Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Alain Delon

  • Théâtre - Interview d’Anthony Delon et critique de « Panik » au Théâtre Saint-Georges avec Anthony Delon, Eric Delcourt

     

    panik2.jpg

    Après avoir eu le plaisir de découvrir  « Les Liaisons dangereuses » mises en scènes par John Malkovich et d’interviewer ce dernier, il y a 15 jours (voir mon article sur cette pièce que je vous recommande et mon interview de Malkovich, ici), ce vendredi, j’étais invitée à découvrir « Panik » au Théâtre Saint-Georges.

     Comment ai-je pu ne pas aller au théâtre pendant presque un an? Le tourbillon de la vie (et du cinéma), sans doute. Le plaisir est toujours pourtant le même que celui que j’éprouvais, enfant, lorsque vivant alors en  province, mes parents et moi passions un week end à Paris, et que cette ville, dans ma tête déjà incurablement rêveuse, était assimilée à une fête étourdissante, à des spectacles fascinants que je regardais les yeux écarquillés, le cœur battant. Le plaisir de participer à ce bruissement joyeux, cette attente haletante, dans un hall de théâtre où se mêlent invariablement des provinciaux pour qui Paris est une fête, des Parisiens blasés revendiquant de l’être qui enchaînent les spectacles sans plaisir, et quelques visages connus donnant lieu à un générique improbable.  Le plaisir, pour moi inaltéré, de cet instant qui précède le lever du rideau, où les voix se font plus discrètes, hésitantes, et se transforment en un doux murmure rassurant et fébrile. Le plaisir de plonger dans un univers, de parfois oublier que ce qui se joue n’est que fiction, d’oublier le temps qui passe, d’oublier que Paris n’est pas forcément un rêve d’enfant qu’il redevient le temps d’une représentation.

     Mais revenons au Théâtre Saint-Georges, un des seuls théâtres parisiens que je ne connaissais pas encore, un théâtre récent (1929), un théâtre néanmoins cher à ma mémoire de cinéphile puisque c’est là que fut tourné « Le dernier métro » de François Truffaut.

    « Panik » est la première pièce écrite par le metteur en scène  finlandais Mika Myllyaho et mise en scène par Jean-Claude Idée, définie comme un affrontement hilarant de trois garçons interprétés par Anthony Delon, Thomas Joussier (également adaptateur de la pièce) et Eric Delcourt qui n’ont pour seul point commun que leur panique que leur inspirent la vie et les femmes.

    Le rideau se lève sur des écrans de télévision allumés sur lesquels Joni (Anthony Delon) présente l’émission  « Alter Ego » avec une assurance teintée de cynisme. La pièce de l’appartement est colorée comme le décor d’un film d’Almodovar et rangée comme celui  d’un film Tati pour finalement aboutir à la même folie que celle sur laquelle découlent irrémédiablement les univers des deux cinéastes.

     L’appartement est celui de Max (Eric Delcourt), le frère de Joni, architecte très ordonné et même maniaque, cherchant ainsi à masquer son désordre intérieur.  Leur ami Leo (Thomas Joussier) y débarque à l’impromptu, en détresse, parce que sa compagne lui a laissé entendre qu’il serait temps qu’il réfléchisse à sa situation et qu’il mette sa vie en ordre. Mais Leo ne sait même pas ce qui ne va pas dans sa vie, et demande à Max de l’aider à travers une thérapie. Max et son frère Joni, animateur d’un talk-show, font de leur mieux avec leurs méthodes toutes personnelles, mais ne réussissent qu’à montrer à quel point ils sont, eux-mêmes, égarés.

     La forme illustre ainsi le fond puisque la pièce ne comprend pas de temps mort témoignant de notre société qui ne prend pas le temps de s’arrêter, qui essaie de masquer par la frénésie le doute, le vertige de la peur.

    Panik  (sous-titré « Hommes au bord de la crise de nerfs ») est en effet, à l’image de son titre, une pièce très symptomatique de notre époque et clairvoyante sur celle-ci. Une époque pressée, harassée, qui dispose plus que jamais de moyens de communication (notamment symbolisée ici par les multiples écrans de télévision qui ornent le décor) mais surtout dominée par la peur qui tente de se dissimuler par tous les moyens. Une époque dans laquelle on parle beaucoup mais dans laquelle, finalement, on ne communique pas. Qui entend sans écouter.

     Il faut l’atmosphère cloisonnée et rassurante d’un appartement almodovarien pour qu’éclatent la vérité, les doutes, les fêlures, les névroses et s’imaginer mort –ou un temps mort, enfin- pour se pencher sur l’existence.

     Définie ainsi, ce n’est pas une évidence mais «Panik » est bel et bien  une comédie effrénée et ce n’est pas pour rien que son auteur est avant tout metteur en scène. L’espace, judicieusement utilisé, devient un acteur à part entière. Les acteurs y courent, marchent, souffrent, bondissent, avec une énergie incroyable. L’un le parcourt de sa démarche hésitante, l’autre y fait des allers et venues, écoutant- du moins entendant- et parlant dans son oreillette et le troisième y bondit et gesticule, essayant de maîtriser l’espace pour masquer l’absence totale de maitrise sur son existence.

    Sans doute est-ce le premier talent d’un bon auteur de théâtre que de servir ses acteurs et c’est là le grand atout de cette pièce que de permettre à ses acteurs d’y déployer tout leur talent…et toute leur énergie. Et c’est aussi ce qui fait que je n’ai pas vu le temps passer, tous les trois étant très impliqués dans ces rôles d’hommes au bord de la crise de nerfs, dans cette  joute verbale incisive qui porte finalement un regard empathique sur ses personnages. Une histoire d’amitié,  sur la difficulté de communiquer, de partager ses émotions mais qui heureusement parvient à communiquer et partager ses questionnements et son énergie au spectateur.

    Anthony Delon est parfait dans le rôle de ce présentateur sans aucun doute aux antipodes de sa personnalité, un présentateur comme il y en a tant qui cache derrière une accumulation de conquêtes et un cynisme revendiqué un vide, une peur, et peut-être un mal être.  Thomas Joussier est tout aussi convaincant dans son personnage lunaire, candide, égaré, presque enfantin.  Et Eric Delcourt est également irréprochable dans son rôle survolté, de la maîtrise au déchaînement laissant finalement affleurer sa fragilité.

    Trois personnages démunis, dans l’air du temps qui vous feront oublier celui qui passe et vous interroger sur une époque vorace, cynique, mais surtout sur ce que ces caractéristiques masquent. Une comédie qui vaut surtout par ses trois comédiens particulièrement impliqués et une mise en scène remarquable.

