney a débuté le théâtre à l'âge de onze ans en suivant  une formation avec la Compagnie Pandora et travaille sur des mises en scène avec Brigitte Jaques-Wajeman et François Regnault. Admis aux auditions de la Classe Libre des Cours Florent où il y étudie pendant deux ans, puis au Conservatoire National d'Art Dramatique (CNSAD). Il est engagé dans la troupe de la Comédie-Française en octobre 2010.

    Au théâtre : il joue sous la direction de Julie Brochen à la Cartoucherie de Vincennes, Vladimir Pankov au Théâtre Meyerhold à Moscou, et Emmanuel Demarcy-Mota. Après avoir travaillé pour des téléfilms et courts-métrages diffusés à la télévision (Nicolas Klotz...) il décroche plusieurs rôles au cinéma, il joue dans le long-métrage "LOL" de Lisa Azuelos et il tourne entre autres, dans l’excellent film de Robert Guédiguian intitulé "L'Armée du Crime", sélectionné au Festival de Cannes 2009 mais également dans « L’Autre monde » de Gilles Marchand (ma critique, ici) (sélectionné au Festival de Cannes 2010) puis dans "Les Émotifs anonymes" (ma critique, ici) avec Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré. Ces trois derniers films témoignent du caractère judicieux de ses choix.

    Pierre Niney rejoint la troupe de la Comédie-Française le 16 octobre 2010 en devenant le plus jeune pensionnaire actuel du lieu. Il créé actuellement un festival de court-métrage à Vanves pour 2012/2013 (je vous en reparlerai). Il jouera, début juin 2012, au théâtre de Vanves, une pièce qu’il a écrite et mise en scène « Si près de Ceuta ». Vous le retrouverez dans « Les neiges du Kilimandjaro » de Robert Guédiguian qui sort en salles le 16 novembre prochain. Et cet été, il tournera un long-métrage intitulé "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin avec également Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et Mélanie Thierry dans la distribution.

     1. Inthemoodforcinema.com : « J’aime regarder les filles » a été présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, dédié au cinéma romantique. Pour moi, c’était  le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de cinéma romantique (synonyme d’une grande sensibilité et des tourments de l’âme et du cœur). En quoi votre personnage, pour vous, l’est-il ? Cette caractéristique de votre personnage a-t-elle beaucoup orientée votre manière de l’interpréter ?

     Pierre Niney: Primo est un grand romantique. Mais pas dans sa forme la plus classique. C'est ce qui m'a beaucoup séduit dans le scénario de Fréderic Louf. Il aime de tout son cœur et il est capable de beaucoup quand il est dans cet état. Une porte fermée ne l'arrêtera pas tant qu'il pourra escalader la face de l'immeuble, peu importe l'étage.

    Il est aussi profondément sensible à la littérature et capable de retenir des vers entier d'Alfred de Musset qui parlent d'amour, cependant c'est aussi un personnage capable d'une vraie violence dans ses rapports aux autres, et d'un réel égoïsme, qu'il parvient a combattre au fur et a mesure du film et des différentes rencontres qu'il fait. Evidemment tout cela a influencé ma manière de jouer Primo car ces aspects du personnage le définissent en grande partie.

    2. Inthemoodforcinema.com: Même si votre jeu est très différent de celui de Jean-Pierre Léaud, j’ai beaucoup songé au cinéma de Truffaut de par le caractère de votre personnage, la présence de la littérature, la vitalité qui se dégage du film. Est-ce une référence pour vous en général et en était-ce une à la lecture du scénario ?

    Pierre Niney: Le lien entre l'univers de Truffaut et le film de Fréderic Louf me plait bien (évidemment!) et me parait justifié à certains niveaux.  Le ton de "J'aime Regarder Les Filles" ainsi que le personnage de Primo peut,  je pense, faire penser aux aventures du très "vivant" Antoine Doinel.

    L'image d'un Jean Pierre Léaud fougueux et maladroit m'a traversé l'esprit plus d'une fois à la lecture du scénario. Primo, le personnage que j'incarne dans le film, partage certains traits de caractère avec lui. Une certaine naïveté mêlée à une réelle détermination capable de surprendre le public mais aussi le personnage lui même, voilà ce qui pour moi faisait un écho possible entre les deux univers et les deux "héros" que sont Primo et Antoine Doinel.

    Au delà de ça, une fois sur le plateau je me suis beaucoup éloigné de cette référence (et des autres) et je n'ai jamais eu en tête les films de Truffaut quand il s'agissait de jouer les scènes. Le plus évident sur le tournage et dans le travail avec Frederic, était de se lancer dans les scènes avec pour seul but de réagir au présent, en lien direct avec la situation et les différents caractères des personnages. Rester vif et toujours dans une optique d'extrême, d'absolu qui est propre à la jeunesse.

