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  • Critique de ”L'homme de chevet” d'Alain Monne ce soir sur Canal +

    Ce soir, à 20H50, Canal + diffusera "L'homme de chevet" d'Alain Monne avec Christophe Lambert et Sophie Marceau. Retrouvez ma critique ci-dessous.

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    Voilà un film que la critique n'a pas épargné victime, sans doute, de la notoriété de ses deux acteurs principaux, et de ce qui les unit au-delà de l'écran. Ils n'ont pourtant pas choisi la facilité, avec cette adaptation du roman d'Eric Holder, la deuxième de l'année 2009 après le très beau « Melle Chambon » de Stéphane Brizé  avec lequel il n'est d'ailleurs pas exempt de points communs.

    A Carthagène, en Colombie, Léo (Christophe Lambert) passe son temps à boire pour oublier. Un ami le recommande à Muriel (Sophie Marceau) une jeune femme tétraplégique qui recherche un garde malade et qui en a auparavant découragé un certain nombre. Peu à peu des liens vont se tisser entre ces deux êtres que tout aurait pu opposer... a priori.

    A priori parce que, au fond, ces deux personnages se ressemblent. Tous deux dépendants. Elle de son corps, à jamais immobilisé. Lui de l'alcool. Tous deux broyés par l'existence, accidentés de la vie.

    Femme libre et indépendante avant son accident de voiture, Muriel se retrouve prisonnière de son corps et de sa chambre d'où elle ne sort pas, avec pour seule compagnie Lucia (très convaincante Margarita Rosa de Francisco) son autre garde malade dont elle est la raison de vivre et de se lever, et ses livres.

    Avant même d'être une histoire d'amour « L'homme de chevet » est un film sur le corps. Le corps prisonnier de Muriel. Le corps maigre, presque désarticulé, de Léo qu'il abîme par l'alcool, lequel, ancien boxeur, vivait d'ailleurs de son corps. Le corps de Linnett, une jeune boxeuse qu'il entraîne (moyen aussi physique pour lui d'exprimer une rage que Muriel ne peut que verbaliser) qui elle-même se prostitue et vit de son corps. Ou encore un autre corps martyrisé, par la drogue, celui de Lucia. Le corps que  Linnett exhibe dans une robe  flamboyante s'oppose à celui que Muriel cache derrière ses draps blancs. Un corps qui va se réapproprier l'espace. Des corps malmenés qui vont retrouver la dignité et l'estime d'eux-mêmes ( à l'exception de Lucia.)

    Pour incarner ces corps et leur donner une âme, Sophie Marceau et Christophe Lambert sont absolument parfaits et bouleversants. La première, physiquement broyée, d'abord cassante, aigrie, usant d'un humour provocateur et cynique qui s'illumine peu à peu. Tout passe dans sa voix, l'expression de son regard qui se modifient progressivement et tout en restant immobile elle parvient à faire passer avec beaucoup de justesse une grande palette d'émotions, de la colère à l'attendrissement. Le second avec sa voix cassée, ses gestes las qui peu à peu reprend confiance, se redresse.

    Alors bien sûr ce film n'est pas parfait mais là où on aurait crié au film d'auteur brillant si les deux acteurs principaux avaient été inconnus, leur notoriété  rend le film suspect de mièvrerie (et même coupable sans avoir eu droit à la présomption d'innocence à laquelle Alain Monne pourrait d'autant plus prétendre qu'il s'agit d'un premier film), ce que le film évite constamment.

    Alain Monne filme en effet avec énormément de pudeur et dignité, sachant user de l'ellipse et du plan large avec délicatesse là où d'autres auraient abusé du gros plan et des violons. Et puis il y a la Colombie, sa moiteur, ses couleurs chaudes et brûlantes, ses êtres de là-bas ou d'ailleurs qui s'y égarent, victimes des fracas de l'existence.

    C'est l'histoire de trois belles renaissances, d'êtres qui se raccrochent les uns aux autres qui retrouvent la sensibilité aux autres, à la belle lumière de Carthagène,  et le goût de la vie.

    Alain Monne avait obtenu le Grand Prix du Meilleur Scénariste  pour ce film. J'assistais hier soir à la cérémonie 2009 (Alain Monne était d'ailleurs présent), je vous en parle demain. Il a également obtenu le prix du public au Festival d'Angoulême.

    Un beau film, sensible et émouvant, que je vous recommande.

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  • « Le filmeur » d’Alain Cavalier, film et débat au cinéma Saint-André des Arts

    A une époque où les images qui nous sont proposées, imposées même parfois, sont pléthoriques, souvent vaines et synonymes de vacuité, à une époque de zapping consumériste incessant, le film d’Alain Cavalier devient une promenade lénifiante, nous rassérénant même, et pourtant parfois inquiétante aussi. Certes le chemin est d’abord escarpé pour nos regards habitués à papillonner et à passer d’une image à l’autre à la vitesse de l’éclair, mais peu à peu son univers qui, de prime abord peut agacer, nous aspire ensuite, nous inspire même puisque le spectateur est un peu acteur, un peu « filmeur »lui aussi, lui tellement habitué à une passivité abêtissante,… et finalement nous envoûte. Malgré nos réticences initiales, malgré nos fameuses habitudes consuméristes donc.

