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  • Critique - LE COMBAT D’ALICE de Thierry Binisti (fiction télévisée – en replay sur France.tv)

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    Cette fiction télévisée qui devait être diffusée en mars sur France Télévisions, dont la programmation a été annulée pour cause d'actualité, est disponible en replay sur France TV, ici. Une nouvelle date de diffusion sera bientôt annoncée. Je vous la communiquerai.

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    J’ai souvent évoqué ici les fictions de Thierry Binisti dont j’avais découvert l’univers avec le mémorable Une bouteille à la mer, au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz dans le cadre duquel il fut primé du Prix du meilleur film en 2011. Ce film était une adaptation du roman de Valérie Zenatti Une bouteille à la mer de Gaza, l’histoire de Tal (Agathe Bonitzer), une jeune Française de 17 ans installée à Jérusalem avec sa famille, qui, après l’explosion d’un kamikaze dans un café de son quartier, écrit une lettre à un Palestinien imaginaire dans laquelle elle exprime ses interrogations et son refus d’admettre que seule la haine puisse régner entre les deux peuples.

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    J’avais ensuite été totalement embarquée par son docu-fiction Louis XV, le soleil noir qu’il avait réalisé pour France 2, un divertissement pédagogique passionnant, de très grande qualité, aussi bien dans le fond que dans la forme, une immersion dans les allées tumultueuses de Versailles et dans les mystérieux murmures de l'Histoire, dans le bouillonnant siècle des Lumières et dans la personnalité tourmentée de Louis XV. Les similitudes entre ce téléfilm et Une bouteille à la mer étaient d’ailleurs assez nombreuses : Versailles, une prison (certes dorée) pour Louis XV comme pouvait l’être Gaza pour Naïm, un portrait nuancé de Louis XV comme l’étaient ceux de Naïm et Tal, une combinaison astucieuse entre fiction et documentaire.

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    Tout comme le docu-fiction évoqué ci-dessus, Une bouteille à la mer ne laissait pas de place à l’approximation, avec un scénario particulièrement documenté. Ces deux voix qui se répondent, à la fois proches et parfois si lointaines, se font écho, s’entrechoquent, se confrontent et donnent un ton singulier au film, grâce à une écriture ciselée et précise, et sont ainsi le reflet de ces deux mondes si proches et si lointains qui se parlent, si rarement, sans s’entendre et se comprendre. Thierry Binisti ne tombe jamais dans l’angélisme ni la diabolisation de l’un ou l’autre côté du « mur ». Il montre au contraire Palestiniens et Israéliens, par les voix de Tal et Naïm, si différents mais si semblables dans leurs craintes et leurs aspirations, et dans l’absurdité de ce qu’ils vivent. Il nous fait tour à tour épouser le point de vue de l’un puis de l’autre, leurs révoltes, leurs peurs, leurs désirs finalement communs, au-delà de leurs différences, si bien que nous leur donnons tour à tour raison. Leurs conflits intérieurs mais aussi au sein de leurs propres familles sont alors la métaphore des conflits extérieurs qui, paradoxalement, les rapprochent.

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    Nous retrouvions aussi ces qualités dans son troisième long-métrage pour le cinéma, Le Prix du passage, là aussi très documenté, notamment grâce à l’expérience de la scénariste Sophie Gueydon qui a travaillé avec des associations à Paris puis à Calais, et noué des liens avec les migrants rencontrés alors. Avec Pierre Chosson, elle a écrit un scénario puissant dénué de manichéisme. Là aussi, il s’agit de la rencontre entre deux mondes qui n’auraient jamais dû se côtoyer, qui vont s’enrichir l’un l’autre. Là aussi il s’agit de partir de l’intime pour parler du politique. Là aussi, il s’agit de deux personnages forts. Là aussi il s’agit de désirs (d’ailleurs) qui vont éclore. Cette histoire singulière dont le rythme ne faiblit jamais, le montage mettant ainsi en exergue le sentiment d'urgence et de risque constants qui étreint les deux protagonistes, donne une incarnation à une situation plus universelle, celle des migrants qui, au péril de leur vie, fuient et bravent tous les dangers pour se donner une chance d'un avenir meilleur. Ce film riche de ses nuances nous donne aussi envie, comme la protagoniste, de prendre conscience de la préciosité de notre liberté, et d’en savourer chaque seconde… Un film nuancé et palpitant dont on ressort le cœur empli du souvenir revigorant et rassérénant de ce plan d'un horizon ensoleillé mais aussi du souvenir de ces deux magnifiques personnages, deux combattants de la vie qui s'enrichissent de la confrontation de leurs différences.

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    Plus récemment, avec Le prochain voyage, fiction télévisée au tournage de laquelle j’avais eu le grand plaisir d’assister, Thierry Binisti s’attelait cette fois au sujet si délicat de la fin de vie. Le film était paradoxalement irradié de lumière, et avant tout empreint de tendresse, de douceur, de notes vibrantes de jazz, de la beauté toujours flamboyante de Line Renaud (radieuse, espiègle, si juste) et du charme de Jean Sorel (Belle de jour, La ronde…), de la touchante histoire d’amour de leurs personnages. Un film qui faisait avant tout l’éloge de la vie (de la beauté de « La structure d'une marguerite ou d'un flocon de neige, des lumières d'un coucher de soleil, du vol d'un albatros, de la voie lactée » ou encore de celle d’un couple d’employés de l’hôtel qui incarne la fugacité incandescente de la jeunesse), et de la liberté. Un film d’une infinie pudeur, sans pathos, porté par des comédiens remarquables.

