Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Court-métrage - Critique de JUS D’ORANGE de Alexandre Athané

    affiche de Jus d'Orange.jpeg

    « Qu'est-ce que la poésie ? Une pensée dans une image. » Goethe

    Je vous parle (trop) rarement de courts-métrages, j’espère donc que cela mettra d’autant plus en exergue celui-ci, magistral, et que cela vous incitera à découvrir l’univers poétique de son réalisateur.

    Ce film a reçu une pluie de récompenses dans le monde entier, parmi lesquelles : le prix du meilleur scénario à la Soirée des Cinéastes au Grand Rex (Juin 2024), le Spirit Award Best Animation - Brooklyn Film Festival, Windmill Studios USA (Juin 2024), le Cinematic Achievement Award KISFFO Karditsa Intl. Short Film Fest, Greece (Août 2024) et le Best Animation Short Film Award du même festival, le Honor Mencio Dibuixos Animats au Girona Film Festival, Spain (12-14 Septembre 2024), le Honorable Mention Animation : Hollywood Best Indie Film Award, USA (Decembre 2024), le Best Animation :  Festival du Film Environnemental , Poitiers (février 2025), le Gold Award: Animation - Florence Film Awards, Italy (mars 2025), les Best Animation, Best Screenplay, Best Sound design - Between Frames, Mexico (6-8 March 2025)… et ce n'est certainement pas fini au regard de la qualité du film en question et de ses nombreuses sélections à venir, notamment au Festival Deauville Green Awards (liste des prochains festivals dans lesquels le film est sélectionné, à retrouver en bas de cet article).

    cinéma,court-métrage,jus d'orange,alexandre athané,chloé célérien

    J’avais découvert le travail, poétique donc, et singulier, d’Alexandre Athané en 2015, au Festival du Film de Saint-Jean-de-Luz dans le cadre duquel il avait donné une passionnante master class sur l’animation. Ce festival fut aussi l’occasion de découvrir son court-métrage, L’espace d’un instant, qu’il avait réalisé et dessiné, un court-métrage écrit par Vincent Cappello. Un sublime film d’animation qui montre comment l’imaginaire peut panser les blessures de la vie (et ainsi une métaphore des pouvoirs inestimables du cinéma), également un très beau film sur la transmission dans lequel la douceur des images et de la voix de Pierre Richard nous bercent comme un conte, sans oublier de très beaux dialogues : « C’est comme cela que le monde avance, d’abord il y a les rêveurs, une fois qu’une image les a traversés, ils la révèlent à l’humanité et elle se met au travail », « Rien ne peut empêcher l’homme de prendre l’univers en flagrant délit de désobéissance ». Une ode au rêve, à l’imaginaire, un moment de poésie dont la musique d’Alex Beaupain exacerbe la force et la beauté. Une forêt enchanteresse que l’on quitte avec regrets et émotions.

    Alexandre Athané est illustrateur et réalisateur. Il a travaillé à Paris, Londres et New York. Jus d’orange (2023) est son troisième court-métrage d'animation, après Zoé Melody (2007) et L’espace d’un instant (2016). Il est aussi l’auteur graphique de nombreux titres et génériques pour le cinéma avec sa société au nom aussi poétique que ses films, The Singing Plant Company. Il est ainsi une référence en matière de création de génériques comme ceux de films pour lesquels j’avais partagé mon enthousiasme ici, tels Maria rêve de Yvo Muller et Lauriane Escaffre ou encore le formidable Un coup de maître de Rémi Bezançon. Il est aussi notamment l’auteur des génériques de : Aimer, boire et chanter d’Alain Resnais, Max de Stéphanie Murat, Compte tes blessures de Morgan Simon, Jalouse et Les Fantasmes des frères Foenkinos... Dans son impressionnant CV figurent aussi notamment un poste de stagiaire au département artistique pour Spielberg pendant le tournage d’Amistad et un travail d’assistant de la photographe Martine Barrat.

