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Les films de mon roman "La Symphonie des rêves" à l’honneur sur Universcine

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Mon roman La Symphonie des rêves, à partir de mercredi, sera doublement à l’honneur sur la plateforme de VOD Universcine.com (@universcine), puisque non seulement trois exemplaires du roman seront à gagner pour les abonnés mais aussi parce que les 15 films dont les titres figurent ci-dessous, évoqués dans le livre, sont à l'honneur sur la page d’accueil du site.

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 Inutile de vous dire que je vous recommande ardemment chacun de ces longs-métrages. Dans tous, la musique joue un rôle primordial. D’ailleurs, c’est la puissance émotionnelle d'une de ces musiques et l'émotion que procure la musique en général (son potentiel comme lien romanesque) qui on suscité l’idée de ce roman (et son rôle consolateur que définit si bien cette citation de Stendhal qui figure au début du roman « La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore ») dont une large partie se déroule ainsi dans le cadre du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule.

Alors, avant de vous retrouver pour de nouvelles séances de dédicaces, notamment au Festival de Cannes (Fnac de Cannes, probablement le 20 Mai), au Salon Livres et Musiques de Deauville (le 4 mai), à Saint-Malo (Cultura, le 20 avril),...je vous laisse avec ces films que vous croiserez au fil des pages du roman dans lequel ils sont cités plus ou moins explicitement…

Pour certains, vous retrouverez mes critiques ci-dessous. Je remercie Universcine.com pour ce magnifique coup de projecteur.

En rouge, les films dont mes critiques figurent ci-dessous.

César et Rosalie de Claude Sautet

Monsieur Klein de Joseph Losey

In the mood for love de Wong Kar Wai

La tortue rouge de Michael Dudok de Wit

Le temps de l'innocence de Martin Scorsese

Les parapluies de Cherbourg de Jacques  Demy

Les choses de la vie de Claude Sautet

La main au collet d'Alfred Hitchcock

La bête humaine de Jean Renoir

Deux hommes dans la ville de José Giovanni

Le Train de Pierre Granier-Deferre

Une vie cachée de Terrence Malick

Le Chat de Pierre Granier-Deferre

Sueurs froides d'Alfred Hitchcock

Lawrence d'Arabie de David Lean

 

CRITIQUE de IN THE MOOD FOR LOVE de WONG KAR WAI (2000)

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« J’aime le secret. C’est, je crois, la seule chose qui puisse nous rendre la vie mystérieuse ou merveilleuse. » (Oscar Wilde).

Dehors, le ciel verse des larmes intarissables. Comme étreint d’une inconsolable mélancolie ou de secrets suffocants, de ceux qui à la fois accablent mais (trans)portent aussi. L’ambiance parfaite pour se plonger dans celle du film qui, plus que tout autre, a une « gueule d’atmosphère », celui qui immortalise et sublime l’impalpable. Le secret. Les émotions. La mélancolie.

La dernière fois que j’ai revu In the mood for love, c'était il y a quelques années, dans un cinéma d’art et essai de Saint-Germain-des-Prés, dans le cadre d’un festival. Le son grésillait. Les images balbutiaient. Cette fois, je le revois dans son éclatante magnificence. Merci à The jokers films pour le lien grâce auquel j’ai pu le revoir dans cette version restaurée 4K, initialement prévue pour le Festival de Cannes 2020 dans le cadre de Cannes Classics, dont la sortie avait été repoussée au 2 décembre 2020 avant d'être à nouveau repoussée au 10 février 2021.

À partir d’un schéma conventionnel (Hong Kong, 1962, deux voisins, Su -Maggie Cheung- et Chow -Tony Leung-, découvrent que leurs époux respectifs entretiennent une liaison, s’éprennent peu à peu l’un de l’autre mais préfèreront renoncer à leur amour plutôt qu’à leurs idéaux), Wong Kar-wai a réalisé un poème lyrique, une peinture impressionniste éblouissante.  l’image de celles qui dictent les conduites de chacun dans ce Hong Kong des années 1960, les conventions ne sont en effet ici qu’apparences. Tout est dans les silences, les non-dits, les regards, les gestes, les mouvements des corps. Et dans l’atmosphère musicale qui cristallise les sentiments retenus des personnages, leurs frémissements fiévreux, l’intransmissible incandescence d’un amour implicite et ainsi sublimé par un entremêlement de gravité et de flamboyance.

L’enfermement de Su est suggéré par des tenues qui emprisonnent son corps. La passion, contenue, est reflétée par leurs teintes chatoyantes auxquelles fait écho le décor rouge de l’hôtel qui, lui, contraste avec les couleurs ternes des couloirs exigus et presque insalubres de l’immeuble où ils se croisent tout d’abord. L’hôtel, avec ses tentures rouges, ressemble à un décor irréel (un décor de cinéma) dans lequel flotte une Su aux allures de star hollywoodienne. C’est d’ailleurs là qu’ils écrivent des feuilletons de chevalerie et rejouent la scène de rupture avec l’époux de Su que l’on ne voit d’ailleurs jamais à l’écran (pas plus que la femme de Chow), laissant la réalité à l’extérieur. Rappelant un des premiers plans dans un des appartements : une nature morte et sa copie conforme, annonciateur de ce jeu de recréation (récréation) de réalité.