     

    Le « filmage » a duré 11 ans, 11 années pendant lesquelles Alain Cavalier a filmé son quotidien, figé un présent normalement condamné à l’évanescence, filmé ces instants de grâce que seule la réalité sait inventer, inviter à nos regards, nos regards au début un peu réticents, qui sont progressivement charmés puis hypnotisés comme des prisonniers de l’obscurité qui peu à peu s’habitueraient à la lumière et ne pourraient finalement plus s’en passer. Instantanés qui se confrontent, se répondent, sous l’œil incisif du filmeur qui, presque 80 ans après, réinvente et modernise ce fameux « homme à la caméra » initié par Vertov. Ce qui aurait pu être impudique, racoleur, narcissique est au contraire une œuvre d’une grande générosité dans laquelle Cavalier nous fait partager la poésie volée au quotidien par l’acuité de son regard. Comme personne il sait déceler la beauté fortuite du quotidien, la singularité derrière l’apparente banalité. L’angoisse aussi, jamais soulignée ou grandiloquente. Non, parfois juste elliptique, parfois dédramatisée par l’humour de Cavalier mais néanmoins là. Par une image allusive parfois ou plus frontale comme celle du père sur son lit de mort. Ou celle du visage rieur de sa mère, omniprésente, ou celle de sa main posée sur la sienne. Vibrant témoignage d’amour à cette dernière, un des fils conducteurs du film. Il sait être judicieusement elliptique là ou d’autres auraient été exagérément insistants. Vie et mort indissociables comme les deux faces d’un même visage, en l’occurrence aussi le sien, opéré, si signifiant sans qu’il soit nécessaire de rajouter un commentaire qui aurait appauvri l’image, son visage lui aussi filmé frontalement, là enfin, là seulement. Gravité et drôlerie s’entrelacent donc constamment : les deux faces de l’existence. Parfois même furtivement, l’angoisse de la réalité nous saisit comme cette page si sombre de l’Histoire à laquelle renvoient quelques pages manuscrites.

     

    Journal filmique intime à la fois intemporel et ancré dans la réalité politique comme lorsque sur les images d’un feu de cheminée les informations télévisées annoncent la mort de Massoud tué par la même caméra (piégée celle-là) que celle avec laquelle Cavalier filme alors. Ironie, cynisme même, du réel qu’une fiction ne saurait inventer. Une œuvre riche, dont l’intensité n’est pas perceptible d’emblée mais vous envahit peu à peu comme s’impose la magie du quotidien par le prisme de sa caméra subjective. Avec évidence. Une mine d’or cinématographique dérobée au quotidien et dont Cavalier est l’insatiable et non moins talentueux chercheur et (car) iconoclaste. Indéniablement.

     

    Vous décrire ces instants immortalisés, ces diamants ciselés dans le quotidien en amoindrirait la beauté fulgurante, je vous invite à les découvrir, et à suivre sa route qui vous conduira de Claude Sautet à Romy Schneider, de poules en écureuils, de chambres d’hôtels en jardins amputés, de fruits frais en fruits pourris, de Bach aux tintements de cloches etc et surtout de la gravité à la légèreté, ou plutôt à la gravité, la profondeur, derrière la légèreté.

     

    Comme chaque soir pendant une semaine à la projection a succédé une rencontre avec le réalisateur. Passionné. Passionnant. Epris de cette liberté dont son mode filmique économique lui permet de jouer et de jouir...et de nous réjouir. Après un débat de plus d’une heure, le silence revient dans la salle, s’impose, comme ces images qui s’imposent au filmeur presque malgré lui, mais nul doute que ce qui a précédé ce silence-là, au moment de faire notre film de la journée, d’en sélectionner nos instantanés mémorables, une fois le soir venu, ces instants y figureront. En première place.

     

    Dépêchez-vous…il vous reste encore quelques jours pour profiter du débat qui succède au film, au cinéma Saint-André des Arts, rue Saint-André des Arts, Paris 6ème.

    Projections de 20H suivies d’un débat avec le réalisateur.

     

    A noter: Alain Cavalier sera le premier invité des "Caméras subjectives", rencontres organisées par les étudiants du Master 2 professionnel scénario, réalisation, production de la Sorbonne, le mardi 29 octobre de 19H à 21H, au centre Saint-Charles, dans le 15ème, rue des Bergers. A noter également que l'invité suivant sera Claude Miller le 6 décembre.

     

    Vous avez vu ce film et/ou le débat ? N’hésitez pas à laisser vos commentaires

     

    Pour soutenir « Mon festival du cinéma », rendez-vous sur « In the mood for cinéma », blog dont le contenu est similaire et qui participe au concours du meilleur blog cinéma, et cliquez sur « notez ce blog » en haut de la page.

     

    Sandra Mézière

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  • « L’Homme de chevet » d’Alain Monne avec Sophie Marceau, Christophe Lambert...

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    Voilà un film que la critique n'a pas épargné victime, sans doute, de la notoriété de ses deux acteurs principaux, et de ce qui les unit au-delà de l'écran. Ils n'ont pourtant pas choisi la facilité, avec cette adaptation du roman d'Eric Holder, la deuxième de l'année après le très beau « Melle Chambon » de Stéphane Brizé  avec lequel il n'est d'ailleurs pas exempt de points communs.

    A Carthagène, en Colombie, Léo (Christophe Lambert) passe son temps à boire pour oublier. Un ami le recommande à Muriel (Sophie Marceau) une jeune femme tétraplégique qui recherche un garde malade et qui en a auparavant découragé un certain nombre. Peu à peu des liens vont se tisser entre ces deux êtres que tout aurait pu opposer... a priori.

