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AVANT-PREMIERES - Page 2

  • Critique de ALL IS LOST de J.C Chandor avec Robert Redford : le film de la semaine

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    C’est lors du dernier Festival de Cannes où il était présenté en sélection officielle mais hors compétition que j’ai eu le plaisir de découvrir « All is lost » de J.C Chandor en présence de Robert Redford qui a également donné une conférence de presse dont je vous parle  ci-dessous et dont vous pourrez  retrouver quelques images. C’était un de mes coups de coeur de cette édition cannoise 2013, il figurait également en compétition du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix du jury.  Cette critique, ci-dessous, a aussi été publiée dans le journal de l’ENA en août (vous retrouverez l’article en intégralité en bas de cette page). Je vous en parle à nouveau aujourd’hui puisque vient d’être dévoilée sa sublime affiche.

     

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    All is lost est le deuxième film du réalisateur J.C Chandor après Margin Call, avec un unique interprète, et non des moindres, Robert Redford, dont la mythique présence a cette année illuminé la Croisette. Quel contraste  entre le vacarme, la foule cannois et le silence, la solitude de All is lost.

     

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     Lors de la conférence de presse cannoise, Robert Redford, a notamment parlé, avec autodérision et simplicité,  de son amour de la nature et de son inquiétude pour celle-ci, rappelant son engagement en faveur de l’environnement qu’il juge dans une  situation « carrément catastrophique, désastreuse ».   »A mon avis, la planète essaie de nous parler », a-t-il ajouté, évoquant « les ouragans, les tremblements de terre et les tornades », deux jours après la tornade dévastatrice de Moore, près d’Oklahoma City. Il a aussi évoqué son envie de continuer  à jouer, de la difficulté de faire des films aujourd’hui. Il a évoqué le défi que représentait ce film pour lui : « C’est un défi qui m’a beaucoup attiré en tant qu’acteur. Je voulais me donner entièrement à un réalisateur ». Il a aussi abordé l’importance du silence « Je crois dans l’intérêt du silence au cinéma. Je crois aussi dans l’intérêt du silence dans la vie car on parle car on parle parfois trop. Si on arrive à faire passer le silence dans une forme artistique, c’est intéressant ». « Ce film est en plein contraste avec la société actuelle. On voit le temps qu’il fait, un bateau et un homme. C’est tout ». « Il y a évidemment des similitudes avec Jeremiah Johnson » a-t-il également répondu.

     

    Dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, Robert Redford fuyait ainsi les hommes et la civilisation pour les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses. Ici, dans All is lost, au cours d’un voyage en solitaire dans l’Océan Indien, au large de Sumatra, à son réveil, il découvre que la coque de son voilier a été heurtée et endommagée par un container flottant à la dérive. Privé de sa radio, il doit affronter seul les éléments mais malgré toute sa force, sa détermination, son intelligence, son ingéniosité, il devra bientôt regarder la mort en face. Ici, aussi, c’est finalement la civilisation (incarnée par ce container rouge au milieu de l’horizon bleutée et qui transportait d’ailleurs des chaussures, incarnation de la société de consommation mondialisée ) qui le rattrape (alors que, peut-être, il voulait la fuir, nous ne le saurons jamais…), contraint à se retrouver ainsi « seul au monde », comme dans le film éponyme de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, même si je lui préfère, et de loin, ce film de J.C Chandor.

     

    Pendant 1H45, il est en effet seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

     

    Le seul «dialogue », est en réalité un monologue en ouverture du film, une sorte de testament qui s’écoute comme le roulement poétique, doux et violent, des vagues, et qui place ce qui va suivre sous le sceau de la fatalité : « Ici, tout est perdu, sauf le corps et l’âme ».

     

     Progressivement il va se voir dépouillé de ce qui constitue ses souvenirs, de tout ce qui constitue une chance de survie : radio, eau… Son monde va se rétrécir. La caméra va parfois l’enfermer dans son cadre renforçant le sentiment de violence implacable du fracas des éléments. Avec lui, impuissants, nous assistons au spectacle effrayant et fascinant du déchainement de la tempête et de ses tentatives pour y survivre et résister.

     

    Le choix du magnétique Robert Redford dans ce rôle renforce encore la force de la situation. Avec lui c’est toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui est malmenée, bousculée, et qui tente de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout.

     

     La mise en scène et la photographie sobre, soignée, épurée, le montre (et sans le moindre artifice de mise en scène ou flashback comme dans L’Odyssée de Pi) tantôt comme une sorte de Dieu/mythe dominant la nature (plusieurs plongées où sa silhouette se détache au milieu du ciel), ou comme un élément infime au milieu de l’Océan. La musique signée Alex Ebert (du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zeros) apporte une force supplémentaire à ces images d’une tristesse et d’une beauté mêlées d’une puissance dévastatrice. Inexistante au début du film, elle prend de l’ampleur a fur et à mesure que la tragédie se rapproche et qu’elle devient inéluctable, sans jamais être trop grandiloquente ou omniprésente.

     

    Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle, comme ces requins en contre-plongée qui semblent danser, le défier et l’accompagner ou comme cette fin qui mélange les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore cette lune braquée sur lui comme un projecteur.

     

     Comme l’a souligné Robert Redford, il s’agit d’un « film presque existentiel qui laisse la place à l’interprétation du spectateur » et cela fait un bien fou de « regarder quelqu’un penser » pour reprendre les termes du producteur même si cette définition pourrait donner une image statique du film qui se suit au contraire comme un thriller.