    Jus d’orange, c’est l’histoire de « Toni, un cultivateur d’oranges » qui « voit sa vie défiler, happé par un monde industrialisé qui le dépasse, duquel seul un tendre souvenir pourrait le sauver. » Dans la famille de Toni (voix de Charlie Bos et José Garcia), on est cultivateur d'oranges de père en fils. Chaque jour depuis 40 ans, Toni dépense toute son énergie pour ses oranges qu’il aime de toute son âme, qu’il chérit. Mais un jour arrivent d’étranges cargos chargés d'oranges vertes…

    Dès le début, la musique, des notes de guitare nostalgiques et envoûtantes (magnifique musique composée par le chanteur Ian Caulfield), et un regard captivant, inondé de vert, nous happent. Et ces mots, en voix off : « Ils n'ont pas été produits par le néant ni par l'argent ni par le maître mais par la terre silencieuse, le travail et la sueur »

    L’affiche, à l'image du film, chatoyante, est une ode à une nature fantasmagorique, généreuse, sur laquelle plane une menace verte, celle d’une multinationale impitoyable qui « évacue » les produits non conformes, sur ordre d’une voix robotique et grave (celle de La Big Bertha). L’univers déshumanisé de l'usine contraste avec la nature luxuriante. Le vert avec le rouge.

    Je ne veux pas trop vous raconter ce petit bijou pour vraiment vous inciter à le découvrir, à vous laisser ensorceler par la tendre mélancolie, la lucidité, mais aussi la beauté de ce personnage, porté par la force des réminiscences, qui lutte au milieu des paysages funèbres et d’un environnement devenu fantomatique et menaçant. La voix de José Garcia matérialise l’humanité du personnage.

    Ce court-métrage a été produit par Nolita avec Animoon et The Singing Plant Company. Cette fois, c’est avec Chloé Célérien qu’Alexandre Athané a coécrit ce film qu’il a dessiné et réalisé, avec pour volonté commune de rendre hommage à leurs « grands-pères, aux terres et traditions ancestrales, à l’amour d’un certain savoir-faire. » La coscénariste a également une famille d'agriculteurs en Espagne

    Là aussi, il est question de transmission, du pouvoir magique des souvenirs, dé décor enchanteur, de poésie, de grâce et d’émotions qui nous submergent au dénouement, pas des émotions forcées ou fugaces mais de celles, subtiles et profondes, qui restent en mémoire, comme ces couleurs qui combattent, comme cette musique qui l’accompagne. La mémoire, justement, est aussi au cœur de ce récit. Celle qui nous lie au passé, à notre humanité. Celle qui nous permet de garder en nous la beauté d’un monde qui périclite face à la déshumanisation amenée par l’industrialisation et la robotisation. Jus d’orange nous invite à laisser du temps au temps, à prendre le temps de regarder, de savourer la beauté du présent ou d’une orange reine précautionneusement enveloppée, de respecter notre environnement, d'en déguster la puissance et la magnificence…comme la boisson éponyme, madeleine de Proust d’une enfance chaleureuse.

    Le style d’animation inspiré du dessin à la main donne à la fois de la chair et de l’évanescence poétique au récit, sublimé par la musique évocatrice, toujours là pour apporter du sens. Vous n’oublierez pas ces oranges-lampions qui brillent dans la nuit comme des vestiges du passé et des lueurs d'espoirs, ce combat entre ce rouge incandescent et ce vert menaçant, entre cet univers réellement féérique et ce monde macabre qui l'est de prime abord trompeusement.

    Tout est admirable : les dessins, le montage, les ellipses judicieuses, la musique, le propos. Une expérience inoubliable. Une fable universelle, enchanteresse, percutante et intemporelle, empreinte de tendresse et de poésie (oui, encore !), qui s’adresse à tous avec beaucoup d’humanité et de sensibilité. La mémoire y fait revenir le passé et refleurir le présent. Brillant. Intelligent. Ne le manquez pas !