    A priori parce que, au fond, ces deux personnages se ressemblent. Tous deux dépendants. Elle de son corps, à jamais immobilisé. Lui de l'alcool. Tous deux broyés par l'existence, accidentés de la vie.

    Femme libre et indépendante avant son accident de voiture, Muriel se retrouve prisonnière de son corps et de sa chambre d'où elle ne sort pas, avec pour seule compagnie Lucia (très convaincante Margarita Rosa de Francisco) son autre garde malade dont elle est la raison de vivre et de se lever, et ses livres.

    Avant même d'être une histoire d'amour « L'homme de chevet » est un film sur le corps. Le corps prisonnier de Muriel. Le corps maigre, presque désarticulé, de Léo qu'il abîme par l'alcool, lequel, ancien boxeur, vivait d'ailleurs de son corps. Le corps de Linnett, une jeune boxeuse qu'il entraîne (moyen aussi physique pour lui d'exprimer une rage que Muriel ne peut que verbaliser) qui elle-même se prostitue et vit de son corps. Ou encore un autre corps martyrisé, par la drogue, celui de Lucia. Le corps que  Linnett exhibe dans une robe  flamboyante s'oppose à celui que Muriel cache derrière ses draps blancs. Un corps qui va se réapproprier l'espace. Des corps malmenés qui vont retrouver la dignité et l'estime d'eux-mêmes ( à l'exception de Lucia.)

    Pour incarner ces corps et leur donner une âme, Sophie Marceau et Christophe Lambert sont absolument parfaits et bouleversants. La première, physiquement broyée, d'abord cassante, aigrie, usant d'un humour provocateur et cynique qui s'illumine peu à peu. Tout passe dans sa voix, l'expression de son regard qui se modifient progressivement et tout en restant immobile elle parvient à faire passer avec beaucoup de justesse une grande palette d'émotions, de la colère à l'attendrissement. Le second avec sa voix cassée, ses gestes las qui peu à peu reprend confiance, se redresse.

    Alors bien sûr ce film n'est pas parfait mais là où on aurait crié au film d'auteur brillant si les deux acteurs principaux avaient été inconnus, leur notoriété  rend le film suspect de mièvrerie (et même coupable sans avoir eu droit à la présomption d'innocence à laquelle Alain Monne pourrait d'autant plus prétendre qu'il s'agit d'un premier film), ce que le film évite constamment.

    Alain Monne filme en effet avec énormément de pudeur et dignité, sachant user de l'ellipse et du plan large avec délicatesse là où d'autres auraient abusé du gros plan et des violons. Et puis il y a la Colombie, sa moiteur, ses couleurs chaudes et brûlantes, ses êtres de là-bas ou d'ailleurs qui s'y égarent, victimes des fracas de l'existence.

    C'est l'histoire de trois belles renaissances, d'êtres qui se raccrochent les uns aux autres qui retrouvent la sensibilité aux autres, à la belle lumière de Carthagène,  et le goût de la vie.

    Alain Monne avait obtenu le Grand Prix du Meilleur Scénariste  pour ce film. J'assistais hier soir à la cérémonie 2009 (Alain Monne était d'ailleurs présent), je vous en parle demain. Il a également obtenu le prix du public au Festival d'Angoulême.

    Un beau film, sensible et émouvant, que je vous recommande.

  • Critique - ON CONNAÎT LA CHANSON d'Alain Resnais à 20H45 sur Ciné + Club

    Toute la malice du cinéaste apparaît déjà dans le titre de ce film de 1997, dans son double sens, propre et figuré, puisqu’il fait à la fois référence aux chansons en playback interprétées dans le film mais parce qu’il sous-entend à quel point les apparences peuvent être trompeuses et donc que nous ne connaissons jamais vraiment la chanson…

    Suite à un malentendu, Camille (Agnès Jaoui), guide touristique et auteure d’une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » s’éprend de l’agent immobilier Marc Duveyrier (Lambert Wilson). Ce dernier est aussi le patron de Simon (André Dussolier), secrètement épris de Camille et qui tente de vendre un appartement à Odile (Sabine Azéma), la sœur de Camille. L’enthousiaste Odile est décidée à acheter cet appartement malgré la désapprobation muette de Claude, son mari velléitaire (Pierre Arditi). Celui-ci supporte mal la réapparition après de longues années d’absence de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), vieux complice d’Odile qui devient le confident de Simon et qui est surtout très hypocondriaque.

    Ce film est pourtant bien plus que son idée de mise en scène, certes particulièrement ludique et enthousiasmante, à laquelle on tend trop souvent à le réduire. A l’image de ses personnages, le film d’Alain Resnais n’est pas ce qu’il semble être. Derrière une apparente légèreté qui emprunte au Boulevard et à la comédie musicale ou du moins à la comédie (en) »chantée », il débusque les fêlures que chacun dissimule derrière de l’assurance, une joie de vivre exagérée, de l’arrogance ou une timidité.

    C’est un film en forme de trompe-l’œil qui commence dès la première scène : une ouverture sur une croix gammée, dans le bureau de Von Choltitz au téléphone avec Hitler qui lui ordonne de détruire Paris. Mais Paris ne disparaîtra pas et sera bien heureusement le terrain des chassés-croisés des personnages de « On connaît la chanson », et cette épisode était juste une manière de planter le décor, de nous faire regarder justement au-delà du décor, et de présenter le principe de ces extraits chantés. La mise en scène ne cessera d’ailleurs de jouer ainsi avec les apparences, comme lorsqu’Odile parle avec Nicolas, lors d’un dîner chez elle, et que son mari Claude est absent du cadre, tout comme il semble d’ailleurs constamment « absent », ailleurs.