     

    En conférence de presse, Robert Redford avait révélé ne pas avoir vu le film et qu’il allait le découvrir le même soir lors de la projection officielle cannoise dans le Grand Théâtre Lumière. On imagine aisément son émotion, à l’issue de cette heure quarante. Face à lui-même. Face à cette fable bouleversante d’une beauté crépusculaire

     

     All is lost a été présenté hors compétition du 66ème Festival de Cannes. Il aurait indéniablement eu sa place en compétition et peut-être même tout en haut du palmarès. Il a reçu le prix du jury du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville.

    MES ARTICLES DANS LE MAGAZINE « L’ENA HORS LES MURS ». Pour une meilleure lisibilité de cet article, cliquez ici.

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  • Critique de LES GARÇONS ET GUILLAUME, A TABLE ! de Guillaume Gallienne

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    Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Guillaume Gallienne, vous pourrez difficilement l’oublier après avoir vu « Les Garçons et Gauillaume, à table ! ».

     

    « Jet set », « Fanfan la tulipe », « Narco », « Fauteuils d’orchestre »,  « Le concert », « Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour », « Sagan »,  « Marie-Antoinette » , tels sont quelques-uns des films dans lesquels ce Sociétaire de la Comédie Française a joués jusqu’à présent mais rien de comparable avec « Les garçons et guillaume, à table ! », adaptation du spectacle éponyme de Guillaume Gallienne qui en est le chef d’orchestre…et l’orchestre puisqu’il en signe le scénario, la mise en scène…et deux des rôles principaux (dans son spectacle, il incarnait tous les rôles). Pour son premier film, il ne s’est donc pas facilité la tâche.

     Guillaume Gallienne a déjà reçu de multiples récompenses pour ce film, notamment à la Quinzaine des réalisateurs, où je l’ai vu la première fois, et où il a été acclamé, puis au Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a reçu le prix Michel d’Ornano, où je l’ai vu, et avec au moins autant de plaisir, une deuxième fois…et où il a été à nouveau ovationné (cf ma vidéo ci-dessus). Il a également reçu le prix du public au Festival du Film francophone d’Angoulême.

     Ne vous arrêtez donc pas à ce titre de série B qui ne vous semblera plus du tout l’être une fois que vous aurez vu le film, le titre se justifiant alors parfaitement. C’est ainsi que sa mère les appelait, son frère et lui, pour qu’ils viennent dîner : « Les Garçons ET Guillaume, à table ! ». A part déjà. Tout un programme. Très efféminé, il a toujours été considéré par tout le monde comme la fille que sa mère n’a jamais eue, enfin surtout par lui-même, fasciné par cette mère à qui il aurait tant aimé ressembler. Un amour fusionnel (le fond rejoignant alors la forme puisqu’il interprète son rôle) dont il va peu à peu dénouer les fils pour apprendre à savoir qui il est et aime vraiment...   

     Cela débute dans la loge d’un théâtre, celle de Guillaume Gallienne qui se (dé)maquille, enlève son masque de clown (triste ?) avant d’entrer en scène. A nu. La salle retient son souffle. Nous aussi. Dès le début, il happe notre attention et emporte notre empathie, par son autodérision, son écriture précise, cinglante, cruelle et tendre à la fois, ne ressemblant à aucune autre. Puis sa voix, posée et précise comme s’il lisait une partition, nous emporte dans son tourbillon de folie, de dérision, de lucidité tendre et caustique : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant : "Les garçons et Guillaume, à table !" et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: "Je t’embrasse ma chérie"; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus. »

     Et s’il ne s’est pas facilité la tâche, c’est parce que non seulement il interprète le rôle de sa mère, aimante (trop ou mal peut-être), sachant rester élégante tout en étant vulgaire, masquant sa tendresse derrière un air revêche et des paroles (fra)cassantes, mais parce qu’il joue aussi son propre rôle… à tous les âges ! Avec un talent tel qu’on oublie d’ailleurs rapidement et totalement qu’il n’a pas l’âge du personnage. La magie du cinéma. Et le talent d’un grand acteur, à tel point qu’il en devient follement séduisant malgré son allure parfois improbable.

     Gallienne multiplie les mises en abyme  et effets narratifs suscitant ainsi un comique de situation en plus de celui du langage qu’il manie avec une dextérité déconcertante et admirable, et qu’il aime visiblement d’un amour immodéré, comme sa mère, à la folie même, avec pour résultat un rythme effréné, un film sans temps mort, d’une drôlerie ravageuse au moins autant que la tendresse et l’émotion qui nous cueillent aux moments parfois les plus inattendus, à l’image d’un autre clown, à la canne et au chapeau melon, qui savait nous bouleverser autant que nous faire rire.

     Dommage que deux scènes cèdent à la facilité, notamment une avec Diane Krüger,  alors que, auparavant, jamais le film n’essayait d’être consensuel ou de répondre aux codes de la comédie. L’interprétation réjouissante nous les fait néanmoins regarder avec indulgence tant la performance de Gallienne est exceptionnelle, y compris dans cette scène et du début à la fin, avec des scènes d’anthologie, sans parler de rôles secondaires tout aussi réjouissants notamment celui incarné par Françoise Fabian, la grand-mère fantasque et doucement folle.