Tiré d’un film de Seijun Suzuki, le Yumeji’s Theme de Shigeru Umebayashi exacerbe la sensualité de leurs chassés-croisés, complainte troublante, obsédante, languissante et magnétique. Lorsqu’ils s’évitent dans le passage étroit éclairé par un lampadaire tel un projecteur de cinéma braqué sur leurs déambulations quasi fantasmagoriques, la caméra qui avance doucement, voluptueusement, caresse la tristesse rêveuse de leurs visages, leurs pas dansants et indolents, leurs rares mots échangés qui résonnent comme un poème ( «  J'étais libre et je voulais entendre votre voix »), les volutes de fumée de cigarettes, rubans fugaces qui s’élancent comme des pensées insoumises, la pluie qui tombe inlassablement et les enferme tels les barreaux d’une prison de rêves, le long couloir rouge avec ses rideaux dans lesquels s'engouffre le vent. La moiteur et la chaleur semblent sortir de l’écran pour nous emporter dans cette valse étourdissante. Chaque bruit recèle la sensualité qu’ils cadenassent. La pluie. La radio (souvent des opéras adaptés de classiques de la littérature abordant des amours interdites et des rendez-vous secret). Les étoffes. Les talons. Et leurs regards qui, en s’évitant, semblent réclamer un enlacement interdit, un interdit que symbolisent aussi ces tenues (cravates, robes) et le cadre toujours étroit (bureau, couloir, chambre, ruelle) qui les enserrent. Le ralenti et la musique ensorcelante qui les accompagnent lorsqu’ils se croisent et évitent trop soigneusement de se frôler suffisent à nous faire comprendre les sentiments exaltés qui les envahissent malgré l’étroitesse des conventions. La musique latinoaméricaine dont le fameux “ Quizás, Quizás, Quizás ” de Nat King Cole évoquent aussi des amours regrettées ou impossibles. Sans compter I’m in the Mood for Love qui ne figure cependant pas dans le film. La musique est là pour traduire l’indicible et en exalter la puissance magnétique.

Les ellipses permettent au spectateur de laisser libre cours à son imagination. Rarement une histoire d’amour avait été racontée avec autant de pudeur, de nuance, d’élégance. Il y en a d’autres bien sûr : Sur la route de Madison (dans lequel là aussi chaque geste est empreint de poésie, de langueur mélancolique, des prémisses de la passion inéluctable et dans lequel les souvenirs de Francesca Johnson et Robert Kincaid se cristalliseront aussi au son de la musique, le blues qu’ils écoutaient ensemble, qu’ils continueront à écouter chacun de leur côté, souvenir de ces instants immortels), les films de James Ivory pour l’admirable peinture des sentiments contenus, Casablanca (avec cette musique, réminiscence de ces brefs instants de bonheur à Paris, entre Rick et Ilsa, à « La Belle Aurore », ces souvenirs dans lesquels le « Play it again Sam » les replonge lorsque Illsa implore Sam de rejouer ce morceau aussi célèbre que le film : As time goes by), les films de Truffaut, les films de Sautet où la pluie là aussi rapproche les êtres….

Chow raconte à Ah Ping qu'autrefois quand on voulait préserver un secret, on creusait un trou dans un arbre, on y racontait le secret puis on bouchait le trou avec de la terre, ce qui le scellait à jamais. Le film s’achève ainsi à Angkor Vat au moment de la visite de De Gaulle au Cambodge, en 1966, une visite que couvre Chow. Le rêve est terminé. La réalité, factuelle, implacable, reprend ses droits. C’est pourtant là, dans le cadre du plus grand monument religieux au monde (dont l’étendue contraste avec l’étroitesse des lieux où se croisaient Chow et Su) que, selon une ancienne coutume, Chow va confier son secret dans le trou d'un mur et le boucher avec une poignée de terre. Le titre chinois du film veut dire « Le temps des fleurs ». Un temps décidément éphémère. C’est à la radio que Su écoutait la chanson « Age of bloom » de  Zhou Xuan à laquelle le film emprunte ce titre.

« Il se souvient des années passées comme s'il regardait au travers d'une fenêtre poussiéreuse, le passé est quelque chose qu'il peut voir, mais pas toucher. Et tout ce qu'il aperçoit est flou et indistinct. » Du passé ne subsistent alors que des élans mélancoliques et des mots confiés à la pierre.

Avec cette atmosphère sensuelle, ensorcelante, languissante, Wong Kar-wai a fait de son film une œuvre inclassable et novatrice, intemporelle et universelle. Alors, quand cette rêverie cinématographique s’achève, on quitte à regrets l’atmosphère enchanteresse de cette valse d’une suavité mélancolique à la beauté douloureuse des amours impossibles, cette longue parabole amoureuse qui nous laisse le souvenir inaltérable d’un secret brûlant, et de notes qui s’envolent comme les volutes de fumée qui nous enveloppent dans leur ruban soyeux.

Wong Kar-wai a mis deux ans à achever In The Mood For Love, travaillant comme à son habitude sans script et s’inspirant des rushes déjà tournés pour bâtir la structure du film. « In the mood for love » a été présenté en compétition officielle lors du Festival de Cannes 2000. Tony Leung avait alors reçu le Prix d’Interprétation masculine Christopher Doyle, Mark Lee Ping-bing et William Chang avaient remporté le Prix Vulcain remis par la Commission supérieure technique de l’image et du son.

Et pour terminer comme j’ai commencé, une citation, de Balzac cette fois extraite de La peau de chagrin :

« Pour juger un homme, au moins faut-il être dans le secret de ses pensées, de ses malheurs, de ses émotions. Ne vouloir connaître que l’homme et les évènements c’est de la chronologie ».

CRITIQUE de LA TORTUE ROUGE de MICHAEL DUDOK DE WIT (2016)

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La Tortue rouge faisait partie de la sélection officielle du 69ème Festival de Cannes, dans la catégorie Un Certain Regard. Ce film a obtenu le Prix Spécial du Jury Un Certain Regard avant de nombreux autres prix et nominations dans le monde, notamment aux César et aux Oscars comme meilleur film d’animation. Michaël Dudok de Wit avait auparavant  déjà remporté l’Oscar du Meilleur court-métrage d’animation pour Père et fille.

La Tortue rouge a été cosignée par les prestigieux studios d’animation japonaise Ghibli qui collaborent pour la première fois avec un artiste extérieur au studio, a fortiori étranger. Ce film est en effet le premier long-métrage d’animation du Néerlandais Michael Dudok de Wit, grâce à l’intervention d’Isao Takahata, réalisateur notamment des sublimes films d’animation Le Tombeau des lucioles et Le Conte de la princesse Kaguya et cofondateur, avec Hayao Miyazaki, du studio Ghibli, et ici producteur artistique tandis que Pascale Ferran a cosigné le scénario avec le réalisateur. À ce trio, il faut ajouter le compositeur, Laurent Perez del Mar, sans la musique duquel le film ne serait pas complètement le chef-d’œuvre qu’il est devenu.