    Resnais joue habilement avec la mise en scène mais aussi avec les genres cinématographiques, faisant parfois une incursion dans la comédie romantique, comme lors de la rencontre entre Camille et Marc. L’appartement où ils se retrouvent est aussi glacial que la lumière est chaleureuse pour devenir presque irréelle mais là encore c’est une manière de jouer avec les apparences puisque Marc lui-même est d’une certaine manière irréel, fabriqué, jouant un personnage qu’il n’est pas.

    Le scénario est signé Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et témoigne déjà de leur goût des autres et de leur regard à la fois acéré et tendre sur nos vanités, nos faiblesses, nos fêlures. Les dialogues sont ainsi des bijoux de précision et d’observation mais finalement même s’ils mettent l’accent sur les faiblesses de chacun, les personnages ne sont jamais regardés avec condescendance mais plutôt lucidité et indulgence. Une phrase parfois suffit à caractériser un personnage comme cette femme qui, en se présentant dit, « J’suis une collègue d’Odile. Mais un petit cran au-dessus. Mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre ! ». Tout est dit ! La volonté de se montrer sous son meilleur jour, conciliante, ouverte, indifférente aux hiérarchies et apparences…tout en démontrant le contraire. Ou comme lorsque Marc répète à deux reprises à d’autres sa réplique adressée à Simon dont il est visiblement très fier « Vous savez Simon, vous n’êtes pas seulement un auteur dramatique, mais vous êtes aussi un employé dramatique ! » marquant à la fois ainsi une certaine condescendance mais en même temps une certaine forme de manque de confiance, et amoindrissant le caractère a priori antipathique de son personnage.

    Les personnages de « On connaît la chanson » sont avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités masquées, leurs vrais personnalités ou désirs, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. De « J’aime les filles » avec Lambert Wilson au « Vertige de l’amour » avec André Dussolier (irrésistible ) en passant par le « Résiste » de Sabine Azéma. C’est aussi un moyen de comique de répétition dont est jalonné ce film : blague répétée par Lambert Wilson sur Simon, blague de la publicité pour la chicorée lorsque Nicolas montre la photo de sa famille et réitération de certains passages chantés comme « Avoir un bon copain ».

    Chacun laissera tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte, dans le dernier acte où tous seront réunis, dans le cadre d’une fête qui, une fois les apparences dévoilées (même les choses comme l’appartement n’y échappent pas, même celui-ci se révèlera ne pas être ce qu’il semblait), ne laissera plus qu’un sol jonché de bouteilles et d’assiettes vides, débarrassé du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case) mais la scène se terminera une nouvelle fois par une nouvelle pirouette, toute l’élégance de Resnais étant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté.

    Rien n’est laissé au hasard, de l’interprétation (comme toujours chez Resnais remarquable direction d’acteurs et interprètes judicieusement choisis, de Dussolier en amoureux timide à Sabine Azéma en incorrigible optimiste en passant par Lambert Wilson, vaniteux et finalement pathétique et presque attendrissant) aux costumes comme les tenues rouges et flamboyantes de Sabine Azéma ou d’une tonalité plus neutre, voire fade, d’Agnès Jaoui.

    « On connaît la chanson » a obtenu 7 César dont celui du meilleur film et du meilleur scénario original. C’est pour moi un des films les plus brillants et profonds qui soient malgré sa légèreté apparente, un mélange subtile –à l’image de la vie – de mélancolie et de légèreté, d’enchantement et de désenchantement, un film à la frontière des émotions et des genres qui témoigne de la grande élégance de son réalisateur, du regard tendre et incisif de ses auteurs et qui nous laisse avec un air à la fois joyeux et nostalgique dans la tête. Un film qui semble entrer dans les cadres et qui justement nous démontre que la vie est plus nuancée et que chacun est forcément plus complexe que la case à laquelle on souhaite le réduire, moins lisse et jovial que l’image « enchantée » qu’il veut se donner. Un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération…même si nous connaissons déjà la chanson !

    Cliquez ici pour retrouver mes critiques de "Cœurs" et "Vous n'avez encore rien vu" d'Alain Resnais.

  • Rétrospective Alain Resnais à La Cinémathèque Française (du 3 au 29 novembre 2021)

    À l'occasion de la rétrospective que La Cinémathèque Française consacrera à Alain Resnais du 3 au 29 novembre 2021, je vous propose trois critiques de films qui y seront projetés à cette occasion (je vous recommande tout autant les autres, évidemment) : "On connaît la chanson" (ce film de 1997 ouvrira la rétrospective ce 3 novembre à 20h et sera aussi projeté le 13 novembre à 14h30), "Vous n'avez encore rien vu" (le 14 novembre à 21h30 et le 27 novembre à 18h30) et "Cœurs" (le 19 novembre à 19h et le 24 novembre à 21h30). 