     

    Ce film est aussi et avant tout une déclaration d’amour fou  à sa mère (quel personnage !) et aux femmes dont il aime et scrute jusqu’à la respiration, mais aussi aux mots, avec lesquels il jongle admirablement, et au théâtre, qui libère, et même au cinéma avec les codes duquel il s’amuse ici. Même s’il lorgne parfois du côté d’Almodovar, Woody Allen ou de Wilder (avec une réplique finale comme un écho à son « nobody’s perfect »), ce film peut difficilement être plus personnel tout en étant universel et il faut sans aucun doute une tonne de talent et de sensibilité pour transformer son mal être en film burlesque, en ce rafraichissant plaidoyer pour la différence (qui n’est jamais militant), en film aussi atypique, inclassable que celui qui en est l’auteur et l’acteur. Un grand auteur et un très grand acteur. Et une comédie tendre et caustique à voir absolument.

     Sortie en salles : le 20 novembre 2013

     

  • Avant-première – Critique de GRAVITY d’Alfonso Cuarón avec George Clooney et Sandra Bullock

     

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    Voilà un film qui a fait parler de lui bien avant sa présentation en ouverture de la 70ème Mostra de Venise et le Festival de Toronto dans le cadre desquels il a été projeté, bien avant sa sortie le 23 octobre prochain, le terme de chef d’œuvre ayant même été employé par les plus dithyrambiques des critiques. Son réalisateur (« Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban » mais aussi « Les Fils de l'homme »...), l’atypisme du projet, la prouesse (les prouesses) technique(s), tout cela, notamment, contribuait à en faire un évènement. Avant-hier, j’ai donc pris la direction du cinéma Gaumont Marignan pour l’avant-première nationale et pour savoir exactement ce qu’il en était exactement. Le film n’était pas encore commencé que déjà résonnaient dans la salle des sons inquiétants et assourdis, pour nous plonger dans l’atmosphère oppressante du film. Et ce n’était qu’un avant-goût d’un périple époustouflant et mémorable !

    Pour sa première expédition à bord d'une navette spatiale, le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock), brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l'astronaute chevronné Matt Kowalski –oui Kowalski !- (George Clooney). Mais, alors qu'il s'agit apparemment d'une banale sortie dans l'espace, à l'autre bout de la Terre, la destruction délibérée d'un satellite hors d'usage a propagé des fragments de métal coupants à travers l'espace qui risquent désormais de heurter brutalement Explorer. L'impact est inévitable. Ses conséquences sont catastrophiques. La navette est détruite. Ryan Stone et Matt Kowalski sont les seuls rescapés. Toute communication avec la mission de contrôle est coupée et les deux survivants n'ont plus aucune chance d'être secourus.

    Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalski se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l'univers. Et nous avec eux. Perdus dans cette immensité aussi majestueuse que redoutable. Le silence autour d'eux est assourdissant. Terrifiant. Matt continue d’expliquer ce qu’ils entreprennent, à donner leur position dans l’espace, à « Houston » qui ne les reçoit plus. Il continue à croire en la moindre chance d'être sauvé. Les réserves d’oxygène vont se raréfier. Je vous laisse imaginer le bonheur de la situation… Le titre prend alors tout son (double) sens.

    « À 600 km au-dessus de la Terre, la température oscille entre – 100° et + 125° C. Il n'y a rien pour propager le son. Pas de pression atmosphérique. Pas d'oxygène. » Ainsi débute «Gravity ». En plan large, dans une immensité obscure, teintée de la lumière de quelques astres.  Puis on se rapproche de deux voix, deux personnages, jusqu’à ce que la caméra les enferme, et nous avec eux. L’infiniment grand et l’infiniment petit. L’espace et la claustrophobie.  L’univers et la solitude. Nous voilà partis pour un voyage riche de contrastes saisissants que nous n’oublierons pas de sitôt.

    Kowalski donc. Ainsi se nomme ici George Clonney. Matt et non Stanley, lequel n’a rien ici à voir avec le personnage éponyme d’ « Un tramway nommé désir », malgré leur similarité patronymique. Quoique, d’une certaine manière, ce film aurait aussi pu se nommer « Un tramway nommé désir ». Il n’y a pas de hasards dans le scénario coécrit par Alfonso Cuarón et son fils Jonás. "C'est Jonás qui m'a souvent inspiré" a ainsi déclaré le premier. "J'ai été frappé par son sens du rythme dans une situation où la moindre décision peut être fatale et qui s'attache au point de vue d'un seul personnage. Mais dans le même temps, le fait de situer l'intrigue dans l'espace nous a permis d'enrichir la dramaturgie et de multiplier les interprétations métaphoriques".

    D’abord, il faut l’avouer : le résultat est spectaculaire, vertigineux, oppressant. Brutal et poétique. Les sensations de solitude, de claustrophobie et même d’apesanteur traversent l’écran, non pas en raison de la 3D (qui n’est finalement pas la plus grande responsable de l’immersion) mais de l’interprétation et de la virtuosité de la mise en scène. La salle de cinéma délivre toute sa splendeur, et ses pouvoirs magiques, parfois oubliés. Le cinéma nous emmène littéralement ailleurs, nous ouvre d’autres horizons, nous embarque dans une autre sphère, qui finalement nous ramène à la nôtre. Les magistraux plans-séquences nous empêchent de reprendre notre souffle, nous aussi privés d’oxygène, rivés à l’écran, accrochés à notre siège, le souffle coupé (j’ai littéralement eu l’impression de retenir mon souffle !), seuls dans/malgré la foule de la salle de cinéma, aussi tétanisée.

    Le personnage de George Clooney sert de respiration dans ce cauchemar, jouant aussi avec son image de séducteur (jusqu’aux confins de l’univers et dans une situation qui peut difficilement être plus désespérée), pour mieux nous bouleverser dans une scène que le souhait de ne pas spoiler m’empêche de vous raconter mais une scène dont je peux vous dire qu’elle est d’une intensité rare et bouleversante. Et ce n’est que le début du voyage… Nous voilà nous aussi prisonniers de l’immensité de l’univers, avec la terre à portée de regard et inaccessible, sublime, même lorsque nous ne faisons que l’imaginer et que Kowalski loue la beauté du Gange qu’il entrevoit.

