Avant-première - « Il y a longtemps que je t’aime » de Philippe Claudel : une peinture des âmes grises bouleversante
Hier matin avait lieu la projection presse d’ « Il y a longtemps que je t’aime » de Philippe Claudel, à l‘UGC Normandie.
Le film s’ouvre sur le regard bleu et absent et glacial de Kristin Scott Thomas (Juliette), ce regard qui va nous happer dans les abysses de ses douleurs et ses secrets et ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière seconde du film. Ses traits sont tirés, sa démarche maladroite, ses réactions sont brutales. Elle vient de sortir de prison après 15 ans d’enfermement. 15 années pendant lesquelles sa famille l’a rejetée. Sa jeune sœur, Léa (Elsa Zylberstein), vient la chercher pour l’héberger et l’accueillir chez elle auprès de son mari Luc (Serge Hazanavicius) et ses deux filles, adoptives (ce qui n’est évidemment pas anodin). L’une et l’autre vont alors reconstruire leur relation et reconstruire le passé, panser cette plaie à vif, ce gouffre béant. Juliette va devoir se faire « adopter ».
A la manière d’un tableau qui l’on jugerait rapidement, s’arrêtant à notre premier regard, vue d’ensemble imparfaite et simpliste et finalement rassurante dans nos certitudes illusoires, c’est d’abord le mal être, la violence des réactions de Juliette qui nous apparaît, filmée en plongée, si fragile, brisée par la vie, l’absence de vie. Le cinéaste distille les informations retenant judicieusement notre attention par cette soif de comprendre, accroissant notre curiosité pour cette femme aux contours de moins en moins flous mais de plus en plus complexes. On apprend ensuite qu’elle a commis l’impardonnable : elle a tué son enfant. Elle devrait être détestable mais l’humanité avec laquelle elle est filmée, son égarement, son mutisme obstiné sur les circonstances du drame, la violence des réactions qu’elle provoque suscitent notre empathie puis notre sympathie. « Crime et châtiment ». Dostoïevski. (Probablement le livre le plus cité au cinéma, non ? Ici, aussi.) Le tableau nous apparaît d’abord très noir. Et puis les nuances apparaissent peu à peu. Juliette « Raskolnikov » s’humanise. Nous voyons le monde à travers son regard : faussement compassionnel, un monde qui aime enfermer dans des cases, un monde qui juge sans nuances. Un monde dont Philippe Claudel, peintre des âmes grises (Juliette est d’ailleurs presque toujours vêtue de gris) et des souffrances enfouies, nous dépeint la cruauté et la fragilité avec acuité.
Il y a des films comme ça, rares, qui vous cueillent, vous embarquent, vous emprisonnent délicieusement dans leurs univers, douloureux et, puis, lumineux, dès la première seconde, pour ne plus vous lâcher. C’est le cas d’ « Il y a longtemps que je t’aime », premier film en tant que réalisateur de l’auteur des « Ames grises » (Prix Renaudot 2003 adapté par Yves Angelo) et du « Rapport de Brodeck » qui a également signé le scénario. La bienveillance de son regard sur ces âmes grises, blessées, insondables, parcourt tout le film. Tous ces personnages, libres en apparence, sont enfermés à leur manière : le grand-père muet à la suite de son accident cérébral est muré dans son silence, la mère de Juliette et Léa est enfermée dans son oubli après l’avoir été dans son aveuglement, le capitaine est enfermé dans sa solitude, Michel –Laurent Grévil- (un professeur qui enseigne dans la même faculté que Léa et qui va s’éprendre de Juliette) est enfermé dans ses livres, Léa est enfermée dans ce passé qu’on lui a volé, et Juliette est encore enfermée dans cette prison à laquelle on ne cesse de l’associer et la réduire. La caméra ne s’évade que très rarement des visages pour mieux les enfermer, les scruter, les sculpter aussi, les disséquer dans leurs frémissements, leurs fléchissements, leurs fragilités : leur humanité surtout. La ville de Nancy où a été tourné le film est quasiment invisible. Nous sommes enfermés. Enfermés pour voir. Pour distinguer les nuances, dans les visages et les regards. Comme cette jeune fille que Michel vient sans cesse voir au musée, enfermée dans son cadre, et qui ressemble à un amour déçu et dont il se venge ainsi parce qu’elle ne peut pas s’échapper. Nous ne pouvons nous enfuir guidés et hypnotisés par le regard captivant, empli de douleur et de détermination, de Juliette. Nous n’en avons pas envie.