Ce conte philosophique et écologique est un éblouissement permanent qui nous attrape dès la première image (comme si nous étions ballottés par la force des éléments avec le naufragé) pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions, abasourdis, que ce voyage captivant sur cette île déserte, cet état presque second dans lequel ce film nous a embarqués, n’étaient que virtuels.

C’est l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux. Il tente vainement de s’échapper de ce lieu jusqu’à sa rencontre avec la tortue rouge, qu’il combat d’abord…avant de succomber à son charme. Quand la carapace de l’animal va se craqueler puis se fendre, une autre histoire commence en effet. La tortue se transforme en femme. Une transformation dans laquelle chacun peut projeter sa vision ou ses rêves. Que ce soit un écho à la mythologie et à l’œuvre d’Homère : comme Ulysse, le naufragé est retenu dans une île par une femme. Ou que ce soit une projection de ses désirs. Ou une personnification de la nature pour en signifier la beauté et la fragilité. Le rouge de cet animal majestueux contraste avec le bleu et le gris de la mer et du ciel. Respecté, solitaire, paisible, mystérieux, il est aussi symbole d’un cycle perpétuel, voire d’immortalité. Comme une parabole du cycle de la vie que le film met en scène.

Le murmure des vagues. Le chuchotement du vent. Le tintement de la pluie. L’homme si petit au milieu de l’immensité. La barque à laquelle il tente de s'accrocher. Le vrombissement de l’orage. Les cris des oiseaux. Les vagues qui se fracassent contre les rochers, puis renaissent. Le bruissement des feuilles. L'armée joyeuse des tortues. Le clapotis de l'eau. La nature resplendit, sauvage, inquiétante, magnifique. Sans oublier la respiration (dissonante ou complémentaire de l’homme) au milieu de cette nature harmonieuse.

La musique à peine audible d’abord, en gouttes subtiles, comme pour ne pas troubler ce tableau, va peu à peu se faire plus présente. L’émotion du spectateur va aller crescendo à l'unisson, comme une vague qui prendrait de l’ampleur et nous éloignerait peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice. Cela commence quand le naufragé rêve d’un pont imaginaire, la force romanesque des notes de Laurent Perez de Mar nous projette alors dans une autre dimension, déjà. Puis, quand tel un mirage le naufragé voit 4 violonistes sur la plage, qui jouent une pièce de Leoš Janáček : String Quartet No.2 Intimate Letter

Jamais l’absence de dialogue (à peine entendons-nous quelques cris des trois protagonistes) ne freine notre intérêt ou notre compréhension mais, au contraire, elle rend plus limpide encore ce récit d’une pureté et d’une beauté aussi envoûtantes que la musique qui l’accompagne. Composée en deux mois une fois l’animation terminée et le film monté, elle respecte les silences et les bruits de la nature. La musique et les ambiances de nature se (con)fondent alors avec virtuosité pour créer cette symbiose magique. Jamais redondante, elle apporte un contrepoint romanesque, lyrique, et un supplément d’âme et d’émotion qui culmine lors d’un ballet aquatique ou plus encore lors de la scène du tsunami. À cet instant, la puissance romanesque de la musique, hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensorielle d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma.

Ce film universel qui raconte les différentes étapes d’une vie, et reflète et suscite tous les sentiments humains, est en effet d’une force foudroyante d’émotions, celle d’une Nature démiurgique, fascinante, grandiose et poétique face à notre vanité et notre petitesse humaines. Une allégorie de la vie d’une puissance émotionnelle saisissante exacerbée par celle de la musique à tel point qu’on en oublierait presque l’absence de dialogues tant elle traduit ou sublime magistralement les émotions, mieux qu’un dialogue ne saurait y parvenir.

Le graphisme aussi épuré et sobre soit-il est d’une précision redoutable. Les variations de lumières accompagnent judicieusement l’évolution psychologique du personnage. Rien n’est superflu. Chaque image recèle une poésie captivante.

La tortue rouge est film contemplatif mais aussi un récit initiatique d’une poésie, d’une délicatesse et d’une richesse rares dont on ressort étourdis, avec l’impression d’avoir volé avec les tortues, d’avoir déployé des ailes imaginaires pour nous envoler dans une autre dimension et avec l’envie de réécouter la musique pour refaire le voyage (et y projeter nos propres rêves, notre propre "tortue rouge") et se laisser emporter par elle et les images qu’elle initie, nous invitant dans un ailleurs étourdissant, entre le ciel et la mer, dans un espace indéfini et mirifique. Un ailleurs qui est tout simplement aussi la vie et la nature que ce film sublime et dans lequel il nous donne envie de plonger. Plus qu'un film, une expérience sensorielle unique. Un chef-d’œuvre.

 

CRITIQUE de LES CHOSES DE LA VIE de CLAUDE SAUTET (1970)

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Les choses de la vie est certainement le film de Sautet que j’ai le plus de mal à revoir tant il me bouleverse à chaque fois, sans doute parce qu’il met en scène ce que chacun redoute : la fatalité qui fauche une vie en plein vol. Le film est en effet placé d’emblée sous le sceau de la fatalité puisqu’il débute par un accident de voiture. Et une cacophonie et une confusion qui nous placent dans la tête de Pierre (Michel Piccoli). Cet accident est le prétexte à un remarquable montage qui permet une succession de flashbacks, comme autant de pièces d’un puzzle qui, reconstitué, compose le tableau de la personnalité de Pierre et de sa vie sentimentale.

Au volant de sa voiture, Pierre (Michel Piccoli donc), architecte d’une quarantaine d’années, est victime d’un accident. Éjecté du véhicule, il gît inconscient sur l’herbe au bord de la route. Il se remémore son passé, sa vie avec Hélène (Romy Schneider), une jeune femme qu’il voulait quitter, sa femme Catherine (Lea Massari) et son fils (Gérard Lartigau)...