    Le seul reproche que je pourrais faire concerne un symbolisme appuyé, comme de longues secondes sur la position fœtale de Ryan pour nous signifier la naissance puis la renaissance de cette dernière qui  se relève, finalement, (là aussi lors d’une scène très explicite et non moins magnifique d’ailleurs). Parce que c’est avant tout cela. L’histoire d’une renaissance. D’une femme qui va avoir le choix que nous avons tous suite à un drame (deux en l’occurrence). Sombrer ou affronter. Abandonner ou essayer de survivre jusqu’à l’ultime seconde. L’ultime espoir. Même dans la solitude. Même dans l’obscurité. Même lorsqu’il reste à peine un souffle de vie. Dans les situations les plus extrêmes, l’Homme peut dépasser ses limites. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle reprend les aboiements entendus à la radio, se retrouvant face à elle-même, son animalité, aussi.  D’où l’universalité malgré le caractère exceptionnel de la situation car c’est avant tout l’histoire d’une femme, à la fois vulnérable et forte qui a subi un choc, et a le choix entre abandonner et se relever (au propre comme au figuré), abandonner tout espoir ou croire en la vie malgré tout. Comme cette terre (mère), majestueuse et fière, malgré tous les affronts qu’elle a subis.

    En cela, « All is lost » auquel il fait évidemment penser (je vous ai dit dans le magazine « L’ENA hors les murs » tout le bien que j’en pensais, ici), le dépasse par son refus de la moindre facilité scénaristique. JC Chandor, comme Cuarón, place l’homme face à ses solitudes, ses forces et ses faiblesses. Seul face à la folle et splendide violence des éléments, de la terre, de l’univers. Seul face à nous. Avec nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Ou l’univers. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Dans les deux cas, cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.

    Cuarón s'est entouré du chef-opérateur Emmanuel Lubezki à qui l’on doit des plans d’une beauté époustouflante en particulier un vers la fin d’une puissance émotionnelle renversante. D’autres, grâce à une mise en scène chorégraphiée, nous donnent l’impression que Ryan danse dans l’espace. Danse avec la mort. Danse avec la vie. Les effets visuels supervisés par Tim Webber  sont tellement magistraux qu’on s’y croirait et que nous aurions envie de la rejoindre dans cette danse macabre.

    Que dire du travail sur le son et de la musique composée par Steven Price ?  « Gravity » fait une des plus belles (une des trop rares d’ailleurs) utilisations du silence au cinéma. Pas un bruit dans la salle ne viendra troubler ces moments magiques et terribles, renforçant notre impression d’immersion.

    Thriller, allégorie, science fiction, film métaphysique, film catastrophe, oui, « Gravity » c’est tout cela mais c’est avant tout une expérience, visuelle et sensorielle, hors du commun qui, justement parce qu’elle est hors du commun nous fait oublier les quelques facilités scénaristiques, dans les dialogues/monologues parfois aussi. Nous regrettons même que le cauchemar ne s’éternise pas plus longtemps, me rappelant ainsi les sensations éprouvées après avoir vu un autre film qui relevait de l’expérience, « Inception », dans lequel le personnage principal accomplissait l’impossible : subtiliser et manipuler les rêves. Ici Cuarón manipule nos pires cauchemars, dont celui de solitude dans l’immensité de l’univers, pour mieux nous faire appréhender l’indicible beauté de la vie et de la terre. Prenez votre ticket pour l’espace, pour ce tour de manège à la beauté poétique, crépusculaire, envoûtante bien que terrifiante. Laissez-vous enivrer par cette odyssée dans l’espace, à la fois lointain et tellement universel, et cette leçon de courage.  Acceptez de vous perdre dans l’univers, de vous laisser embarquer, pour mieux renaitre et vous relever. Oui, une leçon d'espoir. Et de cinéma. Qui s’achève de manière éblouissante et poignante. Et nous laisse à terre. Littéralement.

    Et puisque de voyage sensationnel il est question, ne manquez pas LE film français de l'année: "Elle s'en va", le road movie d'Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, toujours à l'affiche, avec moins d'effets spéciaux mais (au moins) autant d'émotions dévastatrices.

    Sortie en salles : le 23.10.2013

     

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  • CRITIQUE de JE NE SUIS PAS MORT de Mehdi Ben Attia avec Mehdi Dehbi, Maria de Medeiros, Emmanuel Salinger

    cinéma, Mehdi Ben Attia, Mehdi Dehbi, critique, film, festival

    L’été réserve parfois, parmi le flot de blockbusters et films d’animation qui engloutissent souvent le reste des sorties, des films d’auteurs de qualité comme celui dont je vais vous parler aujourd’hui, qui, je l’espère, ne passera pas inaperçu.

     Synopsis : Yacine (Mehdi Dehbi), brillant étudiant en sciences politiques d’origine modeste, est aussi livreur. Le hasard le conduit à devoir livrer un colis à Richard (Emmanuel Salinger), son professeur de philosophie politique. A cette occasion, il fait également la connaissance de sa compagne Eléonore (Maria de Medeiros). Richard va alors inviter Yacine à sa remise de légion d’honneur à l’Elysée. Une relation trouble va s’instaurer entre ces trois personnages avant que les vies de Yacine et Richard ne basculent…dans une autre dimension.