    Des qualités que l’on retrouve dans cette dernière fiction de Thierry Binisti intitulée Le combat d’Alice (dont le titre initial était Le Sanctuaire), une adaptation de 8865, le livre de Dominique Legrand publié aux éditions Hugo Publishing en 2020. Le tournage a eu lieu en 2024 en Auvergne-Rhône-Alpes, dans les départements du Rhône (Chaussan, Lyon, Messmy, Meyzeu, Mornant, Saint-Martin-en-Haut, Thurins, Yzeron) et de l’Ain (Miribel). Le livre avait marqué le scénariste Mikael Ollivier, qui eut l'idée de cette adaptation, qu’il suggéra au producteur Pierre Sportolaro. Le film a été projeté en compétition officielle au Festival de la Fiction de la Rochelle 2024 et hors compétition au Luchon Festival 2025.

    Récemment, deux films remarquables évoquaient des sujets liés au militantisme écologique. Le premier était Goliath de Frédéric Tellier en 2022. Nombreux sont évidemment les films engagés ou les films qui évoquent le combat de David contre Goliath. Ceux de Costa-Gavras, Loach, Boisset, Varda ou des films comme L’affaire Pélican de Pakula ou Effets secondaires de Soderbergh. Et s’il existe de nombreux documentaires sur ce sujet des pesticides, c’était à ma connaissance la première fiction à l’évoquer ainsi, et à l’évoquer avec autant de force. Et Les algues vertes de Pierre Jolivet, un magnifique portrait d’héroïne contemporaine, mais surtout un film engagé, militant même, qui pour autant n’oublie jamais le spectateur, et d’être une fiction, certes particulièrement documentée et instructive mais qui s’avère captivante et prenante de la première à la dernière seconde, tout en décrivant avec beaucoup d’humanité et subtilité un scandale sanitaire et toutes les réalités sociales qu’il implique. Ajoutez à cela la subtile musique originale d’Adrien Jolivet et vous obtiendrez un film marquant à la hauteur du sujet, des victimes d’hier et des personnes qui pourraient en être demain, qui rend aussi un vibrant hommage à la beauté renversante de la Bretagne.

    Dans Le combat d'Alice, c’est à une autre réalité révoltante que s’intéresse Alice, 16 ans (Lucy Loste Berset) qui a perdu sa mère deux ans auparavant. Depuis lors, elle vit seule avec son père, Joscelin (Nicolas Gob). L’un et l’autre affrontent cette épreuve du mieux qu’ils le peuvent, chacun dans leur « bulle », le père d’Alice en se consacrant entièrement à son travail. Quant à Alice, elle est exclue quelques jours de son lycée après s’y être battue avec une autre élève. Son père l’envoie à la campagne, chez ses grands-parents paternels, maraîchers (Luce Mouchel et Pasquale d’Inca). Là elle se prend d’affection pour Vidocq, un veau tout juste né, promis à l’abattoir par son éleveuse Isabelle (Carole Bianic) qui se bat pour rouvrir un abattoir intercommunal pour « accompagner les bêtes de la naissance à la mort, ne pas renoncer au circuit court ». Elle rencontre aussi Lola (Léonie Dahan-Lamort), une jeune militante écologiste et végane avec qui elle se lie d’amitié. Prête à tout pour sauver le veau, Alice se rapproche d’un groupe de militants et s’engage avec la passion et l’excès de son âge. Alice va alors prendre conscience de la maltraitance animale, devenir végétarienne et se rapprocher alors d’un mouvement de désobéissance civile

    L’histoire débute dans un cimetière lyonnais. Toute sa famille attend Alice pour ce jour anniversaire de la mort de sa mère. En vain. Son père appelle le lycée et apprend que sa fille s’est battue. D’emblée, le film est placé sous le sceau du deuil, thème qu’il traite avec beaucoup de sensibilité. Avant tout, Alice cherche en effet à surmonter la mort de sa mère. Elle va s’attacher à ce petit veau qu’elle surnomme « Vidocq » ou plutôt « VieDoc ». Cette mort-là, elle peut encore l’empêcher pour faire triompher la vie, et cela va devenir pour elle un combat viscéral, vital.

    Nicolas Gob interprète avec beaucoup de nuances ce père désarçonné, dépassé par le mutisme, la virulence, le désarroi, la révolte, l’impertinence de sa fille campée magistralement et avec intensité par Lucy Loste Berset.  La communication entre eux est devenue impossible, trop de non-dits les éloignent l’un de l’autre. Ils sont pourtant aussi perdus et en colère l’un que l’autre.

    Le scénario de Mikaël Ollivier et le montage de Julien Beray, par leur subtilité et des ellipses judicieuses, font honneur à la complexité de la jeune fille (les émois et les élans de l’adolescence sont évoqués en filigrane, sans jamais en devenir les clichés) mais aussi à celle du sujet de l’abattage des animaux. Les images des abattoirs sont plus suggérées (par les réactions qu’elles suscitent) que réellement montrées (nous en voyons bien suffisamment pour que nous comprenions le dégoût d’Alice), le propos n’en a ainsi que plus de force. Le film n’élude pas les difficultés que rencontrent les éleveurs tandis que le fils de l’éleveuse donne un prénom à son steak, ce qui humanise les deux discours. Et comment donner tort à Alice quand, avec toute l’innocence, la rage poignante, et les excès de son âge, elle dit : « Tu crois vraiment qu'il y a une bonne façon de tuer un animal ,de supprimer une vie » ?