    3. Inthemoodforcinema.com:  Votre personnage est assez complexe, à la fois léger et grave, immature et obstiné, autodestructeur et volontaire. On a l’impression que votre jeu est très « fluide », évident. Quelles difficultés, s’il y en a eu, cela présentait-il ? Y a-t-il une manière de se préparer à un rôle comme celui-ci ?

    Pierre Niney: Primo ne m'est pas totalement inconnu. Son énergie, son goût pour " l'escalade d'immeubles en plein Paris", son obstination à obtenir quelque chose qui lui parait important, son indécision aussi parfois, sont autant d’aspects du personnage que je partage avec lui . Et ce fut la bonne surprise du scénario. Pour toutes les scènes qui faisaient appel à ces traits du personnage, je me suis donc rapidement amusé, dès les répétitions, à jouer avec, à les exagérer ou les cacher aux autres personnages.

    Lee Strasberg écrit une phrase que j'aime bien (au risque de me la péter un peu) :  "Il faut partir de soi...mais il faut partir." De cette même façon, mon travail s'est ensuite porté sur ce qui m'était plus étranger chez Primo (et ce qui est souvent captivant pour un acteur). J'ai posé des questions à Fréderic sur sa façon de voir la maladresse de Primo, je lui demandais "comment est ce qu'il pourrait marcher?", "Est ce qu'à table il est du genre à tripoter ses couverts ou sa serviette?" et nous avons avancé de cette manière, parfois à travers ce genre de détails qui nous plaisaient à tout les deux et capables de raconter le mal-être de Primo ou son réel romantisme...

    4. Inthemoodforcinema.com : J’ai été très impressionnée par la justesse de l’interprétation de toute la distribution, paradoxalement par la maturité nécessaire pour incarner des personnages parfois immatures mais qui reflètent aussi la fougue, la fébrilité, l’exaltation, les excès et les passions de la jeunesse. Au-delà du talent de chacun, la direction de Frédéric Louf n’y est sans doute pas étrangère. En quoi est-elle particulière ? Vous laissait-il improviser ? Ou tout était-il au contraire très écrit ?

    Pierre Niney: Fréderic a souhaité travailler de nombreuses scènes avec nous avant le début du tournage. Ce qui a permis de créer une réelle atmosphère de travail et de bienveillance entre Lou, Audrey, Ali, Victor et moi, avant même d'arriver le jour J sur le plateau du film.

    Cela a été une très bonne idée et nous avons pu explorer différentes pistes sur les scènes les plus riches du scénario et choisir ce qui plaisait le plus a Fred.

    Sur le plateau, au moment du tournage, Fred laisse une grande liberté de jeu car c'est un grand fan de comédie et un fin observateur d'acteurs en général. L'instant présent du jeu, de la situation et de l'échange entre les comédiens est très précieux pour lui. Il nous laissait donc parfois poursuivre la scène en impro, voir jusqu'ou nous pouvions amener la séquence : ainsi la scène de la bouteille à "1800 francs" est une prise où Ali et moi improvisons toute la fin de la scène : la dégustation du vin…etc.

    Fred a toujours une idée précise de ce qu'il veut raconter avec telle scène ou tel plan du film, il sait ce qu'il veut raconter mais il laisse l'instrument de l'acteur lui proposer des notes auxquelles il n'aurait pas forcément pensé, et c'est aussi là sa grande force. Il est réellement ouvert aux propositions tout en sachant où il veut aller.

    5. Inthemoodforcinema.com : La littérature est très présente, surtout Musset qui est une sorte de catalyseur ou d’élément cristallisateur notamment dans une scène entre Audrey Bastien et vous, pour moi une des plus belles du film. Frédéric Louf se référait-il à la littérature dans sa direction d’acteurs, en amont ou peut-être dans la façon de diriger votre jeu sur le tournage ? Et vous, cela a-t-il influé sur votre jeu d’une manière ou d’une autre? Aviez-vous des références littéraires en tête en incarnant votre personnage ?

    Pierre Niney: Le rapport de Fréderic à la littérature m'a beaucoup touché. Dès la lecture du scénario j'ai trouvé que c'était un point fort du film et de son personnage principal : Primo. Je suis un fan inconditionnel de Musset et de cette tirade, d'une lucidité et d'une beauté absolument parfaite, qui apparait dans le film : "Tout les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches..."

    Fred a évoqué le personnage de Martin Eden tiré du roman autobiographique de Jack London, a plusieurs reprises. Dans une première version du scénario je devais d'ailleurs offrir ce livre à la fin du film lorsque Primo reviens chez Delphine pour leur scène finale.