Sur la tombe de Claude Sautet, au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance ». Voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma. Celui de la dissonance. De l’imprévu. De la note inattendue dans la quotidienneté. Et aussi parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition.

Tous les films de Sautet se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants.  Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif. C’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».

Si son premier film, Classe tous risques, est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films et notamment  Les choses de la vie même si a priori Claude Sautet changeait radicalement de genre cinématographique avec cette adaptation d’un roman de Paul Guimard, écrite en collaboration avec Jean-Loup Dabadie.

 « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. » disait ainsi Truffaut. Et en effet, le principal atout des films de Sautet, c’est la virtuosité avec laquelle sont dépeints, filmés et interprétés ses personnages qui partent de stéréotypes pour nous faire découvrir des personnalités attachantes et tellement uniques, qui se révèlent finalement éloignées de tout cliché.

On a souvent dit de Claude Sautet qu'il était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle.  S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme  La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.

Ce sont avant tout de ses personnages dont on se souvient après avoir vu un film de Sautet. Ses films ensuite porteront d’ailleurs presque tous des prénoms pour titres. On se dit ainsi que  Les choses de la vie aurait ainsi pu s'intituler... Hélène et Pierre.

Même dans Quelques jours avec moi, qui ne porte pas pour titre des prénoms de personnages (un film de Sautet méconnu que je vous recommande, où son regard se fait encore plus ironique et acéré, un film irrésistiblement drôle et non dénué de douce cruauté), c’est du personnage de Pierre (interprété par Daniel Auteuil) dont on se souvient. 

De Nelly et M. Arnaud, on se souvient d'Arnaud (Michel Serrault), magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et de Nelly (Emmanuelle Béart), jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d’Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma : silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle et le suspense y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié  avec Les choses de la vie : le thriller des sentiments.

Dans Un cœur en hiver, là aussi, le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard, à chaque note, à chaque geste d’une précision rare, ceux de Stephan (Daniel Auteuil). Je n’ai d'ailleurs encore jamais trouvé au cinéma de personnages aussi « travaillés » que Stéphane, ambigu, complexe qui me semble avoir une existence propre, presque vivre en dehors de l’écran. Là encore comme s'il s'agissait un thriller énigmatique, à chaque visionnage, je l’interprète différemment, un peu aussi comme une sublime musique ou œuvre d’art qui à chaque fois me ferait ressentir des émotions différentes. Stéphane est-il vraiment indifférent ? Joue-t-il un jeu ? Ne vit-il qu’à travers la musique ? « La musique c’est du rêve » dit-il.

Et puis, évidemment,  il y a l’inoubliable César. Un des plus beaux rôles d’Yves Montand. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent constamment la mélancolie sous-jacente. Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour la Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement.

César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres. Les films de Sautet sont donc avant tout des films de personnages. Des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

Les choses de la vie, c’est le film par lequel débute  la collaboration de Claude Sautet avec le compositeur Philippe Sarde. Le thème nostalgique et mélancolique intitulé La chanson d’Hélène a aussi contribué à son succès. Sarde avait d’ailleurs fait venir Romy Schneider et Michel Piccoli en studio pour qu’ils posent leur voix sur la mélodie. Cette version, poignante, ne sera finalement pas utilisée dans le film.

Et puis il y a les dialogues, remarquables, qui pourraient aussi être qualifiés de musiques, prononcés par les voix si mélodieuses et particulières de Romy Schneider et Michel Piccoli :  « Quel est le mot pour mentir enfin pas mentir mais raconter des histoires, mentir mais quand on invente affabuler ». « Je suis fatiguée de t'aimer. » « Brûler la lettre pour ne pas vivre seul. » Parfois ils sont cinglants aussi… : la fameuse dissonance ! Comme « Nous n'avons pas d'histoire et pour toi c'est comme les gens qui n'ont pas d'enfants c'est un échec». On songe à la magnifique lettre de Rosalie dans César et Rosalie, aux mots prononcés par la voix captivante de Romy Schneider qui pourraient être ceux d’un poème ou d’une chanson : « Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter, qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir... ».

Il y eut un avant et un après Les choses de la vie pour Claude Sautet mais aussi pour Romy Schneider et Michel Piccoli. La première est aussi éblouissante qu’émouvante en femme éperdument amoureuse, après La Piscine de Jacques Deray, film dans lequel elle incarnait une femme sublime, séductrice dévouée, forte, provocante. Et Michel Piccoli incarne à la fois la force, l’élégance et la fragilité et puis il y a cette voix ensorceleuse et inimitable qui semble nous murmurer son histoire à notre oreille.

Comme dans chacun des films de Sautet, les regards ont aussi une importance cruciale. On se souvient de ces regards échangés à la fin de César et Rosalie. Et du regard tranchant de Stéphane (Daniel Auteuil) dans Un cœur en hiver…Et de ce dernier plan qui est encore affaire de regards.

Le personnage de Stéphane ne cessera jamais de m’intriguer, comme il intrigue Camille (Emmanuelle Béart), exprimant tant d’ambiguïté dans son regard brillant ou éteint. Hors de la vie, hors du temps. Je vous le garantis, vous ne pourrez pas oublier ce crescendo émotionnel jusqu’à ce plan fixe final polysémique qui vous laisse ko et qui n’est pas sans rappeler celui de Romy Schneider à la fin de « Max et les ferrailleurs » ou de Michel Serrault (regard absent à l’aéroport) dans « Nelly et Monsieur Arnaud » ou de Montand/Frey/Schneider dans « César et Rosalie ». Le cinéma de Claude Sautet est finalement affaire de regards, qu’il avait d’une acuité incroyable, saisissante sur la complexité des êtres. Encore une digression pour vous recommander "Un coeur en hiver", mon film de Sautet préféré, une histoire d’amour, de passion(s), cruelle, intense, poétique, sublime, dissonante, mélodieuse, contradictoire, trouble et troublante, parfaitement écrite, jouée, interprétée, mise en lumière, en musique et en images (ma critique complète sur Inthemoodforcinema.com).

Dans Les choses de la vie, on se souviendra longtemps du regard d’Hélène qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder elle n'est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante….