    Interview d’Anthony Delon

    anthonydelon1.jpg

    Après la représentation, on m’a proposé d’interviewer Anthony Delon. Perfectionniste, j’étais partagée entre l’envie de refuser  pour n’avoir pas eu la possibilité de préparer cette interview en raison de son caractère impromptu (et dire qu’il y a tant de questions que, avec le recul, j’aurais aimé lui poser…) et l’envie d’interviewer ce remarquable comédien que l’on réduit encore trop à son nom mais qui a bel et bien une identité et un talent singuliers. Cette interview aura au moins eu le mérite de la spontanéité de l’instant (malgré mes onomatopées redondantes, mes digressions et interventions parfois superflues). Je  remercie le théâtre Saint-Georges pour l’accueil et à nouveau Anthony Delon pour sa gentillesse, sa disponibilité (et une humilité sincère et non un masque opportuniste)…peut-être trop pour un métier qui dévore les âmes sensibles et qui est sans doute à la fois « une joie et une souffrance » comme aurait dit Truffaut, on y revient... En tout cas, j’espère avoir le plaisir de le revoir prochainement sur les écrans (comment est-ce possible qu’il n’ait tourné que 13 films depuis « Une épine dans le cœur » d’Alberto Luttuada en 1985 ?).

     Remarque : pour préciser ce que je dis à propos de twitter dans l’interview, qui est un outil certes désormais indispensable, je déteste avant tout qu’il soit un moyen lâche de dénigrer, de stigmatiser, et finalement l’illustration de ce qu’évoque la pièce sur cette communication à outrance et sur une société qui se glorifie du cynisme comme s’il était un signe de force et son contraire, une faiblesse, époque qui préfère la tonitruance à la discrétion.

    Puisque de James Gray il est question dans cette interview j'en profite pour vous recommander « Two lovers » dont vous pourrez trouver ma critique en cliquant ici. Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d'une drôlerie désenchantée,  un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, un film dans lequel James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne, qui exalte et détruit. Et puisque de Clint Eastwood il y est aussi question je vous rappelle également que « J.Edgar » est encore à l’affiche et que vous pouvez en retrouver ma critique en cliquant ici. Mais je digresse encore... Des films aux scénarii ciselés en tout cas… Espérons retrouver prochainement Anthony Delon dans un film de ces grands cinéastes avec un rôle à la hauteur de son talent.

    Dernière précision : le montage malencontreux de ma vidéo coupe la dernière phrase dans laquelle Anthony Delon parle de son tournage, à Londres.

    Retrouvez également cet article sur mon nouveau magazine en ligne "In the mood - Le Magazine" : http://inthemoodlemag.com/?p=461

      

    « Panik » au Théâtre Saint-Georges, Paris 75009. Du mardi au samedi à 21 heures, le samedi à 17 heures. Tél. 01.48.78.63.47.

    Lien permanent Imprimer Pin it!  commentaire
  • Alain Resnais : hommage...

    rien.jpg

    En guise d'hommage à un des cinéastes à l'origine de ma passion pour le cinéma, disparu aujourd'hui, je vous propose 3 critiques de films dont son dernier "Vous n'avez encore rien vu" qui fut pour moi le meilleur film de l'année 2012. Jusqu'à la fin il est resté un cinéaste d'une jeunesse d'esprit et d'une inventivité remarquable comme le prouve ce dernier film par lequel j'avais été tellement enchantée...

    Vous n'avez encore rien vu : affiche

    Disons-le d’emblée, le film d’Alain Resnais était mon énorme coup de cœur de l'édition 2012 du Festival de Cannes avec « A perdre la raison » de Joachim Lafosse (section Un Certain Regard) et « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire (Semaine de la Critique). Bien sûr, il est difficile d’évincer (et de comparer) avec « Amour » et « De rouille et d’os » qui m’ont également enthousiasmée mais ce film a (et a suscité) ce quelque chose en plus, cet indicible, cet inexplicable que l’on pourrait nommer coup de foudre.

    Après tant de grands films, des chefs d’œuvres souvent même, Alain Resnais prouve une nouvelle fois qu’il peut réinventer encore et encore le dispositif cinématographique, nous embarquer là où on ne l’attendait pas, jouer comme un enfant avec la caméra pour nous donner à notre tour ce regard d’enfant émerveillé dont il semble ne s’être jamais départi. A bientôt 90 ans, il prouve que la jeunesse, l’inventivité, la folie bienheureuse ne sont pas questions d’âge.

    Antoine, homme de théâtre, convoque après sa mort, ses amis comédiens ayant joué dans différentes versions d’Eurydice, pièce qu’il a écrite. Il a enregistré, avant de mourir, une déclaration dans laquelle il leur demande de visionner une captation des répétitions de cette pièce: une jeune troupe lui a en effet demandé l’autorisation de la monter et il a besoin de leur avis.

    Dès le début, la mise en abyme s’installe. Les comédiens appelés par leurs véritables noms reçoivent un coup de fil leur annonçant la mort de leur ami metteur en scène. Première répétition avant une succession d’autres. Puis, ils se retrouvent tous dans cette demeure étrange, presque inquiétante, tel un gouffre un peu morbide où leur a donné rendez-vous Antoine.  Cela pourrait être le début d’un film policier : tous ces comédiens réunis pour découvrir une vérité. Mais la vérité qu’ils vont découvrir est toute autre. C’est celle des mots, du pouvoir et de la magie de la fiction.

    Puis, se passe ce qui arrive parfois au théâtre, lorsqu’il y a ce supplément d’âme, de magie (terme que j’ai également employé pour « Les bêtes du sud sauvage« , autre coup de coeur de 2012, mais aussi différents soient-ils, ces deux films ont cet élément rare en commun), lorsque  ce pouvoir des mots vous embarque ailleurs, vous hypnotise, vous fait oublier  la réalité, tout en vous ancrant plus que jamais dans la réalité, vous faisant ressentir les palpitations de la vie.

    En 1942, Alain Resnais avait ainsi assisté à une représentation d’ « Eurydice » de Jean Anouilh de laquelle il était sorti bouleversé à tel point qu’il avait fait deux fois le tour de Paris à bicyclette. C’est aussi la sensation exaltante que m’a donné ce film!

    Chaque phrase prononcée, d’une manière presque onirique, magique, est d’une intensité sidérante de beauté et de force et exalte la force de l’amour. Mais surtout Alain Resnais nous livre ici un film inventif et ludique. Il joue avec les temporalités, avec le temps, avec la disposition dans l’espace (usant parfois aussi du splitscreen entre autres « artifices »). Il donne à jouer des répliques à des acteurs qui n’en ont plus l’âge. Cela ne fait qu’accroître la force des mots, du propos, leur douloureuse beauté et surtout cela met en relief le talent de ses comédiens. Rarement, je crois, j’aurais ainsi été émue et admirative devant chaque phrase prononcée quel que soit le comédien. A chaque fois, elle semble être la dernière et la seule, à la fois la première et l’ultime. Au premier rang de cette distribution (remarquable dans sa totalité), je citerai Pierre Arditi, Lambert Wilson, Anne Consigny, Sabine Azéma mais en réalité tous sont extraordinaires, aussi extraordinairement dirigés.