    Les personnages de "J'aime Regarder Les Filles" flirtent avec quelque chose d'éternel, d'intemporel grâce a cet aspect du scénario et, par exemple, à ce rapprochement avec un couple romantique comme celui de Camille et Perdican dans "On ne badine pas avec l'amour" de Alfred de Musset.

    6. Inthemoodforcinema.com : Le film débute la veille du 10 mai 1981 et est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Est- ce que cet ancrage temporel changeait quelque chose pour vous, dans votre manière d’interpréter Primo ?

    Pierre Niney: A vrai dire, pas vraiment. Bien que "J'aime Regarder Les Filles" soit un film dont la trame de fond est politique et où certaines scènes ancrent très bien l'histoire dans l'ambiance et dans le renouveau politique que représente cette période, il s'agit d'un film entre jeunes gens, qui parle de leurs désirs (souvent contradictoires). En cela les enjeux sont accessibles pour un acteur sans prendre particulièrement en compte l'époque. Apres je me suis évidemment replongé dans Cindy Lauper, Jean Jacques Goldman, les vrais-faux meetings politiques de Coluche et les expressions des jeunes acteurs de La Boum pour me nourrir à fond de ces " vibes eighties! "

    7. Jean-Pierre Améris et Robert Guédiguian : vous avez notamment, tourné avec deux autres excellents directeurs d’acteurs (en plus d’être aussi de grands cinéastes). J’imagine que chacun d’entre eux vous a apporté quelque chose ? Que vous ont-ils appris, peut-être plus ou moins inconsciemment ? Et que vous a apporté cette expérience avec Frédéric Louf et en quoi changera-t-elle (peut-être) votre manière de jouer ou d’envisager les rôles à l’avenir ?

    Tourner avec Robert Guédiguian est toujours un réel plaisir et la sensation certaine de faire partie de quelque chose de "grand". Il y a sur son plateau l'idée d'une solidarité entre tout le monde, d'une famille presque, et souvent l'envie de défendre un scénario, une histoire entière et non pas une partition isolée.

    Dans "Les Emotifs Anonymes" avec Benoit Poelvoorde et Isabelle Carré, je pense avoir appris sur la façon de diriger un plateau de cinéma quand on est réalisateur. Jean-Pierre Améris est quelqu'un de relativement timide (d'où son film!) or il gérait son équipe avec une main de maître, et arrivait toujours à donner la dynamique qu'il voulait sur le plateau par le biais de l'humour ou autre…

    Je suis content d'avoir pu observer cela car j'aimerais vraiment passer à la réalisation dès que j'aurais un peu plus de temps pour m'occuper de mes projets sérieusement. Et je suis justement entrain de créer un Festival de court-métrage au Théâtre/Cinéma de Vanves pour 2012-2013, où je compte bien passer derrière la caméra, accompagné d'autres invités à moi : Guillaume Gouix, Grégoire Leprince Ringuet, Melvil Poupaud…(suite du "casting" a venir)…

    Sans changer foncièrement ma façon d'aborder un rôle et ma méthode de travail je peux dire que le tournage de "J'aime regarder les filles" m'a définitivement décidé à faire ce métier toute ma vie. Avec Fréderic je me suis senti dans une relation de confiance totale et donc dans le seul souci de raconter au mieux l'histoire de Primo. J'ai aussi réaliser qu' un rôle principal est un réel luxe pour un acteur : travailler son personnage dans le détail, gagner la confiance d'une équipe de tournage, d'un réalisateur…et c'est pourquoi je respecte encore plus qu'avant les performances des seconds rôles dans les films, qui est un défi toujours très délicat et superbe à voir quand il est réussi.

    8. Inthemoodforcinema.com :   Les émotifs anonymes, L’autre monde, L’armée du crime, nos 18 ans, LOL etc . Vous avez déjà tourné dans des films aux styles très divers et avez incarné des personnages très différents. Y a-t-il un type de rôle que vous reverriez d’incarner ou un cinéaste (ou plusieurs) avec qui vous rêveriez de tourner ?

    Pierre Niney: J'aime bien faire le caméléon et participer a un maximum de projets artistiques, tant qu'ils me plaisent et cela peut être pour des raisons très diverses.

    Pas de type de rôle particulier, mais des réalisateurs, oulaaa!…Beaucoup : Audiard, Inarritu (21 grammes est un pur chef d'oeuvre), Terry Gilliam, Michel Gondry (dans sa période "Eternal Sunshine"), et j'ai très envie de me frotter un jour a un gros projet type blockbuster américain! Voir l'ampleur de la machine et la place d'un acteur la dedans, ca doit être assez intéressant.