Les regards sont aussi capitaux dans la séquence sublime du restaurant dans laquelle ils passent du rendez-vous d’amour à la dispute, une scène qu’ils ne paraissent pas jouer mais vivre sous nos yeux, dans un de ces fameux cafés ou brasseries qu’on retrouvera ensuite dans tous les films de Claude Sautet, dans les scènes de groupe dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique. On retrouvera aussi la solitude dans et malgré le groupe. « A chaque film, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. »  dira ainsi Claude Sautet. On retrouvera souvent les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes.

Annie Girardot et Yves Montand puis Lino Ventura déclinèrent les rôles d'Hélène et de Pierre dans Les choses de la vie. Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui, là encore, résonnent comme les paroles d’une chanson :  «J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes.

Je termine toujours ou presque la vision d’un film de Sautet bouleversée, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. En nous racontant des « histoires simples », il a dessiné des personnages complexes qui nous parlent si bien de « choses de la vie ». Claude Sautet, en 14 films, a su imposer un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble, et celui-ci est sans doute le plus tragique et poignant.

Il y a les cinéastes qui vous font aimer le cinéma, ceux qui vous donnent envie de faire du cinéma, ceux qui vous font appréhender la vie différemment, voire l’aimer davantage encore. Claude Sautet, pour moi, réunit toutes ces qualités.

Certains films sont ainsi comme des rencontres, qui vous portent, vous enrichissent, vous influencent ou vous transforment même parfois. Les films de Claude Sautet font partie de cette rare catégorie et de celle, tout aussi parcimonieuse, des films dont le plaisir à les revoir, même pour la dixième fois, est toujours accru par rapport à la première projection. J’ai beau connaître les répliques par cœur, à chaque fois César et Rosalie m’emportent dans leur tourbillon de vie joyeusement désordonné, exalté et exaltant. J’ai beau connaître par cœur Les choses de la vie  et le destin tragique de Pierre me bouleverse toujours autant et ce « brûle la lettre » ne cesse de résonner encore et encore comme une ultime dissonance.

Les choses de la vie obtint le Prix Louis-Delluc 1970 et connut aussi un grand succès public.

CRITIQUE de MONSIEUR KLEIN de JOSEPH LOSEY ( 1976)

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À chaque projection ce film me terrasse littéralement tant ce chef-d'œuvre est bouleversant, polysémique, riche, brillant, nécessaire. Sans doute la démonstration cinématographique la plus brillante de l'ignominie ordinaire et de l'absurdité d'une guerre aujourd'hui encore partiellement insondables.  À chaque projection, je le vois  et l'appréhende différemment.  Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore et que j'espère convaincre d'y remédier par cet article, récapitulons d'abord brièvement l'intrigue.

Il s'agit de Robert Klein. Le monsieur Klein du titre éponyme. Enfin un des deux Monsieur Klein du titre éponyme. Ce Monsieur Klein, interprété par Alain Delon, voit dans l'Occupation avant tout une occasion de s'enrichir et de racheter à bas prix des œuvres d'art à ceux qui doivent fuir ou se cacher, comme cet homme juif (Jean Bouise) à qui il rachète une œuvre du peintre hollandais Van Ostade. Le même jour, il reçoit le journal Informations juives adressé à son nom, un journal normalement uniquement délivré sur abonnement. Ces abonnements étant soumis à la préfecture et M.Klein allant lui-même signaler cette erreur, de victime, il devient suspect. Il commence alors à mener l'enquête et découvre que son homonyme a visiblement délibérément usé de la confusion entre leurs identités pour disparaître.

La première scène, d'emblée, nous glace d'effroi par son caractère ignoble et humiliant pour celle qui la subit. Une femme entièrement nue est examinée comme un animal par un médecin et son assistante afin d'établir ou récuser sa judéité.  Y succède une scène dans laquelle, avec la même indifférence, M.Klein rachète un tableau à un juif obligé de s'en séparer. M.Klein examine l'œuvre avec plus de tact que l'était cette femme humiliée dans la scène précédente, réduite à un état inférieur à celui de chose mais il n'a pas plus d'égard pour son propriétaire que le médecin en avait envers cette femme même s'il respecte son souhait de ne pas donner son adresse, tout en ignorant peut-être la véritable raison de sa dissimulation affirmant ainsi avec une effroyable et sans doute inconsciente effronterie « bien souvent je préfèrerais ne pas acheter ».

Au plan des dents de cette femme observées comme celles d'un animal s'oppose le plan de l'amie de M.Klein, Jeanine (Juliet Berto) qui se maquille les lèvres dans une salle de bain outrageusement luxueuse. A la froideur clinique du cabinet du médecin s'oppose le luxe tapageur de l'appartement de M.Klein qui y déambule avec arrogance et désinvolture, recevant ses invités dans une robe de chambre dorée. Il collectionne. Les œuvres d'art même s'il dit que c'est avant tout son travail. Les femmes aussi apparemment. Collectionner n'est-ce pas déjà une négation de l'identité, cruelle ironie du destin alors que lui-même n'aura ensuite de cesse de prouver et retrouver la sienne ?

Cet homonyme veut-il lui  sauver sa vie ? Le provoquer ? Se venger ? M.Klein se retrouve alors plongé en pleine absurdité kafkaïenne où son identité même est incertaine. Cette identité pour laquelle les Juifs sont persécutés, ce qui, jusque-là,  l'indifférait prodigieusement et même l'arrangeait plutôt, ou en tout cas arrangeait ses affaires.

 Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante.  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde. La scène du château en est un exemple, il y retrouve une femme, apparemment la maîtresse de l'autre M.Klein (Jeanne Moreau, délicieusement inquiétante, troublante et mystérieuse) qui y avait rendez-vous. Et alors que M.Klein-Delon lui demande l'adresse de l'autre M.Klein, le manipulateur, sa maîtresse lui donne sa propre adresse, renforçant la confusion et la sensation d'absurdité.  Changement de scène. Nous ne voyons pas la réaction de M.Klein. Cette brillante ellipse ne fait que renforcer la sensation de malaise.

