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julianne moore

  • Critique de LA CHAMBRE D’À CÔTÉ de Pedro Almodovar (au cinéma le 8 janvier 2025)

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    Ce 17 décembre, à Paris, au Pathé Palace, avait lieu l’avant-première du dernier film de Pedro Almodovar, suivie d’un échange entre le public, ce dernier et les deux actrices principales, Julianne Moore et Tilda Swinton. En vingt-deux films, le cinéaste espagnol n’a cessé de se réinventer tout en nous permettant d’identifier son univers, exubérant et chatoyant, en quelques plans. À 75 ans, Pedro Almodovar demeure un cinéaste toujours aussi inventif, même si le pessimisme envahit de plus en plus son œuvre. Produit par ce dernier via sa société de production, El Deseo, La chambre d’à côté est aussi son premier film en langue anglaise qui a pour cadre les Etats-Unis, un film inspiré du roman Quel est donc ton tourment ? de Sigrid Nunez (2020). Ce long-métrage fut présenté en compétition à la 81ème Mostra de Venise.

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    Ingrid (Julianne Moore) est une écrivaine et amie de longue date, de Martha (Tilda Swinton), reporter de guerre pour le New York Times. C’est lors d’une séance de dédicaces à l’occasion de laquelle elle évoque sa hantise de la mort qu’une connaissance commune apprend à Ingrid la maladie de son amie Martha, atteinte d’un cancer. Ingrid et Martha ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha reporter de guerre, leurs chemins se séparent…

    Ce soir du 17 décembre, en allant au Pathé Palace où se déroulait l'avant-première de La chambre d'à côté, j'ai repensé à Étreintes brisées, un film de Pedro Almodovar que j'avais eu la chance de voir au Festival de Cannes en 2009, dans le cadre duquel ce film figurait en compétition, pas le film le plus connu de Pedro Almodovar mais un long-métrage non moins sublime, et certainement une des projections cannoises qui m'avait le plus marquée. Un film à la narration à la fois complexe et limpide, à l'image de son titre : romantique et cruel, d'une poésie langoureuse, d'une beauté mélancolique et fragile. Un film qui possède la beauté, fatale et languissante, d’un amour brisé en plein vol. Un film qui a la gravité sensuelle de la voix de Jeanne Moreau, la beauté incandescente d’une étreinte éternelle comme dans Voyage en Italie de Rossellini, la tristesse lancinante de Romy Schneider auxquels il se réfère. Un film empreint de dualité sur l’amour fou par un (et pour les) amoureux fous du cinéma. Le cinéma qui survit à la mort, à l’aveuglement, qui magnifie l’existence et la mort, le cinéma qui reconstitue les étreintes brisées, le cinéma paré de toutes les vertus. Même celle de l’immortalité.

    Pourquoi ces digressions ? Parce que j'ignorais ce dont parlait le film que je suis allée voir, j'ignorais sur quelle destinée ouvrait la porte rouge de cette magnifique affiche, ce que signifiait ce rouge incandescent. Mais sans doute m'étais-je imaginée que si la danse était macabre elle serait colorée. Que même la mort flamboierait. C'était oublier qu’après Étreintes brisées il y avait déjà eu Douleur et gloire, en 2019. Peut-être que si j'avais connu le sujet que j'évite habituellement pour des raisons personnelles (le cancer, la fin de vie), je n'y serais pas allée. Et j'aurais eu tort. Cela aurait été oublier la folie rassurante, le talent incontestable et l'humanité communicative d'Almodovar plus que jamais à l'œuvre ici pour livrer cela : un poème à la fois funèbre et coloré, rassurant et puissant, aussi visuellement éclatant que pessimiste (Almodovar évoque lui-même ainsi son film : « l'histoire d'une femme qui va mourir dans un monde qui va mourir »), aussi doux que son sujet est âpre. Mais aussi une ode à l'amitié, à l'art, a nature, la liberté. Un film à la fois bouleversant et apaisant.