    9. Inthemoodforcinema.com : J’ai lu que vous aviez  écrit et mis en scène la pièce « Si près de Ceuta » que vous jouerez au Théâtre de Vanves en 2012. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?

    Pierre Niney: "Si près De Ceuta" est une pièce que j'ai écrite il y a 3 ans et que je continue d'écrire, d'agrémenter et que je veux encore construire quand je vais travailler avec les acteurs sur le plateau. Je la jouerai en effet début juin 2012 au Théâtre de Vanves. La pièce raconte la nuit de deux soldats qui surveillent une frontière et son mur de barbelés. Et de deux hommes qui vont tenter à tout prix de passer cette frontière.

     10. Inthemoodforcinema.com : Vous avez déjà eu pas mal de rôles au cinéma  et encore plus au théâtre. Vous êtes ainsi pensionnaire de la Comédie Française. Pourriez-vous envisager d’abandonner le théâtre pour vous consacrer uniquement au cinéma, ou inversement, ou les deux vous sont-ils aussi nécessaires ?

    Pierre Niney: Pour moi, le théâtre et le cinéma sont totalement complémentaires. Le rapport au travail, les valeurs et la technique demandée au théâtre sont des bonnes choses à apporter sur un plateau de cinéma je pense. Il faudrait, comme en Angleterre, que ces deux mondes soient moins hermétiques. Ian McKellen joue un jour du Beckett dans un petit théâtre et le lendemain Gandalf dans « Le seigneur des anneaux »…ça me parait être une bonne philosophie.

    11.Inthemoodforcinema.com :  Quels sont vos projets cinématographiques ?

    Pierre Niney: Je tourne cet été un long-métrage qui s'appelle "Comme Des Frères" réalisé par Hugo Gélin.  C'est un projet très excitant. Nicolas Duvauchelle, Francois-Xavier Demaison et moi jouons trois amis qui se lancent dans un road trip après le décès de leur meilleure amie commune (Mélanie Thierry). Le film raconte l'histoire de ses trois potes et la raison de cette amitié improbable entre un étudiant de 20 ans, un scénariste télé de 30, et un businessman de 40.

    Et la sortie du prochain film de Robert Guédiguian "Les Neiges Du Kilimandjaro" le 16 novembre prochain. dans lequel il m'a confié une très jolie séquence avec Ariane Ascaride.

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du  « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner aux spectateurs envie d’aller voir le film ?

    Pierre Niney: Que c'est un film très original car il a à la fois la poésie d'un film d'auteur, le rythme d'un vrai divertissement, l'humour d'une bonne comédie qui séduit aussi par le détail, de vrais dialogues bien écrits (Agnès Jaoui, experte en la matière, qui est marraine du film ne s'y est donc pas trompée!) et l'occasion de voir de jeunes et nouveaux acteurs du cinéma français, le tout en écoutant cette chanson de fou "J'aime regarder les filles" tube des années 80' ! (ca va , c'est suffisant…?)

    13. Inthemoodforcinema.com : Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

    Pierre Niney: "Sailor et Lula" de David Lynch et "Eternal Sunshine of a Spotless Mind", qui pour moi est profondément romantique.

    INTERVIEW DE FREDERIC LOUF (réalisateur de « J’aime regarder les filles »)

     Biographie: (Source: programme du Festival du Film de Cabourg 2011) Frédéric Louf a été chroniqueur cinéma au Matin de Paris en 1986, après des études de droit et de commerce. En 1992, il commence à écrire pour la télévision. En 2000, il réalise son premier court-métrage « Les petits oiseaux » présenté en 2001 dans de nombreux festivals y compris le Festival de Cannes. En 2003, Didier Brunner lui confie l’écriture puis la réalisation des 26 épisodes de « GIFT », une série d’animation 3D pour France 2.  « J’aime regarder les filles » est son premier long-métrage dont il a commencé l’écriture en 2006 et qu’il a réalisé durant l’été 2010.

    1. Inthemoodforcinema.com : Votre premier long-métrage « J’aime regarder les filles » était présenté en avant-première au Festival du Film de Cabourg, un festival dédié au cinéma romantique. Selon moi, c’était le film de cette sélection correspondant le plus à la définition de film romantique (synonyme souvent d’une grande sensibilité et mettant en scène les tourments de l’âme et du cœur). Etait-ce un parti pris délibéré dès le début d’écrire un film romantique ? Et si oui, dans quelle mesure vouliez-vous que ce film soit romantique ?