    Prochains festivals où vous découvrir Jus d'orange :

     Shorts Costa Rica Film Festival, Costa Rica (19-29 March 2025)

    Yellowstone Film Festival, USA (21-27 March 2025)

    Cambodia International Film Festival, Cambodge (21-29 March 2025)

      Folkestone Film Festival, Uk (24 March 2025)

      Crossing The Screen - Eastbourne International Film Festival, UK (26-30 March

    2025)

     Athens Animfest - Greece (27-30 March 2025)

     5th Greece International Film Festival, Greece (29-30 March 2025)

      Beverly Hills Film Festival, USA (1-6 April 2025)

     L’Europe autour de l’Europe Film Fest, Paris Fr. (Hors Compétition) (15-19 April

    2025)

      Mulhouse Tous Courts, Mulhouse France (23-26 April 2025)

      Cinéma Columbus Film Festival, Ohio USA (30 April - 4 May 2025)

      VIVA EL CINE!, Argentina (12-18 May 2025)

     Le Courtivore - 24e Festival de CM de Rouen & Mont-Saint-Aignan - Compétition

    Jeune Public (projo 18 & 20 mai 2025)

      RED Movies Awards - Annual 2025 competition, France (23 - 24 May 2025)

     Short Shot Fest, Moscow (May 2025)

      Deauville Green Awards - Festival Intl. du Film Responsable - France (4 June 2025)

      Life After Oil, Italy (17-21 June 2025

     DIV’ARTS projection, Evry-Courcouronnes, France (26 July 2025)

     MADRIFF - Madrid Indie Film Festival, Madrid, Spain (Date TBC

    Pour suivre Alexandre Athané :

    -Site internet : https://thesingingplantcompany.com

    - Sur Instagram : @thesingingplant_company, @alexandre_athane

  • Critique de À BICYCLETTE de Mathias MLEKUZ

    cinéma, film, critique, A bicyclette, critique de À BICYCLETTE de Mathias MLEKUZ, Philippe Rebbot, festival d'Angoulême,

    Selon Chopin, « La simplicité est la réussite absolue. Après avoir joué une grande quantité de notes, toujours plus de notes, c'est la simplicité qui émerge comme une récompense venant couronner l'art. »

    Il en va des films comme des idées, des musiques et des chansons : les plus simples en apparence sont souvent ceux qui touchent droit au cœur et imprègnent la mémoire. Atteindre la simplicité est ainsi toujours le fruit d’une alchimie presque magique, comme celle qui irise ce film.

    Simple, le pitch de ce film l’est aussi… Mathias (Mathias Mlekuz) propose à son meilleur ami Philippe (Philippe Rebbot) un road trip à bicyclette, de l’Atlantique à la mer Noire, de La Rochelle à la Turquie. Ce trajet, c’est celui qu’avait entrepris Youri, le fils de Mathias, en 2018, avant de disparaitre tragiquement, en septembre 2022. Youri avait écrit un livre illustré à partir de ce voyage, ce qui permet aux deux compères de retrouver les endroits précis par lesquels ce dernier était passé.

    Le film a récolté une avalanche de prix. À Angoulême : les Prix du Public, de la Mise en scène et de la Musique. À Valenciennes, le Prix du Public et le Prix d'interprétation masculine. Aux Rencontres de Cannes, le Prix du Public et le Grand Prix. Aux Œillades d’Albi, le Prix du Public… Le film approche des 350000 entrées : un succès mérité.

    Il s’agit du deuxième long-métrage réalisé par le comédien Mathias Mlekuz. Son premier long-métrage, Mine de rien, avec Arnaud Ducret et Philippe Rebbot, était sorti en février 2020 et avait obtenu le prix du public au Festival de l’Alpe d’Huez.

    J’aime penser que les films dialoguent entre eux. Je vous parlais récemment de ce dernier plan bouleversant de La Cache de Lionel Baier (actuellement à l’affiche, que je vous recommande également) qui rappelle la fin du film Les Temps modernes de Chaplin. Lucky, le petit fox qui accompagne Mathias et Philippe (avec son costume à la fois gaiment décalé et en adéquation avec la solennité simple de l'instant, paradoxale), véritable personnage du film, qui contribue souvent au burlesque et à la tendresse des scènes, m’a fait songer à Une vie de chien, le film de 1918 de Chaplin.

    cinéma, film, critique, A bicyclette, critique de À BICYCLETTE de Mathias MLEKUZ, Philippe Rebbot, festival d'Angoulême,

    Il y a en effet du Chaplin dans ces deux-là, avec leurs rires au bord des larmes et leurs larmes au bord du rire, et leur politesse du désespoir. Youri était d’ailleurs clown, et avec une touchante modestie, les deux amis s’initient à cet art en jouant dans des écoles où le jeune homme était lui-même passé.