    Bien qu’athée, Pedro Almodovar considère ici que la mort n’est pas une fin absolue. Parce qu’aucune autre amie ne veut l’aider, Martha va demander à Ingrid l’impensable : l’accompagner dans sa décision de choisir le moment où elle mourra, dans une maison à la lisière de la forêt aux allures de limbes, et d’être avec elle, dans la chambre d’à côté.

    Trois ans après La voix humaine, et son autre court-métrage Strange way of life, Pedro Almodovar retrouve ainsi Tilda Swinton dont la précision du jeu procure à ses longs monologues une force particulièrement convaincante exacerbée par les contrechamps sur le visage d’Ingrid/Julianne Moore qui l’écoute. Elle remonte le fil de sa vie, de sa relation à sa fille dont elle se sent si éloignée et différente qu'elle a l’impression qu’elle n’est pas la sienne, à son histoire avec le père de sa fille (quel conteur qu’Almodovar qui, en quelques plans, narre une histoire dans l’histoire, là aussi tragique et émouvante) aux rencontres qui ont jalonné son parcours de reporter.

    Dans un pays où le suicide assisté n’est pas autorisé, ce que demande Martha à Ingrid est un acte illégal, qui exige une preuve d’amitié inouïe. Malgré sa peur maladive de la mort, Ingrid va pourtant s’y plier, devenant presque le pantin de Martha et de son jeu funèbre, démiurge de la fin de sa propre existence et de sa mort. Tilda Swinton est époustouflante, instillant beaucoup de complexité dans ce personnage au regard tant tendre tantôt dominateur, contraignant son amie à attendre sa mort, le moment qu’elle choisira, spectatrice comme ces personnages du tableau  People in the Sun d’Edward Hopper (qu’elles admirent dans la « dernière demeure » de Martha), aveuglés par le soleil, en attente. Ce sont la nature et l’art qui relient ici Martha aux dernières lueurs de vie dont la beauté fulgurante éclate plus que jamais au seuil de sa mort.

    Tilda Swinton, lors de la rencontre après le film, a évoqué l’idée de la « mort avec dignité », et d’un film qui n’est au fond pas « à propos de la mort mais de diriger sa vie jusqu'à la fin », soulignant que Martha prend en mains non pas sa mort mais sa vie jusqu'au bout en choisissant « comment cette mort va être traversée».  « Elle demande simplement que son amie ne détourne pas le regard ».

    La distribution est aussi parfaite dans les seconds rôles : John Turturro dans le rôle de l’amant qui a partagé la vie des deux femmes, obsédé par une autre mort, celle de la planète. Et Alessandro Nivola dans le rôle d’un policier pugnace, conservateur et hargneux.

    La musique d’Alberto Iglesias accompagne elle aussi avec douceur ce cheminement vers la mort (grâce au piano, aux violons et à la harpe), comme une valse qui enlace les deux femmes et accompagne aussi Martha vers le trépas, avec parfois des notes dissonantes instillant du mystère aux frontières du thriller. La scène de la « première mort » de Martha est littéralement hitchcockienne et la musique comme le savant cadrage et le jeu habité de Julianne Moore contribuent fortement à créer cette atmosphère inquiétante.

    Lors du débat après le film, Pedro Almodovar a évoqué la manière dont il travaille avec le compositeur Alberto Iglesias qui « me propose quatre ou cinq thèmes musicaux parce que nous avons parlé du ton du film. Le compositeur comprend ce que j'attends. Parfois, je rejette les cinq premiers thèmes mais il a une grande capacité d'adaptation et pas d'ego et si je rejette son thème, il compose différemment. » Il a également évoqué sa manière particulière de réaliser le montage, pendant le tournage. Il a également précisé que l’idée d’euthanasie n’avait pas été évoquée avec ses actrices lors du tournage, ajoutant que « à mes yeux, je pense que les êtres humains ont le droit d'être maîtres de leur vie et doivent aussi être maîtres de leur mort lorsque la vie ne leur réserve plus que douleur. »