     Frédéric Louf: Je voulais parler dʼimmaturité. Lʼimmaturité est romantique en ce qu’elle pousse à idéaliser, à radicaliser, et à exagérer les sentiments… Lʼamour inconditionnel que Primo porte à Gabrielle est donc fondamentalement romantique et immature. Je ne pouvais donc éviter de faire un film romantique comme je ne pouvais éviter de citer Musset!

    2. Inthemoodforcinema.com : Aucun des personnages n’est manichéen. Delphine est à la fois forte et fragile, Primo grave et léger etc. Comment avez-vous dirigé les acteurs pour parvenir à cette complexité particulièrement crédible ?

    Frédéric Louf: Je ne les ai pas dirigés: je les ai choisis. Sans rire. Lʼexemple le plus clair est Victor Bessière qui joue Paul. Il a la stature de Paul, il en a lʼélégance et la carrure, mais dans la vie il nʼa rien à voir avec un fils à papa: La composition quʼil donne est donc un mélange volontairement bancal entre son physique aristocratique que nous avons évidemment appuyé, et ce quʼil est fondamentalement. Et je crois que cʼest grâce à cela quʼil parvient à être touchant et intéressant malgré la partition un peu rude quʼil a à jouer.

    3. Inthemoodforcinema.com :  L’action du film débute la veille du 10 mai 1981. Le film est à la fois très ancré dans cette époque et, d’une certaine manière, intemporel. Cette époque s’est-elle imposée dès le début et pourquoi ? Avez-vous songé à placer l’intrigue en 2011 ?

    Frédéric Louf : Oui lʼépoque était importante pour moi car elle étaye la conscience politique naissante de Primo: il me fallait pour cela un événement fort et lʼélection de François Mitterrand est évidemment lʼévénement politique français le plus fort de ces 50 dernières années. Choisir 2011 nʼaurait pas eu le même sens et jʼaurais dû faire un film tout à fait différent, notamment en ce qui concerne lʼapproche sensuelle. Je crois en effet quʼon ne se pense pas sexuellement de la même façon en 2011 quʼen 1981, tout simplement parce quʼon nʼa pas les mêmes images en tête. En 2011, mon Primo nʼaurait pas pu être celui dont je rêvais. Ou alors il nʼaurait pas été aussi vrai…

    4. Inthemoodforcinema.com : La littérature est aussi très présente, notamment Musset qui joue un rôle essentiel ? Etait-ce uniquement un procédé scénaristique parce que nous pouvons voir un lien entre l’histoire de votre film et « On ne badine pas avec l’amour » ou cette oeuvre avait-elle une réelle importance, peut-être plus personnelle, pour vous ? L’idée de la littérature, très présente, et qui joue un rôle essentiel et même un rôle de cristallisation, dans une des plus belles scènes du film, entre Delphine et Primo, s’est-elle imposée dès le début de l’écriture ?

     Frédéric Louf: Le texte de Musset est tellement génial que, quand on lʼa lu une fois, on ne peut lʼoublier. Ça a été mon cas, et oui il a une réelle importance sentimentale pour moi. La scène en elle même mʼa causé du souci car je la trouvais «too much» et elle a fait pas mal dʼallers retours avant que je ne lʼassume complètement. Mais je ne pouvais continuer à montrer lʼimportance que Primo attache aux livres (qui sont son principal facteur dʼémancipation), sans faire jouer un vrai rôle dynamique à un de ces livres!

    5. Inthemoodforcinema.com : Comme dans l’œuvre de Musset, la violence sociale est présente dans votre film, mais seulement en arrière-plan, avez-vous songé à en faire un film politique ? Ou aimeriez-vous écrire un film politique ? Peut-être votre prochain projet, s’il est déjà en cours ? Avez-vous commencé l’écriture de votre prochain projet ? Pouvez-vous nous en parler ?

    Frédéric Louf : Jʼadorerais faire un film politique à la Elio Petri, mais je ne pouvais risquer de mettre toutes mes envies dans le même projet… Simplement je ne peux me résoudre à écrire des sujets univoques: il me faut de la complexité, des pistes, et des digressions. Je crois que ça permet aux films en général de continuer leur route dans la tête des gens; dʼavoir des «demi vies» plus longues!

    6. Inthemoodforcinema.com : Notamment en raison de la présence de la littérature mais aussi du caractère du personnage de Primo et de la vitalité qui se dégage de votre film, il m’a parfois fait penser au cinéma de Truffaut, est-ce une de vos références ?

    Frédéric Louf: Il y a une élégance dans le cinéma de Truffaut que jʼenvie beaucoup. Une façon de ne pas acheter le spectateur avec de la verroterie, mais de lui donner lʼimpression quʼil a tout compris par lui même. Cʼest un ciména généreux et respectueux…

    7. Inthemoodforcinema.com : Aviez-vous d'ailleurs des références littéraires (outre Musset) et/ou cinématographiques en tête en mettant le film en scène. Et pour votre direction d'acteurs, leur avez-vous donné des références littéraires ou cinématographiques particulières?

