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« Mademoiselle Chambon » de Stéphane Brizé avec Sandrine Kiberlain, Vincent Lindon, Aure Atika…

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Cela pourrait se résumer en une phrase : Jean (Vincent Lindon), maçon, bon mari et père de famille, croise la route de la maîtresse d'école de son fils, Mademoiselle Chambon (Sandrine Kiberlain) ;  leurs sentiments réciproques vont s'imposer à eux. Enfin non, justement, cela ne se résume pas en une phrase parce que tout ce qui importe ici réside ailleurs que dans les mots, même si ce film est inspiré de ceux du roman d'Eric Holder.

Les mots sont impuissants à exprimer cette indicible évidence. Celle d'un regard qui affronte, esquive, tremble, vacille imperceptiblement. Celle d'une lèvre dont un rictus trahit un trouble ou une blessure. Celle d'une rencontre improbable mais impérieuse. Entre un homme qui ne sait pas manier les mots (la preuve, c'est son fils qui lui apprend ce qu'est le complément d'objet direct) et vit du travail de ses mains et une femme dont c'est le métier que de manier les mots, les apprendre. Lui construit des maisons, elle déménage sans cesse. Lui est ancré dans la terre, elle est évanescente. Il a un prénom, elle est avant tout mademoiselle. Lui a un lien douloureux et charnel avec son père, ses parents à elle ne lui parlent que par téléphone interposé et pour lui faire l'éloge de sa sœur. Et pourtant, et justement : l'évidence.  La musique va alors devenir le langage qui va cristalliser leurs émotions, et les sanglots longs des violons (pas de l'automne, comme ceux de Verlaine, mais ici du printemps, avec une langueur plus mélancolique que monotone) exprimer la violence de leurs irrépressibles sentiments.

Comme dans le magnifique « Je ne suis pas là pour être aimé »,  on retrouve cette tendre cruauté et cette description de la province, glaciale et intemporelle. Ces douloureux silences. Cette sensualité dans les gestes chorégraphiés, déterminés et maladroits. Cette révolte contre la lancinance de l'existence. Et ce choix face au destin. Cruel. Courageux ou lâche. (Magnifique scène de la gare dont la tension exprime le combat entre ces deux notions, la vérité étant finalement, sans doute, au-delà, et par un astucieux montage, Stéphane Brizé en exprime toute l'ambivalence, sans jamais juger ses personnages...). On retrouve aussi cet humour caustique et cette mélancolie grave, notamment dans la scène des pompes funèbres qui résume toute la tendresse et la douleur sourdes d'une existence et qui fait écho à celle de la maison de retraite dans « Je ne suis pas là pour être aimé. »

 Mais ce film ne serait pas ce petit bijou de délicatesse sans l'incroyable présence de ses acteurs principaux, Vincent Lindon (récemment déjà magistral dans "Welcome" et "Pour elle") d'abord, encore une fois phénoménal, aussi crédible en maçon ici qu'en avocat ailleurs. Son mélange de force et de fragilité, de certitudes et de fêlures, sa façon maladroite et presque animale de marcher, de manier les mots, avec parcimonie, sa manière gauche de tourner les pages ou la manière dont son dos même se courbe et s'impose, dont son regard évite ou affronte : tout en lui nous faisant oublier l'acteur pour nous mettre face à l'évidence de ce personnage.  Et puis Sandrine Kiberlain, rayonnante, lumineuse, mais blessée qui parvient à faire passer l'émotion sans jamais la forcer. Aure Atika, qui interprète ici l'épouse de Vincent Lindon, est, quant à elle, absolument méconnaissable, et d'une sobriété remarquable et étonnante. Sans doute faut-il aussi une direction d'acteurs d'une précision, d'une sensibilité rares pour arriver à une telle impression d'évidence et de perfection ( la preuve, les seconds rôles sont d'ailleurs tout aussi parfaits).

