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Cinéma - Page 3

  • Critique de LA RÉPARATION de Régis Wargnier (le 16 avril 2025 au cinéma)

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    Qui offre les caractères traditionnels du roman (aventures, sentiments, etc.). Qui a des idées, des sentiments dignes des romans. Qui rappelle l'aspect sentimental, aventureux ou merveilleux. Voilà quelques définitions du dictionnaire d’un adjectif qui m’est cher et qui est celui qui, selon moi, définit le mieux le cinéma de Régis Wargnier : romanesque. Plus intimes que ses grandes fresques historiques que sont notamment Indochine, Une Femme française et Est-Ouest, ce nouveau film du cinéaste n’en correspond pas moins à cet adjectif.

    Trente-neuf ans après son premier film, La femme de ma vie, et onze ans après Le Temps des aveux, nous le retrouvons donc (enfin !) avec plaisir pour ce nouveau long-métrage qui se déroule entre la Bretagne et Taïwan. Comme le furent chacun de ses longs-métrages, de Je suis le seigneur du château (sorte de voyage immobile, avec des personnages – et donc un spectateur - enfermés dans un château en Bretagne, avec sa forêt magique environnante) en passant par Indochine avec l’Asie (déjà), Est-Ouest avec la Russie et l’Ukraine, Man to Man avec l’Afrique du Sud et l’Écosse, Le Temps des aveux avec le Cambodge…La Réparation est une invitation au voyage.

    Bien qu’absent depuis dix ans des salles obscures en tant que réalisateur, Régis Wargnier n’avait cependant pas rompu tout lien avec le septième art. Cinéphile averti, très présent dans les festivals de cinéma, pendant quatre ans, il a aussi présidé plusieurs commissions au CNC, en charge de l’aide aux éditeurs de DVD, et aussi de l’aide à la numérisation. Il fait également partie, depuis 2009, du comité de pilotage de la fondation « culture et diversité », créée par Marc de La Charrière, et dirigée par sa fille Eléonore. Cette fondation a pour but de favoriser l’accès aux écoles de la culture des jeunes des zones défavorisées, sur le principe de l’égalité des chances. Il est également romancier (le romanesque, nous y revenons) : Les Prix d’excellence, publié en 2018, chez Grasset, et La Dernière Vie de Julia B., paru en 2022 chez Robert Laffont.

    Ce cinéma, romanesque donc, trop rare aujourd’hui (remis au goût du jour avec le succès, mérité, du Comte de Monte-Cristo, presque dix millions d’entrées en France à ce jour), auquel, avant lui, David Lean ou Sydney Pollack avaient donné ses lettres de noblesse, compte au moins un chef-d’œuvre, Indochine, qui lui permit de remporter une pluie de récompenses parmi lesquelles l’Oscar du meilleur film étranger en 1993 et le César de la meilleure actrice pour Catherine Deneuve, la même année. Ses films sont de grandes fresques qui provoquent un vertige d’émotions, dans lesquelles se déploie l’ivresse des sentiments. Un cinéma parcouru d’un souffle contagieux dans lequel les personnages sont guidés par leurs élans passionnels et donnent envie aux spectateurs d’embrasser la vie avec fougue. « Les vraies passions donnent des forces, en donnant du courage » écrivait Voltaire. Un cinéma dans lequel les impitoyables soubresauts de l’Histoire fracassent les destins individuels mais font jaillir les forces de la passion.

    Cette fois, direction la Bretagne donc. Là où, quelques heures avant l'attribution de sa troisième étoile, le célèbre chef Paskal Jankovski (Clovis Cornillac) disparaît avec son second, Antoine (Julien De Saint Jean), lors d'une partie de chasse. À vingt ans, sa fille Clara (Julia de Nunez) se retrouve seule aux commandes du restaurant. Deux ans plus tard, elle reçoit une mystérieuse invitation pour Taïwan où elle décide de se rendre. Elle y croise notamment un chroniqueur gastronomique, Mangenot (Louis-Do de Lencquesaing) qui va aussi enquêter sur la disparition de son père, guidé par les saveurs d’un énigmatique chef, Tao (J.C. Lin).

    La disparition (dix mille personnes disparaissent chaque année en France !) est évidemment un sujet éminemment cinématographique par les attentes, les doutes, les questionnements, les hypothèses et les espoirs qu’elle suscite. Elle fait écho au thème de la mer et de l’océan, et plus largement de l’eau, (omni)présents dans le cinéma de Régis Wargnier. Qu’y a-t-il en effet de plus fascinant, impressionnant et mystérieux que ces grandes étendues d’eau, à l’image de ce vertige saisissant que représente une disparition ? C’est ainsi sur des plans de la mer que commencent Indochine et Est-Ouest. On se souvient aussi des plans d’une vertigineuse magnificence de la Baie d’Halong dans le premier.

    La scène d’ouverture de La Réparation joue avec ces souvenirs du spectateur, brouillant les repères des époques et des lieux : dans une nature bretonne qui préfigure les espaces verdoyants et plus exotiques de l’Asie, deux amoureux s’enlacent passionnément. Comme un clin d’œil aux histoires qui ont précédé celle-ci dans le cinéma de Régis Wargnier, profondément épiques et romantiques.

    Clara est au seuil de la vie adulte, sur le point de s’émanciper, à l’âge délicat et brûlant où le respect dû aux parents bataille avec les envies d’ailleurs, de liberté, et d’être soi. Un âge à l’image aussi de ce qu’est ce cinéma romanesque de Régis Wargnier : ardent.

    Les personnages des films de Régis Wargnier sont ainsi souvent confrontés à des tragédies qui les dépassent, historiques comme dans Est-Ouest ou Indochine, ou plus intimes comme dans La Réparation ou dans Je suis le seigneur du château dans lequel le petit Thomas Bréaud, dix ans, perd lui aussi un parent, en l’occurrence sa mère.

    Le thème universel de la filiation figure ainsi également souvent au centre du cinéma de Régis Wargnier. C’est en effet aussi un parcours initiatique pour Clara qui devra l’amener, ainsi qu’Antoine, à réparer le drame dont ils sont les protagonistes involontaires. Elle devra aussi apprendre à gérer ce pesant héritage familial et ses doutes obsédants.

    Dans Indochine, dans les années 30, Eliane Devries (Catherine Deneuve) dirige avec son père Émile (Henri Marteau) une plantation d'arbres à caoutchouc. Elle a adopté Camille (Linh-Dan Pham), une princesse annamite orpheline. Toutes les deux ne vont pas tarder à tomber amoureuses de Jean-Baptiste (Vincent Pérez), un jeune officier de la marine. Là aussi la filiation et la transmission sont au cœur du récit.

    La Réparation n’est pas seulement un film romanesque et de voyage, il se situe ainsi aux frontières de plusieurs genres dont le thriller, le mystère accompagnant la disparition du père de Clara. C’est la gastronomie qui sera le fil directeur de la quête de vérité de la jeune femme, et les saveurs qui la mèneront peut-être jusqu’à lui. Les goûts portent en eux une mémoire et suscitent souvent des réminiscences et peut-être en l’espèce les réponses à ses questions.

    Jane Birkin. Catherine Deneuve. Linh-Dan Pham. Emmanuelle Béart. Sandrine Bonnaire…Ces merveilleuses actrices incarnent des héroïnes fortes et passionnées, sublimées par la caméra aimante du réalisateur, des actrices dans la lignée desquelles s’inscrit Julia de Nunez qui crevait déjà l’écran dans le rôle de Bardot dans la série éponyme de 2023. Sa forte présence, son intensité (de jeu et de regard), son phrasé singulier, son naturel, en font déjà une grande actrice en devenir. Ici, elle est à la fois lumineuse et ombrageuse, intrépide et dévorée par les doutes. Elle incarne son personnage à deux périodes de sa vie : une jeune femme de vingt ans encore sous l’influence de son père qui n’ose lui avouer sa relation avec son second puis une femme éprouvée par un drame qui prend son destin en main pour partir à la recherche de ce dernier à Taïwan avant de prendre un nouveau départ.