    Malgré la rudesse du sujet, le film n’est jamais lugubre. « C’est un film qui parle de la mort que je voulais austère mais il m'est impossible de renoncer à ma palette de couleurs » a précisé le cinéaste lors de la rencontre après le film. Ainsi, alors qu’elle a décidé de sa mort prochaine, Martha semble plus lumineuse, apaisée par la force inébranlable de son douloureux choix. Le directeur de la photographie, Edu Grau, a réalisé un travail magnifique avec un choix parcimonieux et judicieux de couleurs pour souligner les jeux de miroirs, de dualités et ressemblances entre les deux amies. Martha est associée à la couleur verte (quand la maladie la ronge) puis jaune (quand elle a repris le pouvoir sur sa vie). Les transats qui joueront un rôle central et qui sont côte à côté, comme les deux femmes dans ces maisons, sont vert pour celui de Martha, et rouge pour celui d’Ingrid. Le rouge, c’est aussi la couleur de la porte de Martha dont la fermeture est censée signifier qu’elle a franchi le seuil de la mort. La photographie nimbe la lumière de teintes translucides qui semblent venir de l’au-delà.

    La fin du film, reprend le monologue final du dernier film de John Huston, Gens de Dublin (1987), inspiré de la nouvelle The Dead, extraite du recueil Les Gens de Dublin, de James Joyce : « La neige tombe. Elle s’étend sur tout l’univers. Elle tombe, feutrée. Sur tous les vivants. Et les morts. » Ces mots nous accompagnent après le générique comme une mélopée à la fois sombre et réconfortante. Sur la terrasse, deux femmes se tiennent par la main. Tel un linceul, les flocons de neige les recouvrent, comme ils recouvrent «les morts et les vivants ». Mort et renaissance valsent alors ensemble.

    Le jury de la Mostra de Venise présidé par Isabelle Huppert a décerné son Lion d’or à ce film magnifique : « Je crois que dire adieu à ce monde proprement et dignement est un droit fondamental de tout être humain » a déclaré le cinéaste en recevant son prix. Ce long-métrage s’éloigne de ses films transgressifs, flamboyants, mélodramatiques, et exubérants (dans lesquels la mort étant cependant souvent présente) pour livrer un film poignant à la beauté funèbre. Un tableau vert, rouge et jaune d’une force poétique renversante sublimé par deux actrices magistrales. Un plaidoyer convaincant pour la liberté de choisir : la liberté de choisir la route qu'emprunte notre vie, jusqu'aux derniers instants, et donc la mort.

    La fin du film reconstitue les « étreintes brisées ». Ne vous disais-je pas à propos du film éponyme que le cinéma, paré de toutes les vertus, même celle de l’immortalité, survit à la mort, reconstitue les étreintes brisées ? C’est ce qui vous attend dans cette Chambre d’à côté dont je vous recommande de pousser la porte rouge pour affronter la mort et célébrer la vie.

  • Concours: 5x2 places pour "A single man" de Tom Ford

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    Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises de l'excellent premier film en tant que réalisateur du couturier Tom Ford (Cliquez ici pour lire mon compte rendu de la conférence de presse de Julianne Moore, Tom Ford et Colin Firth et pour lire ma critique et cliquez ici pour voir la bande-annonce), grâce à Cinefriends, je vous propose aujourd'hui 5x2 places pour découvrir le film en salles.

     Comme le délai est très court (réponses à envoyer avant mardi soir minuit à inthemoodforcinema@gmail.com avec, comme intitulé de l'email "Concours A single man", n'oubliez pas de joindre vos coordonnées postales sans lesquelles vos réponses seraient caduques. Seuls les gagnants seront prévenus), trois questions très simples:

    1. De quel livre "A single man" est-il l'adaptation cinématographique?

    2. Qu'est-ce que Tom Ford a le plus détesté dans son nouveau métier de réalisateur?

    3. Pourquoi voulez-vous voir ce film en particulier?

     

    Lien permanent Imprimer Catégories : CONCOURS Pin it! 3 commentaires
  • "A single man" de Tom Ford: en salles le 24 février

    singleman.jpgVous avez déjà pu lire ma critique du premier film de Tom Ford "A single man", ici, ainsi que mon compte rendu de la conférence de presse de Tom Ford, Julianne Moore et Colin Firth.