    Frédéric Louf : Aux comédiens, jʼai surtout expliqué le contexte politique du film qui nʼétait pas évident pour des gens aussi jeunes. Bien sûr jʼai suggéré certains films à voir, notamment à Lou et à Audrey… Mais des références précises, cʼest compliqué à dire: la culture, cʼest du sédiment, de la vase: ce qui y pousse provient dʼun tout… Et puis citer des gens, cʼest prendre le risque dʼavoir à supporter la comparaison!

    8. Inthemoodforcinema.com : J’ai été réellement impressionnée par la qualité de la jeune distribution, que ce soit par Pierre Niney, Audrey Bastien, Lou de Laâge, Ali Marhyar, Victor Bessière. Il me semble qu’il faut beaucoup de maturité pour exprimer ainsi la fougue, la fébrilité, l'exaltation, les excès et les passions de la jeunesse mais aussi paradoxalement l’immaturité de ces personnages. Comment avez-vous procédé pour les choisir ? Par casting ? Ou les avezvous choisis à partir de leurs précédents rôles ?

     Frééric Louf : A part Pierre, aucun dʼentre eux nʼavait joué au cinéma quand je les ai rencontrés. Et Pierre nʼavait eu que de petits rôles. Découvrir des gens talentueux fait partie du plaisir et pour moi cʼétait inhérent au projet; cʼest comme ouvrir un livre sans rien en savoir à lʼavance. Peu importe comment la rencontre se fait, il faut savoir regarder…

    9. Inthemoodforcinema.com : Le titre fait référence au tube de l’année 1981 de Patrick Coutin « J’aime regarder les filles ». Pourquoi ce choix ?

     Frédéric Louf :  «Pour faire parler les bavards» aurait dit ma grand mère. Et surtout parce que pour moi cʼest la chanson hyper romantique dʼun type qui attend la femme de sa vie en hurlant de désespoir sur la plage!

    10. Inthemoodforcinema.com :  Le scénario est très construit mais en même temps se dégage du film une certaine liberté, une fraîcheur, une certaine naïveté mais dans le bon sens du terme. Tout était-il très écrit ou avez-vous laissé une part à l’improvisation ?

    Frédéric Louf : Les deux. Tout était très écrit, mais quand on a affaire à des comédiens comme Pierre Niney et Ali Marhyar, il faut être gravement psychorigide pour ne pas les laisser sʼexprimer!

    11.  Inthemoodforcinema.com : C’est votre premier long-métrage. Comment s’est passée la production ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

    Frédéric Louf : Hélas les difficultés que jʼai rencontrées ne sont pas particulières! Mais jʼai peut-être poussé le bouchon un peu loin en ayant la prétention de faire un film sans stars alors que je suis moi même inconnu. Il y a des gens pour qui on sent bien que découvrir de nouveaux talents nʼest pas une priorité!

    12. Inthemoodforcinema.com :  Le film a reçu un excellent accueil au Festival de Cabourg. Sera-t-il projeté dans d’autres festivals prochainement ?

    Frédéric Louf: Je ne suis pas dans la confidence.

    13. Inthemoodforcinema.com :  Le film sort en salles le 20 juillet, une période difficile pour les sorties mais à mon avis propice pour ce genre de film (je songe au succès inattendu du « Premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon à la même période), que diriez-vous pour donner envie aux spectateurs d’aller voir le film ?

     Frédéric Louf: Quʼils vont y voir des comédiens inconnus et fabuleux et quʼils en auront pour leur argent parce que lʼhistoire leur trottera encore dans la tête le lendemain! (on ne pense pas assez à lʼamortissement de son ticket, au cinéma!).

    14. Inthemoodforcinema.com :  Comme « J’aime regarder les filles » était projeté dans le cadre du Festival du Film de Cabourg, je ne peux pas m’empêcher de vous demander quels sont vos films de prédilection en matière de cinéma romantique ?

     Frédéric Louf : «The Ghost and Mrs Muir», de J. L. Mankievicz, est un chef d’œuvre du genre.

    Bande-annonce de "J'aime regarder les filles" de Frédéric Louf:

  • Critique de « Pater » d’Alain Cavalier avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau

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    J’étais d’autant plus impatiente de découvrir « Pater » en salles que j’avais assisté à Cannes à la conférence de presse (passionnante, et à laquelle les journalistes étaient étrangement très peu nombreux -voir résumé en bas de cet article-) et que le film y avait reçu un accueil pour le moins chaleureux (17 minutes d’applaudissements dans la salle du Grand Théâtre Lumière, sans doute, pourtant, le public le plus impitoyable et versatile qui soit).  Un succès cannois qui contraste avec le peu de salles projetant le film … et avec son caractère très iconoclaste.