    Dans le cinéma de Régis Wargnier, la passion conduit souvent les personnages à transgresser les règles. Ainsi, dans Indochine, Éliane (Catherine Deneuve) transgresse les règles de son rang social pour vivre son amour avec Jean-Baptiste (Vincent Pérez) tandis que celui-ci trahit l’armée française par amour pour Camille (Linh-Dan Pham). Dans Est-Ouest, Marie (Sandrine Bonnaire) ne cessera de lutter pour revenir en France. Dans Une femme française, Jeanne (Emmanuelle Béart) vivra sa passion au mépris des conventions. Ce long-métrage inspiré de la vie de la propre mère de Régis Wargnier explique aussi certainement pourquoi presque tous ses films mettent en scène des personnages de femmes qui bousculent les règles, des femmes libres qui puisent dans l’amour la force de lutter.

    Le scénario de La Réparation, écrit par Régis Wargnier, en collaboration avec Manon Feuvray et Thomas Bidegain, se divise ainsi en deux parties distinctes, portées par la sublime musique originale de Romano Musumarra (qui magnifie les sentiments et les paysages, apporte encore une note supplémentaire de romanesque mais aussi de mystère), et par les saveurs qui en constituent le sel et le liant.

    Le voyage s’avère aussi savoureux grâce aux lieux profondément empreints d’une âme, amoureusement filmés, comme le restaurant en Bretagne et comme le grand hôtel de Taipei et le monastère dans la montagne, grâce aussi à une photographie particulièrement soignée de Renaud Chassaing qui exhale un sentiment romanesque. Dans les deux cas, ce sont de vrais restaurants qui servent de décors au film. Le premier convivial, esthétique, chaleureux, le Moulin de Rosmadec, fait écho au second, celui du restaurant Raw qui sert de décor au film pour la partie se déroulant à Taipei.

    Clovis Cornillac incarne une présence suffisamment forte pour que son absence constitue une sorte d’ombre fantomatique et puissante qui irrigue tout le film, un questionnement permanent aussi. On devine aisément le vertige de celui qui se retrouve à la cime de sa profession après avoir tant bataillé pour gravir les échelons de la gastronomie et y parvenir. Tendre, protecteur et directif avec sa fille, il est aussi intransigeant et perfectionniste avec sa brigade.

    Pour contrebalancer cette silhouette vigoureuse et cette absence omniprésente, il fallait un acteur comme Julien De Saint Jean (déjà formidable dans le rôle d’André dans Le Comte de Monte-Cristo), plus fragile mais non moins fortement présent, au visage poignant. Face à lui, J.C. Lin  a une aura  plus énigmatique et fuyante, mais non moins captivante, comme un double de celle du père de Clara.

    Finalement père et fille seront confrontés à cette même question : comment trouver sa place ? Quel est le sens et quel est le but de cette quête (de réussite) acharnée ?

    Un film qui se savoure, aux thématiques aussi intimes qu’universelles, parcouru d’une mélancolie fascinante comme les paysages qui lui servent de cadre. Le portrait d'un magnifique personnage de femme incarné par une actrice magnétique, aussi à l’image de l’affiche du film : un personnage vulnérable qui court pour trouver la vérité, le chemin de sa vérité, et combat les affres du destin, devant des paysages vertigineux et majestueux, ceux d'une nature grandiose qui la dépasse comme l’énigme indicible à laquelle elle est confrontée.

    Le dernier plan d’un visage, lumineux et judicieusement énigmatique, m’a rappelé celui, sublime et inoubliable, d’Indochine : Catherine Deneuve de dos face au lac, face à ses souvenirs, son avenir, ses espoirs, ses émotions, après les mots bouleversants de son petit-fils.

    Au début d’Indochine, en voix off, Catherine Deneuve prononce cette phrase : « C’est peut-être ça la jeunesse. Croire que le monde est fait de choses inséparables. »  Et ce dernier plan, dans ce film précité comme dans La Réparation, nous suggère cela aussi : l’éternité des choses inséparables. Par-delà la disparition. Et un sentiment de douceur sur lequel s’achèvent ces deux films. C’est peut-être cela, aussi, la réparation…

    «Le silence, c'est laisser la porte ouverte.» Une phrase à l'image de ce film, d'un charme énigmatique, qui nous accompagne bien après la projection. Un immense coup de cœur. Ne le manquez pas !

  • Critique de CECI N’EST PAS UNE GUERRE de Magali Roucaut et Eric-John Bretmel (au cinéma le 16 avril 2025)

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    « Un film, ça se construit comme un vers latin, à partir du dernier mot de la phrase, avec du rythme. » Jean Rouch

    Ou à partir de la dernière image. Comme une fenêtre qui s’éclaircit par exemple, nettoyée. Une fenêtre comme une ouverture sur le monde qui, malgré son illogisme, prend alors tout son sens, un sens en tout cas, et qui vous laisse profondément émus.

    Mais revenons au début. Cela commence par la voix du Ministre de l’Intérieur de l’époque qui annonce le confinement : « Les règles sont simples. Restez chez vous. C’est ainsi que vous serez des alliés de notre guerre contre le COVID-19. […]Tout ce qui peut paraître anodin en temps normal est interdit. Il est question de vie et de mort. » Entendue cinq ans après, cette déclaration particulièrement anxiogène révèle toute l’absurdité de cette période insensée dont le temps carnassier a déjà effacé le souvenir pour beaucoup. Une absurdité avec laquelle jouent et jonglent brillamment les deux réalisateurs, Magali Roucaut et Eric-John Bretmel.

    Dans un Paris aux allures de science-fiction, où la loi impose de rester chez soi, les deux amis, Magali (Magali Roucaut) et Eric John (Eric-John Bretmel) donc, s’aventurent à travers les rues désertes pour essayer de réinventer le lien aux autres, là parfois comme eux, comme des fantômes errants. En parallèle, Eric-John converse par téléphone avec son père. Le médium et le contexte permettent la confidence. La période, avec ses attestations, ravive les souvenirs de la Seconde Guerre Mondiale par lesquels ce dernier est hanté, il les raconte à son fils. Les réminiscences sont d’autant plus fortes que Raïa, la sœur du père du cinéaste et donc la tante de ce dernier est décédée quelques jours avant le début du confinement.

    Après la voix de Castaner, un graphique nous fait visualiser la progression effrayante du nombre de décès par pays. Eric-John, que nous ne voyons pas encore, filme le nettoyage assidu de ses mains et de ses objets.  Le film commence donc ainsi, par un prologue à l’intérieur de son appartement filmé à l’iPhone, en vertical. Un format qui cadenasse la perspective, qui enferme le regard, tout comme Eric-John est claquemuré mentalement et physiquement. Ses gestes sont accompagnés par ses conversations téléphoniques avec son amie, la coréalisatrice. Les images d’une soirée viennent s’intercaler, une soirée organisée dans l’appartement d’Eric-John, des images filmées quelques jours avant le confinement, des images qui apparaissent alors comme celles d’un autre temps. « T'organises ces soirées mais tu t'amuses pas. T'aimes pas la fête, t'aimes juste les gens » lui dit Magali. Et cet amour des gens, ce film le reflète magnifiquement.

    Magali propose à Eric-John de filmer la ville. Le tournage permettrait de s’affranchir du périmètre imposé par le confinement. Alors, Eric-John descend les escaliers de son immeuble et nous embarque avec lui dans sa quête de souffle qui deviendra aussi celle d’un passé familial, bouleversant.

