"Je vais bien, ne t'en fais pas" de Philippe Lioret
Evanescents. Incandescents. Deux catégories de films. Je vais bien, ne t’en fais pas fait partie de la seconde catégorie. De ceux qui vous laissent un souvenir brûlant, que le générique de fin ne parvient pas à effacer de votre mémoire et contre le souvenir duquel le temps qui passe ne peut rien. Au contraire. Il en sublime et renforce le souvenir. Un peu comme Lili avec le souvenir de son frère. Mais revenons au début.
Tout commence par un retour de vacances. C’est a priori joyeux un retour de vacances, nostalgique à la limite mais joyeux. Pour Lili, (Mélanie Laurent) qui rentre de vacances après un mois d’absence, il en va autrement. Elle apprend par ses parents que Loïc, son frère jumeau, après une violente dispute avec son père (Kad Merad), a quitté le domicile familial. Ce n’est pas la première fois. Sauf que là, cela s’éternise. Sauf que là, Loïc ne répond pas au téléphone et ne donne pas de nouvelles. Lili se révolte d’abord contre l’indolence de son père apparemment indifférent au sort de son frère et de surcroît responsable de la fugue puis l'indignation laisse place à l'abattement et elle se laisse mourir… Mais une carte postale de son frère la ramène à la vie. Tout pourrait être résolu, rien ne l’est… Il est toujours absent. Et, pour les autres, la vie semble étrangement continuer à s’écouler comme si rien ne s’était passé. Mais l’absence est pourtant toujours omniprésente pour Lili qui laisse son existence perdre son sens. Pour elle, elle ne pourra en avoir à nouveau un que lorsqu’elle aura retrouvé son frère.
Dès les premières secondes, dans cette foule oppressante, le spectateur épouse le point de vue de la jeune Lili, ses atermoiements, ses angoisses, ses frayeurs jusqu’à l’étouffement. Avec elle, il s’étonne, s’égare, se révolte, souffre, compatit, reprend vie. Le rythme, insidieusement angoissant, ne retombe pas une seule seconde. Philippe Lioret pourrait avoir inventé un nouveau genre : le thriller familial. La réalisation s’efface pour laisser place au scénario : impeccable. Histoire d’amour filial absolu, d’amour naissant, d’amitié magnifique sur une musique mélancolique (Loïc compose des musiques), Je vais bien ne t’en fais pas exalte la beauté des sentiments sans être jamais mièvre, cruel même parfois.
Mais c’est aussi et avant tout comme dans l’Equipier et dans le magnifique Mademoiselle, un film sur l’indicible, le non dit qui rappelle les derniers films de Claude Sautet. Et Philippe Lioret n’a pas son pareil pour filmer le non dit : le non dit de familles qui ne se comprennent pas, ont oublié de se parler et de vivre, ne savent plus comment s'aimer, des familles qu’il met judicieusement en parallèle pour mieux les séparer ensuite et mettre en valeur le geste d’amour absolu de la fin.
Un film qui vous bouscule, bouscule les apparences, vous hante même. En adaptant ce roman d’Olivier Adam, Philippe Lioret a signé un film intense, poignant et sombre qui s’achève par une lumière en demie teinte, intelligemment elliptique, à la fois sublime et terrifiante, le non dit porté à son paroxysme.
Philippe Lioret prouve par ailleurs une nouvelle fois qu’il est un excellent directeur d’acteurs (Mélanie Laurent, Julien Boisselier, Kad Merad excellents, ce dernier étant aussi étonnant et crédible dans le drame que Sandrine Bonnaire était crédible dans la légèreté dans Mademoiselle). Ce film bénéficie d’un excellent bouche à oreille… Je ne peux que vous engager à suivre ces murmures élogieux…
Sandra.M
Un des principes de ce blog est l’éclectisme et à une semaine du festival de Cannes, mes goûts et mes aspirations, éclectiques donc, penchent plutôt vers la légèreté. Cela tombe bien. Figure actuellement à l’affiche une comédie parfaite en prélude cannois puisqu’elle a la Croisette et son mythique Carlton pour cadre, ce « 4 étoiles » auquel le titre fait référence.
Evidemment je pourrais vous parler des nombreuses comédies françaises à l’affiche actuellement. Je pourrais vous dire que vous avez l’embarras du choix entre Francis Veber avec La Doublure qui signe là le retour du naïf au grand coeur François Pignon, cette fois incarné par Gad Elmaleh, Albert Dupontel et sa "comédie sociale" Enfermés dehors qui nous narre les tribulations burlesques d’un SDF ayant trouvé un costume de policier et l’utilisant pour imposer sa propre loi déjantée, et Laurent Tuel avec Jean-Philippe qui nous entraîne dans une autre dimension où Johnny Hallyday serait resté Jean-Philippe Smet, sans compter Cabaret Paradis de Corinne et Gilles Benizio et OSS117,Le Caire nid d'espions de Michel Hazanavicius (je n’ai pas vu les deux derniers films cités).
la référence affirmée par son auteur à Chaplin et Keaton, référence pour le moins exagérée. Il ne suffit pas de s’auto-proclamer poétique pour le devenir. Je l’avoue : j’ai ri néanmoins, du moins plus qu’à la projection des Bronzés, amis pour la vie, ce qui n’est pas un défi insurmontable, je vous l’accorde.