    Pendant un an, le réalisateur « filmeur » Alain Cavalier et le comédien Vincent Lindon se sont vus et filmés. Le réalisateur devenu aussi acteur et l’acteur réalisateur. Et le réalisateur acteur devenant Président de la République et son acteur réalisateur son Premier Ministre. Le tout mêlant réalité et fiction, vérité et jeu. Une fiction inventée tout en filmant la vie, l’une et l’autre étant indistinctes et se contaminant. Le Président de la République et son Premier ministre décident de proposer une loi fixant l’écart maximal entre les salaires. Le Président est partisan d’un rapport de 1 à 15 alors que son Premier ministre préférerait un écart de 1 à 10. L’élection présidentielle approche, les deux hommes s’éloignent alors et finissent par se présenter l’un contre l’autre…

     Un film pour lequel Alain Cavalier a eu carte blanche de son fidèle producteur Michel Seydoux. Et sans doute ne sont-ils pas très nombreux à accepter encore ce genre de projet : hybride, hors normes, indéfinissable.

    Un film malin et agaçant, humble et prétentieux, ludique et pédant. Mais en tout cas, un film courageux, audacieux, original, libre, à l’image de son réalisateur et de son acteur principal. Déjà au moins quatre qualités à mes yeux.

    Malin parce que, en feignant l’improvisation totale, Alain Cavalier nous emmène là où il souhaite nous emmener tout comme il conduit son acteur-réalisateur-Premier-Ministre. Malin parce qu’il brouille constamment les repères, les pistes. Malin parce que, en feignant de ne rien dire, ne rien faire ou presque, il stigmatise la politique ou du moins (dé)montre à quel point elle est un jeu (de pouvoirs, d’acteurs).  Malin parce que le titre est loin d’être innocent ou anodin. Pater. Père de la nation. Relation filiale complexe qui s’établit un père et un fils.  Entre Lindon et Cavalier, hommes entre lesquels s’établit une relation presque filiale. Entre le Président et le 1er Ministre, le fils rêvant d’ailleurs de prendre la place du père. Pater. Ce père que Cavalier évoque non sans tendresse, avouant l’avoir jugé trop durement mais gommant par une opération un défaut physique qui fait qu’il lui ressemble. Enfin, Pater parce que Cavalier a été élevé chez les prêtres où Dieu était un autre Pater. Pater : une absence donc omniprésente.

    Agaçant quand il singe la politique, la décrédibilise une fois de plus comme si elle avait encore besoin de ça. Agaçant quand Lindon et Cavalier jouent à être des politiques (et jouent sous nos yeux à être des acteurs, le film se construisant sous notre regard, ou du moins feignant de se construire sous notre regard) avec une sémantique tout aussi enfantine ( comme un « malgré que » qui a écorché mes oreilles etc et un programme relevant de ce que certains qualifieront sans doute d’une enfantine utopie : retrait de la légion d'honneur à qui place son argent à l'étranger,  limitation de l'écart entre petits et gros salaires dans une même entreprise).

    Ludique quand il interroge les fonctions d’acteur et de politique et les met en parallèle. Ludique parce que finalement l’un et l’autre (acteur et politique) jouent à être quelqu’un d’autre pour convaincre. Ludique parce que c’est aussi une leçon de cinéma (la dernière scène en est particulièrement emblématique) et une leçon contre les budgets pharaoniques donnant des films vains. Ludique quand il nous devient impossible de distinguer ce qui est fiction ou réalité, ce qui est jeu ou vérité.

    Ludique et même drôle quand  Vincent Lindon parle à ses gardes du corps dans le film  se plaignant de ne pas avoir reçu de coup de fil du Président/réalisateur Cavalier pour valider son interprétation « Qu'il n'appelle pas Vincent Lindon c'est une chose, mais le Premier Ministre quand même... » ou quand une photo compromettante pour le leader de l'opposition  tombe entre ses mains.

    Humble par ses moyens de production. Prétentieux par sa forme déconcertante, son discours d’apparence simple et finalement complexe comme la relation qu’il met en scène. Prétentieux car finalement très personnel avec un discours prétendument universel.  