    Générique. Ceci n’est pas une guerre. Mais cela y ressemble. Et cela en rappelle une autre. Le titre à la Magritte donne une idée du ton mais aussi du sujet du film qui interroge, comme Magritte le fit avec ses toiles, l’interprétation du monde environnant. Une traque de l’étrangeté aussi qui révélera l’absurdité de la période, grâce notamment au caractère burlesque du « personnage » Eric-John qui déambule dans les rues, le visage à demi dissimulé par sa casquette, et son masque parfois, apeuré mais curieux des autres, et à l’affût de la poésie étrange du présent.

     Le film a été financé par une campagne de financement participatif. En cinq semaines, plus de 240 soutiens avaient déjà été obtenus parmi lesquels celui d'un cinéaste qui a lui aussi si bien immortalisé Paris, Cédric Klapisch. Le long-métrage se construit par un dialogue entre deux formats d’images, une image verticale prise avec le téléphone d’Eric-John et l’autre, plein écran, d’une caméra cinéma, celle de Magali.  Eric-John filme chez lui, avec son iPhone, et Magali filme dans la ville avec sa caméra. Eric-John est ainsi le personnage principal, singulier, décalé, attachant, entre « Buster Keaton et Moretti » comme le dit si justement Magali.

    Loin de moi l’idée de me moquer car je me suis beaucoup reconnue dans ses gestes obsessionnels, sans doute ceux aussi de personnes fortement éprouvées par un deuil, qui connaissent la fragilité de la vie, et la perfidie de la mort. Cela donne lieu à des scènes particulièrement cocasses que nous regardons toujours avec tendresse, celle aussi qui parsème ce film. De la course avec la pizza pour ne pas qu’elle refroidisse. Au rire et au regard circonspect de son ami à qui il demande de se passer scrupuleusement du gel hydroalcoolique entre les doigts. Sans oublier le récit de ce concept particulier de faire la queue devant la caisse du cinéma sans y aller, pour créer du lien social. Et c’est aussi à cela qu’aspire ce film, avant tout : créer du lien dans cette période déshumanisante.

    Toute la richesse du montage et toute la force du film consistent à entrelacer subtilement deux récits. L’histoire familiale d’Eric-John, aussi passionnante que tragique, va en effet peu à peu se révéler, et l’émotion nous envahir. Un autre fantôme, du passé, va ainsi (re)surgir, une autre forme de gravité derrière la légèreté. C’est finalement le récit de deux libérations : du récit du passé, de l’enfermement et de l’angoisse liée au covid. Le montage va habilement entrecroiser les deux formes de filmage et de récits. Le film est le témoin de cette période ubuesque mais il raconte donc également une histoire singulière avec ses expressions aujourd’hui tellement incongrues : « On en profite pour faire une fenêtre si ça te dit. »

    Le film révèle autant l’humanité que l’inhumanité suscitées par cette période, une inhumanité révoltante, comme ces deuils à distance, entravés, empêchés même, sans le moindre contact humain. Cela interroge aussi forcément la docilité de chacun à cette période et l’acceptation de l’inacceptable. C’est aussi la rencontre avec une galerie de personnages attachants, abasourdis mais imaginatifs souvent.

    La poésie n'est jamais bien loin. Les flaques d’eau qui reflètent des silhouettes. Les chemises qui sèchent entre les immeubles et qui flottent dans le vent. La poésie des rues de Paris vides et fascinantes. Et cette célèbre et non moins sublime chanson de Bashung, La nuit je mens, entonnée dans un terrain vague, qui suspend le vol du temps, qui crée du lien là aussi. Et de la beauté brute.

    Parfois, tout en parlant au téléphone, Eric-John dessine, par exemple une chaise à laquelle feront ensuite écho des photos de ce même meuble. Ce film est cela aussi. Une histoire d’échos. Des échos entre le passé et le présent. Entre les fantômes. Les siens, les nôtres. « Pourquoi matérialiser le fantôme par toi ? » demande ainsi Magali à Eric-John. « Moi, je fais le film quasiment pour le fantôme. » répondit-il. Le film bascule subrepticement vers l’intime suggéré pudiquement dès le début quand Eric-John évoque ce qu’il a emporté de l’appartement de sa tante, « la lampe avec laquelle elle lisait tout le temps. Et la tasse du chat. » « Quand je passais chez elle, c'était cela du thé, des nouveaux livres du chocolat noir. » Peu à peu se construit le récit de l’histoire de cette tante qui sauva la vie de son père quand il était enfant pendant la guerre, et dont on comprend l’importance qu’elle eut pour la famille, et pour Eric-John. Un récit fort et poignant qui colore alors le film d’une profondeur mélancolique qui s’insinue peu à peu dans les rues vides et dans le cœur du spectateur. Ce film, c’est aussi le portrait de cette femme magnifique de courage qui jusqu’à ses derniers instants se soucie du bien-être de ce frère à qui elle a sauvé la vie. Et ce « bonne fin de route » qu’elle prononça lors de ses derniers instants, comme le rapporte son frère, nous fait chavirer.

    Un film tragi-comique à la fois simple et profond, émaillé de tendresse, de drôlerie, de fantaisie, de singularité, de poésie, de sensibilité, porté par des musiques judicieusement choisies : Les baisers n’empêchent pas la peine de Garance Bauhain, Tumbalalayka interprétée par Theodore Bikel, La Symphonie n°9 en mi mineur, B.178 (op.95) Du Nouveau Monde de Antonín Dvořák, Everywhere Home de YOM, une musique par laquelle se termine le film qui nous arrache quelques larmes salvatrices. Un portrait d’une époque angoissante, surréaliste, absurde, d’une ville étrangement sublime, d’un personnage burlesque et attachant, et d’une femme dont cette guerre qui n’en est pas vraiment une ravive le souvenir de l’héroïsme lors d’une autre. Un film qui instille de la légèreté dans la gravité, et qui révèle et recèle surtout beaucoup d’humanité et de profondeur.

    Un film sur la solitude exacerbée par cette période insensée mais aussi sur la force des liens qui sauvent. Un film au montage intelligemment rythmé. Un film dont les personnages (présents ou les "fantômes" évoqués) et les images nous hantent joyeusement après la projection. Un film d’échos réconfortants qui font écho. Comme cette phrase que prononce un ami d’Eric-John « Mon monde idéal ? Le plus important dans la vie, c'est la vie. » Un film de fantômes sur la force de la vie, et la survivance des morts dans le cœur et la mémoire des vivants. Un comédie documentaire qui marie subtilement les contraires et les paradoxes. Saisissant. Ceci n'est pas une guerre mais un moment de paix, comme un pansement sur nos bleus à l'âme.

    (Je vous invite à suivre le compte Instagram de @cecinestpasuneguerre, vous y découvrirez notamment la formidable bande-annonce dans laquelle figure visuellement le sourire empreint de bienveillance et de malice d'un héros du film dont vous ne percevez que la voix dans le long-métrage...).

    Un film à voir au cinéma Les 3 Luxembourg, à Paris, à partir de ce 16 avril. Avec plusieurs séances en présence des cinéastes. Retrouvez le programme sur le site officiel du cinéma, ici.

  • Critique de AIMONS-NOUS VIVANTS de Jean-Pierre Améris (au cinéma le 16 avril)

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    C’est la vie. Poids léger. Les émotifs anonymes. L’homme qui rit. Une famille à louer. Marie-Line et son juge. Autant de films parmi d’autres réalisés par Jean-Pierre Améris qui, à chaque fois, m’ont bouleversée, par leur sensibilité, la précision et la qualité de l’écriture, la justesse de l’interprétation, mais aussi une tendresse et une absence salutaire de cynisme. Autant de qualités communes à chacun de ses films qui font que je ne manque jamais aucun de ses longs-métrages. Le dernier, au cinéma ce 16 avril, ne déroge pas à la règle. Je vous recommande d’emblée ce film qui est un enchantement.