     Pour patienter en attendant la sortie du film le 24 février prochain, je vous propose aujourd'hui des photos du film et de l'avant-première ainsi que la bande-annonce.

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     © Jean-Marc Haedrich / Visual Press Agency
     
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  • 40 -délicieuses- minutes avec Colin Firth, Julianne Moore et Tom Ford ( conférence pour "A single man" de Tom Ford)!

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    Compte rendu de la conférence de presse:

     J'étais, cet après-midi, invitée à l'hôtel George V pour une conférence de presse du premier film du couturier Tom Ford en tant que réalisateur -"A single man" (voir ma critique en bas de cet article)- dans lequel Colin Firth interprète le rôle principal, un rôle pour lequel il vient d'être nommé comme meilleur acteur aux Oscars. Alors que, dehors, la neige endolorit Paris sous un voile mélancolique, voire morose, l'élégance feutrée et luxueuse du George V me replonge dans l'atmosphère du film, visuellement somptueux et envoûtant. Rendez-vous était donné au salon Bonaparte. J'effectue une petite halte à la réception pour demander où se situe ledit salon, ce à quoi la réceptionniste me rétorque, poliment mais fermement, qu'il n'y a pas de salon Bonaparte, m'envoyant dans une suite au 4ème étage. Heureusement, je croise l'attachée de presse qui m'indique le salon NAPOLEON (ah ah, à ne pas confondre avec Bonaparte, bien évidemment, au cas où vous tomberiez sur une réceptionniste érudite). A peine plus de 10 journalistes et des blogueurs qui se comptent sur les doigts d'une main attendent déjà dans un salon tamisé. La rencontre s'annonce relativement confidentielle. Interdiction de filmer et de photographier (la captation ayant été faîte par Mars Distribution), si ce n'est le quart de seconde pendant lequel les interviewés sont restés (d'où le caractère approximatif et le flou pas artistique de ma "photo") avant de s'évader vers d'autres interviews. Ce n'est finalement pas plus mal. La photo trahit ou banalise finalement souvent la réalité, je préfère qu'elle ressemble carrément à un songe évanescent, plus fidèle au souvenir émotionnel de l'instant et plus propice à ce que nous soyons dans le présent (si on veut être fidèle à l'esprit du film...pour profiter de la beauté de l'instant). J'admire la diplomatie et le plaisir apparent avec lesquels ils ont répondu à des questions qui leur sont sans doute posées pour la centième fois souvent par des journalistes blasés à l'affût de leur hypothétique bon mot davantage que de la potentielle intéressante réponse (comme toute règle celle-ci a ses exceptions, sans doute), je trouve néanmoins ces rencontres toujours instructives, en particulier quand le film est aussi réussi que l'est celui-ci. L'élégance irréprochable de Tom Ford, le charme dévastateur de Colin Firth, la douce incandescence de Julianne Moore ont fait paraître trop courtes ces délicieuses 40 minutes en leur compagnie. J'ai essayé de les retranscrire au mieux ci-dessous. Vous verrez que Tom Ford n'est pas seulement un couturier mais un vrai cinéaste avec une idée très précise et personnelle de son travail de metteur en scène, et avec un réel point de vue (ce qui se raréfie ces temps-ci, dans ce qui est produit en tout cas), que son élégance et celle de Colin Firth ne sont pas seulement vestimentaires, que la mélancolie n'empêche pas l'humour (à commencer par celui qui concerne leurs propres personnes).  Merci à Cinéfriends et Mars Distribution pour cette rencontre passionnante et privilégiée. Tout cela ne dit pas ce qui se passait en réalité au 4ème étage, mais c'est une autre histoire...

    singleman8.jpg-(A Tom Ford): Etait-ce une nécessité pour vous de passer au cinéma? Que comptez-vous exprimer de plus dans le cinéma?