    CRITIQUE de ON CONNAÎT LA CHANSON d'Alain Resnais (1997)

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    Toute la malice du cinéaste apparaît déjà dans le titre de ce film de 1997, dans son double sens, propre et figuré, puisqu’il fait à la fois référence aux chansons en playback interprétées dans le film mais parce qu’il sous-entend à quel point les apparences peuvent être trompeuses et donc que nous ne connaissons jamais vraiment la chanson…

    Suite à un malentendu, Camille (Agnès Jaoui), guide touristique et auteure d’une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » s’éprend de l’agent immobilier Marc Duveyrier (Lambert Wilson). Ce dernier est aussi le patron de Simon (André Dussolier), secrètement épris de Camille et qui tente de vendre un appartement à Odile (Sabine Azéma), la sœur de Camille. L’enthousiaste Odile est décidée à acheter cet appartement malgré la désapprobation muette de Claude, son mari velléitaire (Pierre Arditi). Celui-ci supporte mal la réapparition après de longues années d’absence de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), vieux complice d’Odile qui devient le confident de Simon et qui est surtout très hypocondriaque.

    Ce film est pourtant bien plus que son idée de mise en scène, certes particulièrement ludique et enthousiasmante, à laquelle on tend trop souvent à le réduire. A l’image de ses personnages, le film d’Alain Resnais n’est pas ce qu’il semble être. Derrière une apparente légèreté qui emprunte au Boulevard et à la comédie musicale ou du moins à la comédie (en) »chantée », il débusque les fêlures que chacun dissimule derrière de l’assurance, une joie de vivre exagérée, de l’arrogance ou une timidité.

    C’est un film en forme de trompe-l’œil qui commence dès la première scène : une ouverture sur une croix gammée, dans le bureau de Von Choltitz au téléphone avec Hitler qui lui ordonne de détruire Paris. Mais Paris ne disparaîtra pas et sera bien heureusement le terrain des chassés croisés des personnages de « On connaît la chanson », et cette épisode était juste une manière de planter le décor, de nous faire regarder justement au-delà du décor, et de présenter le principe de ces extraits chantés. La mise en scène ne cessera d’ailleurs de jouer ainsi avec les apparences, comme lorsqu’Odile parle avec Nicolas, lors d’un dîner chez elle, et que son mari Claude est absent du cadre, tout comme il semble d’ailleurs constamment « absent », ailleurs.

    Resnais joue habilement avec la mise en scène mais aussi avec les genres cinématographiques, faisant parfois une incursion dans la comédie romantique, comme lors de la rencontre entre Camille et Marc. L’appartement où ils se retrouvent est aussi glacial que la lumière est chaleureuse pour devenir presque irréelle mais là encore c’est une manière de jouer avec les apparences puisque Marc lui-même est d’une certaine manière irréel, fabriqué, jouant un personnage qu’il n’est pas.

    Le scénario est signé Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et témoigne déjà de leur goût des autres et de leur regard à la fois acéré et tendre sur nos vanités, nos faiblesses, nos fêlures. Les dialogues sont ainsi des bijoux de précision et d’observation mais finalement même s’ils mettent l’accent sur les faiblesses de chacun, les personnages ne sont jamais regardés avec condescendance mais plutôt lucidité et indulgence. Une phrase parfois suffit à caractériser un personnage comme cette femme qui, en se présentant dit, « J’suis une collègue d’Odile. Mais un petit cran au-dessus. Mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre ! ». Tout est dit ! La volonté de se montrer sous son meilleur jour, conciliante, ouverte, indifférente aux hiérarchies et apparences…tout en démontrant le contraire. Ou comme lorsque Marc répète à deux reprises à d’autres sa réplique adressée à Simon dont il est visiblement très fier « Vous savez Simon, vous n’êtes pas seulement un auteur dramatique, mais vous êtes aussi un employé dramatique ! » marquant à la fois ainsi une certaine condescendance mais en même temps une certaine forme de manque de confiance, et amoindrissant le caractère a priori antipathique de son personnage.

    Les personnages de « On connaît la chanson » sont avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités masquées, leurs vrais personnalités ou désirs, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. De « J’aime les filles » avec Lambert Wilson au « Vertige de l’amour » avec André Dussolier (irrésistible ) en passant par le « Résiste » de Sabine Azéma. C’est aussi un moyen de comique de répétition dont est jalonné ce film : blague répétée par Lambert Wilson sur Simon, blague de la publicité pour la chicorée lorsque Nicolas montre la photo de sa famille et réitération de certains passages chantés comme « Avoir un bon copain ».

    Chacun laissera tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte, dans le dernier acte où tous seront réunis, dans le cadre d’une fête qui, une fois les apparences dévoilées (même les choses comme l’appartement n’y échappent pas, même celui-ci se révèlera ne pas être ce qu’il semblait), ne laissera plus qu’un sol jonché de bouteilles et d’assiettes vides, débarrassé du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case) mais la scène se terminera une nouvelle fois par une nouvelle pirouette, toute l’élégance de Resnais étant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté.

    Rien n’est laissé au hasard, de l’interprétation (comme toujours chez Resnais remarquable direction d’acteurs et interprètes judicieusement choisis, de Dussolier en amoureux timide à Sabine Azéma en incorrigible optimiste en passant par Lambert Wilson, vaniteux et finalement pathétique et presque attendrissant) aux costumes comme les tenues rouges et flamboyantes de Sabine Azéma ou d’une tonalité plus neutre, voire fade, d’Agnès Jaoui.