    Jean-Pierre Améris nous embarque cette fois dans le train pour Genève dans lequel Victoire (Valérie Lemercier), une passagère envahissante, croise Antoine Toussaint (Gérard Darmon), son idole, une grande vedette de la chanson française. L’une est en permission sans autorisation de quitter le territoire, et l’autre part pour un suicide assisté.  L’une a rendez-vous pour marier sa fille (enfin, pas vraiment rendez-vous puisque personne ne l’attend réellement) et l’autre a rendez-vous avec la mort. L’une est solaire et enthousiaste, et l’autre est sombre et bougon.  Deux êtres que tout oppose a priori  : voilà l’incontournable postulat de départ de toute (bonne) comédie.

    Cela commence en musique, à l’Olympia où Antoine Toussaint interprète la chanson Mambo Italiano à laquelle il doit en grande partie son succès. Une chanson à laquelle on le ramène constamment comme si elle résumait toute sa carrière. C’est aussi en l’interprétant qu’il a un AVC sur la scène de l’Olympia, ce qui mettra fin à sa carrière et surtout lui donnera la conviction que sa vie est terminée, et que la célébrité est parfois le « deuil éclatant du bonheur ». Cette chanson provient d’un album de Gérard Darmon sorti dans les années 2000, à l’origine chantée par Dean Martin, qui d’emblée donne le ton du film.

    Victoire et Antoine sont tous deux finalement enfermés, avant tout dans une forme de solitude. Comme souvent, les personnages de Jean-Pierre Améris sont des solitaires, des êtres fragilisés par la vie, toujours attachants, des personnages sur lesquels le réalisateur porte comme toujours un regard attendri et plein d’empathie. Souvent des « émotifs anonymes ». Victoire est d’une grande liberté, délurée, maladroite, et a pour hobby de transgresser les interdits. Antoine ne peut plus exercer sa passion, et n’a plus de raison de vivre, et Victoire est le caillou qu’il n’attendait pas qui vient enrayer la mécanique de son « projet ». Ils forment un couple irrésistible. Comme souvent chez Jean-Pierre Améris, le retour à la vie vient d’une rencontre inattendue, qui redonne le goût de l’avenir.

    Les dialogues percutants et les situations fortes imaginées par Marion Michau et Jean-Pierre Améris font que le rythme ne faiblit jamais, que le temps passe trop vite, tant nous aurions aimé prolonger le voyage avec ces deux-là.

    L'origine du merveilleux film Marie-Line et son juge se trouvait dans le roman de Murielle Magellan, Changer le sens des rivières, paru en 2019. C’était ce que racontait avec beaucoup de subtilité et de pudeur ce film et ce en quoi il nous donnait férocement envie de croire : la possibilité d’aller contre le déterminisme social, de changer le cours des rivières. Qu’une rencontre peut nous aider à voir la vie autrement, à saisir notre chance, à prendre notre envol. Qu’il faut rester ouverts aux surprises que nous réservent la vie, malgré les vicissitudes du destin, et ouverts aux rencontres, aussi improbables semblent-elles. Tout comme nous n’oublierons pas ce duo magnifique de Louane et Michel Blanc et leur improbable « symbiose », et ce film pétri d’humanité, profondément émouvant, tendre, sensible, optimiste, porté par l’amour des mots, des êtres, et du cinéma de son réalisateur, nous n’oublierons pas le duo magnifique formé par Valérie Lemercier et Gérard Darmon dont la rencontre change là aussi le sens de la rivière….

    Le duo fonctionne tellement bien qu’il est impossible d’imaginer d’autres acteurs pour incarner Victoire et Antoine tout comme était impossible d’imaginer quels autres acteurs que Louane Emera et Michel Blanc auraient pu incarner Marie-Line et son juge. Michel Blanc se glissait à la perfection dans la peau de ce juge, bougon (déjà, lui aussi !) au cœur meurtri et tendre, qui laisse sa fragilité apparaître, derrière la carapace du juge qui pourrait pourtant encore pleurer en voyant défiler toute la misère du monde. Louane Emera avait également toujours le ton juste, avec sa gaieté et sa force communicatives, une énergie et une bonté rares derrière la dégaine improbable de son personnage cartoonesque.

    Valérie Lemercier et Gérard Darmon (dans son meilleur rôle, d’une justesse de ton vraiment admirable) sont tout aussi convaincants dans leurs rôles sans jamais forcer le trait comme auraient pu les y inciter ces deux personnages pourtant chacun excessifs à leur manière, l’une dans l’excentricité, l’autre dans le désespoir (domaine dans lequel la première est également experte, malgré les apparences). Comme chez Capra ou Wilder, le sujet est empreint de noirceur (il est tout de même question de dépression, de suicide assisté etc), mais comme souvent ce fond de tragédie donne lieu aux meilleures comédies. A l’heure à laquelle la santé mentale est enfin mise sur le devant de la scène (un documentaire sur ce sujet dont je vous parlerai sera prochainement diffusé sur M6), il est important que le cinéma s’en empare aussi, a fortiori sur le ton de la comédie.

    Comme toujours, là aussi, dans le cinéma de Jean-Pierre Améris, les seconds rôles sont tout aussi formidables. De l’agent d’Antoine Toussaint interprété par Patrick Timisit, qui a consacré sa vie à son artiste et ami, et qui exhale la gentillesse, la sincérité et la bienveillance à Alice de Lencquesaing qui incarne la fille de Victoire, aussi « normale », sérieuse et classique que sa mère est déjantée.

    Les costumes (de Judith de Luze), la photographie (de Pierre Milon) et les décors (d’Audric Kaloustian) sont judicieusement gais, lumineux et colorés, irradiant de soleil, en contraste avec les idées sombres qui envahissent le personnage d’Antoine, pour lui signifier que la vie est là, partout, éclatante.

    Je ne peux m’empêcher de faire une digression pour vous dire de (re)voir les films précédents du réalisateur cités au début de cette chronique, et en particulier Les émotifs anonymes dans lequel Poelvoorde donne brillamment corps (mal à l’aise, transpirant, maladroit), vie (prévoyante et tétanisée par l’imprévu) et âme (torturée et tendre) à cet émotif avec le mélange de rudesse involontaire et de personnalité à fleur de peau caractéristiques des émotifs et Isabelle Carré, à la fois drôle et touchante, qui sait aussi nous faire rire sans que jamais cela soit aux dépends de son personnage.  La (première) scène du restaurant est un exemple de comédie ! Et voyez L’homme qui rit, sublime adaptation de Victor Hugo, un enchantement mélancolique, un opéra moderne ( musique enregistrée à Londres avec un orchestre de 65 musiciens qui apporte une force lyrique au film), une histoire d’amour absolu, idéalisée, intemporelle, un film universel au dénouement bouleversant, un humour grinçant, de la noirceur et de la tragédie sublimés par un personnage émouvant qui à la fois nous ressemble si peu et tellement (et un univers fascinant, poignant : celui d’un conte funèbre et envoûtant.)

    Dans chacun des films de Jean-Pierre Améris, on retrouve avant tout cela : la tendresse, celle qui émaille ses films, celle qu’il éprouve pour ses personnages, celle qu’il suscite pour ces derniers et pour ses longs-métrages.

    Le film s’achève par la chanson de François Valéry qui donne son titre au film, Aimons-nous vivants. Elle nous laisse, comme la dernière scène, avec des envies d’ailleurs, de dévorer l’existence, d’embrasser la vie, de croire en la magie de ses rencontres, de danser même sous la pluie. N’est-ce pas là un des plus fabuleux pouvoirs du cinéma lorsque le film est réussi ? Nous faire ressortir de la salle, le cœur en joie, ou illuminé d’un espoir nouveau, quelle que fût la couleur de notre ciel en entrant ? Un film qui nous rappelle de ne pas « attendre que la mort nous trouve du talent » pour profiter de chaque seconde de l’existence, ou croire en des jours meilleurs et en l’imagination de l’existence quand l’horizon semble obstinément sombre.