    Une fois de plus, dans le cinéma de Thierry Binisti, intime et sujet politique s’entrelacent brillamment. Ce film se place à hauteur de ses personnages, et n’est jamais sentencieux. Il évite l’écueil du manichéisme. Et l’émotion s’empare du spectateur à de nombreuses reprises. La douleur indicible de cette jeune fille qui a perdu sa mère et qui met toute sa souffrance dans son combat contre celle qu’on veut infliger à ce veau est aussi bouleversante que le désarroi de ce père face à la plaie béante de sa fille qu’il se sent incapable de soigner. Leur incapacité à communiquer donne lieu à des scènes particulièrement fortes, d’une rare intensité. Et les moments de tendresse entre le père et la fille n’en sont que plus bouleversants, quand il lui dit qu’elle a un « aussi joli sourire » que sa maman ou qu’ils auraient « pu faire un voyage tous les deux en Sicile, l’endroit où on avait fait notre voyage de noces avec maman, elle rêvait de te le faire découvrir. » L’émotion est toujours subtilement amenée, comme lorsqu’Alice dit à son amie Lola que sa mère est morte.

    La magnifique musique originale d’Olly Gorman permet d’apporter un peu de légèreté et de douceur, et rappelle l’amour qui sous-tend les relations du père et de la fille malgré l’âpreté apparente de leurs échanges. La musique se fait aussi plus douce quand Alice est en compagnie des animaux, plus apaisée, accompagnant certains plans qui relèvent du conte comme lorsque le veau s’échappe, boit l’eau d’un étang qui resplendit sous la pleine lune et part seul, libre.

    Je vous recommande vivement cette fiction sur les combats d’Alice pour et vers la vie, qui ne contient aucune scène superflue, qui insinue constamment de l’émotion sans jamais la forcer, qui traite avec nuances, humanité, pudeur, sensibilité et subtilité du deuil et de notre relation à la vie et forcément à la mort, qu’elle soit humaine ou animale. L’histoire d’une double libération (d’un animal mais aussi d’une jeune fille et de son père, emprisonnés dans leurs rancœurs, leurs non-dits, et surtout leurs douleurs), d’un éveil (au militantisme) et d’un retour à la vie. Il n’est jamais trop tard pour panser les blessures les plus ineffables, et pour réparer les liens brisés : ce film le raconte magnifiquement.

    Le mercredi 14 mai à 21h10, ne manquez pas non plus la dernière réalisation de Thierry Binisti, Les ailes collées, une fiction adaptée du roman de Sophie de Baere publié en 2022 chez JC Lattès.

  • Critique de TU NE TUERAS POINT de Leslie Gwinner (sur France 2, le 3 avril, à 21h10)

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    Il y a quelques mois, je vous recommandais la fiction Le prochain voyage, diffusée sur France 2, suivie d'un débat présenté par Julian Bugier destiné à aborder et comprendre les questions cruciales autour de la fin de vie. L’histoire de la rencontre d’une vie qui éclaire « le prochain voyage »,  l'ultime aussi, une plongée dans le néant paradoxalement irradiée de lumière, empreinte de douceur, de notes vibrantes de jazz, de la beauté toujours flamboyante de Line Renaud, un éloge, a priori paradoxal, de la vie, et de la liberté. Le service public jouait pleinement son rôle, la fiction permettant de susciter l’empathie et les questionnements du téléspectateur, de lui laisser une empreinte mémorielle, en fictionnalisant une situation, en donnant corps à un sujet qui peut-être n’était pour lui alors qu’abstrait et lointain.

    Ce sera à nouveau le cas ce 3 avril, à 21h10, le lendemain de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme avec la diffusion sur France 2 d’une nouvelle « Soirée continue », avec la fiction Tu ne tueras point, réalisée par Leslie Gwinner (avec notamment Samuel Le Bihan, Natacha Régnier, Martine Chevallier, Daniel Benoin, Christophe Kourotchkine, Thomas Cousseau...), également suivie d’un débat présenté par Julian Bugier.

    « Le 2 avril sera en effet la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Les troubles du spectre autistique, de la petite enfance à l'âge adulte, touchent ainsi 1 % de la population. De nombreux progrès restent à accomplir pour faire avancer la recherche thérapeutique et adapter la société à la neurodiversité. France Télévisions se mobilise autour de cette Journée mondiale en proposant une programmation spéciale afin de sensibiliser le grand public aux attentes et difficultés quotidiennes des familles qui restent immenses. »

    La fiction débute au tribunal, là où officie, dans une affaire subalterne, celui qui fut un pénaliste de renom, Simon Marchand (Samuel Le Bihan). Et s’il exerce toujours, ce n’est désormais plus en tant que pénaliste. « Ma carrière de pénaliste est derrière moi » martèle-t-il. Tombé amoureux d'une femme accusée de meurtre, une cliente avec laquelle il avait eu une liaison, il s’était laissé trop vite convaincre de son innocence. Cette affaire l’avait conduit à frôler la radiation du barreau et à divorcer. Depuis, il essaie de rebâtir sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Jusqu’au jour où la mère (Martine Chevallier) d’Elsa Sainthier (Natacha Régnier) vient le voir en lui demandant de revêtir à nouveau la robe de pénaliste et de défendre sa fille mise en examen pour assassinat, plus exactement pour infanticide, pour avoir « poussé sa fille dans l’eau du fleuve ».  Elle lui explique que sa fille a mis fin aux jours de son enfant « pour abréger ses souffrances ». « La mère monstrueuse qui tue de sang-froid, ce n'est pas ma fille » ajoute-t-elle. Elsa Sainthier a en effet reconnu le crime et dit avoir voulu mettre fin aux immenses et irrémédiables souffrances de son enfant, atteinte de polyhandicap et de troubles autistiques sévères, sans autres perspectives que des structures d’accueil faites pour les troubles psychiques des adultes. Elsa n'attend rien de ce procès, elle ne cherche pas à ce qu’on la comprenne, la plaigne ou l’excuse, ni à ce qu’on la défende : « Cela m'est égal d'être défendue. Il n'y a rien à expliquer. Je peux pas expliquer. » Elle se sent surtout coupable du handicap de sa fille : « On ne soulage pas le handicap, on apprend à vivre avec. À croire que j'y suis pas arrivée. »  Elle n’acceptait plus la place laissée à sa fille dans la société (ou plutôt qu’on ne lui laissait pas). Plutôt que de le décourager, l’attitude d’Elsa déclenche chez Simon l’envie de la défendre, non pour la dédouaner mais pour expliquer, pour comprendre : « Le rôle de la justice, ce n'est pas seulement de condamner ou d'innocenter mais de comprendre, comprendre comment on a pu en arriver là… ». Et pour faire en sorte qu’elle soit condamnée pour meurtre et non pour assassinat. Mais surtout pour qu’un tel drame ne se reproduise plus jamais.