Le malentendu (volontairement initié ou non ) sur son identité va amener Klein à faire face à cette réalité qui l'indifférait. Démonstration par l'absurde auquel il est confronté de cette situation historique elle-même absurde dont il profitait jusqu'alors. Lui dont le père lui dit qu'il est « français et catholique  depuis Louis XIV», lui qui se dit « un bon français qui croit dans les institutions ». M.Klein est donc  certes un homme en quête d'identité mais surtout un homme qui va être amené à voir ce qu'il se refusait d'admettre et qui l'indifférait parce qu'il n'était pas personnellement touché : « je ne discute pas la loi mais elle ne me concerne pas ». Lui qui faisait partie de ces « Français trop polis ». Lui qui croyait que « la police française ne ferait jamais ça» mais qui clame surtout : «  Je n'ai rien à voir avec tout ça. » Peu lui importait ce que faisait la police française tant que cela ne le concernait pas. La conscience succède à l'indifférence. Le vide succède à l'opulence. La solitude succède à la compagnie flatteuse de ses « amis ». Il se retrouve dans une situation aux frontières du fantastique à l'image de ce que vivent alors quotidiennement les Juifs. Le calvaire absurde d'un homme pour illustrer celui de millions d'autres.

Et il faut le jeu tout en nuances de Delon, presque méconnaissable, perdu et s'enfonçant dans le gouffre insoluble de cette quête d'identité pour nous rendre ce personnage sympathique, ce vautour qui porte malheur et qui « transpercé d'une flèche, continue à voler ». Ce vautour auquel il est comparé et qui éprouve du remords, peut-être, enfin. Une scène dans un cabaret le laisse entendre. Un homme juif y est caricaturé comme cupide au point de  voler la mort et faisant dire à son interprète : « je vais faire ce qu'il devrait faire, partir avant que vous me foutiez à  la porte ». La salle rit aux éclats. La compagne de M.Klein, Jeanine, est choquée par ses applaudissements. Il réalise alors, apparemment, ce que cette scène avait d'insultante, bête et méprisante et  ils finiront par partir. Dans une autre scène, il forcera la femme de son avocat à jouer l'International alors que le contenu de son appartement est saisi par la police, mais il faut davantage sans doute y voir là une volonté de se réapproprier l'espace et de se venger de celle-ci qu'un véritable esprit de résistance. Enfin, alors que tous ses objets sont saisis, il insistera pour garder le tableau de Van Ostade, son dernier compagnon d'infortune et peut-être la marque de son remords qui le rattache à cet autre qu'il avait tellement méprisé, voire nié et que la négation de sa propre identité le fait enfin considérer.

Le jeu des autres acteurs, savamment trouble, laisse  ainsi entendre que chacun complote ou pourrait être complice de cette machination, le père de M.Klein (Louis Seigner) lui-même ne paraissant pas sincère quand il dit « ne pas connaître d'autre Robert Klein », de même que son avocat (Michael Lonsdale) ou la femme de celui-ci (Francine Bergé) qui auraient des raisons de se venger, son avocat le traitant même de « minus », parfaite incarnation des Français de cette époque au rôle trouble, à l'indifférence coupable, à la lâcheté méprisable, au silence hypocrite.

Remords ? Conviction de supériorité ? Amour de liberté ? Volonté de partager le sort de ceux dont il épouse alors jusqu'au bout l'identité ? Homme égoïste poussé par la folie de la volonté de savoir ? Toujours est-il que, en juillet 1942, il se retrouve victime de la   Rafle du Vel d'Hiv avec 15000 autres juifs parisiens. Alors que son avocat possédait le certificat pouvant le sauver, il se laisse délibérément emporter dans le wagon en route pour Auschwitz avec, derrière lui, l'homme  à qui il avait racheté le tableau et, dans sa tête, résonne alors le prix qu'il avait vulgairement marchandé pour son tableau. Scène édifiante, bouleversante, tragiquement cynique. Pour moi un des dénouements les plus poignants de l'Histoire du cinéma. Celui qui, en tout cas, à chaque fois, invariablement, me bouleverse.

La démonstration est glaciale, implacable. Celle de la perte et de la quête d'identité poussées à leur paroxysme. Celle de la cruauté dont il fut le complice peut-être inconscient et dont il est désormais la victime. Celle de l'inhumanité, de son effroyable absurdité. Celle de gens ordinaire qui ont agi plus par lâcheté, indifférence que conviction.

Losey montre ainsi froidement et brillamment une triste réalité française de cette époque,  un pan de l'Histoire et de la responsabilité française qu'on a longtemps préféré ignorer et même nier. Sans doute cela explique-t-il que « Monsieur Klein » soit reparti bredouille du Festival de Cannes 1976 pour lequel le film et Delon, respectivement pour la palme d'or et le prix d'interprétation, partaient pourtant favoris. En compensation, il reçut les César du meilleur film, de la meilleure réalisation et  des meilleurs décors.

Ironie là aussi de l'histoire (après celle de l'Histoire), on a reproché à Losey de faire, à l'image de Monsieur Klein, un profit malsain de l'art en utilisant cette histoire mais je crois que le film lui-même est une réponse à cette accusation (elle aussi) absurde.

A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant, quête de conscience et d'identité d'un homme, mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires, implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  Monsieur Klein est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie, des décennies après. A voir et à revoir. Pour ne jamais oublier. Plus que jamais.

CRITIQUE de CÉSAR ET ROSALIE de CLAUDE SAUTET

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Le critique de cinéma Claude Beylie parlait de « drame gai » à propos de César et Rosalie, terme en général adopté pour La Règle du jeu de Renoir, qui lui sied également parfaitement. Derrière l’exubérance et la truculence de César, on ressent en effet la mélancolie sous-jacente. César donc c’est Yves Montand, un ferrailleur qui a réussi, vivant avec Rosalie (Romy Schneider) divorcée d’Antoine (Umberto Orsini), et qui aime toujours David (Sami Frey), un dessinateur de bandes dessinées, sans cesser d’aimer César. Ce dernier se fâche puis réfléchit et abandonne Rosalie à David. Des liens de complicité et même d’amitié se tissent entre les deux hommes si bien que Rosalie, qui veut être aimée séparément par l’un et par l’autre, va tenter de s’interposer entre eux, puis va partir…

Dans ce film de 1972, qui fut souvent comparé à Jules et Jim de Truffaut, on retrouve ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de café, de groupe et la solitude dans le groupe, la fugacité du bonheur immortalisée, l’implicite dans ce qui n’est pas -les ellipses- comme dans ce qui est -les regards-. Ah, ces derniers regards entre les trois personnages principaux ! Ah, le regard de David lorsque l’enfant passe des bras de Rosalie à ceux de César, scène triangulaire parfaitement construite !