    Un film d’un romantisme tendre mais pas mièvre avec des personnages excessifs mais pas surjoués, mais interprétés avec nuance par deux comédiens au sommet de leur art. Un petit bijou de fantaisie, d’une profonde humanité. La comédie romantique de cette année, comme son  actrice principale, pétillante de vie et rayonnante d’audace. Une fable jubilatoire, à ne pas manquer.

  • Critique de LETTRES SICILIENNES de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza

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    Ce mercredi 16 avril ne sera pas avare de sorties d’excellents films, entre Ceci n’est pas une guerre de Eric-John Bretmel et Magali Roucaut et La Réparation de Régis Wargnier mais aussi le dernier film de Jean-Pierre Améris (dont je vous parlerai mercredi), liste à laquelle il faut ajouter ces Lettres siciliennes de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, que je vous recommande également vivement.

    Ce film figurait par ailleurs parmi les longs-métrages en compétition de la Mostra de Venise 2024 et de Reims Polar 2025.

    Sicile, début des années 2000. Après plusieurs années de prison pour collusion avec la mafia, Catello Palumbo (Toni Servillo), homme politique aguerri, a tout perdu. Lorsque les services secrets italiens sollicitent son aide pour capturer son filleul Matteo (Elio Germano), le dernier chef mafieux en cavale, Catello saisit l'occasion pour se remettre en selle. Homme rusé aux cent masques, illusionniste infatigable qui transforme la vérité en mensonge et le mensonge en vérité, Catello entame une correspondance improbable et singulière avec le fugitif, cherchant à profiter de son vide affectif. Un pari qui, avec l'un des criminels les plus recherchés au monde, comporte un certain risque... Librement inspiré de faits réels. Les personnages du film sont cependant le fruit de l'imagination des auteurs. « La réalité est un point de départ, pas une destination » peut-on ainsi lire au début du film…

    Le film est ainsi librement inspiré de l'enquête qui permit de faire sortir de sa tanière, Matteo Messina Denaro, chef mafieux qui vivait reclus depuis des années et qui gérait ses sanglantes activités grâce à des lettres distribuées clandestinement. Les scénaristes réalisateurs du film ont aussi grandi en Sicile dans les années 1980-1990 et connaissent bien le sujet dont ils parlent ici.

    « Après six ans de prison, tu n'es plus maire de la ville, plus proviseur de collège, ni conseiller municipal, ni franc-maçon. À soixante-cinq ans tu n'es plus rien, juste un ex, et aujourd'hui un ex-prisonnier. » Ainsi l’épouse de Catello (Betti Pedrazzi) accueille-t-elle son mari qui découvre par la même occasion que sa fille est enceinte du concierge de son collège, qu’il juge par ailleurs particulièrement stupide. Les scènes relèvent ainsi du meilleur de la comédie italienne, d’une cynique drôlerie. À l'exemple de l'épouse de l'ex conseiller municipal et ex directeur de collège, les femmes sont ici fortes, de Lucia (Barbara Bobulova) chez qui le chef mafieux vit caché à l’inspectrice Mancuso (Daniela Marra).

    Lettres siciliennes est le troisième film d’une trilogie sur la face obscure de la Sicile, après Salvo en 2013 et Sicilian Ghost Story en 2017, signés du duo de cinéastes (également scénaristes).  

    C’est aussi le film le plus réaliste de la trilogie qui lorgne cependant du côté de la comédie noire aux accents grotesques, genre dans lequel le cinéma italien excelle, à commencer par Sorrentino dont l’acteur fétiche, Toni Servillo, incarne ici Catello. Personnage clownesque, parfois ridicule, immoral, portant plusieurs masques, son rôle est inspiré de celui qui était à l’époque des faits le propriétaire du seul cinéma de Castelvetrano.

    Ce film foisonnant et captivant dès les premières minutes commence ainsi, par des flashbacks savamment montés, de la mort du père de Matteo, et d’une scène particulièrement forte lors de laquelle il se montre comme « digne » successeur de son père en sacrifiant sauvagement un animal (après le refus de son autre frère de se plier à « l’exercice » et le zèle de sa sœur qui, elle, aurait bien exécuté la tâche, avec enthousiasme, là naquit aussi leur rivalité).

    Pendant l’enterrement de son père, Matteo est au musée, regardant une statue que ce dernier lui a confiée mais qui n’est plus en sa possession. Cette statuette est le symbole de transmission et de continuité, elle revient sur un mode onirique à la fin, quand Catello entre au musée, découvrant Matteo à la place de la statue. Ici, donc, point d’explosions, de courses-poursuites, d’assassinats violents, comme le veulent habituellement les codes du film de mafia. L’originalité réside donc là, dans le refus de ces conventions, mais aussi dans le ton teinté d’humour noir, et dans les nombreuses digressions qui empruntent à l’onirisme, Hamlet, la Bible et l’Ecclésiaste, la mythologie même avec le sacrifice de l’animal ou encore l’Antiquité avec la statuette. Le film s’éloigne ainsi du réalisme en général caractéristique du thriller.

    Le titre original de Lettres Siciliennes est ainsi Iddu, mot sicilien qui veut dire « lui » et qui est aussi employé pour se référer à Dieu, « Lui ». En Sicile, iddu est le volcan. Parmi les nombreux surnoms pour désigner Messina Denaro (dont la traque a inspiré le film) dans les lettres qu’on lui adressait, afin qu’il ne soit pas identifié, il y avait celui de « volcan ».

    La photographie de Luca Bigazzi souligne le caractère sombre des univers fermés dans lesquels l’intrigue se déroule, accentuant la sensation d’enfermement, et même de claustrophobie qui ouvre et clôt d’ailleurs le film (la prison, la statuette au musée). Les personnages sont tous sujets à une forme d’enfermement. Tous sont enfermés dans un rôle, une pièce du « puzzle » (j’emploie ce terme à dessein, vous comprendrez en voyant le film).

    L’interprétation, les dialogues littéraires et incisifs, la lumière signifiante, la mise en scène inspirée, la musique, magnifique, du chanteur italien Colapesce (nom de scène de Lorenzo Urciullo), le ton tragi-comique, font de ces Lettres siciliennes une correspondance prenante et originale, à ne pas manquer, qui ne cède pas au manichéisme, et contourne intelligemment les codes du genre du film de mafia, en explorant et disséquant brillamment une zone grise.

     

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  • 11ème Festival de Cinéma et de Musique de Film de La Baule - du 25 au 29.06.2025 : programme (premières informations)

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    "Il faut que la musique commence par nous égarer pour nous faire regarder comme des possibles des choses que nous n'osions espérer." Stendhal 

    Voilà ce qu'est la musique (parmi de nombreuses autres vertus), et en particulier la musique de film : un doux égarement qui éveille à l'espoir, au rêve, et à la volonté farouche de les réaliser. 

    L'an passé, le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule célébrait sa dixième édition, un festival que j'affectionne tout particulièrement, auquel j'assiste chaque année depuis sa première édition, et dont je vous parle également chaque année ici.

    L'an passé, les projections et l’ensemble des événements proposés ont réalisé  plus de 28000 entrées (un record) pendant les 5 jours d’avant-premières (plus d’une trentaine en présence des équipes de films et une soixantaine de projections au total), master classes, rencontres et expositions autour de la musique de film et du cinéma francophone. 

    Au fil des ans, ce festival, fondé par Sam Bobino et Christophe Barratier, s'est imposé comme un rendez-vous incontournable, d'abord en novembre puis en été, mettant en lumière la musique de films mais aussi des films qui souvent ont ensuite connu un succès auprès de la critique et/ou du public.  