    Entre le début (l’avocat apparaît d’abord de dos, plaidant au tribunal une affaire immobilière) et la fin (il apparaît de face, triomphant), l’histoire d’un homme qui se relève, qui reprend sa place d’avocat pénaliste et de père, qui fait face, à travers les mots, à travers un combat qu’il porte avec une ardente conviction, à travers une plaidoirie magistrale qui, au-delà de sa cliente, vise à  défendre une cause nationale. À une époque où tout est souvent simplifié, comme si les réseaux sociaux avaient imposé à la société entière leur rythme et leur vision souvent dichotomique, intransigeante, univoque, il rappelle la complexité de la nature humaine, et la nécessité de la prendre en compte, qu’ « on ne peut jamais préjuger de nos réactions face à l’adversité » :  « Tu ne peux pas résumer une personne à une seule de ses actions. Cela peut arriver à tout le monde de faire quelque chose de terrible. Quelque chose qui ne ressemble pas à la personne que tu es. »

     La tâche est évidemment ardue pour l’avocat puisque sa cliente incarne le « tabou ultime » : la mère infanticide. Jusqu’où une mère peut-elle accepter de voir son enfant souffrir ? Une « enfant qui a les capacités d’un enfant de 18 mois, et pour toujours  » ? Une enfant qui « souffre et le fait comprendre en se frappant » ? Qui grandit alors qu’aucun lieu ne l’accueille parce que l’institut qui avait fini par l’accepter l’exclut parce qu’elle est devenue trop violente ?

    Plutôt que de plaider l’innocence (de toute façon, la société l’a déjà condamnée, elle-même s’est déjà condamnée à vie), il plaide la dignité de la personne humaine, bafouée : « Et si c'était de vivre en dehors de toute dignité qui était contre-nature. Ce n'est pas le handicap qui empêche la dignité mais plutôt la façon dont il est perçu, ignoré. La mort de Clara doit conduire la société à accepter les gens les plus vulnérables, à cesser de faire comme s'ils n'existaient pas. » « Si Clara n’était pas indigne de vivre, cette vie était indigne d’elle. »

    Face à l’aveuglement de la société, face à la déshumanisation imposée à ceux qu’elle exclut, les mots sont une arme pour alerter sur une thématique rarement abordée, celle de la place du handicap. Une arme redoutable face à l’adversité, face au silence, face à l’injustice. La force des convictions de l’avocat donne un poids considérable à chaque argument. On connaît le sixième commandement : « Tu ne tueras point ». Mais ce n'est pas tuer sa fille qu'a voulu Elsa, c'est qu'elle cesse de vivre dans la souffrance.

    Le scénario et la réalisation s’emparent de ce sujet avec toute la délicatesse qui lui sied.  La réalisatrice, Leslie Gwinner, dont c’est ici le premier film, a auparavant travaillé comme assistante réalisatrice sur des séries telles que Baron noir, Engrenages, Dérapages, avant de passer à la réalisation en 2023. Sa caméra n’est jamais impudique, ou voyeuriste, et la lumière est aussi douce que le sujet est âpre. L’infanticide n’est jamais montré, juste reconstitué, la scène n'en a d'ailleurs que plus de force, de sens et de portée. C’est de l’après dont il est avant tout question ici.

    Le scénario, librement inspiré de faits réels, d’une grande délicatesse, est signé Julien Guérif et Charlotte Pons, sur une idée originale de Samuel Le Bihan, lui-même père d’une enfant autiste (également coproducteur avec Delphine Wautier). On sent à quel point Samuel Le Bihan est imprégné de son sujet, à quel point les mots prononcés par l’avocat qu’il incarne pourraient être les siens, à quel point il les ressent et les vit viscéralement, et quand, lors de sa plaidoirie, il s’effondre pour se relever et dire ensuite « C'est ce à quoi ce procès nous invite, à lire les apparences à la lumière d'une réalité qui n'est pas la nôtre. », c’est nous qu’il interpelle et qu’il invite à voir cette réalité. Il était aussi judicieux de choisir la région lyonnaise et le cinégénique tribunal de Lyon comme cadres de l'intrigue, de portée aussi plus universelle qu'un décor parisien.

     Le scénario a l'intelligence de ne pas rendre la mère sympathique. Il ne s’agit pas de la dédouaner mais d’alerter sur une situation qui dépasse son propre cas comme l’explique très bien Samuel Le Bihan :  « Le film interroge l’accompagnement ou son manque et la terrible solitude des parents. Il ne faut pas chercher à comprendre son geste mais le regarder en face et de se demander ce qu’il dit de notre société, de notre humanité. »  

    Natacha Régnier (décidément trop rare au cinéma ces dernières années) incarne avec gravité et émotion contenue cette femme dans le cyclone de la tragédie, effondrée, broyée, à bout de souffle, qui ne cherche pas à se défendre, cette ingénieure « brillante cheffe d’équipe » qui a tout abandonné pour s’occuper de sa fille parce que ce sont « les mères les responsables », cette femme barricadée dans sa douleur ineffable.