    C’est une des plus belles déclarations d’amour au théâtre et aux acteurs, un des plus beaux hommages au cinéma qu’il m’ait été donné de voir et de ressentir. Contrairement à ce qui a pu être écrit ce n’est pas une œuvre posthume mais au contraire une mise en abyme déroutante, exaltante d’une jeunesse folle, un pied-de-nez à la mort qui, au théâtre ou au cinéma, est de toutes façons transcendée. C’est aussi la confrontation entre deux générations ou plutôt leur union par la force des mots. Ajoutez à cela la musique de Mark Snow d’une puissance émotionnelle renversante et vous obtiendrez un film inclassable et si séduisant (n’usant pourtant d’aucune ficelle pour l’être mais au contraire faisant confiance à l’intelligence du spectateur).

    Ce film m’a enchantée, bouleversée, m’a rappelé pourquoi j’aimais follement le cinéma et le théâtre, et les mots. Ce film est d’ailleurs au-delà des mots auquel il rend pourtant un si bel hommage. Ce film aurait mérité un prix d’interprétation collectif, un prix de la mise en scène…et pourquoi pas une palme d’or (il est malheureusement reparti bredouille du palmarès de ce Festival de Cannes 2012) ! Ces quelques mots sont bien entendu réducteurs pour vous parler de ce grand film, captivant, déroutant, envoûtant, singulier. Malgré tout ce que je viens de vous en dire, dîtes-vous que de toutes façons, « Vous n’avez encore rien vu ». C’est bien au-delà des mots. Et espérons que nous aussi nous n’avons encore rien vu et qu’Alain Resnais continuera encore très longtemps à nous surprendre et enchanter ainsi. Magistralement.

    Commençons par le premier film projeté dans le cadre du festival qui est aussi le plus ancien des trois « On connaît la chanson ». Toute la malice du cinéaste apparaît déjà dans le titre de ce film de 1997, dans son double sens, propre et figuré, puisqu’il fait à la fois référence aux chansons en playback interprétées dans le film mais parce qu’il sous-entend à quel point les apparences peuvent être trompeuses et donc que nous ne connaissons jamais vraiment la chanson…

    Suite à un malentendu, Camille (Agnès Jaoui), guide touristique et auteure d’une thèse sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » s’éprend de l’agent immobilier Marc Duveyrier (Lambert Wilson). Ce dernier est aussi le patron de Simon (André Dussolier), secrètement épris de Camille et qui tente de vendre un appartement à Odile (Sabine Azéma), la sœur de Camille. L’enthousiaste Odile est décidée à acheter cet appartement malgré la désapprobation muette de Claude, son mari velléitaire (Pierre Arditi). Celui-ci supporte mal la réapparition après de longues années d’absence de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), vieux complice d’Odile qui devient le confident de Simon et qui est surtout très hypocondriaque.

    Ce film est pourtant bien plus que son idée de mise en scène, certes particulièrement ludique et enthousiasmante, à laquelle on tend trop souvent à le réduire. A l’image de ses personnages, le film d’Alain Resnais n’est pas ce qu’il semble être. Derrière une apparente légèreté qui emprunte au Boulevard et à la comédie musicale ou du moins à la comédie (en) »chantée », il débusque les fêlures que chacun dissimule derrière de l’assurance, une joie de vivre exagérée, de l’arrogance ou une timidité.

    C’est un film en forme de trompe-l’œil qui commence dès la première scène : une ouverture sur une croix gammée, dans le bureau de Von Choltitz au téléphone avec Hitler qui lui ordonne de détruire Paris. Mais Paris ne disparaîtra pas et sera bien heureusement le terrain des chassés-croisés des personnages de « On connaît la chanson », et cette épisode était juste une manière de planter le décor, de nous faire regarder justement au-delà du décor, et de présenter le principe de ces extraits chantés. La mise en scène ne cessera d’ailleurs de jouer ainsi avec les apparences, comme lorsqu’Odile parle avec Nicolas, lors d’un dîner chez elle, et que son mari Claude est absent du cadre, tout comme il semble d’ailleurs constamment « absent », ailleurs.

    Resnais joue habilement avec la mise en scène mais aussi avec les genres cinématographiques, faisant parfois une incursion dans la comédie romantique, comme lors de la rencontre entre Camille et Marc. L’appartement où ils se retrouvent est aussi glacial que la lumière est chaleureuse pour devenir presque irréelle mais là encore c’est une manière de jouer avec les apparences puisque Marc lui-même est d’une certaine manière irréel, fabriqué, jouant un personnage qu’il n’est pas.

    Le scénario est signé Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri et témoigne déjà de leur goût des autres et de leur regard à la fois acéré et tendre sur nos vanités, nos faiblesses, nos fêlures. Les dialogues sont ainsi des bijoux de précision et d’observation mais finalement même s’ils mettent l’accent sur les faiblesses de chacun, les personnages ne sont jamais regardés avec condescendance mais plutôt lucidité et indulgence. Une phrase parfois suffit à caractériser un personnage comme cette femme qui, en se présentant dit, « J’suis une collègue d’Odile. Mais un petit cran au-dessus. Mais ça ne nous empêche pas de bien nous entendre ! ». Tout est dit ! La volonté de se montrer sous son meilleur jour, conciliante, ouverte, indifférente aux hiérarchies et apparences…tout en démontrant le contraire. Ou comme lorsque Marc répète à deux reprises à d’autres sa réplique adressée à Simon dont il est visiblement très fier « Vous savez Simon, vous n’êtes pas seulement un auteur dramatique, mais vous êtes aussi un employé dramatique ! » marquant à la fois ainsi une certaine condescendance mais en même temps une certaine forme de manque de confiance, et amoindrissant le caractère a priori antipathique de son personnage.

    Les personnages de « On connaît la chanson » sont avant tout seuls, enfermés dans leurs images, leurs solitudes, leur inaptitude à communiquer, et les chansons leur permettent souvent de révéler leurs vérités masquées, leurs vrais personnalités ou désirs, tout en ayant souvent un effet tendrement comique. De « J’aime les filles » avec Lambert Wilson au « Vertige de l’amour » avec André Dussolier (irrésistible ) en passant par le « Résiste » de Sabine Azéma. C’est aussi un moyen de comique de répétition dont est jalonné ce film : blague répétée par Lambert Wilson sur Simon, blague de la publicité pour la chicorée lorsque Nicolas montre la photo de sa famille et réitération de certains passages chantés comme « Avoir un bon copain ».

    Chacun laissera tomber son masque, de fierté ou de gaieté feinte, dans le dernier acte où tous seront réunis, dans le cadre d’une fête qui, une fois les apparences dévoilées (même les choses comme l’appartement n’y échappent pas, même celui-ci se révèlera ne pas être ce qu’il semblait), ne laissera plus qu’un sol jonché de bouteilles et d’assiettes vides, débarrassé du souci des apparences, et du rangement (de tout et chacun dans une case) mais la scène se terminera une nouvelle fois par une nouvelle pirouette, toute l’élégance de Resnais étant là, dans cette dernière phrase qui nous laisse avec un sourire, et l’envie de saisir l’existence avec légèreté.