    Vous pouvez retrouver ici mon compte-rendu très détaillé de cette dixième édition, de la master class et du concert-hommage à Claude Lelouch aux différents films primés et notamment mes coups de cœur comme Le Fil de Daniel Auteuil ou encore Le roman de Jim des frères Larrieu, mais aussi le documentaire Il était une fois Michel Legrand de David Hertzog Dessites.

    Cette édition 2024 avait une saveur particulière pour moi puisque j'ai eu le plaisir de dédicacer mon roman La Symphonie des rêves qui a en partie le festival pour cadre. Merci à nouveau à La Maison de La Presse (devenue La Librairie Les Oiseaux) qui m'a reçue trois fois l'été dernier pour dédicacer ce roman.

    La onzième édition du Festival de Cinéma et de Musique de Film de La Baule aura lieu du 25 au 29 juin 2025. Comme chaque année, la soirée de remise de prix sera suivie d'un concert. Cette année, Lambert Wilson sera l'invité d'honneur et donnera un concert hommage aux plus belles chansons de cinéma.

    Pour cette nouvelle édition les organisateurs ont opté pour une affiche qui symbolise le lien entre le cinéma et la musique de film et la transmission entre les générations, représentés par ses deux mains qui se rejoignent, entre ciel et mer : l’une qui offre et l’autre qui reçoit. Au centre, le trophée du festival, doré et éclatant comme le soleil de La Baule, station balnéaire baignée de lumière toute l’année, où l’art se vit les pieds dans le sable et la tête dans les étoiles.

    UN FESTIVAL INTERGÉNÉRATIONNEL

    Depuis sa création, le Festival de Cinéma et de Musique de Film de La Baule, qui est destiné au grand public comme aux professionnels, met l’accent sur le partage d’expériences. D’une part en accompagnant les étudiants en classe de musique à l’image avec des ateliers créatifs (la factory) et un prix spécial dédié (le prix de la révélation jeunes compositeurs), et d’autre part avec des rencontres dédiées aux scolaires sous forme d’initiation à la musique de film.

    Avec ces deux mains tendues l’une vers l’autre, c’est aussi cette notion de transmission qu’ont souhaité illustrer avec cette affiche l’artiste Sébastien Dupouey (à l’origine des premières affiches du festival) et Mathilde Huaulmé (studio La Femme assise).

     

    LAMBERT WILSON INVITÉ D’HONNEUR : UN CONCERT HOMMAGE AUX PLUS BELLES CHANSONS DU CINÉMA

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    © Igor Shabalin

    À l’occasion des 130 ans de la naissance du cinéma (retrouvez ici mon article sur le documentaire de Thierry Frémaux, Lumière, l'aventure continue !), le Festival de La Baule a souhaité célébrer cette date anniversaire en proposant un concert en clôture autour des plus belles chansons du cinéma français : Lambert Wilson Chante.

    Sur la scène du Palais des congrès et des festivals Jacques Chirac - Atlantia de La Baule, Lambert Wilson fera renaître les grandes heures du cinéma en chan-sons. Il convoquera les mélodies mythiques des films, les airs inoubliables des comédies musicales et rendra un hommage vibrant à Yves Montand, grande figure du 7e art et de la chanson.

    De Renoir à Montand, de Truffaut à Demy, de Prévert à Deneuve, l’interprète d’ On connaît la chanson célèbrera plus d’un siècle de titres qui ont marqué notre imaginaire collectif. Il tissera un pont entre musique, cinéma et mémoire et redonnera vie à ce répertoire riche en émotion.

    Avec élégance et intensité, Lambert Wilson nous invitera à revivre le cinéma en musique, à travers ce récital totalement inédit en guise de voyage dans l’histoire du cinéma.

    BRIGITTE BARDOT, UNE FEMME LIBRE

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    ©Jacques Heripret

    Brigitte Bardot, icône éternelle, sera mise à l’honneur cette année au Festival de La Baule avec cette exposition exceptionnelle, Brigitte Bardot, une femme libre, à l’occasion de son 90e anniversaire.

    Photographies rares, objets emblématiques, affiches mythiques et trésors intimes, issus de la collection personnelle de Bruno Ricard, raconteront la légende d’une femme libre, d’une star planétaire et d’un visage devenu symbole de la France, à la fois mannequin, actrice, chanteuse, militante des droits des animaux et écrivaine.

    Des plateaux de cinéma aux plages de Saint-Tropez, cette exposition retracera le parcours et la vie hors du commun d’une star absolue dont la vie a été faite de passions.

    À La Baule, station balnéaire elle aussi empreinte de lumière et de charme, cette rétrospective aura comme un parfum d’évidence.

    Un hommage vibrant à une muse indomptable, à l’aube de l’été, comme un souffle de liberté.

     

     

    Infos & réservations sur : www.festival-labaule.com

    INFOS PRATIQUES

    Pass Festival (du 25 au 29/06) : tarif unique 50 €

    Concert « Lambert Wilson Chante » et cérémonie de remise des prix du festival (samedi 28/06 - Palais des congrès Atlantia) : à partir de 59 €

    Exposition « Brigitte Bardot, une femme libre » (du 21 juin au 6 juillet/Espace culturel Chapelle Sainte-Anne) : entrée libre

  • LE FIL de Daniel Auteuil, prix Jacques Deray 2025

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    Hier soir, à l'Institut Lumière de Lyon, Daniel Auteuil a reçu le prix Jacques Deray pour le film Le Fil pour lequel j'avais partagé mon enthousiasme ici, injustement oublié des nominations aux César 2025. Le Prix Jacques Deray, créé par l'Institut Lumière en 2005, récompense chaque année un film français, entre policier, enquête et film noir, dans la lignée du cinéma de Jacques Deray. Le prix fêtait cette année sa 21ème édition. La sélection est effectuée par les proches de Jacques Deray et des spécialistes du cinéma lyonnais. 

     Retrouvez ma critique ci-dessous.

    Désormais disponible en VOD, le dernier film en tant que réalisateur de Daniel Auteuil m'avait particulièrement marquée lors de sa projection en séance spéciale, dans le cadre du Festival de Cannes 2024.

    Il y a des films comme cela, rares, qui capt(ur)ent votre attention dès la première seconde pour ne plus la lâcher, vous tenant en haleine jusqu’au dernier plan, lequel vous laisse sidérés, ne souhaitant dès lors qu’une chose : le revoir, pour en saisir la moindre nuance, pour décortiquer la moindre pièce du puzzle, pour déceler un indice qui nous aurait échappé. Le fil est de ceux-là. Les films de procès sont pourtant nombreux, et il devient de plus en plus difficile d’innover et de surprendre en la matière. Le film de Daniel Auteuil y parvient pourtant magistralement. Plus qu’un film de procès, Le Fil est la dissection de la quête de la vérité et de l’intime conviction. Il brosse le portrait de deux hommes que tout oppose en apparence, si ce n'est, peut-être, une quête de reconnaissance ou du moins de considération.

    Le titre se réfère au seul élément de preuve qui pourrait aboutir à la condamnation du suspect, un fil de sa veste retrouvé sous l’ongle de la victime, une veste qu’il avait dit ne pas avoir portée le soir du crime.

    Cela commence par des plans de tribunal auxquels succèdent ceux d’un paysage nimbé de lumière qui défile sur une musique entêtante, des notes pressées, impatientes même, qui coulent, ironisent peut-être. Puis, des enfants sur une balançoire. Le père qui les appelle à table. Le confort est spartiate, il ne semble pas faire très chaud dans la maison, mais le père s’occupe d’eux. On frappe à la porte. On lui annonce qu’il est placé en garde à vue pour homicide volontaire sur la personne de son épouse. Le père s’inquiète d’abord pour ses enfants : « Je ne peux pas laisser mes enfants comme ça. » On retrouve ensuite Maître Monier (Daniel Auteuil) avec son épouse, la rudesse qui émane de la scène précédente contraste avec la chaleur et la douceur qui les unissent. Complices, ils parlent d’un tableau venant de leur première année de mariage.