    L’avocate générale (remarquable Raphaëlle Rousseau), citant Racine, va jusqu'à établir un parallèle avec Agrippine et son fils Néron qu’elle manipule : 

    « Et que derrière un voile, invisible et présente,

    J'étais de ce grand corps l'âme toute-puissante. »

    Elle rejette l’argument de la dignité comme enjeu du procès, rappelant que la mère « ne pouvait pas s'arroger le droit de lui donner la mort », que « l'euthanasie est interdite dans ce pays », et que «parmi tous les droits dont disposent les plus faibles figure le droit de vivre.» Mais vivre dans quelles conditions ?

    Si le film ne cherche pas à excuser le geste fatal, en revanche l’émotion (son humanité) affleure quand la mère retourne à son domicile, retrouve les jouets épars, la vie arrêtée en plein vol. Ce qu’elle ne dit pas, la musique l’exprime avec douceur et subtilité, à travers le thème d’une beauté renversante, entêtante et déchirante de Laurent Perez del Mar dont l'émotion va crescendo à l'unisson de celle qui s'empare de la mère. L’amour qu’elle éprouve pour son enfant, la nostalgie, et la douleur intolérable de l’absence, qu’elle tait, transpirent à travers la musique. Comme si Clara était là encore et dictait chacune des notes. Et quand l’avocat conclut sa plaidoirie  par ces mots « Je ne vous demande pas de l'aimer. Oui, elle doit être condamnée mais elle a droit a une chose, c'est à notre compassion. Si ce mot a encore un sens, c'est à vous de lui donner aujourd'hui », la musique ne paraphrase pas mais prend le relais et reflète l'émotion que cet appel à la compassion fait surgir. Comme le disait si justement Franz Liszt, « Les arts sont le plus sûr moyen de se dérober au monde : ils sont aussi le plus sûr moyen de s'unir avec lui.». C’est par ailleurs par quelques notes qui tambourinent mélodieusement sur des plans du tribunal que s'ouvre le film. Comme en un écho plus apaisé, sur le générique final, résonnent les notes d'espoir de la chanson (Tomorrow)  portée par la voix envoûtante de Laure Zaehringer, qui interprétait déjà la chanson de fin du film Un coup de maître de Rémi Bezançon, également écrites et composées par Laurent Perez del Mar.

    Il n’y a pas de gagnants ou de perdants quand un enfant est mort, quand la société a échoué à le protéger et à lui permettre de garder sa dignité, mais s’il n’y a pas de victoire juridique,  il y a une victoire humaine : « J'espère qu'elle fera bouger les lignes sur la prise en charge du handicap et l'écoute des aidants. Le handicap n'appartient pas à la sphère privée, c'est une question d'ordre politique. » L'avocat épelle les acronymes, exemple parmi d'autres, tellement révélateur de « l’enfer administratif » auquel sont confrontées les familles, ce « monde où les parents sont investis, solidaires, engagés à la place d'un État absent, défaillant », « un État condamné 5 fois par le conseil de l'Europe pour discrimination à l'égard des enfants autistes. »

    Cette fiction sensible sur cette tragédie, fait véritablement œuvre de service public, et possède ainsi l’immense vertu d’interroger la place du handicap dans notre société, mais aussi, au-delà de l’autisme, la place accordée aux plus fragiles, à la différence, aux plus vulnérables, mais aussi à ceux qui les entourent. On parle beaucoup des aidants mais ils sont bien souvent démunis et isolés face à des situations indicibles, et devant un État défaillant. Espérons que ce film ouvrira le débat, et la voie à une volonté décuplée des pouvoirs publics, une prise de conscience de l'urgence de la situation, et des solutions rapides et pérennes.

    Dans une société dans laquelle le bonheur semble être l'objectif ultime, il est salutaire de rappeler que ce bonheur, si tant est qu'il existe, ne réside pas forcément dans une réussite éclatante mais résulte pour certains simplement dans une absence de souffrance. « Cachez ces malades que je ne saurais voir. »  Un tel film, jamais impudique, mais d’une force saisissante, grâce à la musique poignante, à une distribution parfaite, l'interprétation convaincue et convaincante de Natacha Régnier et Samuel Le Bihan qui incarnent les deux protagonistes, au pouvoir combatif des mots judicieusement choisis (plus que joués et prononcés avec éloquence : vécus ), est plus persuasif que n’importe quel discours politique pour alerter sur une situation révoltante. Quand, face caméra, l’avocat demande « Que la République se regarde en face, que les gouvernements tiennent leurs promesses ! Le combat est encore long mais j'en serai et j'espère que nous serons nombreux », c’est à chacun de nous qu’il s’adresse. C'est à chacun de nous qu'il revient de clamer : ne cachons plus ces malades et leurs familles dont nous ne saurons plus ignorer la détresse, ne bafouons plus leur dignité.

  • Sur le tournage du téléfilm "Le prochain voyage" de Thierry Binisti avec Line Renaud, Jean Sorel...

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    Je vous ai souvent parlé ici du travail de Thierry Binisti que j’avais découvert en 2011 avec le (remarquable) long-métrage Une bouteille à la mer dans le cadre du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz où il fut primé du Prix du meilleur film.