    Rien n’est laissé au hasard, de l’interprétation (comme toujours chez Resnais remarquable direction d’acteurs et interprètes judicieusement choisis, de Dussolier en amoureux timide à Sabine Azéma en incorrigible optimiste en passant par Lambert Wilson, vaniteux et finalement pathétique et presque attendrissant) aux costumes comme les tenues rouges et flamboyantes de Sabine Azéma ou d’une tonalité plus neutre, voire fade, d’Agnès Jaoui.

    « On connaît la chanson » a obtenu 7 César dont celui du meilleur film et du meilleur scénario original. C’est pour moi un des films les plus brillants et profonds qui soient malgré sa légèreté apparente, un mélange subtile –à l’image de la vie – de mélancolie et de légèreté, d’enchantement et de désenchantement, un film à la frontière des émotions et des genres qui témoigne de la grande élégance de son réalisateur, du regard tendre et incisif de ses auteurs et qui nous laisse avec un air à la fois joyeux et nostalgique dans la tête. Un film qui semble entrer dans les cadres et qui justement nous démontre que la vie est plus nuancée et que chacun est forcément plus complexe que la case à laquelle on souhaite le réduire, moins lisse et jovial que l’image « enchantée » qu’il veut se donner. Un film jubilatoire enchanté et enchanteur, empreint de toute la richesse, la beauté, la difficulté, la gravité et la légèreté de la vie. Un film tendrement drôle et joyeusement mélancolique à voir, entendre et revoir sans modération…même si nous connaissons déjà la chanson !

    Dans le cadre du festival était également projeté « Cœurs », un film d’Alain Resnais de 2006. Le film choral était alors à la mode. Alain Resnais, cinéaste emblématique de la modernité, ne suit pas les modes mais les initie, encore. Malgré le temps, sa modernité n’a pas pris une ride et de ce point de vue du haut de ses 80 ans et quelques, mais surtout du haut de ses innombrables chefs d’œuvre (Hiroshima, mon amour, L’année dernière à Marienbad, Nuit et brouillard, On connaît la chanson, Smoking, no smoking, Je t’aime, je t’aime et tant d’autres), il reste le plus jeune des cinéastes. Coeurs est l’adaptation de Private fears in public places, une pièce de théâtre de l’auteur anglais Alain Ayckbourn dont Alain Resnais avait déjà adapté en 1993 une autre de ses œuvres, pour en faire Smoking, No smoking.

    Ce film, choral donc, croise les destins de six « cœurs en hiver » dans le quartier de la Grande Bibliothèque, quartier froid, moderne et impersonnel, sous la neige du début à la fin du film. La neige, glaciale, évidemment. La neige qui incite à se presser, à ne pas voir, à ne pas se rencontrer, à fuir l’extérieur. C’est donc à l’intérieur qu’il faut chercher la chaleur. Normalement. A l’intérieur qu’on devrait se croiser donc. Alors, oui, on se croise mais on ne se rencontre pas vraiment.

    C’est probablement d’On connaît la chanson que se rapproche le plus ce film, en particulier pour la solitude des personnages. Le dénouement est pourtant radicalement différent et avec les années qui séparent ces deux films la légèreté s’est un peu évaporée. Ainsi, dans On connaît la chanson les personnages chantent. Là, ils déchantent plutôt. Ils sont en quête surtout. En quête de désirs. De désir de vivre, surtout, aussi. Même dans un même lieu, même ensemble, ils sont constamment séparés : par un rideau de perle, par la neige, par une séparation au plafond, par une cloison en verre, par des couleurs contrastées, par des cœurs qui ne se comprennent plus et ne battent plus à l’unisson. Non, ces cœurs-là ne bondissent plus. Ils y aspirent pourtant.

    Le coeur se serre plus qu’il ne bondit. A cause des amours évanouis. Des parents disparus. Du temps passé. Ils sont enfermés dans leur nostalgie, leurs regrets même si la fantaisie et la poésie affleurent constamment sans jamais exploser vraiment. La fantaisie est finalement recouverte par la neige, par l’apparence de l’innocence. L’apparence seulement. Chaque personnage est auréolé de mystère. Resnais a compris qu’on peut dire beaucoup plus dans les silences, dans l’implicite, dans l’étrange que dans un excès de paroles, l’explicite, le didactique. Que la normalité n’est qu’un masque et un vain mot.

    Comme toujours chez Resnais les dialogues sont très et agréablement écrits. La mise en scène est particulièrement soignée : transitions magnifiquement réussies, contrastes sublimes et saisissants des couleurs chaudes et froides, jeu sur les apparences (encore elles). Rien d’étonnant à ce qu’il ait obtenu le Lion d’Argent du meilleur réalisateur à Venise.

    De la mélancolie, Alain Resnais est passé à la tristesse. De l’amour il est passé à la tendresse. Celle d’un frère et d’une sœur qui, à la fin, se retrouvent, seuls, enlacés. Sur l’écran de télévision qu’ils regardent, s’inscrit alors le mot fin. Espérons qu’elle ne préfigure pas la croyance du réalisateur en celle du cinéma, peut-être sa disparition sur le petit écran du moins. Peut-être la fin des illusions du cinéaste.

    En suivant les cœurs de ces personnages désenchantés, leurs « cœurs en hiver », Alain Resnais signe là un film particulièrement pessimiste, nostalgique, cruel parfois aussi. On en ressort tristes, nous aussi, tristes qu’il n’ait plus le cœur léger. Un film qui mérite néanmoins d’être vu. Pour ses acteurs magistraux et magistralement dirigés. Pour la voix de Claure Rich vociférant. Pour le vibrant monologue de Pierre Arditi. Pour le regard d’enfant pris en faute de Dussolier. Pour la grâce désenchantée d’Isabelle Ca