    Tom Ford: J'ai réalisé que j'étais incapable de communiquer et de convaincre par la mode. Certains stylistes sont des artistes et expriment quelque chose par la mode. Pas moi. La mode est le miroir de notre culture. Je me suis toujours considérée comme un designer commercial contrairement à d'autres qui expriment leur art à travers la mode.

    -(A Tom Ford): Est-ce que le fait d'être un couturier vous a aidé ou handicapé pour ce nouveau métier?

    Tom Ford: Le processus est assez similaire. Le plus important est d'avoir quelque chose à dire, d'avoir un point de vue.   L'essentiel est de savoir ce qu'on veut dire. Tout est oeuvre de collaboration, dans la mode comme dans le cinéma. Dans l'univers de la mode, ce sont les ateliers... Au cinéma, il faut à la fois inspirer ses acteurs et leur donner l'espace de liberté dont ils ont besoin.

    -(A Tom Ford): Dans quelle mesure le roman et le personnage de Georges ont pu inspirer votre propre vision du glamour?

    Tom Ford: J'ai lu le livre alors que j'avais 20 ans et j'étais très intéressé par le travail de Christopher Isherwood. Je savais que cette histoire "Un homme au singulier" serait mon premier film. J'ai eu la chance de rencontrer Isherwood. J'ai dévoré toute son oeuvre.  J'ai relu ce roman après mes 40 ans. Dans le livre il parle de lui-même à la troisième personne. A l'époque, la première fois, je n'ai pas compris la dimension spirituelle de ce roman. Christopher était ancré dans la notion de vie dans le présent. En relisant plus tard, j'ai compris que cette troisième personne était l'âme du personnage qui observait l'être charnel.  Se réveiller le matin (ce par quoi commence le film) c'est déjà dire "je vis maintenant."

    -(A Colin Firth): Vous êtes nommé aux Oscars comme meilleur acteur pour "A single man". Avez-vous l'impression que c'est votre meilleure prestation et comment Tom Ford vous a-t-il poussé si haut?

    Colin Firth: La première question, ce n'est pas à moi d'y répondre mais aux critiques. C'est probablement l'expérience la plus forte que j'ai connue comme acteur. Les films ont toujours à voir avec l'anticipation, à aller au moment suivant. Ce film est une formidable méditation sur la façon d'expérimenter le présent. C'est une formidable chose à expérimenter.  Pour une fois, je n'ai pas dû faire appel à des artifices (accent...). Il s'agissait ici d'habiter le présent, d'être au présent tout le temps, ce qu'on fait paradoxalement peu au cinéma. Ce film nous offre une méditation sur ce qu'est "être dans le présent." Dans le cas de mon personnage, Georges, il a décidé que c'était le dernier jour de sa vie donc il est forcé de s'immerger dans le présent. Malheureusement, cela n'a rien changé pour moi.  Je n'ai jamais réussi à être dans le présent avant ce film, et toujours pas maintenant.

    -(A Tom Ford, Colin Firth, Julianne Moore:) Que vous est-il arrivé de plus enrichissant dans votre vie?

    Colin Firth: Je ne veux pas donner une réponse banale mais, ayant un enfant, devenir père est la chose qui bouleverse le plus.

    Tom Ford: Pour moi, l'expérience ce n'est pas ce qui arrive à un homme mais ce que fait un homme de ce qui lui arrive. Cette phrase (présente dans le film et empruntée à Huxley) signifie que ce qui est important c'est ce qu'on fait de son expérience, d'en tirer les leçons.

    Julianne Moore: Avoir un enfant est ce qu'il y a de plus formidable et marquant. On a d'abord un bébé et puis on découvre une personne avec qui entretenir une relation tout le reste de sa vie.