    Seuls le discours du début du film (où se retrouvent tous ceux qui étaient présents lors du départ de Youri pour son périple, cette fois réunis pour le départ du voyage de son père avec son ami) et le texte de l’autre fils de Mathias, Josef (un magnifique texte envers qui clôt le film) étaient écrits. Une scène à Vienne, absolument désopilante, a aussi été improvisée avec une comédienne, Adriane Grządziel. L’humour permet d’alléger la gravité du propos. L’ombre solaire de Youri plane constamment sur le film, et le chagrin contre lequel luttent les deux amis s’insinue dans chaque sourire, chaque conversation, et chaque silence complice, sans que le film soit larmoyant.

    Entre leurs colères, leurs méditations sur la vie et la mort, les larmes de l’un et de l’autre, Philippe et Mathias forment un duo (ou plutôt un trio, avec leur irrésistible compagnon à quatre pattes) particulièrement attachant, entre l'Autriche, la Hongrie, la Roumanie et la Turquie. Avec eux, nous embarquons nos propres chagrins, pour puiser de la vitalité dans ce périple initiatique, de la force d’avancer. Ce film c’est « mettre de la vie dans la mort » comme le dit Mathias. La tendresse du regard qu’il porte sur son ami Philippe (et réciproquement) et sur la vie illumine tout le film. Avec eux, nous avons envie de voir des Y partout, des signes de la vie malgré la mort.

    Si l’entreprise était artisanale, le résultat est indéniablement professionnel. L’équipe technique était ainsi composée de cinq personnes : un chef opérateur (Florent Sabatier) -le film est baigné d’une lumière qui irradie de et la vie-, un cadreur (Emmanuel Guimier), un ingénieur son (Gildas Prechac), un assistant mise en scène (Julien Houeix) et un régisseur général (Dimitri Billecocq). Trois caméras et six néons ont été utilisés pour réaliser à chaque fois une seule prise, longue.

    La musique de Pascal Lengagne accompagne ce fragile équilibre, irriguant le film de douceur et de dépaysement avec même quelques incursions dans le jazz manouche, la musique grecque ou arabe, accompagnant leur voyage. Le montage de Céline Cloarec apporte du rythme, mais laisse toujours à l’émotion le temps de s’installer sans jamais nous kidnapper.

    Ce film inclassable, faussement léger, est à la fois joyeux et triste, sincère et pétri d'imaginaire, personnel et universel, spontané et maîtrisé, drôle et douloureux, tendre et burlesque, entremêlant la cruauté et la beauté de la vie, sa fragilité et sa puissance. Une ode à l’amitié, la vie, l’instant présent qu’il faut tenter d’embrasser de toutes nos forces, envers et contre tout. Le portrait de deux amis mais aussi d’un jeune homme dont les blessures muettes parcourent tout le film qui est la plus belle et la plus singulière des manières de lui rendre hommage, et de le faire revivre. Le film est baigné d’une mélancolie lumineuse, auréolé ainsi de sa présence protectrice. C’est poignant et réconfortant, beau et bouleversant, tout simplement.

  • Critique de LUMIÈRE, L’AVENTURE CONTINUE ! de Thierry Frémaux (au cinéma le 19 mars 2025)

    cinéma,lumière,l'aventure continue,thierry frémaux,critique,film,critique de lumière,l'aventure continue de thierry frémaux,cinémathèque française,institut lumière,frères lumière,louis lumière,cinématographe

    « Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle. » Cette citation de François Truffaut résume parfaitement ce qu’était déjà le cinéma à ses origines, lors de la première projection publique payante qui eut lieu dans le Salon Indien du Grand Café, à Paris, le 28 décembre 1895. Dès cette première projection, il était évident que Lumière n’était pas uniquement un inventeur mais aussi un cinéaste, et que le cinéma n'était pas simplement le reflet d’une réalité, mais aussi un spectacle, une vérité légèrement mensongère, une écriture singulière. Lumière ne filmait pas seulement le mouvement, il l’écrivait déjà. Telle est d’ailleurs la signification du substantif Cinématographe, « écrire le mouvement ».