Les regards sont toujours particulièrement signifiants et significatifs dans les films de Sautet, comme également dans Les choses de la vien certainement le film de Sautet que j’ai le plus de mal à revoir tant il me bouleverse à chaque fois, sans doute parce qu’il met en scène ce que chacun redoute : la fatalité qui fauche une vie en plein vol. Le film est en effet placé d’emblée sous le sceau de la fatalité puisqu’il débute par un accident de voiture. Et une cacophonie et une confusion qui nous placent dans la tête de Pierre (Michel Piccoli). Cet accident est le prétexte à un remarquable montage qui permet une succession de flashbacks, comme autant de pièces d’un puzzle qui, reconstitué, compose le tableau de la personnalité de Pierre et de sa vie sentimentale. Dans Les choses de la vie, on se souviendra ainsi longtemps du regard d’Hélène qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder, elle n'est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante….Les regards sont aussi capitaux dans la séquence sublime du restaurant dans laquelle ils passent du rendez-vous d’amour à la dispute, une scène qu’ils ne paraissent pas jouer mais vivre sous nos yeux, dans un de ces fameux cafés ou brasseries qu’on retrouvera ensuite dans tous les films de Claude Sautet, dans les scènes de groupe dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique. On retrouvera aussi la solitude dans et malgré le groupe. « A chaque film, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. »  dira ainsi Claude Sautet. 

Annie Girardot et Yves Montand puis Lino Ventura déclinèrent les rôles d'Hélène et de Pierre dans Les choses de la vie. Romy Schneider et Michel Piccoli seront ainsi à jamais Hélène et Pierre. Inoubliables. Comme le rouge d’une fleur. Peut-être la dernière chose que verra Pierre qui lui rappelle le rouge de la robe d’Hélène. Comme cet homme seul sous la pluie, mortellement blessé, gisant dans l'indifférence, tandis que celle qu’il aime, folle d’amour et d’enthousiasme, lui achète des chemises. Et que lui rêve d’un banquet funèbre. Et qu’il murmure ces mots avec son dernier souffle de vie qui, là encore, résonnent comme les paroles d’une chanson :  «J'entends les gens dans le jardin. J'entends même le vent. » Et ces vêtements ensanglantés ramassés un à un par une infirmière, anonymes, inertes.

Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma : d’abord parce que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l’imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté (ici, dans César et Rosalie, l’arrivée de David) et ensuite parce que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Claude Sautet a ainsi été critique musical au journal Combat, un journal de la Résistance, il avait ainsi une vraie passion pour le jazz et pour Bach (auquel il associera d’ailleurs le baroque César), notamment. Il a par ailleurs consacré un film entier à la musique, Un cœur en hiver, le meilleur film de Sautet selon moi tant les personnages y sont ambivalents, complexes, bref humains, et tout particulièrement le personnage de Stéphane interprété par Daniel Auteuil, le « cœur en hiver », pouvant donner lieu à une interprétation différente à chaque vision du film. Le tempo de ses films est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition. C’est évidemment aussi le cas dans César et Rosalie. Les dialogues et la voix même y exhalent une vraie musicalité comme l’inoubliable Lettre de Rosalie ("Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. David, César sera toujours César, et toi, tu seras toujours David, qui m'emmène sans m'emporter, qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir…"). La sublime musique de Philippe Sarde est bien sûr aussi indissociable de César et Rosalie.

« L’unité dans la diversité ». Pour qualifier le cinéma de Claude Sautet et l’unité qui le caractérise malgré une diversité apparente, nous pourrions ainsi paraphraser cette devise de l’Union européenne. Certes a priori, L’arme à gauche est un film très différent de Vincent, François, Paul et les autres, pourtant si son premier film Classe tous risques est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films. Tous ses films se caractérisent d’ailleurs aussi par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants. Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif, c’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non-dit. Pascal Jardin disait de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ».

Dans Nelly et M. Arnaud se noue ainsi une relation ambiguë entre un magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et une jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d’Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant référence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma: silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle, le suspense, presque hitchcockien y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié: le thriller des sentiments.

Les films de Sautet ont tous des points communs : le groupe, (dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique), des personnages face à leurs solitudes malgré ce groupe, des scènes de café,( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n’y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m’en empêcher. Les cafés, c’est comme Paris, c’est vraiment mon univers. C’est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, des scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, des scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

Claude Sautet, en 14 films, a imposé un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d’une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble. Il a signé aussi bien des « drames gais » avec César et Rosalie, ou encore le trop méconnu, fantasque et extravagant Quelques jours avec moi, un film irrésistible, parfois aux frontières de l’absurde, mais aussi des films plus politiques notamment le très sombre « Mado » dans lequel il dénonce l’affairisme et la corruption…

« Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. », disait Truffaut. Ainsi, personne mieux que Claude Sautet ne savait et n’a su dépeindre des personnages attachants, fragiles mais si vivants (à l’exception de Stephan interprété par Daniel Auteuil dans Un cœur en hiver, personnage aux émotions anesthésiées quoique…) comme le sont César et Rosalie.

Ici au contraire ce n’est pas « un cœur en hiver », mais un cœur qui bat la chamade et qui hésite, celui de Rosalie, qui virevolte avec sincérité, et qui emporte le spectateur dans ses battements effrénés. Et effectivement on retrouve cette vitalité, celle de la mise en scène qui épouse le rythme trépidant de César face au taciturne David. César qui pourrait agacer ( flambeur, gouailleur, lâche parfois) face à la fragilité et la discrétion de l’artiste David. Deux hommes si différents, voire opposés, dans leur caractérisation comme dans leur relation à Rosalie que Sautet dépeint avec tendresse, parfois plutôt une tendre cruauté concernant César.