     L’antithèse de la « Conquête » (également en sélection officielle à Cannes mais hors compétition, contrairement à « Pater ») qui veut nous faire croire que le cinéma c’est l’imitation ; Cavalier nous dit ici au contraire que c’est plutôt recréation (et récréation). Réflexion déroutante et ludique sur le jeu et les jeux de pouvoirs (entre un Président de la République et son Premier Ministre, entre deux hommes, entre un père et son fils, entre un réalisateur et un acteur mais aussi entre un réalisateur et le spectateur ici allègrement manipulé) qui, tout de même, témoigne d’une belle audace et liberté (de plus en plus rares) mais s’adresse à des initiés tout en feignant de s’adresser à tous. Le « Pater » Cavalier ne reproduit-il pas ainsi d’une certaine manière avec le spectateur ces jeux de pouvoirs qu’il stigmatise ?  Le sous-estime-t-il, l’infantilise-t-il ou au contraire le responsabilise-t-il en lui laissant finalement l’interprétation –dans les deux sens du terme- finale ? Peut-être que trouver des réponses à ces questions vaut la peine d’aller le voir en salles. A vous de juger.

     

    Festival de Cannes 2011- Conférence de presse de « Pater » d’Alain Cavalier avec Alain Cavalier, Vincent Lindon…

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    Il ne s'agit pas d'Eric Libiot mais bien évidemment de Vincent Lindon et Alain Cavalier...

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    C’est une des bizarreries cannoises : alors que pour la conférence de presse de « Pirate des Caraïbes » il était impossible d’entrer (c’est le cas, la plupart du temps, des conférences de presse de films américains), pour celle de « Pater » et alors que je venais simplement attendre pour la conférence suivante (celle de « La Conquête » que je vous raconterai ultérieurement), et alors que celle de « Pater » était déjà commencée, on m’a permis d'entrer dans la salle ...car quasiment vide et c’est bien dommage car cette conférence était réellement passionnante, et n’a fait qu’accroître mon envie de découvrir le film d’Alain Cavalier. Vincent Lindon s’est révélé passionné, engagé même en parlant du film, mais aussi touchant, drôle, sincère, à fleur de peau.

    Vincent Lindon a notamment parlé d’économie du cinéma, un sujet qui le passionne, rappelant que la qualité d’une scène ou d’un film n’était pas affaire de budget prenant pour exemple la scène d’ « Itinéraire d’un enfant gâté » dont tout le monde se souvient, celle du face-à-face  entre Belmondo et Anconina dans une chambre de bonne et au cours de laquelle il lui apprend à ne pas être surpris, ou celle de Titanic « avec la buée sur la vitre », des films qui ont coûté très chers et dont les scènes les plus mémorables sont les moins coûteuses.

    Vincent Lindon a déclaré que c’était la première fois qu’il voyait le film sur grand écran : « Tous les gens attendaient un OVNI. On confond bizarre avec chiant » a-t-il dit.

    « On ne faisait qu’une prise et si elle ne fonctionnait pas, elle n’était pas dans le film ».

    Cavalier : « On prenait la caméra et on continuait une sorte de conversation. »

    Vincent Lindon a également révélé avoir été très touché par l’accueil dans le Grand Théâtre Lumière (le film le plus applaudi de cette sélection 2011 ) : « Cela faisait 25 ans que j’attendais ce moment, ce n’était pas un bon accueil mais un accueil incroyable. » « Je l’aurai en souvenir toute ma vie. » « On prenait la caméra et on continuait une sorte de conversation. »  « J’adore qu’on m’aime, j’adore qu’on aime ce que je fais quand j’aime autant ce que je fais. » Quant à Cavalier : « Le fait d’être aimé régulièrement dans la vie n’est pas mon problème. » Concernant les artistes, d’après Cavalier : « On ne s’aime pas tellement que ça et on s’abrite derrière ce qu’on fait. »

    Pour Cavalier, concernant les citations du film se rapprochant de citations réelles : « Je sais tout sur ceux qui ont le pouvoir mais c’est moi qui avais le pouvoir. Les citations étaient inconscientes. »

    Pour Vincent Lindon : « On passe son temps à vouloir plaire ou déplaire à son papa ou sa maman, toujours en réaction ».

    Pour lui ce film a changé son regard sur son métier : «  Je crois que, Alain, est en train de m’influencer sur une chose et une idée est en train de naitre » se déclarant las de tout ce qui précède habituellement le tournage (attente, maquillage, répétitions…), ce qui n’était pas le cas pour « Pater ». « Je pense que j’arrêterai ce métier plus tôt que prévu car je n’ai pas envie de devenir un vieil acteur. C’est ça qui a changé chez moi, je ne prends rien au sérieux, tout au tragique ».

    Sur ces paroles péremptoires et finalement très justes me rappelant la devise crétoise « tout est grave, rien n’est sérieux », je vous laisse pour partir vers de nouvelles aventures …un peu frustrée de ne pas avoir le temps de vous en raconter davantage…

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