     Il serait dommage d’en dire plus tant les constantes surprises du scénario constituent une des principales richesses de ce film à l’originalité indéniable. « Je ne suis pas mort » a été présenté au forum de la 63ème Berlinale et a remporté le Grand Prix du Jury au Festival Premiers Plans 2013 d'Angers. Rien d’étonnant à cela donc.

     Avec un sujet qui aurait pu donner lieu à un film alignant les lieux communs et caricatures, Mehdi Ben Attia signe une fable singulière, réjouissante, inquiétante, intelligente qui capte, happe même notre attention et nous déroute intelligemment.

     Selon le réalisateur "La première idée a été de raconter l’histoire d’un homme qui se réveille « dans la peau d’un Arabe ». Il y avait donc, au départ, un postulat très simple de film fantastique. Au fur et à mesure de l’écriture et, tout en restant fidèle à ce postulat, le scénario s’est étoffé de nuances." En effet, il faut nuancer car si vous cherchez un film fantastique avec une multitude d’effets spéciaux, passez votre chemin et c’est pourtant là que réside justement toute la richesse de ce film. Nous faire croire à l’improbable avec une économie de moyens par la seule intelligence du scénario, de la mise en scène, et du jeu.

     Et de l’intelligence de jeu, avec son casting éblouissant, ce « Je ne suis pas mort » n’en  manque pas, à commencer par celle de Mehdi Dehbi qui interprète ici Yacine, un acteur découvert en 2009 dans « La folle histoire de Simon Eskenazy » de Jean-Jacques Zilberman (il y interprétait avec pudeur et nuance un jeune travesti alors que son rôle aurait facilement pu tomber dans la facilité et la vulgarité), et dans « Le fils de l’autre » de Lorraine Lévy, en 2012. Dans le jury du Festival International du Film de Boulogne-Billancourt, l’an passé, j’avais eu le plaisir de lui remettre le prix d’interprétation masculine que notre jury lui avait attribué pour ce film pour son jeu d’une justesse, d’une sensibilité et d’un magnétisme éclatants qui avaient fait de ce prix une évidence, un film dans lequel son personnage se prénommait d’ailleurs déjà Yacine. Dans le film de Mehdi Ben Attia, il fait preuve d’une étonnante maturité, et là aussi d’une justesse remarquable pour interpréter ces deux personnages en un seul. Là non plus, je ne vous en dis pas plus pour ne pas trop en dévoiler. Je me demande simplement pourquoi un acteur aussi rare et magistral n’est pas plus souvent présent à l’écran. Face à lui, Emmanuel Salinger impose aussi une charismatique présence sans oublier Maria de Medeiros, douce et vénéneuse, d’une paradoxale force fragile, rayonnante, et elle aussi trop rare à mon goût et au passage une très belle personne d’une gentillesse et simplicité uniques, en plus de son talent (je peux en témoigner car j’ai eu la chance de l’avoir pour professeur dans le cadre de mes études de cinéma). A noter enfin que Driss Ramdi est également parfait dans le rôle du frère de Yacine et Albert Delpy et Slimane Dazi dans ceux des pères.

     Mehdi Ben Attia a fait des études d’économie et de sciences politiques avant de se lancer dans le cinéma, des études par lesquelles il a sans doute été influencé pour l’écriture du scénario, en tout cas, en quelques dialogues et scènes, il croque parfaitement ce milieu (du moins, une part de celui-ci) avec des personnages cyniques, condescendants, narcissiques sous des masques altruistes.  « Ils sont toujours ironiques, toujours à avoir des sourires en coin » comme le dit su bien Eléonore/ Maria de Medeiros. Ils renvoient aussi constamment Mehdi à ses origines et l’absurdité de ce comportement pétri de préjugés est démontrée par une démonstration implacable et particulièrement ingénieuse puisqu’il n’est plus ce qu’il semble être, dans la deuxième partie (cette phrase, j’en conviens, doit vous sembler vraiment énigmatique et obscure mais je ne veux pas vous en dire plus et trop pour que demeure la surprise). L’intelligence du récit réside dans ces deux parties, dichotomiques dirait-on à Sciences po, en miroir aussi, ou quand la forme rejoint le fond.

     La mise en scène appuie en effet intelligemment le propos, discrète mais néanmoins significative, jouant sur les lueurs et l’obscurité, sur la part visible en pleine lumière des personnages et leur part d’ombre qui surgit dans l’obscurité. La caméra, au départ à l’épaule, les enserre, ne les lâche pas, les oppresse, impression renforcée par un montage rapide, puis dans la deuxième partie, le cadre se stabilise, s’apaise, les libère, leur donne plus d’espace lorsque Richard a un nouvel être, un nouveau « soi », à nouveau lui peut-être finalement.

     Seul bémol : on reste un peu sur notre faim et une fin trop expéditive avant tout parce que la richesse de l’univers du cinéaste et du film, la multitude de thèmes passionnants abordés, auraient mérité quelques minutes supplémentaires nous permettant aussi et ainsi de rester un peu plus avec ces personnages attachants, troubles et troublants que l’on peine à quitter.

     « Je ne suis pas mort » est seulement le deuxième long-métrage de Mehdi Ben Attia, après « Le Fil » en 2010, et il y démontre une étonnante maîtrise pour ce film atypique à la frontière des genres entre fable fantastique, thriller, quête identitaire, film social prenant les codes d’un genre pour ensuite basculer dans un autre. Mehdi Ben Attia a notamment travaillé sur le scénario de deux films d’André Téchiné « Loin » et « Impardonnables » et on retrouve ce même  regard acéré, cette manière de faire se confronter des univers et des êtres a priori opposés, a priori seulement puisque si leurs apparences et leurs parcours diffèrent, Yacine et Richard  sont très semblables dans leurs ambitions,  leurs quêtes de reconnaissance sociale et paternelle.