    Lien permanent Imprimer Pin it!  commentaire
  • Les ”Coeurs” en hiver d'Alain Resnais

     medium_coeurs.4.JPGLe film choral est à la mode. Alain Resnais, cinéaste emblématique de la modernité, ne suit pas les modes mais les initie, encore. Malgré le temps, sa modernité n’a pas pris une ride et de ce point de vue du haut de ses 83 ans, mais surtout du haut de ses innombrables chefs d’œuvre (Hiroshima, mon amour,  L’année dernière à Marienbad, Nuit et brouillard, On connaît la chanson, Smoking, no smoking, Je t’aime, je t’aime et tant d’autres), il reste le plus jeune des cinéastes. Coeurs est l'adaptation de Private fears in public places, une pièce de théâtre de l'auteur anglais Alain Ayckbourn dont Alain Resnais avait déjà adapté en 1993 une autre de ses oeuvres, pour en faire Smoking, No smoking. Ce film, choral donc, croise les destins de six « cœurs en hiver » dans le quartier de la Grande Bibliothèque, quartier froid, moderne et impersonnel, sous la neige du début à la fin du film. La neige, glaciale, évidemment. La neige qui incite à se presser, à ne pas voir, à ne pas se rencontrer, à fuir l’extérieur. C’est donc à l’intérieur qu’il faut chercher la chaleur. Normalement. A l’intérieur qu’on devrait se croiser donc. Alors, oui, on se croise mais on ne se rencontre pas vraiment. C’est probablement d’On connaît la chanson que se rapproche le plus ce film, en particulier pour la solitude des personnages. Le dénouement est pourtant radicalement différent et avec les années qui séparent ces deux films la légèreté s’est un peu évaporée. Ainsi, dans On connaît la chanson les personnages chantent. Là, ils déchantent plutôt. Ils sont en quête surtout. En quête de désirs. De désir de vivre, surtout, aussi. Même dans un même lieu, même ensemble, ils sont constamment séparés : par un rideau de perle, par la neige, par une séparation au plafond, par une cloison en verre, par des couleurs contrastées, par des cœurs qui ne se comprennent plus et ne battent plus à l’unisson. Non, ces cœurs-là ne bondissent plus. Ils y aspirent pourtant. Le coeur se serre plus qu’il ne bondit. A cause des amours évanouis. Des parents disparus. Du temps passé. Ils sont enfermés dans leur nostalgie, leurs regrets même si la fantaisie et la poésie affleurent constamment sans jamais exploser vraiment.  La fantaisie est finalement recouverte par la neige, par l’apparence de l’innocence. L’apparence seulement. Chaque personnage est auréolé de mystère. Resnais a compris qu’on peut dire beaucoup plus dans les silences, dans l’implicite, dans l’étrange que dans un excès de paroles, l’explicite, le didactique. Que la normalité n’est qu’un masque et un vain mot. Comme toujours chez Resnais les dialogues sont très et agréablement écrits. La mise en scène est particulièrement soignée : transitions magnifiquement réussies, contrastes sublimes et saisissants des couleurs chaudes et froides, jeu sur les apparences (encore elles). Rien d’étonnant à ce qu’il ait obtenu le Lion d’Argent du meilleur réalisateur  à Venise.  De la mélancolie, Alain Resnais est passé à la tristesse. De l’amour il est passé à la tendresse. Celle d’un frère et d’une sœur qui, à la fin, se retrouvent, seuls, enlacés. Sur l’écran de télévision qu’ils regardent, s’inscrit alors le mot fin. Espérons qu’elle ne préfigure pas la croyance du réalisateur en celle du cinéma, peut-être sa disparition sur le petit écran du moins. Peut-être la fin des illusions du cinéaste. En suivant les cœurs de ces personnages désenchantés, Alain Resnais signe là un film particulièrement pessimiste, nostalgique, cruel parfois aussi. On en ressort tristes, nous aussi, tristes qu’il n’ait plus le cœur léger. Un film qui mérite néanmoins d’être vu. Pour ses acteurs magistraux et magistralement dirigés. Pour la voix vociférante de Claure Rich. Pour le vibrant monologue de Pierre Arditi. Pour le regard d’enfant pris en faute de Dussolier. Pour la grâce désenchantée d’Isabelle Carré. Pour la fantaisie sous-jacente de Sabine Azéma. Pour l’égarement de Lambert Wilson. Pour la voix chantante de Laura Morante soudainement aussi monotone que les appartements qu’elle visite. Pour et à cause de cette tristesse qui vous envahit insidieusement et ne vous quitte plus. Pour son esthétisme si singulier, si remarquablement soigné. Pour la sublime photographie d’Eric Gautier. Pour sa modernité, oui, encore et toujours.  Parce que c’est une pierre de plus au magistral édifice qu’est l’œuvre d’Alain Resnais.

    Sandra.M                                                                         

     

    Lien permanent Imprimer Pin it!  commentaire
  • Critique de « Pater » d’Alain Cavalier avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau

    pater8.jpg

    J’étais d’autant plus impatiente de découvrir « Pater » en salles que j’avais assisté à Cannes à la conférence de presse (passionnante, et à laquelle les journalistes étaient étrangement très peu nombreux -voir résumé en bas de cet article-) et que le film y avait reçu un accueil pour le moins chaleureux (17 minutes d’applaudissements dans la salle du Grand Théâtre Lumière, sans doute, pourtant, le public le plus impitoyable et versatile qui soit).  Un succès cannois qui contraste avec le peu de salles projetant le film … et avec son caractère très iconoclaste.

    Pendant un an, le réalisateur « filmeur » Alain Cavalier et le comédien Vincent Lindon se sont vus et filmés. Le réalisateur devenu aussi acteur et l’acteur réalisateur. Et le réalisateur acteur devenant Président de la République et son acteur réalisateur son Premier Ministre. Le tout mêlant réalité et fiction, vérité et jeu. Une fiction inventée tout en filmant la vie, l’une et l’autre étant indistinctes et se contaminant. Le Président de la République et son Premier ministre décident de proposer une loi fixant l’écart maximal entre les salaires. Le Président est partisan d’un rapport de 1 à 15 alors que son Premier ministre préférerait un écart de 1 à 10. L’élection présidentielle approche, les deux hommes s’éloignent alors et finissent par se présenter l’un contre l’autre…

     Un film pour lequel Alain Cavalier a eu carte blanche de son fidèle producteur Michel Seydoux. Et sans doute ne sont-ils pas très nombreux à accepter encore ce genre de projet : hybride, hors normes, indéfinissable.

    Un film malin et agaçant, humble et prétentieux, ludique et pédant. Mais en tout cas, un film courageux, audacieux, original, libre, à l’image de son réalisateur et de son acteur principal. Déjà au moins quatre qualités à mes yeux.

    Malin parce que, en feignant l’improvisation totale, Alain Cavalier nous emmène là où il souhaite nous emmener tout comme il conduit son acteur-réalisateur-Premier-Ministre. Malin parce qu’il brouille constamment les repères, les pistes. Malin parce que, en feignant de ne rien dire, ne rien faire ou presque, il stigmatise la politique ou du moins (dé)montre à quel point elle est un jeu (de pouvoirs, d’acteurs).  Malin parce que le titre est loin d’être innocent ou anodin. Pater. Père de la nation. Relation filiale complexe qui s’établit un père et un fils.  Entre Lindon et Cavalier, hommes entre lesquels s’établit une relation presque filiale. Entre le Président et le 1er Ministre, le fils rêvant d’ailleurs de prendre la place du père. Pater. Ce père que Cavalier évoque non sans tendresse, avouant l’avoir jugé trop durement mais gommant par une opération un défaut physique qui fait qu’il lui ressemble. Enfin, Pater parce que Cavalier a été élevé chez les prêtres où Dieu était un autre Pater. Pater : une absence donc omniprésente.