    « On connaît la chanson » a obtenu 7 César dont celui du meilleur film et du meilleur scénario original. C’est pour moi un des films les plus brillants et profonds qui soient malgré sa légèreté apparente, un mélange subtile –à l’image de la vie – de mélancolie et de légèreté, d’enchantement et de désenchantement, un film à la frontière des émotions et des genres qui témoigne de la grande élégance de son réalisateur, du regard tendre et incisif de ses auteurs et qui nous laisse avec un air à la fois joyeux et nostalgique dans la tête. Un film qui semble entrer dans les cadres et qui justement nous démontre que la vie est plus nuancée et que chacun est forcément plus complexe que la case à laquelle on souhaite le réduire, moins lisse et jovial que l’image « enchantée » qu’il veut se donner. Un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération…même si nous connaissons déjà la chanson !

    CRITIQUE de VOUS N'AVEZ ENCORE RIEN VU d'Alain Resnais (2011)

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    Ce film fut mon énorme coup de coeur de l'édition 2012 du Festival de Cannes dans le cadre duquel il fut projeté.

    Après tant de grands films, des chefs d’œuvres souvent même, Alain Resnais prouve une nouvelle fois qu’il peut réinventer encore et encore le dispositif cinématographique, nous embarquer là où on ne l’attendait pas, jouer comme un enfant avec la caméra pour nous donner à notre tour ce regard d’enfant émerveillé dont il semble ne s’être jamais départi. A bientôt 90 ans, il prouve que la jeunesse, l’inventivité, la folie bienheureuse ne sont pas questions d’âge.

    Antoine, homme de théâtre, convoque après sa mort, ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’Eurydice, pièce qu’il a écrite. Il a enregistré, avant de mourir, une déclaration dans laquelle il leur demande de visionner une captation des répétitions de cette pièce: une jeune troupe lui a en effet demandé l'autorisation de la monter et il a besoin de leur avis.

    Dès le début, la mise en abyme s’installe. Les comédiens appelés par leurs véritables noms reçoivent un coup de fil leur annonçant la mort de leur ami metteur en scène. Première répétition avant une succession d’autres. Puis, ils se retrouvent tous dans cette demeure étrange, presque inquiétante, tel un gouffre un peu morbide où leur a donné rendez-vous Antoine. Cela pourrait être le début d’un film policier : tous ces comédiens réunis pour découvrir une vérité. Mais la vérité qu’ils vont découvrir est autre. C’est celle des mots, du pouvoir et de la magie de la fiction.

    Puis se passe ce qui arrive parfois au théâtre, lorsqu’il y a ce supplément d’âme, de magie, lorsque ce pouvoir des mots vous embarque ailleurs, vous hypnotise, vous fait oublier la réalité, tout en vous ancrant plus que jamais dans la réalité, vous faisant ressentir les palpitations de la vie. En 1942, Alain Resnais avait ainsi assisté à une représentation d’ « Eurydice » de Jean Anouilh de laquelle il était sorti bouleversé à tel point qu’il avait fait deux fois le tour de Paris à bicyclette. C’est aussi la sensation exaltante que m’a donné ce film.

    Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Mais surtout Alain Resnais nous livre ici un film inventif et ludique. Il joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace (usant parfois aussi du splitscreen entre autres « artifices »). Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Rarement, je crois, j’aurais ainsi été émue et admirative devant chaque phrase prononcée quel que soit le comédien. A chaque fois, elle semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Au premier rang de cette distribution (remarquable dans sa totalité), je citerai Pierre Arditi, Lambert Wilson, Anne Consigny, Sabine Azéma mais en réalité tous sont extraordinaires, aussi extraordinairement dirigés.

    C’est une des plus belles déclarations d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Contrairement à ce qui a pu être écrit ce n’est pas une œuvre posthume mais au contraire une mise en abyme déroutante, exaltante d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est de toutes façons transcendée. C’est aussi la confrontation entre deux générations ou plutôt leur union par la force des mots. Ajoutez à cela la musique de Mark Snow d’une puissance émotionnelle renversante et vous obtiendrez un film inclassable et si séduisant (n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur).

    Ce film m’a enchantée, bouleversée, m’a rappelé pourquoi j’aimais follement le cinéma et le théâtre, et les mots. Ce film est d’ailleurs au-delà des mots auquel il rend pourtant un si bel hommage. Ce film aurait mérité un prix d’interprétation collectif, un prix de la mise en scène…et pourquoi pas une palme d’or ! Ces quelques mots sont bien entendu réducteurs pour vous parler de ce grand film, captivant, déroutant, envoûtant, singulier.

    CRITIQUE de COEURS d'ALAIN RESNAIS (2006)

     

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     « Cœurs » est un film de 2006. Le film choral était alors à la mode. Alain Resnais, cinéaste emblématique de la modernité, ne suit pas les modes mais les initie, encore. Malgré le temps, sa modernité n’a pas pris une ride et de ce point de vue du haut de ses 80 ans et quelques, mais surtout du haut de ses innombrables chefs d’œuvre (Hiroshima, mon amour, L’année dernière à Marienbad, Nuit et brouillard, On connaît la chanson, Smoking, no smoking, Je t’aime, je t’aime et tant d’autres), il reste le plus jeune des cinéastes. Coeurs est l’adaptation de Private fears in public places, une pièce de théâtre de l’auteur anglais Alain Ayckbourn dont Alain Resnais avait déjà adapté en 1993 une autre de ses œuvres, pour en faire Smoking, No smoking.