    Depuis qu’il a fait innocenter un meurtrier récidiviste, quinze ans auparavant, Maître Jean Monier ne prend plus de dossiers criminels. Ce soir-là, Maître Annie Debret (Sidse Babett Knudsen), son épouse, est appelée comme avocat commis d’office. Fatiguée, elle l’implore de la remplacer : « Tu vas faire la garde à vue et je récupère l'affaire demain ». Il accepte. Il rencontre alors Nicolas Milik (Grégory Gadebois), père de famille accusé du meurtre de sa femme qui lui raconte que cette dernière avait bu comme cela lui arrivait souvent, qu’ils se sont disputés, qu’elle a voulu le mettre dehors et a essayé de le frapper puis qu’elle est sortie. Touché par cet homme, il décide de le défendre. Convaincu de l’innocence de son client (« Pas de casier, ni un coupable crédible, ni un innocent évident, dit-il d’abord), il est prêt à tout pour lui faire gagner son procès aux assises, retrouvant ainsi le sens de sa vocation.

    La fille de Daniel Auteuil, Nelly Auteuil, qui produit le film avec Hugo Gélin (producteur mais aussi réalisateur des formidables Comme des frèresDemain tout commence, Mon Inconnue etc), a fait découvrir à l’acteur le blog que tenait un avocat aujourd’hui disparu, Jean-Yves Moyart, sous le pseudo de Maître Mô. C’est une des affaires qu’il relatait sur ce blog qui a inspiré le film.

    Le village, le bureau de l’avocat, le bar, les rues (vides souvent) … : le décor dépouillé permet de mettre en avant la force des mots et des silences, la puissance des visages et des gestes. Le spectateur se met alors à la place des jurés confrontés aux doutes face à la force de conviction de l’avocat.

     Nicolas Milik est apparemment un homme simple, qui ne boit pas, s’occupe de ses enfants qui l’aiment visiblement en retour. En apparence, il est une sorte de grand enfant désemparé, maladroit avec le langage et avec ses gestes, que personne ne semble avoir vraiment considéré, regardé ou écouté, à part son ami Roger (remarquable Gaëtan Roussel) qui le houspille pourtant sans vraiment le ménager. Le visage, le corps tout entier, les silences de Grégory Gadebois expriment tout cela avec maestria, ce mélange de rugosité et de tendresse bourrue. Il nous embarque alors dans sa vérité.

    Auteuil est lui aussi, une fois de plus, magistral, dans le rôle de cet avocat fragilisé, nerveux, que l’on sent pétri d’humanité, qui reprend vie et confiance en défendant son client (en pensant même le « sauver »), aveuglé en toute bonne foi, avec l’envie ardente de ceux qui veulent se bercer d’illusions pour tenter d’affronter la réalité et les noirceurs de l’âme humaine : « Je suis certain de son innocence. Rien dans son dossier n'indique le contraire. », « Il était un bon père. Il ne voulait que du bien à ses enfants. Rendez-vous ce père à ses enfants. »

    Autour d’eux, une pléiade d’acteurs aussi remarquables : Alice Belaïdi, convaincante dans le rôle de l’avocate générale persuadée de la culpabilité de l’accusé, Gaëtan Roussel dont on ne voit pas qu’il fait là ses débuts au cinéma tant il est crédible dans ce rôle de patron de bar acerbe et antipathique, et la formidable Sidse Babett Knudsen toujours à fleur d’émotions (dans L’Hermine de Christian Vincent, notamment, elle était irrésistiblement lumineuse).

    Avec ce sixième film en tant que réalisateur (La fille du puisatier,  et la « trilogie marseillaise de Pagnol », César, Marius, Fanny – au passage  beau cinéma populaire d’un romantisme sombre illuminé par la lumière du sud aussi incandescente que les deux acteurs principaux, par l’amour immodéré de Daniel Auteuil pour les mots de Pagnol, pour  ses personnages et ses acteurs, et Amoureux de ma femme), Daniel Auteuil prouve qu’il n’est pas seulement un de nos plus grands acteurs si ce n’est le plus grand – je crois que je vous ai assez dit à quel point le personnage de Stéphane qu’il incarne dans Un cœur en hiver, chef-d'œuvre de Claude Sautet est un des plus riches, fascinants, complexes de l’histoire du cinéma- et pour moi un grand auteur, poète et chanteur, ( si vous en doutez, écoutez ces chansons sublimes que sont Si vous m’aviez connu …-paroles de Daniel Auteuil et musique d’un certain… Gaëtan Roussel-, et toutes les autres de l’album éponyme)  mais aussi un cinéaste digne de ce nom.

    La photographie de Jean-François Hensgens éclaire et sonde au plus près les fragilités et les doutes de chacun, et nous plonge dans l'obscurité de ce tribunal (l'intrigue se déroule pourtant dans une région solaire, la Camargue, le contraste est d'autant plus frappant). La caméra scrute le moindre frémissement, le moindre vacillement.

    La musique est judicieusement à l’unisson des émotions de l’avocat, par exemple elle s’emballe en même temps qu’il retrouve l’énergie et l’envie quand il sort de la gendarmerie nationale et décide de défendre Milik, mais parfois des notes de piano lancinantes viennent instiller le doute. Le violoncelliste Gaspar Claus, pour ce film, a composé trois nouvelles compositions avec son violoncelle dont une variation autour de Bach avec également une pièce de piano de Johann Sebastian Bach Prélude en Do mineur qui rappelle un autre film récent de procès.  

    Je crois que la scène finale restera à jamais gravée dans ma mémoire, cette estocade après la corrida, le coup mortel (une allégorie qui parcourt le film), quand l’avocat revient voir son client en prison, que ce dernier le salue comme un bon copain, que son visage se reflète dans la vitre qui les sépare, symbole de cette terrible dualité que des mots effroyables vont transcrire, d’autant plus effroyables qu’ils sont prononcés avec une indécente innocence (et alors, on se souvient, abasourdis, que tout cela est inspiré d’une histoire vraie). Une fin aussi magistrale, sidérante, aiguisée, que glaçante et bouleversante qui révèle les méandres insoupçonnés et terrifiants de l’âme humaine et qui nous laisse comme celle de Garde à vue de Claude Miller : assommés. Un film captivant porté par une réalisation maligne et des comédiens au sommet de leur art.

  • Court-métrage - Critique de JUS D’ORANGE de Alexandre Athané

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    « Qu'est-ce que la poésie ? Une pensée dans une image. » Goethe

    Je vous parle (trop) rarement de courts-métrages, j’espère donc que cela mettra d’autant plus en exergue celui-ci, magistral, et que cela vous incitera à découvrir l’univers poétique de son réalisateur.

    Ce film a reçu une pluie de récompenses dans le monde entier, parmi lesquelles : le prix du meilleur scénario à la Soirée des Cinéastes au Grand Rex (Juin 2024), le Spirit Award Best Animation - Brooklyn Film Festival, Windmill Studios USA (Juin 2024), le Cinematic Achievement Award KISFFO Karditsa Intl. Short Film Fest, Greece (Août 2024) et le Best Animation Short Film Award du même festival, le Honor Mencio Dibuixos Animats au Girona Film Festival, Spain (12-14 Septembre 2024), le Honorable Mention Animation : Hollywood Best Indie Film Award, USA (Decembre 2024), le Best Animation :  Festival du Film Environnemental , Poitiers (février 2025), le Gold Award: Animation - Florence Film Awards, Italy (mars 2025), les Best Animation, Best Screenplay, Best Sound design - Between Frames, Mexico (6-8 March 2025)… et ce n'est certainement pas fini au regard de la qualité du film en question et de ses nombreuses sélections à venir, notamment au Festival Deauville Green Awards (liste des prochains festivals dans lesquels le film est sélectionné, à retrouver en bas de cet article).