    Agaçant quand il singe la politique, la décrédibilise une fois de plus comme si elle avait encore besoin de ça. Agaçant quand Lindon et Cavalier jouent à être des politiques (et jouent sous nos yeux à être des acteurs, le film se construisant sous notre regard, ou du moins feignant de se construire sous notre regard) avec une sémantique tout aussi enfantine ( comme un « malgré que » qui a écorché mes oreilles etc et un programme relevant de ce que certains qualifieront sans doute d’une enfantine utopie : retrait de la légion d'honneur à qui place son argent à l'étranger,  limitation de l'écart entre petits et gros salaires dans une même entreprise).

    Ludique quand il interroge les fonctions d’acteur et de politique et les met en parallèle. Ludique parce que finalement l’un et l’autre (acteur et politique) jouent à être quelqu’un d’autre pour convaincre. Ludique parce que c’est aussi une leçon de cinéma (la dernière scène en est particulièrement emblématique) et une leçon contre les budgets pharaoniques donnant des films vains. Ludique quand il nous devient impossible de distinguer ce qui est fiction ou réalité, ce qui est jeu ou vérité.

    Ludique et même drôle quand  Vincent Lindon parle à ses gardes du corps dans le film  se plaignant de ne pas avoir reçu de coup de fil du Président/réalisateur Cavalier pour valider son interprétation « Qu'il n'appelle pas Vincent Lindon c'est une chose, mais le Premier Ministre quand même... » ou quand une photo compromettante pour le leader de l'opposition  tombe entre ses mains.

    Humble par ses moyens de production. Prétentieux par sa forme déconcertante, son discours d’apparence simple et finalement complexe comme la relation qu’il met en scène. Prétentieux car finalement très personnel avec un discours prétendument universel.  

     L’antithèse de la « Conquête » (également en sélection officielle à Cannes mais hors compétition, contrairement à « Pater ») qui veut nous faire croire que le cinéma c’est l’imitation ; Cavalier nous dit ici au contraire que c’est plutôt recréation (et récréation). Réflexion déroutante et ludique sur le jeu et les jeux de pouvoirs (entre un Président de la République et son Premier Ministre, entre deux hommes, entre un père et son fils, entre un réalisateur et un acteur mais aussi entre un réalisateur et le spectateur ici allègrement manipulé) qui, tout de même, témoigne d’une belle audace et liberté (de plus en plus rares) mais s’adresse à des initiés tout en feignant de s’adresser à tous. Le « Pater » Cavalier ne reproduit-il pas ainsi d’une certaine manière avec le spectateur ces jeux de pouvoirs qu’il stigmatise ?  Le sous-estime-t-il, l’infantilise-t-il ou au contraire le responsabilise-t-il en lui laissant finalement l’interprétation –dans les deux sens du terme- finale ? Peut-être que trouver des réponses à ces questions vaut la peine d’aller le voir en salles. A vous de juger.

     

    Festival de Cannes 2011- Conférence de presse de « Pater » d’Alain Cavalier avec Alain Cavalier, Vincent Lindon…

    lindon2.jpg

    Il ne s'agit pas d'Eric Libiot mais bien évidemment de Vincent Lindon et Alain Cavalier...

    cant87.jpg

    C’est une des bizarreries cannoises : alors que pour la conférence de presse de « Pirate des Caraïbes » il était impossible d’entrer (c’est le cas, la plupart du temps, des conférences de presse de films américains), pour celle de « Pater » et alors que je venais simplement attendre pour la conférence suivante (celle de « La Conquête » que je vous raconterai ultérieurement), et alors que celle de « Pater » était déjà commencée, on m’a permis d'entrer dans la salle ...car quasiment vide et c’est bien dommage car cette conférence était réellement passionnante, et n’a fait qu’accroître mon envie de découvrir le film d’Alain Cavalier. Vincent Lindon s’est révélé passionné, engagé même en parlant du film, mais aussi touchant, drôle, sincère, à fleur de peau.

    Vincent Lindon a notamment parlé d’économie du cinéma, un sujet qui le passionne, rappelant que la qualité d’une scène ou d’un film n’était pas affaire de budget prenant pour exemple la scène d’ « Itinéraire d’un enfant gâté » dont tout le monde se souvient, celle du face-à-face  entre Belmondo et Anconina dans une chambre de bonne et au cours de laquelle il lui apprend à ne pas être surpris, ou celle de Titanic « avec la buée sur la vitre », des films qui ont coûté très chers et dont les scènes les plus mémorables sont les moins coûteuses.

    Vincent Lindon a déclaré que c’était la première fois qu’il voyait le film sur grand écran : « Tous les gens attendaient un OVNI. On confond bizarre avec chiant » a-t-il dit.

    « On ne faisait qu’une prise et si elle ne fonctionnait pas, elle n’était pas dans le film ».

    Cavalier : « On prenait la caméra et on continuait une sorte de conversation. »

    Vincent Lindon a également révélé avoir été très touché par l’accueil dans le Grand Théâtre Lumière (le film le plus applaudi de cette sélection 2011 ) : « Cela faisait 25 ans que j’attendais ce moment, ce n’était pas un bon accueil mais un accueil incroyable. » « Je l’aurai en souvenir toute ma vie. » « On prenait la caméra et on continuait une sorte de conversation. »  « J’adore qu’on m’aime, j’adore qu’on aime ce que je fais quand j’aime autant ce que je fais. » Quant à Cavalier : « Le fait d’être aimé régulièrement dans la vie n’est pas mon problème. » Concernant les artistes, d’après Cavalier : « On ne s’aime pas tellement que ça et on s’abrite derrière ce qu’on fait. »

    Pour Cavalier, concernant les citations du film se rapprochant de citations réelles : « Je sais tout sur ceux qui ont le pouvoir mais c’est moi qui avais le pouvoir. Les citations étaient inconscientes. »

    Pour Vincent Lindon : « On passe son temps à vouloir plaire ou déplaire à son papa ou sa maman, toujours en réaction ».

    Pour lui ce film a changé son regard sur son métier : «  Je crois que, Alain, est en train de m’influencer sur une chose et une idée est en train de naitre » se déclarant las de tout ce qui précède habituellement le tournage (attente, maquillage, répétitions…), ce qui n’était pas le cas pour « Pater ». « Je pense que j’arrêterai ce métier plus tôt que prévu car je n’ai pas envie de devenir un vieil acteur. C’est ça qui a changé chez moi, je ne prends rien au sérieux, tout au tragique ».