    -(A Colin Firth:) Colin, vous avez encore aujourd'hui la même élégance que votre personnage. Puisque vous n'êtes pas dans le présent, êtes-vous dans le passé ou dans le futur?

    Colin Firth: Je suis probablement à 200 kms d'ici à ce moment précis. Peut-être que je suis à Calais ou déjà en Californie. J'ai une relation très limitée au présent.

    Julianne Moore: Tom Ford m'a donné toutes les règles dont j'avais besoin et la liberté pour créer le personnage. [...] Nous avons beaucoup d'amis en commun avec Colin mais nous ne nous étions jamais rencontrés, nous nous étions juste croisés une fois dans un ascenseur à Toronto. [...] On demande souvent aux acteurs de parler de leurs propres expériences mais j'aime ce que disait Tom à propos du point de vue. Et en tant qu'actrice, ce qui me fait vibrer, c'est le point de vue d'un réalisateur. J'ai infiniment besoin d'un vrai point de vue. Par ses paroles, par ses indications et la liberté dans la structure, j'ai eu beaucoup de bonheur à créer ce personnage. Il y a un plan que j'aime beaucoup, c'est celui où je me maquille les yeux, grâce auquel tout est dit sur mon personnage. Colin était cet acteur normal mais avec une vraie joie de vivre, très drôle. Nous étions très heureux de travailler ensemble.

    Tom Ford:  Oui, c'était impossible de les faire taire. Je leur disais "il faut vous mettre dans la peau de vos personnages" et en une seconde Julianne était le personnage.

    -(A Tom Ford:)  Pourquoi avez-vous utilisé la chanson de Gainsbourg "Baudelaire"?

    Tom Ford: 1962 était la pire année aux Etats-Unis pour la musique. Comme le personnage de Julianne était sophistiqué... tout dans son personnage aspire à être dans son temps et même en avance sur son temps. Elle pense qu'elle doit toujours être à la mode et en avance de la mode pour tout (les vêtements, la musique...) et que c'est pour ça qu'on l'aime. Je voulais montrer qu'elle était en avance pour son époque.  D'ailleurs, elle passe ses vacances dans le Sud de la France où elle a pu entendre Gainsbourg.

    -(A Tom Ford:) Allait-il au tournage mal habillé?

    Tom Ford: Non, parce que je voulais être moi-même. Et ça c'est moi.  Je me réveille et je mets mon costume. C'est ainsi que je me sens bien. Cela aurait été ridicule de venir avec une casquette de baseball.

    Colin Firth: En 25 ans, c'était la première fois que je voyais ça. Souvent les réalisateurs s'effondrent derrière la caméra. Tom, pas du tout et c'est pour ça qu'il a été accueilli avec scepticisme par le monde du cinéma qui n'était pas habitué à ça.

    Tom Ford: Je suis au fond un peu comme Georges. Si l'extérieur est parfait alors le reste est parfait.

    -(A Tom Ford:) Dans ce nouveau métier de réalisateur, qu'est-ce qui vous a le plus plu et qu'est-ce que vous avez le plus détesté?

    Tom Ford: Chaque moment était délicieux. Je ne me suis jamais autant amusée dans ma vie. Le côté business (j'ai aussi produit le film) et la distribution a été le plus difficile. C'était compliqué car nous avons vendu le film dans le monde entier. Pour la mode, j'approuve tout depuis mon bureau de New York. Là, parfois, j'ai des surprises étranges en découvrant certains teasers ou trailers. C'est le business le côté le plus frustrant.

    -(A Tom Ford:) Est-ce que le fait que le film se déroule dans les années 60 vous a aidé?

    Tom Ford: J'ai avant tout choisi ce film pour l'histoire. L'histoire est le plus important, elle aurait très bien pu se dérouler à l'époque contemporaine.