    Avant-hier, je vous parlais de la projection en copie restaurée de Quatre nuits d’un rêveur de Robert Bresson au cinéma Le Champo, une séance dont je suis ressortie émerveillée. Par le film. Sublime et douloureux, comme l’amour qu’il dépeint dans un Paris exhalant une séduisante nostalgie : le récit de quatre soirées aux accents d’éternité. Mais aussi par ce plaisir incommensurable et intact que me procure toujours la salle de cinéma. Lieu demeuré depuis l’enfance ainsi : rassurant et exaltant. Refuge les jours de tempête et complice les jours de soleil. Ces digressions pour vous dire que c’est cela que m’évoque d’abord cette projection de Lumière, l’aventure continue !. Un émerveillement permanent. Une joie enfantine et irrépressible : les puissantes réminiscences des premières émotions suscitées par la salle de cinéma. 

    Pourquoi allons-nous au cinéma ? Pour de multiples raisons dont celles précitées mais aussi pour celle-ci, évoquée dans le documentaire par Thierry Frémaux : « Lumière envoie ses opérateurs filmer ce qui ne leur ressemble pas. Le cinéma, au fond, n’aura jamais fait que ça. Il me dit qui je suis et il me dit qui sont les autres. »  Se connaître soi-même et connaître les autres…

    Alors que, entre les réseaux sociaux et les chaines d’information en continu, un flux permanent d’images et d’informations capture notre regard, ce formidable documentaire nous réapprend à le (re)poser.

    cinéma,lumière,l'aventure continue,thierry frémaux,critique,film,critique de lumière,l'aventure continue de thierry frémaux,cinémathèque française,institut lumière,frères lumière,louis lumière,cinématographe

    Le 17 mai 2015, à Cannes, j’avais eu le plaisir de voir le précèdent documentaire de Thierry Frémaux (directeur de l’Institut Lumière de Lyon, délégué général du Festival de Cannes depuis 2007, fondateur du Festival Lumière de Lyon, auteur également, notamment récemment de Rue du Premier-Film), déjà consacré aux films des frères Lumières, intitulé Lumière ! L’aventure commence. Cette projection avait eu lieu dans le si bien nommé et plus que jamais à-propos Grand Théâtre Lumière. Quel bonheur cela avait été d’entendre une salle (Lumière) rire éperdument devant les images des frères Lumière…120 ans plus tard. C’était en effet à l’occasion des 120 ans du Cinématographe que leurs films restaurés avaient été projetés aux festivaliers, le tout avec les commentaires érudits, inénarrables et passionnés de Thierry Frémaux, avec la traduction (qui l’était tout autant) de Bertrand Tavernier. Un film de 93 minutes, en réalité un montage de 108 films restaurés réalisés par Louis Lumière et ses opérateurs entre 1895 et 1905 : des célébrissimes Sortie des usines, L’Arroseur arrosé (la première fiction de l’Histoire cinéma) à des films aussi méconnus qu’étonnants, cocasses, maîtrisés avec, déjà, les prémices du langage cinématographique, du gros plan au travelling, un véritable voyage qui nous avait emmenés dans les origines du cinéma mais aussi sur d’autres continents et qui avait suscité l’hilarité générale mais aussi l’admiration unanime devant des films d’une qualité exceptionnelle démontrant à tous à quel point déjà les Lumière pratiquaient et maîtrisaient l’art de la mise en scène et qu’il s’agissait bien là de fictions et non de simples documentaires. Le tout sublimé par la musique de Camille Saint-Saëns. Un moment de rare exultation cinéphilique, en présence de nombreux « frères du cinéma » comme l’avait ce jour-là souligné Thierry Frémaux : Taviani, Coen, Dardenne mais aussi Claude Lanzmann, Claude Lelouch…, parmi un prestigieux parterre d’invités. Lumière ! L’aventure commence sortit au cinéma le 25 janvier 2017 dans 45 salles en France, totalisant plus de 135 000 entrées et plus encore dans le monde entier (le film a été vendu dans plus de 33 pays),