    Sur ces paroles péremptoires et finalement très justes me rappelant la devise crétoise « tout est grave, rien n’est sérieux », je vous laisse pour partir vers de nouvelles aventures …un peu frustrée de ne pas avoir le temps de vous en raconter davantage…

    Lien permanent Imprimer Pin it!  commentaire
  • Critique – Téléfilm – ALIAS CARACALLA, AU CŒUR DE LA RESISTANCE, réalisé par Alain Tasma

    caracalla.jpg

    En 1969, Jean-Pierre Melville réalisait « L’armée des ombres », un chef d’œuvre qui donnait de la Résistance une image inédite, celle d’une Résistance démythifiée, dans un film à la mise en scène épurée, au scénario ciselé dans lequel le Résistant était l’emblème paroxystique de la solitude de l’anti-héro melvillien (vous pouvez en retrouver mon analyse détaillée, ici). Fin Mai, France 3 diffusait « Alias Caracalla, au cœur de la Résistance », un téléfilm en deux parties réalisé par Alain Tasma écrit par Raphaëlle Valbrune, Daniel Cordier et Georges-Marc Benamou d’après le livre de Daniel Cordier (Editions Gallimard, 2009) intitulé  « Alias Caracalla ». C’est avec beaucoup trop de retard que je vous parle de cette fiction de France Télévisions diffusée fin Mai et que j’avais eu le plaisir de voir en avant-première au cinéma l'Arlequin mais, néanmoins le DVD est disponible à la vente si vous voulez vous rattraper et découvrir cette fiction de qualité.

    Daniel (Jules Sadoughi) a 20 ans. C’est un jeune homme fougueux, "royaliste, maurrassien et antisémite". Il est révulsé par l’Armistice. La trahison de Pétain – en qui il croyait tant- est un choc pour lui! Il veut partir se battre et, avec quelques copains, arrive en Angleterre presque par hasard. Là, il s’enrôle vite auprès d’un Général inconnu : De Gaulle. L’armée du chef ne compte alors que quelques centaines de gamins… C’est la naissance d’une incroyable épopée : la "France libre", et le début de l’évolution intellectuelle et républicaine de ce jeune fanatique. De retour dans une France occupée, la " vraie " Résistance va enfin pouvoir commencer. Le hasard (et le désordre qui règne dans la Résistance) vont faire du jeune Daniel un témoin incroyablement privilégié de l’Histoire. A Lyon, il rencontre un dénommé Rex (Eric Caravaca) dont il devient le secrétaire. Ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’il découvrira que Rex n’était autre que… Jean Moulin.

    Le téléfilm commence le 17 juin 1940. Daniel Cordier vend l’Action française en criant « La jeunesse ne peut que soutenir Pétain »,  «Dans quelques jours, vous ferez moins les malins, le Maréchal vous fera tous mettre en taule, vous et toute votre clique de juifs et de métèques.» Un personnage de prime abord pour le moins antipathique...et pourtant… et pourtant c’est ce même personnage qui, deux ans plus tard, sera devenu le secrétaire de Jean Moulin après être passé par Londres aux côtés du Général de Gaulle. C’est ce même jeune homme qui s’engagera avec fougue et passion dans la Résistance, avec la même ténacité que celle avec laquelle il défendait au départ Pétain.

    Ce téléfilm est passionnant à plus d’un titre, d’abord parce que c’est un véritable récit d’apprentissage (basé sur des faits réels, les mémoires de Daniel Cordier) et qu’il montre une passionnante évolution intellectuelle, celle d’un jeune homme antisémite qui comprendra son « erreur » et s’engagera dans la Résistance même s’il lui faudra du temps pour « renier » ses idées de jeunesse. Une scène à laquelle il assiste, d’un grand-père et son petit-fils ne pouvant aller au Parc Monceau « interdit au juif » lui feront comprendre, enfin. Aujourd’hui encore, Daniel Cordier dit avoir honte d’avoir pu être antisémite. C’est justement cette évolution du personnage, dénuée de manichéisme, qui est passionnante, en partie grâce à la maturité du jeu du jeune Jules Sadoughi (lycéen qui suit une formation dans une école de cirque) dont j’ai été surprise de découvrir qu’il n’avait que 17 ans. Il interprète avec une force et une conviction surprenantes la fougueuse détermination et le courage du jeune Résistant. Au contact de celui dont il découvrira après sa mort qu’il était Jean Moulin, et dont les idées sont opposées aux siennes, il va ainsi évoluer, grandir, ouvrir les yeux. Eric Caravaca est également impressionnant dans le rôle de Jean Moulin, à la fois posé et imposant, calme et déterminé. On ne saura jamais vraiment pourquoi il choisira ce jeune homme dont il aurait dû au contraire se méfier…mais ce choix étonnant contribue au portrait de cet homme complexe que dessine également le téléfilm.

    Grâce à une réalisation nerveuse et sobre, le téléfilm montre la solitude de ces hommes qui s’engageaient, souvent très jeunes, la peur omniprésente, mais l’envie de résister plus encore. Les soldats allemands ne sont quasiment jamais visibles mais la menace est là, constante, et n’en est même que plus oppressante. Le téléfilm ne donne pas de la Résistance une image d’un mouvement invincible composé de héros irréprochables. Il montre au contraire des hommes avec tout ce que cela implique de failles et de faiblesses qui parfois, souvent, n’étaient pas d’accord et il montre quel combat fut la création du Conseil National de la Résistance, le 27 Mai 1943, grâce aux efforts acharnés de Jean Moulin pour unifier les différents mouvements de Résistance, souvent en désaccord, ou sujets à des batatailles d’egos des dirigeants des différents mouvements qui souvent s’opposaient à Jean Moulin.  Il montre aussi à quel point la distribution des fonds venus de Londres était une lutte quotidienne, qu’il fallait parfois risquer sa vie pour de « simples » tâches administratives. « Alias Caracalla » ne dresse pas le portrait d’une Résistance de légende  mais montre la Résistance au quotidien, avec ses moyens parfois dérisoires, ce qui n’en est que plus passionnant.

    Après-guerre,  Daniel Cordier est devenu un important marchand d’art et collectionner. Il a offert au Centre Pompidou plus de 500 œuvres, soit la plus grosse donation d’art jamais perçue par l’Etat français. Vous comprendrez comment Jean Moulin, lui-même grand amateur d’art, a fait naitre cette passion.