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    Thierry Binisti vient de terminer le tournage du téléfilm unitaire pour France 2 Le prochain voyage, qui a eu lieu du 23 mai au 20 juin, produit par Dominique Besnehard et Antoine Le Carpentier, une production de Mon Voisin Productions (Mediawan), avec Line Renaud, Jean Sorel, Serge Hazanavicius, Benjamin Baffie, Lucie Aubrière, Lola Aubrière…, coécrit par Thierry Binisti et Laurent Baffie. Un film sur un sujet sensible, la fin de vie, pour le traitement délicat duquel il fallait un cinéaste comme Thierry Binisti, un sujet auquel nous sommes nombreux à avoir été confrontés, parfois laissés à l’abandon devant l’horreur indicible. La mort et le deuil sont peut-être les derniers tabous de notre société. Il est nécessaire et louable que la fiction s’en empare.

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    Pitch : Jacqueline et Richard, un couple d’octogénaires, se rendent à l’hôtel où ils ont passé il y a soixante-cinq ans leur première nuit d’amour. Ils retrouvent dans cette même chambre les souvenirs du passé en parcourant la vie d’amour qu’ils ont partagée. Peu à peu, nous comprenons quel est le véritable projet de ce pèlerinage. Face à la maladie qui gagne inlassablement du terrain, ils ont décidé de ne pas se quitter et de partir ensemble, dans la dignité.

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     Il me tarde d’autant plus de voir ce film que le tournage de cette scène de danse exhalait une émotion palpable. Un immense merci à Thierry Binisti de m’avoir invitée sur le plateau (où régnaient sérénité, écoute et bienveillance) à assister au tournage les yeux écarquillés comme une enfant au spectacle dont cela a exacerbé les envies et idées de cinéma…mais c’est une autre histoire ! Merci aussi à Joëlle Binisti, sœur et scripte du cinéaste, pour sa grande gentillesse et son accueil tellement affable. 

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    J’en profite pour vous recommander à nouveau, vivement, le dernier film de Thierry Binisti, Le prix du passage, une histoire singulière dont le rythme ne faiblit jamais, le montage mettant ainsi en exergue le sentiment d'urgence et de risque constants qui étreint les deux protagonistes, donne une incarnation à une situation plus universelle, celle des migrants qui, au péril de leur vie, fuient et bravent tous les dangers pour se donner une chance d'un avenir meilleur.  Ce film riche de ses nuances nous donne aussi envie, comme Natacha, de prendre conscience de la préciosité de notre liberté, et d’en saisir chaque parcelle de seconde. Un film palpitant dont vous ressortirez le cœur empli du souvenir revigorant et rassérénant de ce plan d'un horizon ensoleillé mais aussi du souvenir de ces deux combattants de la vie qui s'enrichissent de la confrontation de leurs différences. Critique complète à lire, ici.

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    Ce tournage m’a aussi fait penser au remarquable film de Christian Carion, Une belle course,  dans lequel Line Renaud tient également le rôle principal. Un moment suspendu. Un voyage dans les lieux, le temps, les émotions dont le caractère ultime le rend particulièrement poignant. Line Renaud est une femme passionnément vivante et Christian Carion pouvait difficilement lui offrir plus beau rôle que celui de Madeleine dans ce film qui célèbre la passion de la vie, et de la beauté fragile des brèves rencontres qui en bousculent et illuminent le cours fugace. Un film à l'image de ce que dégage la comédienne : profond et lumineux, pudique et sincère, humble et pétri d’humanité. Critique complète à lire ici

    Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour vous parler à nouveau de cette fiction de Thierry Binisti, Le prochain voyage, à découvrir prochainement sur France 2.

  • Merci Télématin !

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    Un très beau coup de projecteur sur mes blogs Inthemoodforcannes.com et Inthemoodforcinema.com ce matin dans Télématin, ce qui me fait d'autant plus plaisir que je regarde très souvent cette émission et l'apprécie. Il y aura une suite...mais je ne vous en dis pas plus pour le moment.

    En attendant, retrouvez le replay en cliquant ici.

    Bienvenue à ceux qui découvrent mes blogs à cette occasion. Pour tout ce qui concerne le Festival de Cannes, rendez-vous sur mon blog http://inthemoodforcannes.com.

    Vous pouvez me suivre également sur twitter @Sandra_Meziere et @moodforcannes, sur Instagram (@sandra_meziere) et sur les pages Facebook d'Inthemoodforcannes.com (http://facebook.com/inthemoodforcannes ) et  Inthemoodforcinema.com (http://facebook.com/inthemoodforcinema ).

    Vous pouvez également plonger dans l'atmosphère du festival avec mon premier roman "L'amor dans l'âme" (dont l'intrigue se déroule dans le cadre du Festival de Cannes 2014) et mon recueil de 16 nouvelles sur les festivals de cinéma "Les illusions parallèles" (avec deux nouvelles au cœur du Festival de Cannes), publiés en 2016 par les Editions du 38.

  • Critique de CARNAGE de Roman Polanski (dimanche 26 juillet 2015, sur France 2, à 20H55)

    En 2010, un an avant "Carnage", avec  « The Ghost Writer », Roman Polanski réalisait un des trois meilleurs films de l’année, une forme de huis-clos sur une île inhospitalière à l’abandon balayée par le vent et la monotonie, un film dans lequel l’inquiétude et le sentiment d’inconfort  nous saisissaient immédiatement avec pour cadre une demeure élégante mais déshumanisée dont l’ouverture sur l’extérieure donnait des plans d’une redoutable beauté glaciale aux frontières de l’absurde, sorte de monde désertique devant lequel, tel un démiurge, apparaissait un ancien premier ministre qui jadis dirigeait tout un peuple. Un film dans lequel tout est à la fois familier et étrange, envoûtant et angoissant. A priori, le nouveau film de Roman Polanski, en compétition du dernier Festival de Venise, est très différent ne serait-ce que parce que celui de l’an passé restera davantage dans l’histoire du cinéma pourtant…l’enfermement et l’angoisse chers au cinéaste sont bel et bien très présents dans ce nouveau film, véritable huis-clos (deux plans exceptés) adapté de la célèbre et « multiprimée » pièce de Yasmina Reza « Le Dieu du carnage » dont Polanski est ici à son tour le Dieu et le démiurge du carnage.