Ne vous méprenez pas, ne soyez pas effrayés par le sujet. Si le tableau est sombre en apparence, ses couleurs sont multiples, à l’image de la vie : tour à tour cruel, très drôle aussi, l’ironie du désespoir peut-être, l’ironie de l’espoir aussi, les deux parfois (scène du dîner), bouleversant aussi, ce film vous poursuit très longtemps après le générique à l’image de la rengaine qui lui sert de titre. Il est parfois plus facile de chanter ou d’esquisser que de dire. « Il y a longtemps que ». Tout juste peut-on regretter que les traits de la personnalité du personnage de Luc ne soient qu’esquissés. (néanmoins interprété avec beaucoup de justesse par Serge Hazanavicius). Mais à l’image du verdict improbable, cela importe finalement peu.
Kristin Scott Thomas trouve là un personnage magnifique à la (dé)mesure de son talent, au prénom d'héroïne romantique qu'elle est ici finalement, aimant inconiditionnellement, violemment. A côté d’elle le jeu d’Elsa Zylberstein nous paraît manquer de nuances mais après tout la violence de la situation (le passé qui ressurgit brusquement) justifie celle de ses réactions. Au contact l’une de l’autre elles vont reconstituer le fil de l’histoire, elles vont renaître, revivre, et illuminer la toile.
Jusqu’à cet instant paroxystique où le regard, enfin, n’est plus las mais là, où des larmes sublimes, vivantes, ostensibles, coulent sur la vitre, de l’autre côté, inlassablement, et les libèrent. Un hymne à la vie. Bouleversant. De ces films dont on ressort avec l’envie de chanter, de croquer la vie (dans le sens alimentaire et dans le sens pictural du terme) et la musique du générique, de Jean-Louis Aubert, achève de nous conquérir. Irréversiblement.
Sortie en salles : le 19 Mars 2008. Ne le manquez surtout pas.
Sandra.M



























Un bilan délibérément désordonné de ce salon du cinéma 2008 à l’image de ce qu’a été ce dernier malgré une initiative très louable et de nombreux aspects positifs. Peut-être est-ce après tout un hommage artistique à la Nouvelle Vague que de superposer ainsi les voix, les sons … laquelle superposition créait une cacophonie tantôt risible, tantôt agaçante, principal défaut de ce salon résultant de la typographie des lieux (un hall impersonnel, glacial, et résonant –et aspirant pourtant surtout à faire raisonner- du parc des expositions). L’autre défaut résulte de l’organisation de l’espace professionnel dont l’initiative est là aussi très louable, notamment dans le désir de permettre aux jeunes auteurs (condition d’inscription : une sélection d’un film en festival), notamment par le biais de l’espace ciné-connexion et d’ateliers, de rencontrer des professionnels et de permettre aux professionnels de réfléchir et débattre sur leurs professions mais en raison de changements d’horaires de dernière minute, du manque de lisibilité du site internet officiel du salon, et d’un espace professionnel à l’accès labyrinthique, je me suis ainsi retrouvée seule avec trois intervenants notamment du CNC à une conférence sur les aides à l’écriture (qui aurait dû en intéresser plus d’une, et à laquelle je n’étais d’ailleurs pas la seule inscrite !), laquelle, ou plutôt lequel entretien particulier, s’est néanmoins avéré pour moi passionnant.