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    J’avais découvert le travail, poétique donc, et singulier, d’Alexandre Athané en 2015, au Festival du Film de Saint-Jean-de-Luz dans le cadre duquel il avait donné une passionnante master class sur l’animation. Ce festival fut aussi l’occasion de découvrir son court-métrage, L’espace d’un instant, qu’il avait réalisé et dessiné, un court-métrage écrit par Vincent Cappello. Un sublime film d’animation qui montre comment l’imaginaire peut panser les blessures de la vie (et ainsi une métaphore des pouvoirs inestimables du cinéma), également un très beau film sur la transmission dans lequel la douceur des images et de la voix de Pierre Richard nous bercent comme un conte, sans oublier de très beaux dialogues : « C’est comme cela que le monde avance, d’abord il y a les rêveurs, une fois qu’une image les a traversés, ils la révèlent à l’humanité et elle se met au travail », « Rien ne peut empêcher l’homme de prendre l’univers en flagrant délit de désobéissance ». Une ode au rêve, à l’imaginaire, un moment de poésie dont la musique d’Alex Beaupain exacerbe la force et la beauté. Une forêt enchanteresse que l’on quitte avec regrets et émotions.

    Alexandre Athané est illustrateur et réalisateur. Il a travaillé à Paris, Londres et New York. Jus d’orange (2023) est son troisième court-métrage d'animation, après Zoé Melody (2007) et L’espace d’un instant (2016). Il est aussi l’auteur graphique de nombreux titres et génériques pour le cinéma avec sa société au nom aussi poétique que ses films, The Singing Plant Company. Il est ainsi une référence en matière de création de génériques comme ceux de films pour lesquels j’avais partagé mon enthousiasme ici, tels Maria rêve de Yvo Muller et Lauriane Escaffre ou encore le formidable Un coup de maître de Rémi Bezançon. Il est aussi notamment l’auteur des génériques de : Aimer, boire et chanter d’Alain Resnais, Max de Stéphanie Murat, Compte tes blessures de Morgan Simon, Jalouse et Les Fantasmes des frères Foenkinos... Dans son impressionnant CV figurent aussi notamment un poste de stagiaire au département artistique pour Spielberg pendant le tournage d’Amistad et un travail d’assistant de la photographe Martine Barrat.

    Jus d’orange, c’est l’histoire de « Toni, un cultivateur d’oranges » qui « voit sa vie défiler, happé par un monde industrialisé qui le dépasse, duquel seul un tendre souvenir pourrait le sauver. » Dans la famille de Toni (voix de Charlie Bos et José Garcia), on est cultivateur d'oranges de père en fils. Chaque jour depuis 40 ans, Toni dépense toute son énergie pour ses oranges qu’il aime de toute son âme, qu’il chérit. Mais un jour arrivent d’étranges cargos chargés d'oranges vertes…

    Dès le début, la musique, des notes de guitare nostalgiques et envoûtantes (magnifique musique composée par le chanteur Ian Caulfield), et un regard captivant, inondé de vert, nous happent. Et ces mots, en voix off : « Ils n'ont pas été produits par le néant ni par l'argent ni par le maître mais par la terre silencieuse, le travail et la sueur »

    L’affiche, à l'image du film, chatoyante, est une ode à une nature fantasmagorique, généreuse, sur laquelle plane une menace verte, celle d’une multinationale impitoyable qui « évacue » les produits non conformes, sur ordre d’une voix robotique et grave (celle de La Big Bertha). L’univers déshumanisé de l'usine contraste avec la nature luxuriante. Le vert avec le rouge.

    Je ne veux pas trop vous raconter ce petit bijou pour vraiment vous inciter à le découvrir, à vous laisser ensorceler par la tendre mélancolie, la lucidité, mais aussi la beauté de ce personnage, porté par la force des réminiscences, qui lutte au milieu des paysages funèbres et d’un environnement devenu fantomatique et menaçant. La voix de José Garcia matérialise l’humanité du personnage.

    Ce court-métrage a été produit par Nolita avec Animoon et The Singing Plant Company. Cette fois, c’est avec Chloé Célérien qu’Alexandre Athané a coécrit ce film qu’il a dessiné et réalisé, avec pour volonté commune de rendre hommage à leurs « grands-pères, aux terres et traditions ancestrales, à l’amour d’un certain savoir-faire. » La coscénariste a également une famille d'agriculteurs en Espagne

    Là aussi, il est question de transmission, du pouvoir magique des souvenirs, dé décor enchanteur, de poésie, de grâce et d’émotions qui nous submergent au dénouement, pas des émotions forcées ou fugaces mais de celles, subtiles et profondes, qui restent en mémoire, comme ces couleurs qui combattent, comme cette musique qui l’accompagne. La mémoire, justement, est aussi au cœur de ce récit. Celle qui nous lie au passé, à notre humanité. Celle qui nous permet de garder en nous la beauté d’un monde qui périclite face à la déshumanisation amenée par l’industrialisation et la robotisation. Jus d’orange nous invite à laisser du temps au temps, à prendre le temps de regarder, de savourer la beauté du présent ou d’une orange reine précautionneusement enveloppée, de respecter notre environnement, d'en déguster la puissance et la magnificence…comme la boisson éponyme, madeleine de Proust d’une enfance chaleureuse.

    Le style d’animation inspiré du dessin à la main donne à la fois de la chair et de l’évanescence poétique au récit, sublimé par la musique évocatrice, toujours là pour apporter du sens. Vous n’oublierez pas ces oranges-lampions qui brillent dans la nuit comme des vestiges du passé et des lueurs d'espoirs, ce combat entre ce rouge incandescent et ce vert menaçant, entre cet univers réellement féérique et ce monde macabre qui l'est de prime abord trompeusement.

    Tout est admirable : les dessins, le montage, les ellipses judicieuses, la musique, le propos. Une expérience inoubliable. Une fable universelle, enchanteresse, percutante et intemporelle, empreinte de tendresse et de poésie (oui, encore !), qui s’adresse à tous avec beaucoup d’humanité et de sensibilité. La mémoire y fait revenir le passé et refleurir le présent. Brillant. Intelligent. Ne le manquez pas !

    Prochains festivals où vous découvrir Jus d'orange :

     Shorts Costa Rica Film Festival, Costa Rica (19-29 March 2025)

    Yellowstone Film Festival, USA (21-27 March 2025)

    Cambodia International Film Festival, Cambodge (21-29 March 2025)

      Folkestone Film Festival, Uk (24 March 2025)

      Crossing The Screen - Eastbourne International Film Festival, UK (26-30 March

    2025)

     Athens Animfest - Greece (27-30 March 2025)

     5th Greece International Film Festival, Greece (29-30 March 2025)

      Beverly Hills Film Festival, USA (1-6 April 2025)

     L’Europe autour de l’Europe Film Fest, Paris Fr. (Hors Compétition) (15-19 April

    2025)

      Mulhouse Tous Courts, Mulhouse France (23-26 April 2025)

      Cinéma Columbus Film Festival, Ohio USA (30 April - 4 May 2025)

      VIVA EL CINE!, Argentina (12-18 May 2025)

     Le Courtivore - 24e Festival de CM de Rouen & Mont-Saint-Aignan - Compétition

    Jeune Public (projo 18 & 20 mai 2025)

      RED Movies Awards - Annual 2025 competition, France (23 - 24 May 2025)

     Short Shot Fest, Moscow (May 2025)

      Deauville Green Awards - Festival Intl. du Film Responsable - France (4 June 2025)

      Life After Oil, Italy (17-21 June 2025

     DIV’ARTS projection, Evry-Courcouronnes, France (26 July 2025)

     MADRIFF - Madrid Indie Film Festival, Madrid, Spain (Date TBC

    Pour suivre Alexandre Athané :

    -Site internet : https://thesingingplantcompany.com

    - Sur Instagram : @thesingingplant_company, @alexandre_athane