    Je suis un peu lasse de ce dénigrement systématique des fictions françaises (un jour il faudra qu’on m’explique l’intérêt des « Experts » par exemple dont les ressorts démagogiques m’ont toujours consternée) et je vous encourage vraiment à découvrir cette fiction instructive et de qualité qui apporte un nouvel éclairage sur la Résistance, certes pas exhaustif (on regrette parfois de ne pas en savoir plus sur d’autres Résistants dont le portrait n’est qu’esquissé), mais qui m’a donné envie de me documenter et de lire l’ouvrage de Daniel Cordier. Et si ce récit nous parle d’une Résistance passée, il a évidemment des échos avec l’actualité, cette notion étant plus que jamais d’actualité… A signaler également, aux côtés de Jules Sadoughi et Eric Caravaca, une distribution réussie et impressionnante avec Julie Gayet, Louis-Do de Lencquesaing, Laurent Stocker, Grégory Gadebois, Thierry Hancisse, Lou de Laâge, François Loriquet, Géraldine Martineau…

     

    Lien permanent Imprimer Pin it!  commentaire
  • Le deuxième souffle : Alain Corneau insuffle un « nouveau » souffle au cinéma policier

    2b4a7807aaa832423e836d06f1179277.jpg

    Le deuxième souffle. De vie. De liberté. Celui de Gustave Minda (dit Gu), interprété par Daniel Auteuil, condamné à la prison à vie pour grand banditisme, qui parvient à s’évader. Traqué par la police, il prévoit de s’enfuir à l’étranger avec Manouche (Monica Bellucci) la femme qu’il l’aime, qui l’aime. Pour financer leur départ, il accepte de participer à un braquage, normalement le dernier…

    Quel défi de réaliser une nouvelle adaptation du roman de José Giovanni, quarante et un an après celle de Jean-Pierre Melville, le maître du polar à la française. Quel défi pour Daniel Auteuil, Michel Blanc, Monica Bellucci, Eric Cantona, Jacques Dutronc de succéder à Lino Ventura, Paul Meurisse, Christine Fabréga, Michel Constantin, Pierre Zimmer…

    La comparaison est inéluctable. Dès le début Alain Corneau impose un nouveau style, se distingue de la première adaptation : par l’utilisation du ralenti, par le recours aux couleurs vives, magnétiques, poétiques, hypnotiques, fascinantes. Dès le début aussi, Alain Corneau nous replonge dans les codes des polars des années 60 : code d’honneur, borsalinos, silhouettes inimitables et gémellaires de flics et voyous, gueules « d’atmosphère »  jouant et se déjouant à la fois de la nostalgie des  films de ces années-là.

     D’abord on tâtonne, on peine à entrer dans cet univers théâtral, théâtralisé, coloré, grandiloquent, connu et inconnu, égarés entre nos repères du cinéma d’hier et ceux du cinéma d’aujourd’hui et, pourtant, peu à peu on se fond dans cet univers hybride et étrange : cet univers de rouge et vert clinquant, cet univers où chaque acteur judicieusement choisi incarne magnifiquement une typologie de personnage du film noir (Jacques Dutronc, le dandy, d’une sobriété et justesse irréprochables,  Nicolas Duvauchelle, le petit truand arrogant d’une insolence parfaitement dosée, Gilbert Melki, le tenancier à la gâchette facile et à la respectabilité douteuse etc) cet univers où Jean-Pierre Melville rencontre John Woo, Johnnie To et Wong Kar Waï (sublime photographie d’inspiration asiatique d’Yves Angelo), en embarquant Tarantino au passage, en chorégraphiant et stylisant  la violence. Un mélange détonant. De cinéma d’hier et d’aujourd’hui. De codes classiques (narratifs, de choix des acteurs, que Corneau avait d’ailleurs porté à leur paroxysme dans le très melvillien « Police python 357 ») et d’une esthétique moderne. Des codes du film noir, français et américain, des années 60 et ceux du film policier asiatique des années 2000.

     Il n’y a pas vraiment de suspense, le souffle est ici tragique et on sait qu’il n’en restera que de la poussière. Non, l’intérêt se situe ailleurs.  Dans la fragilité qui affleure de l’inspecteur Blot, interprété par Michel Blanc dont l’interprétation bluffante et nuancée rappelle celle de l’acteur dans "Monsieur Hire", qui nous fait aussi penser à Bourvil dans « Le cercle rouge », qui dans un plan séquence du début d’emblée s’impose et impose un personnage. Magistralement. Dans la droiture morale de Gu, Daniel Auteuil à la fois nous fait oublier Ventura et nous le rappelle dans un mimétisme physique sidérant.

     Entre Pigalle en vert et rouge et Marseille en couleur ocre on se laisse peu à peu embarquer dans ce deuxième souffle, ces personnages s’humanisent malgré l’inhumanité de leurs actes, et nous prenons fait et cause pour Gu, aussi fascinés que celui qui le traque, par cet homme obsédé et guidé par son sens sacré de l’honneur.

    Alors oui, parfois on ne comprend pas ce que disent Monica Bellucci, l’incontournable femme fatale du film noir (une actrice comme Emmanuelle Béart n’aurait-elle pas mieux convenu ?) ou Eric Cantona (qui disparaît d’ailleurs mystérieusement du scénario dans la seconde partie du film). Alors oui, on repense au chef d’œuvre de Melville, si hiératique, si implicite, là où celui de Corneau est si bavard au point parfois de ne pas sonner juste… mais voilà la nostalgie du cinéma d’hier qu’il nous rappelle malgré tout l’emporte finalement, surtout qu’Alain Corneau donne en même temps un nouveau souffle, lyrique, au roman noir de  José Giovanni, lui insufflant  aussi de la poésie, de la modernité, sa modernité.

     Avec "Gangsters" et "36 Quai des Orfèvres" Olivier Marshall avait inventé le polar français des années 2000,  Alain Corneau, lui, a le courage et l’audace cinématographique de lui donner un deuxième souffle, stylisé, déroutant mais progressivement envoûtant, en s’inspirant de son premier : celui, inégalable, du cinéma français des années 60 et 70.

     Avec cet exercice de style surprenant et néanmoins réussi, Alain Corneau prouve une  nouvelle fois l’étendue de sa palette dans de nombreux genres ( de « Tous les matins du monde » à « Stupeur et tremblements », de « La menace » à « Fort Saganne », en passant par « Le choix des armes ») mais surtout dans le genre dans lequel il excelle, le cinéma policier, un genre dont le cinéma français  qui l’a pourtant porté au plus haut est malheureusement avare et dans lequel il est désormais mal à l’aise, sans doute impressionné par son prestigieux passé, et maladroit. Merci M.Corneau pour cette madeleine de Proust. Savoureuse... quoiqu’on en dise.

    Sandra.M

  • Rencontre-débat avec Alain Cavalier le mardi 29 novembre

    medium_camera_subjective.jpgChaque mois, les étudiants du Master 2 professionnel cinéma (scénario, réalisation, production) de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne organisent des rencontres-débats avec des personnalités du septième art, autour d'un même thème, à savoir "les films à petit budget: contraintes ou libertés de création".

     Le premier invité de ces rencontres sera Alain Cavalier, le mardi 29 novembre, de 19H à 21H. (voir renseignements pratiques sur l'affiche ci-dessus)

    D'autres invités sont d'ores et déjà annoncés  notamment Claude Miller et Pierre Chevalier  le 6 décembre mais également Claude Chabrol, Gaspard Noé, Edouard Baer... Plus d'informations prochainement.

    Par ailleurs, vous pouvez retrouver ma critique du Filmeur dans la rubrique "Critiques des films à l'affiche".

    Sandra Mézière

    Lien permanent Imprimer Pin it!  commentaire