     Un film dont l'inventivité fait du bien dans un paysage cinématographique trop souvent formaté par satisfaire les chaînes de télévision et une belle surprise qui sort réellement de la torpeur cinématographique estival dans laquelle nous plonge trop souvent la frilosité des distributeurs à cette période. Allez voir ce film plein de vie(s), vous ne le regretterez pas.

     

    Sortie en salles : le 7 août 2013

     

  • CRITIQUE - BELLE DU SEIGNEUR de GLENIO BONDER avec Jonathan Rhys Meyers et Natalia Vodianova (avant-première du Champs-Elysées Film Festival 2013)

     

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    Je suis allée voir ce film (en avant-première, dans le cadre du Champs-Elysées Film Festival, en présence de Natalia Vodianova et de Jonathan Rhys Meyers -vous l'entendrez parler du film dans ma vidéo ci-dessus, tout juste descendu de son avion pour Paris-), avec autant d’impatience que d’appréhension, ce roman étant pour moi inadaptable (pas seulement pour moi d’ailleurs, il est réputé comme tel) et étant surtout celui que je dévore, invariablement, irrationnellement, à chaque lecture, celui que j’aime autant pour son écriture vertigineuse, sa satire si acerbe et juste d’une société avide d’ascension sociale- ah le pathétisme hilarant d’Adrien Deume et de sa médiocrité- que parce qu’il s’agit d’un sublime roman d’amour, ou plutôt roman de désamour d’ailleurs puisque la passion y étouffe ceux qui la vivent, les sublimes et tragiques Ariane et Solal. Roman flamboyant, inoubliable dans lequel Albert Cohen décrit mieux que personne la naissance et la désagrégation de la passion. Un roman éblouissant et terrifiant. Comme les sentiments qu’il dépeint, qu’il dissèque. Un roman, une expérience même, qu’on adore ou déteste mais qui ne laisse sûrement pas indifférent.

     « Belle du Seigneur » a ainsi reçu en 1968 le Grand Prix de l'Académie française. Traduit dans 13 langues, il s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires.

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    Pour le réalisateur, Glenio Bonder, ancien diplomate brésilien aux Etats-Unis, (qui avait déjà réalisé un portrait d’Albert Cohen) « Belle du Seigneur » était plus qu’un film : le projet d’une vie. Comment ne pas le comprendre tant l’adaptation de ce sublime roman, véritable vertige littéraire, est un défi magnifique pour un réalisateur ? 

    C’est au milieu des années 1980, alors qu'il est diplomate pour le gouvernement brésilien qu’il commence ainsi à se passionner pour le sujet. Après avoir réalisé des courts métrages, des documentaires et des publicités pour de grandes marques, Glenio Bonder écrit alors un scénario de 120 pages, mais il devra attendre jusqu'en 2010 pour débuter le tournage. Il décèdera avant de voir la version finale de ce film auquel il aura consacré 25 ans de sa vie.

    En 1935/1936, à Genève, le séduisant Solal (Jonathan Rhys Meyers), qui travaille à la SDN (Société des Nations), tente de séduire  Ariane Deume (Natalia Vodianova), aristocrate protestante et épouse de son subalterne Adrien, qui l’éblouit lors d’une soirée. Solal s'introduit ainsi chez Ariane et, dissimulé, il lui déclare sa passion. Il jure alors de la séduire, comme il séduit toutes les autres femmes. Le même jour, il accorde à Adrien Deume la promotion que celui-ci espérait. Ce dernier ne rêve en effet que d'ascension sociale dans le monde de la diplomatie de la Société des Nations. Adrien invite alors Solal à dîner, avec la fierté aveugle que vous pouvez imaginer. Mais Solal ne vient pas…

    Passé le plaisir de retrouver, l’espace d’un instant, ces personnages qui m’intriguent et me fascinent tant (il faut avouer que Jonathan Rhys Meyers, physiquement du moins, correspond à l’image que je pouvais me faire de Solal), malgré la musique de Gabriel Yared, malgré la présence à l’écriture de Vincenzo Cerami, scénariste reconnu qui a notamment coécrit « La vie est belle » avec et de Roberto Benigni, cette adaptation s’est révélée être une terrible déception. Mais comment pouvait-il en être autrement ? Comment retranscrire à l’écran la complexité des personnages et plus encore de cette écriture unique, fascinante, qui vous happe comme la relation entre Solal et Ariane qui les entraînent irrésistiblement vers cette issue tragique, comme une tentation hypnotique et dangereuse ? Comment retranscrire l’avidité de la passion entre les deux amants, et entre ce livre d’une beauté redoutable et le lecteur ?

     Les personnages d’Albert Choen si complexes, successivement détestables et compréhensibles,  ne sont ici que mièvres, capricieux, totalitaires, sans nuances.  Nulle trace ici de cette écriture éblouissante, à la fois ardue et limpide, d’Albert Cohen, avec ses digressions, ses apartés, avec ses phrases interminables et étourdissantes, sans ponctuation, terriblement belles et clairvoyantes, aussi lyriques que parfois réalistes, et qui vous font chavirer d’admiration. Comment retranscrire les voix des personnages qui se croisent, s’entrechoquent ? Comment retranscrire cette exaltation de la passion et cette écriture elle-même exaltée à laquelle Albert Cohen semble vouer un amour aussi fou que celui d’Ariane et Solal ?