Une histoire simple sur des gens simples que Stéphane Brizé (avec la complicité de Florence Vignon, déjà co-scénariste du très beau « Le bleu des villes ») compose avec dignité  dans un film épuré, sensible qui fait de ses personnages des héros du quotidien emprisonnés dans un fier et douloureux silence (résumé par le dernier plan d'une belle luminosité derrière les barreaux d'une fenêtre ). Un film qui, encore une fois, rappelle le cinéma de Claude Sautet (notamment par l'utilisation du violon et de la musique comme éléments cristallisateurs qui rappellent « Un cœur en hiver » mais aussi par la sublimation d'une « histoire simple ») qui, tout en « faisant aimer la vie » et la poésie des silences, en souligne toute la quotidienne et silencieuse beauté, cruelle et dévastatrice.

 Un film, vous l'aurez compris, vivement recommandé par Inthemoodforcinema.com .

Commentaires

  • j'hésite. Les critiques sont unanimes mais les blogs moins.

  • @Valérie: Dans ce cas, le mieux, je pense, est de ne se fier, ni aux critiques ni aux blogs et de vous faire votre propre opinion. N'hésitez pas à me dire ensuite ce que vous en avez pensé.

  • Bonjour,

    Vous pourriez nous en dire plus sur les seconds rôles? Aure Atika, Bruno Lochet par exemple... j'aime beaucoup les films de S. Brizé, mais je dois avouer que je suis un peu déçue par le tappage médiatique que l'on fait sur le couple Lindon-Kiberlain... on parle extrêmement peu des autres, curieusement. Aure Atika a un temps de présence assez important dans le film non?

    Je ne peux pas encore voir Mademoiselle Chambon pour l'instant, il va passer dans mon pays, mais il va me falloir attendre un peu...

  • @ art-scène: On parle autant de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain parce que le film repose sur leurs épaules et qu'ils en sont les principaux atouts! Quant aux rôles secondaires, j'ai justement signalé dans l'article à quel point Aure Atika y était étonnamment juste, je l'ai découverte dans ce rôle, tout en sobriété.

  • J'ai adoré... Mon film français préféré de l'année est "Partir" et je trouve que "Mlle Chambon" est pas loin de son niveau. Des personnages touchants que les acteurs ne caricaturent pas, des personnages bien écrits qui ne sont pas comme d'habitude des bourgeois... Seuls petits bémols les scènes inutilement longues et bavardes qui au final apportent peu à l'histoire. Gros bon point à Aure Atika qui malgré le rôle le plus ingrat est peut-être celui qui nous touche le plus.

  • @selenie: "Melle Chambon" fait aussi partie de mon top 5 français de cette année avec "Je l'aimais" et "Un Prophète", dans un style très différent pour le second évidemment!:-) C'est vrai que les scènes de silence sont finalement les plus belles et c'est vrai aussi qu'Aure Atika est ici particulièrement touchante, sans fards...

  • Aurais-tu pensé à moi en publiant ton "In the mood for cinéma express" ???

    MDPTDRLOL.

  • @ Pascale: Pour le coeur? Je vous laisse batailler toutes les deux désormais.:-) On ne pourra pas dire que tu n'as pas mené de campagne! Ne manque plus que le tshirt surlarouteophile...

  • Je parlais de TON blog it express où tu dis que "Mademoiselle Chambon" est de...
    Pascale
    Brizé...
    tu avais tellement peur que je ne l'aime pas ???

    Et effectivement je n'ai pas aimé. C'est sans coeur et sans vie ce film...
    d'amour !!!

    Par contre Vincent : un sans faute comme d'habitude !

  • @ Pascale: Ah! Ah! Je n'avais pas vu! Bah oui je devais pressentir que tu n'aimerais pas, et je me disais que si ton prénom était le même que celui du réalisateur, tu aurais un peu plus d'indulgence...mais c'est apparemment raté... Sans coeur? Tu en as trop mis sur ton blog alors tu ne vois plus quand il n'est pas rouge clignotant! Oh la la, je redoute le pire pour la critique!

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