Quelques informations, observations, remarques glanés au fil de mes déambulations coupables (oui, coupable : coupable de zapper ainsi entre les stands tel un spectateur glouton et consumériste mais je vous rassure, je ne me suis pas laissée aller à manger du pop corn dont la présence m’a quelque peu enragée, je vous rassure de nouveau, je n’ai pas côtoyé les bêtes sauvages présentes au salon pour les démonstrations des dresseurs ensuite et ne leur ai pas transmis, ma rage donc, et encore moins les pop corns) entre les 
-Un partie de l’équipe du film de « Faubourg 36 », le second long-métrage de Christophe Barratier après « les Choristes » (la jeune comédienne Nora Arnezeder, le scénariste Julien Rappeneau et le réalisateur Christophe Barratier) était également présente. C’est avec beaucoup de passion que le cinéaste a présenté son film et surtout qu’il a défendu le scénario (ça fait plaisir !), et son attachement à celui-ci qu’il estime essentiel, se positionnant en digne héritier du cinéma de Duvivier, Carné et Prévert ou Charles Spaak. Pour lui « Le cinéma, avant d’être de la pellicule, ce sont d’abord des écrits », prenant ainsi pour exemple la grève des scénaristes (qui se poursuit) aux Etats-Unis : « Quand les scénaristes ne travaillent plus, la production entière est paralysée. » Même s’il faut apporter un bémol à ces propos, la situation française étant différente de la situation américaine de par la tradition, héritée de la Nouvelle vague, de l’auteur réalisateur. Puis Christophe Barratier revient à « Faubourg 36 » qui, comme les films des réalisateurs et scénaristes précités, se déroule pendant le Front Populaire empruntant son style à plusieurs genres différents : film noir, comédie dramatique, comédie musicale, histoire d’amour... Il se réfère ainsi à « La belle équipe »
-Puis, un passage à l’espace professionnel pour assister à la conférence « Pourquoi le scénario est-il le parent pauvre du cinéma ? » dont l’intitulé provocateur même a suscité le débat et la controverse. Une conférence passionnante sur les différentes manières d’appréhender ce métier qui se revendique (oui, on a beaucoup revendiqué à ce salon) de plus en plus comme tel, ou plutôt à être légalement reconnu comme tel (le scénariste n’a pas de statut juridique). Pendant ce temps pour la énième fois avec une sonnerie et une voix d’aéroport, on annonçait qu’un aigle royal allait survoler nos têtes (qu’est- ce que vient faire un aigle royal là-dedans me direz-vous, je ne vous le fais pas dire). On apprendra notamment que c’est une « profession aventureuse », (on peut peut-être trouver finalement un lien avec l’aigle royal) un terme qui n’est pas pour me déplaire, et que le scénario est l’âme d’un film.
-Je me rends ensuite au stand « Grand forum » où ont lieu les rencontres avec les équipes de film. Une femme intemporelle dubitative devant les intervenants avance le nom de Lelouch (parce qu’il a les cheveux gris bouclés, dit-elle) . En fait de Lelouch c’est Charles Berling (qui a bien des cheveux mais ni vraiment gris, ni vraiment bouclés), Bruno Putzulu, une partie de l’équipe de « Père et fils » dans lequel ils avaient tourné avec Noiret, interprétant ses fils dans le film de Michel Boujenah également présent, et Frédérique Noiret pour un hommage à son père Philippe Noiret. Beaucoup de tendresse émane de ce quatuor et beaucoup d’émotion et d’admiration pour l’acteur récemment décédé. Passant du Sans-souci humble, pudique, talentueux et d’une grande dignité. Les anecdotes pleuvent. L’un raconte comment devant l’émotion de Rochefort de le voir si malade Noiret avait rétorqué « Pas de
sentimentalité entre nous, ce n’est pas notre emploi ». Berling raconte comment dans le restaurant d’un hôtel où ils s’étaient retrouvés, éberlués, entourés de personnes âgées Noiret, si jeune d’esprit, avait maugréé « Y a que des vieux » avant de réaliser qu’il en faisait partie, lequel Berling a fumé un cigare pendant toute la rencontre en signe d’anticonformisme, un peu sans doute, d’hommage à Noiret, beaucoup surtout (« Ce cigare brûle pour lui. Ce n’est pas Charles Berling qui fume mais Philippe Noiret » a-t-il répondu à un spectateur extrêmement perspicace qui lui demandait ce qu’il pensait de la loi anti-tabac). Sa fille a évoqué un homme qui, même malade, était « à terre » mais « jamais malade ou affaibli ». Pour les autres en tout cas. « Sur une scène de théâtre il avait la sensation que la mort n’avait pas le dernier mot » évoquant ainsi à quel point il arrivait à transcender la maladie sur scène notamment dans « Love letters » sa dernière pièce. Magie du jeu. Magie du théâtre. Magie de l’acteur, plus fort que l’homme, que la mort qui rôde. Ses comparses de cinéma évoquent aussi sa pudeur, comment dans un restaurant il dira « je me régale » alors qu’il ne sentait plus le goût des aliments ou son humour et sa distance caustique en toute circonstance, comme lorsqu’il devait tomber dans une tombe pour une scène de « Père et fils » et qu’il avait déclaré « Je fais des repérages ».