     Là où le film a également échoué c’est dans la transcription du pathétique, dans la satire de l'administration et du monde de la diplomatie (que  le réalisateur connait pourtant bien !).   Tous les sarcasmes, les nuances, l’ironie, le soin du détail d’Albert Cohen sont ici absents. Quel don de l’observation, quelle acuité chez Albert Cohen pourtant dans la transcription de l'autosatisfaction, la paresse, la médiocrité d’Adrien Deume et de l’administration, dans la description de la vacuité de son travail. Et quelles universalité et intemporalité !

     L’épaisseur du roman rend les ellipses inéluctables mais elles ne sont pas toujours judicieuses ici avec notamment l’absence des « Valeureux », cousins orientaux de Solal, qui le retrouvent à Genève, essentiels à la compréhension de la personnalité de Solal, avec aussi la disparition subite d’Adrien de l’histoire ou encore l’absence de l’évocation de la rencontre entre Adrien et Ariane, et même de la tentative de suicide de cette dernière. Le spectateur qui n’a pas lu le roman comprendra aussi difficilement le titre, Ariane étant « Belle du Seigneur », de son « Seigneur », « religieuse de l'amour » , l’amour devenant un art, un mythe même. Ceux qui n’ont pas lu le roman auront aussi sans doute du mal à saisir pourquoi Solal a été chassé de la SDN et a perdu sa nationalité. Nous passerons sur les présences de… Jack Lang et Georges Kiejman. Signalons que le rôle de Mariette (la servante d’Ariane) est (plutôt bien) interprétée par Marianne Faithfull.

     Ariane et Solal, par ailleurs, n’apparaissent jamais dans toute leur complexité, Solal qui est certes irrésistiblement beau mais, aussi, derrière le cynisme, un personnage épris d’absolu tout en se conduisant comme un Don Juan ou un Valmont manipulateur (pléonasme) - Jonathan Rhys Meyers a d'ailleurs déjà interprèté le plus machiavélique des manipulateurs, dans le chef d'oeuvre de Woody Allen, "Match point"-, bref un personnage magnifiquement ambivalent. D’ailleurs, ce personnage me semble à chaque page et même à chaque relecture du roman différent, tour à tour admirable ou haïssable, sublime ou pitoyable, parfois tout cela à la fois.

     Et alors que dans le roman chaque mot est essentiel (monologues sans ponctuation, sans paragraphes qui obligent –obligent n’est d’ailleurs pas le bon terme tant chaque mot se savoure dans l’attente insatiable du suivant- à une attention constante pour ne pas laisser échapper un détail qui éclairerait différemment les personnages), ici tout est réduit à l’anecdotique, à une succession de scènes clefs qui, sans la richesse et la précision de l’écriture ciselée d’Albert Cohen, n’ont plus aucune saveur. La scène de la rencontre du Ritz, d’une beauté si troublante, ardente, dans le roman (et que je ne peux m’empêcher de reprendre ci-dessous pour vous faire découvrir, si vous ne la connaissez pas encore, l'envoûtante musique des mots de Cohen) est ici absurde, accessoire, dénuée d’émotions :

     « En ce soir du Ritz, soir de destin, elle m'est apparue, noble parmi les ignobles apparue, redoutable de beauté, elle et moi et nul autre en la cohue des réussisseurs et des avides d'importances, mes pareils d'autrefois, nous deux seuls exilés, elle seule comme moi, et comme moi triste et méprisante et ne parlant à personne, seule amie d'elle-même, et au premier battement de ses paupières je l'ai connue. C'était elle, l'inattendue et l'attendue, aussitôt élue en ce soir de destin, élue au premier battement de ses longs cils recourbés. Elle, c'est vous.[...] Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d'un battement de paupières. Dites-moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle... ».

     Peut-on blâmer Glenio Bonder d’avoir échoué dans cette impossible entreprise, d’avoir fait de ce roman violemment beau, de passions exaltées et exaltantes, et qui déchaîne les passions, un film tiède et lisse, qui nous laisse indifférents ? « Belle du Seigneur » n’est-il pas le roman qui prouve que tout livre n’est pas adaptable ? Pouvait-on retranscrire, traduire en images, sans les trahir, l’ambivalence des personnages, le mélange d’ironie et de tragédie, de beauté et de pathétisme, le vertige procuré par l’écriture qui happe et étourdit comme l’amour qui unit puis désunit Ariane et Solal ?

     Vous l’aurez compris : je vous recommande plus que vivement de (re)lire « Belle du Seigneur ». Je vous le promets, ce roman vous hypnotisera, happera, bouleversera, étourdira et, malgré son pessimisme, en le refermant, vous n’aurez qu'une envie, le relire avec avidité, redécouvrir les personnages, retrouver des indices qui vous feront les envisager différemment, les retrouver pour presque éprouver (grâce à la magie de l’écriture magistrale de Cohen) l’espace d’un instant ce qu’ils éprouvent, les plaindre, les détester, les envier, ne pas toujours les comprendre : revivre cette expérience d’une troublante, tragique, violente et singulière beauté. Quant au film, il pourrait être un cas d’école sur une adaptation impossible…et nous ne saurons jamais si Glenio Bonder aurait été satisfait de cet ultime montage beaucoup trop elliptique et de ce film auquel il aura eu la (compréhensible) folie de consacrer 25 ans de sa vie.

     

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  • Critiques en avant-première de films de fin janvier et février 2013

    Récapitulatif des critiques de films vus en avant-première et à découvrir prochainement (fin janvier et en février 2013 avec, en prime, "Django unchained" et "Renoir" que je vous recommande). Cliquez sur le titre du film qui vous intéresse pour en lire la critique.