Là se trouve la fantaisie, dans ce personnage interprété magistralement par Yves Montand, ou dans la relation singulière des trois personnages, si moderne. Un film qui n’est pas conventionnel jusque dans sa magnifique fin, ambiguë à souhait. Sans effets spéciaux. Simplement par la caractérisation ciselée de personnages avec leurs fêlures et leur déraison si humaines.

On a souvent dit de Claude Sautet était le peintre de la société des années 70 mais en réalité la complexité des sentiments de ses personnages disséquée avec une rare acuité est intemporelle. S’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterrandienne, ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.

César et Rosalie est un film à l’image de son personnage principal qui insuffle ce rythme précis et exalté : truculent et émouvant, mélancolique et joyeux, exubérant et secret. Un film intemporel et libre, qui oscille entre le rire et les larmes, dans lequel tout est grave et rien n’est sérieux (devise crétoise, un peu la mienne aussi). Un film délicieusement amoral que vous devez absolument voir ou revoir ne serait-ce que pour y voir deux monstres sacrés (Romy Schneider et Yves Montand, l’une parfaite et resplendissante dans ce rôle de femme riche de contradictions, moderne, amoureuse, indépendante, enjouée, et triste, incarnant à elle seule les paradoxes de ce « drame gai » ; l’autre hâbleur, passionné, cabotin, bavard, touchant face à Sami Frey silencieux, posé, mystérieux, séduisant mais tous finalement vulnérables, et les regards traversés de voiles soudains de mélancolie ) au sommet de leur art et pour entendre des dialogues aussi incisifs, précis que savoureux (comme pour le scénario également cosigné par Jean-Loup Dabadie)…

Claude Sautet disait lui-même que ses films n’étaient pas réalistes mais des fables. Son univers nous envoûte en tout cas, et en retranscrivant la vie à sa « fabuleuse » manière, il l’a indéniablement magnifiée. Certains lui ont reproché son classicisme, pour le manque de réflexivité de son cinéma, comme on le reprocha aussi à Carné. On lui a aussi reproché de toujours filmer le même milieu social (bourgeoisie quinquagénaire et citadine). Qu’importe ! Un peu comme l’ours en peluche du Jour se lève  qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons de ses films, entre rires et larmes, bouleversés, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n’a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

ET QUELQUES MOTS sur LE TEMPS DE L'INNOCENCE de MARTIN SCORSESE (1993) -extrait d'un post Instagram du 1er février 2023-

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Le Temps de l'innocence. Vous en parler, encore. Toujours sur cette place de la rue de Furstemberg, penser à ce film de Scorsese, son 14ème, réalisé en 1993, adapté d'Edith Wharton : The Age of innocence, roman de 1920 pour lequel elle obtint le Prix Pulitzer en 1921. Un film souvent sous-estimé. Le plus beau de Scorsese peut-être pourtant. Toujours penser à cette scène finale, bouleversante, tournée sur cette place. Là où se situait le dernier domicile de la Comtesse Olenska (Michelle Pfeiffer). Là où Newland Archer (Daniel Day-Lewis) attendra sur un banc, avant de renoncer à monter la (re)voir après  des années et renoncera : à la possibilité du remords mais aussi à celle du bonheur. 
 
Il y a du Ivory, du Visconti, du Ophüls, du Welles, et même du Hitchcock dans cette fresque somptueuse dont la fin est pour moi une des plus belles et tragiques de l'Histoire du cinéma et dont le générique, déjà, est un modèle du genre. L'éclosion d'une feuille rose sur fond noir, qui se fond ensuite dans l’éclosion d’une autre d'une autre couleur, puis d’une autre, et encore d'une autre. Aux pétales se superpose puis substitue de la dentelle. Et plane l'ombre de Vertigo d’Hitchcock. Le générique de 8 femmes d'Ozon ressemble à un hommage à celui-ci. Cela tombe bien. C'est du prochain film d'Ozon dont je vais vous parler aujourd'hui. Cela tombe bien, encore : Ozon, comme Scorsese, soigne particulièrement ses scènes d'ouverture. 
 
Au son du Faust de Gounod, place donc ensuite à la scène d’ouverture qui, comme toujours chez Scorsese, dit déjà presque tout...
 
Prenez par exemple celle de Shutter Island. Dès le premier plan, lorsque Teddy (DiCaprio), malade, rencontre son coéquipier sur un ferry brinquebalant et sous un ciel orageux, Scorsese nous embarque dans l'enfermement, la folie, un monde mental qui tangue constamment, flou, brouillé. Tout est déjà contenu dans cette première scène : cette rencontre qui sonne étrangement, le cadre  qui enferme les deux coéquipiers et ne laisse voir personne d'autre sur le ferry, cette cravate dissonante, le mal de mer d'un Teddy crispé, le ciel menaçant, les paroles tournées  vers un douloureux passé. 
 
Mais revenons au Temps de l'innocence. Si vous doutez de la majestuosité de ce film, revoyez simplement la scène d'ouverture à l'opéra, le magistral plan-séquence, et l'entrée de Newland Archer dans la salle de bal. Mais revoyez aussi ce film (notamment !) pour : la flamboyance de la mise en scène, la magnificence de la photographie de Michael Ballhaus, l'inventive beauté de la musique de Bernstein, ou du montage de Thelma Schoonmaker.
 
Newland, esprit faussement libre, est cadenassé dans la morale et les règles de la haute société américaine. Tout cela semble bien éloigné des "films de gangsters" auxquels est plus communément associé Scorsese. Il ne fait pourtant que les transposer dans un autre univers, également codifié et tout aussi impitoyable.  
 
Un des plus beaux films qui soit sur la douleur des regrets. Du temps carnassier. Sa la passion réprimée, aussi. Avec un titre tout aussi magnifique à la résonance ironiquement tragique.

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