    Le souvenir de cette déclaration d’amour au cinéma, du moment qui en est indissociable (parce que c’est cela aussi le cinéma, des souvenirs de fiction qui s’entremêlent à ceux de notre réalité) est resté gravé. J’attendais donc avec impatience de retrouver cette « vérité » envoûtante et ce « spectacle » étourdissant.

    Disons-le d’emblée : l’émotion fut de nouveau au rendez-vous. Cela commence par un bateau qui fend les flots. Attachez vos ceintures, c’est le début d’un voyage d’une vertigineuse beauté.

    Comme le précise le synopsis, « grâce à la restauration de plus de 120 vues Lumière inédites, le film nous offre le spectacle intact du monde au début du siècle et un voyage stimulant aux origines d’un cinéma qui ne connait pas de fin. » Sorties d’usine Productions et l’Institut Lumière proposent ce nouveau « film Lumière », réalisé par Thierry Frémaux et produit par Maelle Arnaud. À nouveau, ce sont les films Lumière qui composent entièrement ce long-métrage (à l’exception de la fin signée Coppola, surtout restez jusqu’au générique, que je vous laisse découvrir). Le film est découpé en onze chapitres, précédés d’un prologue et suivis d’un épilogue. Il nous rappelle d’abord les origines historiques du cinéma. Ainsi, tandis que « Thomas Edison et les autres inventeurs réfléchissent à un format, Lumière trouve une forme, et même davantage : un langage poétique, une pratique sociale. » Et il nous emporte ensuite dans un périple palpitant, une cavalcade d’émotions et de ravissements.

    cinéma,lumière,l'aventure continue,thierry frémaux,critique,film,critique de lumière,l'aventure continue de thierry frémaux,cinémathèque française,institut lumière,frères lumière,louis lumière,cinématographe

    Le montage est constitué de 120 films inédits et nouvellement restaurés de 50 secondes. Les Lumière ont produit plus de 1400 films (et environ 1000 supplémentaires, dits « hors catalogue »), entre 1895 et 1905. Sur les 1428 référencés dans leurs différents catalogues, 1422 ont été retrouvés et conservés. Les négatifs de ces films sont principalement détenus par l’Institut Lumière, la Cinémathèque française et la Direction du patrimoine cinématographique du CNC, et sont conservés par cette dernière, après le recensement et le rassemblement de l’œuvre Lumière initiés à l’occasion du centenaire du cinéma en 1995.  Actuellement, ce sont 300 nouvelles restaurations 4K qui sont en cours, supervisées par Maelle Arnaud et Thierry Frémaux, et effectuées au laboratoire l’Immagine Ritrovata (Bologne, Italie).

    La restauration est absolument époustouflante ! Ces films sont d’une beauté sidérante. D’une inventivité éblouissante, aussi. Tout y est déjà. Des chevauchées fantastiques qui préfigurent celles, magistrales, des films de John Ford, sans rien avoir à leur envier. Des plans de repas d’une famille japonaise qui nous font songer à Ozu. Des scènes burlesques qui pourraient venir d’un film de Keaton ou de Chaplin. Des scènes néo-réalistes qui pourraient être empruntées à Visconti.