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  • Critique de « Flight » de Robert Zemeckis avec Denzel Washington, Kelly Reilly… et vidéo de la conférence de presse

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    Après avoir assisté à la master class de Robert Zemeckis, Denzel Washington et Kelly Reilly puis à l’avant-première du film, j’ai également assisté à sa conférence de presse dont vous pouvez retrouver ma vidéo ci-dessus.

    Ecrit par le scénariste John Gatins, le projet a mis plus de dix ans à aboutir non sans certaines concessions budgétaires notamment sur les salaires de Denzel Washington et Robert Zemeckis. « Flight » marque aussi le retour du réalisateur Robert Zemeckis au tournage « direct » après 12 années pendant lesquelles il s’est consacré à la réalisation de films en motion capture.

    Whip Whitaker (Denzel Washington) est un  pilote de ligne chevronné. Il réussit miraculeusement à faire atterrir son avion en catastrophe après un accident en plein ciel… Un acte héroïque et Whip est d’ailleurs salué comme un héros après le crash malgré les 6 victimes, un moindre « mal » au regard de ce que cela aurait pu être. Tandis qu’il est exposé en pleine lumière, Whip va révéler des zones d’ombres bien éloignées de l’image de l’homme héroïque pour lequel on veut le faire passer (et pour lequel il a d’ailleurs la lâcheté de se faire passer). A l’hôpital, il va rencontrer Nicole (Kelly Reilly), une droguée qu’il va rapidement héberger.

    Les catastrophes, aussi dramatiques soient-elles ou plutôt justement parce que dramatiques constituent toujours des sujets éminemment cinématographiques. On se souvient ainsi de l’atterrissage sur l’Hudson qui aurait pu faire un film « magnifique » (je ne doute pas que des scénaristes américains planchent sur le sujet). L’idée de « Flight » a néanmoins germé dans l’esprit de John Gatins avant cette catastrophe, celui-ci s’étant davantage inspiré de sa propre réalité, et de son addiction à l’alcool, que de cette catastrophe aérienne.

    Le crash ne constitue en effet que les vingt (spectaculaires) premières minutes du film. La caméra de Zemeckis (qui ne manque décidément pas d’imagination quand il s’agit de filmer des crashs, on se souvient de celui de « Seul au monde », d’ailleurs filmé différemment) ne quitte jamais le cockpit. En résultent une tension réelle, et une impression de claustrophobie et d’emprisonnement (d’ailleurs métaphorique de l’autre que constitue l’addiction à l’alcool pour Whip) particulièrement efficaces.

    Whip va ensuite s’enfermer dans ses mensonges auxquels il est aussi « accro » qu’à la drogue et à l’alcool. Whip, (anti)héros amoral, est en effet humain et donc faillible et vulnérable, sans doute l’aspect le plus intéressant du film que le cinéaste n’assume malheureusement jamais pleinement.

    Ainsi, par une première scène de nudité frontale et de prise de drogue, Zemeckis semble se dédouaner de toute suspicion de moralisme et ne pas assumer la rédemption de son personnage de même que le personnage de l’ami vénéneux (exubérant et étonnant John Goodman)  lui permet de ne pas assumer complètement le film dramatique et d’instiller ainsi des moments de respiration.  Rarement un film aura autant accumulé les symboles religieux et l’excuse de la volonté de Dieu pour tout justifier, avec un simplisme édifiant. Ainsi, la flèche du clocher d’une église pentecôtiste est arrachée par l’avion lors de sa descente, symbole élémentaire pour signifier là la volonté de Dieu qui ouvrira la voie (longue et laborieuse) de la rédemption pour Whip. Par ailleurs, tous les personnages évoquent ou invoquent Dieu à un moment ou un autre du film, sans parler d’un homme atteint de cancer qui se résigne parce que « c’est la volonté de Dieu » et j’ignore si je dois trouver cela ridicule ou indécent ou les deux. Sans doute pourrait-on se dire que Zemeckis se moque et prend tout cela au second degré mais l’accumulation de scènes et symboles se référant à la religion annihile cet argument (il l’assume d’ailleurs pleinement comme vous le verrez dans la vidéo de la conférence de presse).

    Dommage que Kelly Reilly, lumineuse présence, en soit réduite à une sorte d’alibi, les personnages féminins n’échappent en effet pas à la caricature et le scénariste semble s’être uniquement concentré sur la complexité de Denzel Washington réduisant les femmes elles aussi à des symboles. Ce dernier est nommé dans la catégorie meilleur acteur aux Oscars. Certes plutôt convaincant, il ne fait pas le poids face à un Daniel Day-Lewis époustouflant dans "Lincoln" de Spielberg.

    Avec ce film «Zemeckis, a une nouvelle fois voulu dresser le portrait d’un homme différent, perdu, « seul au monde » comme l’était celui du film éponyme ou de « Forrest Gump », un personnage qui aurait pu être passionnant si ses aspects sombres n’avaient été totalement édulcorés par le discours et le symbolisme religieux simplistes et édifiants. Une impression de gâchis après vingt minutes de début réellement prenantes, et les contradictions du personnage (ainsi que la manière de les traiter en thriller) qui auraient aussi pu l’être. Le paroxysme du ridicule est atteint avec cette fin et une réplique digne d’un sketch caricatural sur les blockbusters américains que n’auraient pas détesté employer Kad et Olivier dans « Mais qui a re-tué Pamela Rose » ( une réplique dont je ne vous priverai pas du plaisir de la découverte). Oui, un beau gâchis.

    Sortie en salles : le 13 février 2013