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    Ma critique du film "A single man" de Tom Ford:

    Los Angeles, en 1962. Depuis qu'il a perdu son compagnon Jim (Matthew Goode) dans un accident, George Falconer (Colin Firth), professeur d'université Britannique, se sent incapable d'envisager l'avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie Charley (Julianne Moore), George essaie en vain de « vivre comme avant ». Une série d'évènements et de rencontres vont l'amener à décider s'il peut y avoir une vie après Jim.

    J'ai abordé ce film sans en avoir vu la bande annonce, sans en connaître le sujet. Tout juste savais-je que le styliste Tom Ford en était le réalisateur, scénariste et producteur. En quelques secondes, en quelques plans, j'étais dans l'ailleurs universel de cet homme singulier, porté par le charme ensorcelant de l'univers visuel de Tom Ford. Un univers d'une rare élégance, tantôt sombre, tantôt lumineux à l'image des variations de couleurs sur lesquelles influe l'humeur de George (et par lesquelles Tom Ford a eu la judicieuse idée de remplacer le monologue intérieur du roman de Christopher Iserwood « Un homme au singulier » dont il s'est inspiré pour ce film ).

    L'intrigue se déroule en une journée, une journée à l'issue de laquelle George a décidé de se suicider. Le compte à rebours est lancé. Quelques heures pendant lesquelles chaque minute compte plus que toute autre. Ou le présent prend toute sa douloureuse et belle signification. Ou la beauté des choses simples de la vie prend une toute autre dimension. La beauté des visages et des corps. La beauté des fleurs. La beauté des objets. La beauté des regards. Ceux des autres ou celui apposé sur le monde qui les et nous entoure.

    Les ralentis langoureux, la musique languissante (de Shigeru Umebayashi  mais aussi de  Abel Korzeniowski) nimbent ce single man, ce et ceux qui l'entourent d'une sensualité et d'une poésie envoûtantes qui rappellent celles de Wong Kar Wai (référence assumée puisque Shigeru Umebayashi est son compositeur). La solitude de George (mais aussi celle de Charley), la menace d'une guerre nucléaire en pleine crise des missiles de Cuba, la destinée de cette journée fatale renforcent la beauté fugace de chaque instant et de chaque rencontre. A l'image des personnages, nous sommes immergés dans la beauté sensuelle de l'instant.  Chaque rencontre évoque la beauté évanescente du possible, d'un désir.

    A single man est le film d'un artiste, et cela saute aux yeux dès les premiers plans. Un artiste, qu'il soit styliste ou cinéaste, est en effet quelqu'un qui vous embarque dans son univers qui lui ressemble et le singularise tout en apportant à cette histoire singulière des accents d'universalité. Le deuil, la solitude, le temps qui passe, autant de sujets universels en plus de la beauté plastique pleinement assumée qui rend caduque toute critique de superficialité puisque cette beauté devient argument artistique. Que ce soit celle de Julianne Moore, désespérément glamour ou des jeunes hommes à la beauté fatale ou trompeusement lisse (à l'image du film) que croise George. Que ce soit celle d'un plan de regards, ceux que George croise ou celui de l'affiche de « Psychose ».

     Tom Ford y apporte son style, de la classe, une incontestable élégance  pour nous faire appréhender la beauté du monde, un monde entre la ravageuse sensualité de Gucci et la sobre élégance de Saint-Laurent pour lesquels Tom Ford a travaillé. La sublime photographie  d'Eduard Grau, la musique et les costumes évidemment soignés complètent le tableau et la reconstitution subtile et magnifiée d'une époque.

    Un (premier) film incontestablement personnel d'une touchante et rare naïveté, un voyage sensoriel et sensuel d'un pessimisme lumineux et d'une beauté sombre, élégante, troublante avec comme guide l'excellent Colin Firth (qui a reçu pour ce film la Coupe Volpi de l'interprétation masculine au dernier Festival de Venise). Laissez-vous (em)porter... vous ne le regretterez pas !