face exceptionnel entre un Luchini dont le talent n’est certes plus à prouver mais dont le don pour la comédie est ici éclatant face à un Johnny Hallyday tout en retenue comme dans L’Homme du train, ici il fait de surcroît preuve d’une auto-dérision désarmante . Je pourrais en effet vous dire tout ça et encore que je vous recommanderais sûrement le dernier. Parce qu’il n’imite personne même s’il a un petit air de Being John Malkovich (au risque d'en agacer certains avec cette intouchable réfèrence) davantage que de Podium, même production et malgré un clin d’œil désopilant au film en question. Parce que, aussi, il nous parle des rendez-vous manqués ou décisifs, du destin, parce que le sujet est moins léger qu’il n’en a l’air, en tout cas universel. Je pourrais encore, justement, vous parler des rendez-vous manqués, esquivés ou essentiels.
de
Frankie a 26 ans. Frankie est mannequin. Son travail exige d’elle qu’elle renvoie une image lisse et parfaite, qu’elle ne laisse entrevoir ni la fragilité ni les fêlures qu’elle dissimule. Oui, Frankie est mannequin, pas un top model qui parcourt le monde mais un mannequin en fin de carrière comme il y en a des milliers d’autres, qui erre d’hôtels médiocres en studios, en bars moroses où, esseulée, elle laisse tomber le masque, et n’en a plus que faire. L’image elle aussi s’est fissurée : plus vraiment belle, plus vraiment jeune selon des critères plus cruels dans son métier qu’ailleurs, où les stigmates du temps, si imperceptibles pourtant, ennemi impitoyable et invincible, sont inexcusables. Seule, surtout. Quand l’image se craquelle, il faut sourire avec plus d’entrain encore, dire bonjour avec plus d’enthousiasme, feindre avec un talent démultiplié. Seulement Frankie n’a plus envie. Elle a perdu l’envie d’avoir envie. L’envie de cacher l’être blessé par un paraître irréprochable. N’être qu’un corps qu’on voit sans le regarder devient insupportable. Frankie (Diane Krüger d’une touchante fragilité) est à fleur de peau, dans cet état où un seul mot prononcé ou oublié, un seul geste déplacé peuvent faire basculer et dériver. Au départ le film est un peu comme cet univers dans lequel elle se perd, celui de faux semblant : superficiel, détaché de nous, lointain comme une image de papier glacé ( l’image du film, très réaliste, est d'ailleurs délibérément ici très éloignée d’une image de papier glacé) puis peu à peu sa solitude, son mal être s’emparent subrepticement de nous grâce à un montage savamment déstructuré et chaotique à l’image de celle dont il reflète l’égarement. Les images de sa décadence se mêlent à celles de son séjour en hôpital psychiatrique. La poésie ne vient pas suffisamment de là où on l’attend. La poésie du désenchantement. Une jolie forme de politesse. Celle d’un ange aux ailes brisées. Elle s’égare, elle vacille comme la caméra de Fabienne Berthaud dont c’est ici le premier long métrage, aux allures de faux documentaire. C’est un film imparfait, mais c’est justement cette imperfection qui le distingue et l’enrichit. Il laisse entrevoir ses fêlures, il se met à nu comme celle qu’il immortalise. Comme si Dorian Gray et son portrait se côtoyaient. Sauf qu’ici ce que dissimule le masque est peut-être finalement plus beau que le masque lui-même ; surtout si un regard bienveillant se pose dessus, comme celui de Tom que je vous laisse découvrir… Finalement dériver permet peut-être de mieux retrouver son chemin ? Il faut parfois avoir le courage de sombrer, de se montrer chancelant pour mieux refaire surface, revenir sans un masque en trompe l’œil, pour que les autres regards n’effleurent pas seulement mais voient réellement. Et savoir ainsi à nouveau admirer le bleu du ciel ou retrouver les ailes d’un ange. Un film cruel et poétique. Mélancolique et drôle. Comme les deux faces d'un même visage. Une fin qui justifie les moyens et qui mérite d’être attentif jusqu’au bout, de ne pas nous aussi céder à la tyrannie du temps, de ne pas nous aussi zapper ce qui n’est pas lisse, immédiat, formaté comme nous y sommes trop souvent habitués et encouragés. La fissure en dit peut-être plus que le masque. Oui, Frankie est mannequin mais elle porte le masque et dissimule les blessures de chacun de nous…
Avec La Bûche, Danièle Thompson et Christopher Thompson , son co-scénariste (également pour Décalage horaire et pour Fauteuils d’orchestre) avaient, selon moi, réussi le film choral parfait dans lequel chaque personnage a un rôle d’égale importance, dans lequel chaque personnage constitue un rouage indispensable de l’intrigue ou plutôt des intrigues, dans lequel chaque personnage et chaque intrigue se suivent avec un intérêt égal, avec un dénouement reliant les fils de ces destins blessés, un brillant divertissement au sens noble du terme. Je m’attendais donc à une impression similaire avec Fauteuils d’orchestre, précédé d’un bouche à oreille favorable.
et donc de la sacralisation intéressée de la parole de la télévision dans la production cinématographique française ? Toujours est-il que le cinéma français devient de plus en plus frileux, académique, convenu, uniformisé. Quand on sait que des cinéastes aussi talentueux que Téchiné peinent aujourd’hui à être produits, il y a de quoi être désabusée et/ou révoltée. Que les fictions de TF1 soient toutes construites sur le même modèle pour un public lui aussi être censé toujours construit sur le même modèle et selon les même goûts peut être compréhensible, pas forcément cautionné mais compréhensible, en revanche quand la frilosité se remarque aussi chez des cinéastes auparavant connus pour leur inventivité, leur anticonformisme, leur salutaire ironie, je ne peux m’empêcher d’être déçue. Tel était le cas de Claude Chabrol, cinéaste pourtant parmi les premiers de mon panthéon cinématographique, dont l’air débonnaire avait pour habitude de masquer des films noirs, cyniques, miroirs impitoyables d’une bourgeoisie auscultée avec une froide ironie et une jubilatoire impertinence.