    New York. Dans un jardin public, deux enfants de 11 ans se bagarrent et l’un d’eux, le fils de Nancy (Kate Winslet) et Alan Cowan (Christoph Waltz) blesse l’autre au visage, le fils de Penelope (Jodie Foster) et Michael Longstreet (John C.Reilly). Tout se passe apparemment très cordialement pour rédiger la déclaration destinée aux assurances si ce n’est que le père du « coupable » demande à ce que le terme « armé » d’un bâton soit remplacé par celui de « muni », le tout dans l’appartement de Penelope et Michael. 

    Nancy et Alan sont tirés à quatre épingles. Nancy est « armée » de son collier de perles, d’une coiffure dont pas une mèche ne dépasse et d’un sourire impeccable même si légèrement condescendant. Penelope et Michael semblent particulièrement affables, compréhensifs, cordiaux. Les premiers auraient dû partir et les seconds en rester là … sauf que… une phrase, un mot, finalement la différence entre armé et muni, la frontière entre victime et coupable, va constamment les retenir… Le vernis va voler en éclats, la pose princière de Nancy se transformer en attitude vulgaire, le débonnaire Michael va se transformer en être médiocre et cynique, l’avocat Alan sarcastique et grossier qui se prend pour John Wayne (et se tient comme s’il était dans un saloon, s’appropriant les lieux) être constamment accroché à son portable plus important que quoi que ce soit d’autre avant de s’écrouler et l’altruiste Penelope qui écrit sur le Darfour se révéler plus attachée aux objets qu’aux hommes et être enfermée dans ses principes. Chacun va vomir (au figuré et même au propre) toute sa médiocrité, sa haine, révéler son vrai et méprisable visage, sa monstruosité derrière son apparence civilisée. Cela me rappelle le « Tous coupables » du « Cercle rouge »  sauf que, dans le film de Melville, le constat était fait avec une sorte de mélancolie désabusée et qu’ici chacun semble en retirer une forme de jouissance malsaine (d’ailleurs Nancy et Alan pourraient partir à tout moment mais semblent finalement trouver un certain plaisir à régler leurs comptes en public et à dévoiler leur odieux visage).

    Polanski ne s’est pas contenté de filmer une pièce de théâtre, au contraire même, tout le génie de Polanski se révèle une nouvelle fois ici. Par un cadrage, parfois étouffant, par une manière de placer sa caméra dans l’espace et de diviser cet espace au gré des clans qui se forment, par des gros plans ou des plongées ou contre-plongées qui révèlent toute la laideur de ses personnages, le cinéaste est très présent et ne se contente pas de poser sa caméra. D’ailleurs, j’ai ressenti un vrai malaise physique en parallèle de celui qui s’empare des personnages. Les deux plans hors de l’appartement (le premier et le dernier) sont  également très significatifs, sans parler de la musique, ironique. Le décor est également très révélateur. Tout y est impeccable, carré. Seules les tulipes jaunes achetées pour l’occasion, le livre sur Bacon ou Kokoschka, ou encore sur Mao, laissent entendre une laideur ou un caractère dictatorial sous-jacents … sans parler de la salle de bain, l’invisible, beaucoup moins « rangée » qui laisse entendre que ce qui est caché est beaucoup moins impeccable que ce qui est montré.

    Le décor new-yorkais aurait pu être celui d’un film de Woody Allen…sauf que les personnages sont tout sauf des personnages de Woody Allen, car si ce dernier souvent n’épargne pas non plus ses personnages, il a finalement toujours beaucoup d’empathie et de tendresse pour leurs failles et leurs faiblesses…tandis qu’ici tout n’est qu’amertume et cynisme, chacun n’agissant que sous un seul diktat : celui de l’égoïsme censé régir la vie de chacun.

    Les comédiens sont impeccables, la réalisation également brillante mais ces personnages détestables qui ne possèdent plus la plus petite lueur d’humanité sont « à vomir ». Ce film est un peu l’anti « Intouchables »… (et pourtant j’ai de nombreuses réserves sur ce dernier qui vient d’ailleurs de dépasser les 12 millions d’entrées). L’un et l’autre révèle deux visages contradictoires et finalement complémentaires de notre société : une société cynique qui se revendique comme telle mais qui, au fond, a surtout besoin d’espoir quitte à ce que cet espoir  prenne un visage qui relève plus du conte et du fantasme que de la réalité, un visage presque enfantin…

    Je vous conseillerais donc plutôt de revoir « Répulsion », « Chinatown », « Tess » , « Le Pianiste » et « The Ghost Writer » même si les comédiens sont ici impeccables semblant prendre beaucoup de plaisir à ce jeu de massacres. Précisons enfin que l’appartement dans lequel se déroule l’action a été construit en studio à Bry-sur-Marne, en région parisienne mais donne l’illusion que cela se déroule à New York, un travail remarquable qui est l’œuvre chef-décorateur Dean Tavoularis cher à Coppola.

    Un carnage brillant et étouffant d’asphyxiante médiocrité mais trop (d’ailleurs totalement) dénué d’humanité sentencieusement décrétée comme uniquement dirigée  par l’égoïsme et trop sinistrement cynique pour me plaire…ce qui ne remet nullement en cause le talent de Polanski, éclatant encore une fois, malgré l’unité de lieu et le caractère répulsif des personnages. 