    L’ingéniosité des Lumière, leur curiosité, leur imagination et leur audace sautent aux yeux, et prouvent à quel point Louis Lumière fut un cinéaste génial, inventif et précurseur (Auguste réalisa un seul film, présent dans la sélection, dont la magnificence picturale nous fait regretter qu’il n’en ait pas mis en scène davantage). C’est absolument fascinant.

    cinéma,lumière,l'aventure continue,thierry frémaux,critique,film,critique de lumière,l'aventure continue de thierry frémaux,cinémathèque française,institut lumière,frères lumière,louis lumière,cinématographe

     Le texte ne se contente pas d’être didactique, il est mélancolique, facétieux, mélodieux, poétique même parfois, suscitant des questionnements philosophiques, interrogeant le rôle et la place du cinéma mais aussi ceux du spectateur. Plus qu’une déclaration, c’est aussi une réflexion sur le cinéma, son passé, et son avenir, 130 ans après son invention.

    C’est aussi un voyage sensoriel, à travers les continents, par le truchement d’images d’une étonnante modernité. La puissance du cinéma est déjà là, exacerbée par la musique issue de l’œuvre de Gabriel Fauré, qui, comme Camille Saint-Saëns précédemment pour Lumière ! L’aventure commence est contemporain de Louis et Auguste Lumière. Ce film en lui-même n’est pas une simple compilation d’images. Il est aussi démonstration de ce qui contribue à la force évocatrice et émotionnelle du cinéma : les mots (dialogue ou voix off, ici), la musique, le point de vue du cinéaste, et le montage.

    Le montage est en effet absolument admirable, signifiant, réalisé par Jonathan Cayssials, Simon Gemelli avec Thierry Frémaux. Tous ces films, ainsi agencés, nous montrent à quel point Lumière et ses opérateurs questionnaient déjà la mise en scène, réfléchissaient déjà à l’endroit où devait se placer la caméra (la force de la plongée est déjà là, flagrante), possédaient un univers et un regard. Ce sont déjà des tableaux en mouvements, des plans organisés, des acteurs qui (sur)jouent…

    La date de sortie du film, le 19 mars 2025, n’est pas anodine puisque ce jour-là cela fera 130 ans que, rue Saint-Victor à Lyon, Louis Lumière a posé son Cinématographe pour la première fois pour réaliser le premier film de l'Histoire du cinéma,  Sortie d’Usine. 2000 « vues » suivront.

    Ce film aurait pu aussi s’intituler « Éloge de la beauté et de la force du cinéma » tant il nous rappelle à quel point aller au cinéma signifie aller à la rencontre d’un univers, d’une émotion, des autres, de soi-même, à quel point cet art si jeune recèle et suscite d’émotions et de réflexions, à quel point il est aussi personnel que collectif, physique qu’émotionnel. Essentiel. Et à quel point il fut tout cela dès ses origines.

    « Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout » disait Godard. Ce film est la parfaite démonstration de cela, celle d’une « fenêtre ouverte sur le monde ».

    Ces restaurations extraordinaires et inédites forment un patrimoine universel unique, un trésor incomparable.

    cinéma,lumière,l'aventure continue,thierry frémaux,critique,film,critique de lumière,l'aventure continue de thierry frémaux,cinémathèque française,institut lumière,frères lumière,louis lumière,cinématographe

    Après cette projection, tout comme en 2017 j’étais ressortie du Grand Théâtre Lumière, titubant presque, j’ai quitté le cinéma Le Balzac, ivre : ivre d’une joie de cinéma. Avec en tête, des centaines d’images qui ne se dissiperont pas dans un flux continuel d’images vaines et hypnotiques mais qui imprègneront et imprimeront ma mémoire.  Des images qui ne m'ont pas capturée mais qui m'ont captivée. Comme ces plans dont la richesse et la beauté de la composition sont stupéfiantes. Comme le flux et le reflux de la mer, ce « présent éternel ». Ces bébés qui se chamaillent. Ce cheval d’une majesté à couper le souffle. Ces soldats poursuivis par la poussière. Ces enfants acrobates. Ces comédies et ces drames, reflets de nos propres joies et de nos propres peines. Et cette sortie d’usine décryptée, que nous connaissons tous mais qui recèle encore ses secrets et, plus que jamais, son pouvoir de fascination (là aussi réminiscences, souvenirs d’un festival Lumière de Lyon : chaque année un cinéaste tourne à nouveau cette scène, cette année-là ce furent Almodovar, Dolan et Sorrentino, image personnelle ci-dessous).