    Ce film, choral donc, croise les destins de six « cœurs en hiver » dans le quartier de la Grande Bibliothèque, quartier froid, moderne et impersonnel, sous la neige du début à la fin du film. La neige, glaciale, évidemment. La neige qui incite à se presser, à ne pas voir, à ne pas se rencontrer, à fuir l’extérieur. C’est donc à l’intérieur qu’il faut chercher la chaleur. Normalement. A l’intérieur qu’on devrait se croiser donc. Alors, oui, on se croise mais on ne se rencontre pas vraiment.

    C’est probablement d’On connaît la chanson que se rapproche le plus ce film, en particulier pour la solitude des personnages. Le dénouement est pourtant radicalement différent et avec les années qui séparent ces deux films la légèreté s’est un peu évaporée. Ainsi, dans On connaît la chanson les personnages chantent. Là, ils déchantent plutôt. Ils sont en quête surtout. En quête de désirs. De désir de vivre, surtout, aussi. Même dans un même lieu, même ensemble, ils sont constamment séparés : par un rideau de perle, par la neige, par une séparation au plafond, par une cloison en verre, par des couleurs contrastées, par des cœurs qui ne se comprennent plus et ne battent plus à l’unisson. Non, ces cœurs-là ne bondissent plus. Ils y aspirent pourtant.

    Le coeur se serre plus qu’il ne bondit. A cause des amours évanouis. Des parents disparus. Du temps passé. Ils sont enfermés dans leur nostalgie, leurs regrets même si la fantaisie et la poésie affleurent constamment sans jamais exploser vraiment. La fantaisie est finalement recouverte par la neige, par l’apparence de l’innocence. L’apparence seulement. Chaque personnage est auréolé de mystère. Resnais a compris qu’on peut dire beaucoup plus dans les silences, dans l’implicite, dans l’étrange que dans un excès de paroles, l’explicite, le didactique. Que la normalité n’est qu’un masque et un vain mot.

    Comme toujours chez Resnais les dialogues sont très et agréableme

  • Critique de ON CONNAÎT LA CHANSON d'Alain Resnais ce 20 février 2020 sur France 2

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    Demain soir, sur France 2, ne manquez pas le chef-d'œuvre qu'est "Le goût des autres" suivi de "On connaît la chanson".  Pour le plaisir de revoir l'immense acteur qu'était Jean-Pierre Bacri mais aussi de savourer les remarquables dialogues et scénarii dont il était le coauteur. 

    Toute la malice du cinéaste apparaît déjà dans le titre de ce film de 1997, dans son double sens, propre et figuré, puisqu’il fait à la fois référence aux chansons en playback interprétées dans le film mais parce qu’il sous-entend à quel point les apparences peuvent être trompeuses et donc que nous ne connaissons jamais vraiment la chanson…

    Suite à un malentendu, Camille (Agnès Jaoui), guide touristique et auteure d’une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » s’éprend de l’agent immobilier Marc Duveyrier (Lambert Wilson). Ce dernier est aussi le patron de Simon (André Dussolier), secrètement épris de Camille et qui tente de vendre un appartement à Odile (Sabine Azéma), la sœur de Camille. L’enthousiaste Odile est décidée à acheter cet appartement malgré la désapprobation muette de Claude, son mari velléitaire (Pierre Arditi). Celui-ci supporte mal la réapparition après de longues années d’absence de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), vieux complice d’Odile qui devient le confident de Simon et qui est surtout très hypocondriaque.

    Ce film est pourtant bien plus que son idée de mise en scène, certes particulièrement ludique et enthousiasmante, à laquelle on tend trop souvent à le réduire. A l’image de ses personnages, le film d’Alain Resnais n’est pas ce qu’il semble être. Derrière une apparente légèreté qui emprunte au Boulevard et à la comédie musicale ou du moins à la comédie (en) "chantée", il débusque les fêlures que chacun dissimule derrière de l’assurance, une joie de vivre exagérée, de l’arrogance ou une timidité.

    C’est un film en forme de trompe-l’œil qui commence dès la première scène : une ouverture sur une croix gammée, dans le bureau de Von Choltitz au téléphone avec Hitler qui lui ordonne de détruire Paris. Mais Paris ne disparaîtra pas et sera bien heureusement le terrain des chassés croisés des personnages de « On connaît la chanson », et cette épisode était juste une manière de planter le décor, de nous faire regarder justement au-delà du décor, et de présenter le principe de ces extraits chantés. La mise en scène ne cessera d’ailleurs de jouer ainsi avec les apparences, comme lorsqu’Odile parle avec Nicolas, lors d’un dîner chez elle, et que son mari Claude est absent du cadre, tout comme il semble d’ailleurs constamment « absent », ailleurs.

    Resnais joue habilement avec la mise en scène mais aussi avec les genres cinématographiques, faisant parfois une incursion dans la comédie romantique, comme lors de la rencontre entre Camille et Marc. L’appartement où ils se retrouvent est aussi glacial que la lumière est chaleureuse pour devenir presque irréelle mais là encore c’est une manière de jouer avec les apparences puisque Marc lui-même est d’une certaine manière irréel, fabriqué, jouant un personnage qu’il n’est pas.