    En bonus, ci-dessous, ma critique de "La Vénus à la fourrure" de Roman Polanski

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  • CRITIQUE - LE CERCLE ROUGE de Jean-Pierre Melville à 20H45 sur France 2

     

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    A l'occasion de sa diffusion ce soir, sur France 2, je vous propose aujourd'hui une critique du film « Le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville re.  Bien plus qu'un film policier, ce film est sans nul doute un de ceux qui ont fait naitre ma passion pour le cinéma...

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    Synopsis : Le commissaire Matteï (André Bourvil) de la brigade criminelle est chargé de convoyer Vogel (Gian Maria Volonte), un détenu. Ce dernier parvient à s'enfuir et demeure introuvable malgré l'importance des moyens déployés. A même moment, à Marseille, Corey (Alain Delon), à la veille de sa libération de prison, reçoit la visite d'un gardien  dans sa cellule venu lui proposer une « affaire ». Alors que Corey gagne Paris, par hasard, Vogel se cache dans le coffre de la voiture. Corey et Vogel montent alors ensemble l'affaire proposée par le gardien : le cambriolage d'une bijouterie place Vendôme. Ils s'adjoignent ensuite les services d'un tireur d'élite : Janson, un ancien policier, rongé par l'alcool.

    Dès la phrase d'exergue, le film est placé sous le sceau de la noirceur et la fatalité : " Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même sils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)".

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    C'est cette fatalité qui fera se rencontrer Corey et Vogel puis Jansen et qui les conduira tous les trois à la mort « réunis dans le cercle rouge ». Ce cercle rouge réunit aussi policier et gangsters, Mattei ressemblant à bien des égards davantage à ces derniers qu'à l'inspecteur général pour qui les hommes sont « tous coupables ». Dès le début, le film joue sur la confusion : le feu rouge grillé par la police, les deux hommes (Vogel et Matteï) qui rentrent en silence dans la cabine de train, habités par la même solitude, et dont on ne découvre que plus tard que l'un est policier et l'autre un prévenu. Il n'y a plus de gangsters et de policiers. Juste des hommes. Coupables. Matteï comme ceux qu'ils traquent sont des hommes seuls. A deux reprises il nous est montré avec ses chats qu'il materne tandis que Jansen a pour seule compagnie «  les habitants du placard », des animaux hostiles que l'alcool lui fait imaginer.

    Tous sont prisonniers. Prisonniers d'une vie de solitude. Prisonniers d'intérieurs qui les étouffent. Jansen qui vit dans un appartement carcéral avec son papier peint rayé et ses valises en guise de placards. Matteï dont l'appartement ne nous est jamais montré avec une ouverture sur l'extérieur. Ou Corey qui, de la prison, passe à son appartement devenu un lieu hostile et étranger. Prisonniers ou gangsters, ils subissent le même enfermement. Ils sont avant tout prisonniers du cercle du destin qui les réunira dans sa logique implacable. Des hommes seuls et uniquement des hommes, les femmes étant celles qui les ont abandonnés et qui ne sont plus que des photos d'une époque révolue (que ce soit Corey qui jette les photos que le greffe lui rend ou Matteï dont on aperçoit les photos de celle dont on imagine qu'elle fut sa femme, chez lui, dans un cadre).

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    Avec une économie de mots (la longue -25 minutes- haletante et impressionnante scène du cambriolage se déroule ainsi sans qu'un mot soit échangé), grâce à une mise en scène brillante, Melville signe un polar d'une noirceur, d'une intensité, d'une sobriété rarement égalées.

     Le casting, impeccable, donne au film une dimension supplémentaire : Delon en gangster désabusé et hiératique (dont c'est le seul film avec Melville dont le titre ne le désigne pas directement, après « Le Samouraï » et avant « Un flic »), Montand en ex-flic rongé par l'alcool, et  Bourvil, mort peu de temps après le tournage, avant la sortie du film (même s'il tourna ensuite « Le mur de l'Atlantique »), est ici bouleversant dans ce contre-emploi, selon moi son meilleur deuxième rôle dramatique avec « Le Miroir à deux faces ».  Ce sont pourtant d'autres acteurs qui étaient initialement prévus : Lino Ventura pour « Le commissaire Matteï », Paul Meurisse pour Jansen et Jean-Paul Belmondo pour Vogel.

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    La critique salua unanimement ce film qui fut aussi le plus grand succès de Melville dont il faut par ailleurs souligner qu'il est l'auteur du scénario original et de cette idée qu'il portait en lui depuis 20 ans, ce qui lui fit dire : « Ce film est de loin le plus difficile de ceux qu' j'ai tournés, parce que j'en ai écrit toutes les péripéties et que je ne me suis pas fait de cadeau en l'écrivant. »

    En tout cas, il nous a fait un cadeau, celui de réunir pour la première et dernières fois de grands acteurs dans un « Cercle rouge » aux accents hawksiens, aussi sombre, fatal qu'inoubliable.

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    En complément - Critiques -
  • La Rafle: critique du film, vidéos de la réalisatrice, l'émission sur France 2

    rafle.jpgComme je vous l'ai déjà dit, ce film dépasse pour moi son intérêt cinématographique, ses qualités et ses défauts. Il est simplement nécessaire (pour les raisons que je vous expose, ici), c'est pourquoi à l'occasion de sa sortie en salles, demain, je vous en parle à nouveau aujourd'hui vous renvoyant vers les articles que j'y ai déjà consacrés, en vous rappelant également que France 2, ce soir, à 20H35, y consacre une émission entière "La Rafle du Vel d'Hiv, une histoire française."

    Liens:

    Tout savoir sur l'émission "La Rafle du Vel d'Hiv, une histoire française" et voir la bande-annonce du film

    Ma critique du film, mes vidéos de la réalisatrice Rose Bosch et le discours de de Joseph Weismann

     

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