    Sortie en salles : 24 février 2010

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  • Avant-première-Critique de « A single man » de Tom Ford avec Colin Firth, Julianne Moore…

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    Los Angeles, en 1962. Depuis qu'il a perdu son compagnon Jim (Matthew Goode) dans un accident, George Falconer (Colin Firth), professeur d'université Britannique, se sent incapable d'envisager l'avenir. Solitaire malgré le soutien de son amie Charley (Julianne Moore), George essaie en vain de « vivre comme avant ». Une série d'évènements et de rencontres vont l'amener à décider s'il peut y avoir une vie après Jim.

    J'ai abordé ce film sans en avoir vu la bande annonce, sans en connaître le sujet. Tout juste savais-je que le styliste Tom Ford en était le réalisateur, scénariste et producteur. En quelques secondes, en quelques plans, j'étais dans l'ailleurs universel de cet homme singulier, porté par le charme ensorcelant de l'univers visuel de Tom Ford. Un univers d'une rare élégance, tantôt sombre, tantôt lumineux à l'image des variations de couleurs sur lesquelles influe l'humeur de George (et par lesquelles Tom Ford a eu la judicieuse idée de remplacer le monologue intérieur du roman de Christopher Iserwood « Un homme au singulier » dont il s'est inspiré pour ce film ).

    L'intrigue se déroule en une journée, une journée à l'issue de laquelle George a décidé de se suicider. Le compte à rebours est lancé. Quelques heures pendant lesquelles chaque minute compte plus que toute autre. Ou le présent prend toute sa douloureuse et belle signification. Ou la beauté des choses simples de la vie prend une toute autre dimension. La beauté des visages et des corps. La beauté des fleurs. La beauté des objets. La beauté des regards. Ceux des autres ou celui apposé sur le monde qui les et nous entoure.

    Les ralentis langoureux, la musique languissante (de Shigeru Umebayashi  mais aussi de  Abel Korzeniowski) nimbent ce single man, ce et ceux qui l'entourent d'une sensualité et d'une poésie envoûtantes qui rappellent celles de Wong Kar Wai (référence assumée puisque Shigeru Umebayashi est son compositeur). La solitude de George (mais aussi celle de Charley), la menace d'une guerre nucléaire en pleine crise des missiles de Cuba, la destinée de cette journée fatale renforcent la beauté fugace de chaque instant et de chaque rencontre. A l'image des personnages, nous sommes immergés dans la beauté sensuelle de l'instant.  Chaque rencontre évoque la beauté évanescente du possible, d'un désir.

    A single man est le film d'un artiste, et cela saute aux yeux dès les premiers plans. Un artiste, qu'il soit styliste ou cinéaste, est en effet quelqu'un qui vous embarque dans son univers qui lui ressemble et le singularise tout en apportant à cette histoire singulière des accents d'universalité. Le deuil, la solitude, le temps qui passe, autant de sujets universels en plus de la beauté plastique pleinement assumée qui rend caduque toute critique de superficialité puisque cette beauté devient argument artistique. Que ce soit celle de Julianne Moore, désespérément glamour ou des jeunes hommes à la beauté fatale ou trompeusement lisse (à l'image du film) que croise George. Que ce soit celle d'un plan de regards, ceux que George croise ou celui de l'affiche de « Psychose ».

     Tom Ford y apporte son style, de la classe, une incontestable élégance  pour nous faire appréhender la beauté du monde, un monde entre la ravageuse sensualité de Gucci et la sobre élégance de Saint-Laurent pour lesquels Tom Ford a travaillé. La sublime photographie  d'Eduard Grau, la musique et les costumes évidemment soignés complètent le tableau et la reconstitution subtile et magnifiée d'une époque.

    Un (premier) film incontestablement personnel d'une touchante et rare naïveté, un voyage sensoriel et sensuel d'un pessimisme lumineux et d'une beauté sombre, élégante, troublante avec comme guide l'excellent Colin Firth (qui a reçu pour ce film la Coupe Volpi de l'interprétation masculine au dernier Festival de Venise). Laissez-vous (em)porter... vous ne le regretterez pas !

    Sortie en salles : 24 février 2010