    Le scénario est signé Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et témoigne déjà de leur goût des autres et de leur regard à la fois acéré et tendre sur nos vanités, nos faiblesses, nos fêlures. Les dialogues sont ainsi des bijoux de précision et d’observation mais finalement même s’ils mettent l’accent sur les faiblesses de chacun, les personnages ne sont jamais regardés avec condescendance mais plutôt lucidité et indulgence. Une phrase parfois suffit à caractériser un personnage comme cette femme qui, en se présentant dit, « J’suis une collègue d’Odile. Mais un petit cran au-dessus. Mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre ! ». Tout est dit ! La volonté de se montrer sous son meilleur jour, conciliante, ouverte, indifférente aux hiérarchies et apparences…tout en démontrant le contraire. Ou comme lorsque Marc répète à deux reprises à d’autres sa réplique adressée à Simon dont il est visiblement très fier « Vous savez Simon, vous n’êtes pas seulement un auteur dramatique, mais vous êtes aussi un employé dramatique ! » marquant à la fois ainsi une certaine condescendance et en même temps une certaine forme de manque de confiance, et amoindrissant le caractère a priori antipathique de son personnage.

    Les personnages de « On connaît la chanson » sont avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités masquées, leurs vrais personnalités ou désirs, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. De « J’aime les filles » avec Lambert Wilson au « Vertige de l’amour » avec André Dussolier (irrésistible ) en passant par le « Résiste » de Sabine Azéma. C’est aussi un moyen de comique de répétition dont est jalonné ce film : blague répétée par Lambert Wilson sur Simon, blague de la publicité pour la chicorée lorsque Nicolas montre la photo de sa famille et réitération de certains passages chantés comme « Avoir un bon copain ».

    Chacun laissera tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte, dans le dernier acte où tous seront réunis, dans le cadre d’une fête qui, une fois les apparences dévoilées (même les choses comme l’appartement n’y échappent pas, même celui-ci se révèlera ne pas être ce qu’il semblait), ne laissera plus qu’un sol jonché de bouteilles et d’assiettes vides, débarrassé du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case) mais la scène se terminera une nouvelle fois par une nouvelle pirouette, toute l’élégance de Resnais étant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté.

    Rien n’est laissé au hasard, de l’interprétation (comme toujours chez Resnais remarquable direction d’acteurs et interprètes judicieusement choisis, de Dussolier en amoureux timide à Sabine Azéma en incorrigible optimiste en passant par Lambert Wilson, vaniteux et finalement pathétique et presque attendrissant) aux costumes comme les tenues rouges et flamboyantes de Sabine Azéma ou d’une tonalité plus neutre, voire fade, d’Agnès Jaoui.

    « On connaît la chanson » a obtenu 7 César dont celui du meilleur film et du meilleur scénario original. C’est pour moi un des films les plus brillants et profonds qui soient malgré sa légèreté apparente, un mélange subtile –à l’image de la vie – de mélancolie et de légèreté, d’enchantement et de désenchantement, un film à la frontière des émotions et des genres qui témoigne de la grande élégance de son réalisateur, du regard tendre et incisif de ses auteurs et qui nous laisse avec un air à la fois joyeux et nostalgique dans la tête. Un film qui semble entrer dans les cadres et qui justement nous démontre que la vie est plus nuancée et que chacun est forcément plus complexe que la case à laquelle on souhaite le réduire, moins lisse et jovial que l’image « enchantée » qu’il veut se donner. Un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération…même si nous connaissons déjà la chanson !

     

  • Lauréate du Prix de la nouvelle Alain Spiess 2020 avec ma nouvelle ”Les âmes romanesques”

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    Petit ajout à mon article du mois dernier publié ci-dessous :

    Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site officiel du Prix Alain Spiess.

    Vous pouvez  lire la nouvelle en numérique, ici, dans le recueil contenant les nouvelles des 4 lauréats.   

    Le recueil est désormais disponible dans sa version papier notamment à l'Office de Tourisme de Trouville et à la Librairie du Marché de Deauville. Ou encore ici.

     

    Quelle joie d'apprendre que je suis lauréate du Prix de la nouvelle Alain Spiess ! Merci à son prestigieux jury !

    Ma nouvelle (inédite, écrite pour le concours) intitulée "Les âmes romanesques" sera publiée dans un recueil avec les nouvelles des deux autres lauréats.

    Cette nouvelle sera également lue par un comédien lors de la remise des prix, le 21 novembre, à midi, à la bibliothèque de Trouville.

    La conférence de presse parisienne aura lieu le 23 octobre.

    Le jury était composé de :

    - Tahar Ben Jelloun de l’Académie Goncourt, romancier et peintre

    - Françoise Spiess, écrivaine et fondatrice du prix

    - Anita Weber, inspectrice générale honoraire de la Culture

    - Véronique Jacob, éditrice

    - Lola Gruber, écrivaine et lauréate du Prix Alain Spiess 2019

    - Geneviève Damas, écrivaine, comédienne et metteure en scène

    - François Emmanuel de l’Académie royale de Belgique.

    - Frank Lanot, écrivain.

    - Vincent Blin professeur de Lettres

    - Michel Lederer, traducteur.

    - Jean-Luc Vincent, comédien.

    - Emmanuelle Lambert, écrivaine et commissaire d'exposition indépendante, prix Médicis 2019

    Le thème du concours lancé en mai dernier était "Trouville et le confinement."

    Le prix Alain Spiess récompense aussi un deuxième roman et donne lieu à deux jours à Trouville autour de la littérature en présence des finalistes et lauréats. Je suis invitée à participer à ces deux jours. Je vous donnerai prochainement le programme détaillé. Au plaisir de vous y voir !

     

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