    cinéma,lumière,l'aventure continue,thierry frémaux,critique,film,critique de lumière,l'aventure continue de thierry frémaux,cinémathèque française,institut lumière,frères lumière,louis lumière,cinématographe

    Le 19 mars 2025, amoureux du cinéma, partez pour la plus enthousiasmante des aventures qui dure depuis 130 ans ! Enivrez-vous d’images, de mots et de musique. Une valse émotionnelle qui vous fera chavirer de bonheur, d’émotion et d’émerveillement vous attend. En résumé : la magie du cinéma. Celle qui repousse « l’absolu de la mort ». Celle qui nous laisse les yeux écarquillés comme des enfants qui découvrent le monde, un monde (et qui, à la fin, taperaient des pieds pour en réclamer "encore, encore !"). Comme les premiers spectateurs du 28 décembre 1895. Si vous aimez le cinéma, vous ne pourrez qu’être éblouis par ce film qui montre que, dès ses origines, il était un jeu avec la vérité, une écriture en mouvement et un art à part entière. Du grand art, comme ce film passionnant qui lui rend le plus vibrant et émouvant des hommages.

    À noter : 1. En 2025, le cinéma aura 130 ans. 2025 sera l’année de célébration des 130 ans du Cinématographe Lumière. Portée par l’Institut Lumière (Lyon), légataire de l’héritage d’Auguste et Louis Lumière, cette célébration sera composée de nombreux temps forts, et se déclinera dans plusieurs domaines, avec comme point d’orgue la sortie en salles du film événement Lumière, l’aventure continue. Réalisé par Thierry Frémaux, le film sortira le 19 mars, jour de tournage du premier film par Louis et Auguste Lumière, Sortie d’usine. Au printemps, un site sera lancé pour donner à voir au monde l’œuvre unique des Lumière. À l’automne, la réédition du travail de Bernard Chardère sur la famille Lumière, ainsi que l’édition d’un catalogue complet des films de la société A. Lumière et fils, compléteront cet anniversaire.

    2. Pour poursuivre ma digression, Quatre nuits d'un rêveur a totalisé plus de 7000 entrées en une semaine. Il sera à l'affiche de nouveaux cinémas cette semaine. Ne le manquez pas.

  • Critique de LA CACHE de Lionel Baier (au cinéma le 19 mars 2025)

    la cache,film,critique,lionel baier,michel blanch,berlinale

    La Cache, le dernier long-métrage du cinéaste Lionel Baier (La Vanité, La Dérive des continents…), a été sélectionné au Festival international du film de Berlin, qui se déroulera du 13 au 23 février 2025, il figure parmi les films en compétition de cette 75ème Berlinale. Ce film qui est le dernier tourné par Michel Blanc (et qui vaut le déplacement pour cela, mais pas seulement) est librement inspiré du livre éponyme de Christophe Boltanski, publié chez Stock, qui avait obtenu le prix Femina en 2015. Le film sortira en salles en France le 19 mars.

    Le roman de Christophe Boltanski est le récit de l’histoire vraie de la famille de l’auteur à travers celle de l’appartement de ses grands-parents. Le film, qui est une adaptation très libre du roman, se focalise sur une période particulière, celle du mois de mai 68 et de ses évènements. L’article plasticien Christian Boltanski, oncle de Christophe, organise alors sa première exposition. Le scénario ingénieux et facétieux (coécrit par Catherine Charrier et Lionel Baier) entremêle alors le livre et l’imaginaire du réalisateur.

    Christophe, alors âgé 9 ans (Ethan Chimienti), vit ces événements de mai 68, chez ses grands-parents, dans l’appartement familial à Paris, entouré de ses oncles et de son arrière-grand-mère, la fantasque « Arrière-pays » (Liliane Rovère) dont la chambre est une sorte de condensé épique de ses réminiscences d’Odessa d’où elle est originaire, et un refuge ludique pour le petit garçon, tandis que l’oncle Christophe inaugure sa première exposition. Christophe, lui, est persuadé qu’un chat se cache dans les entrailles de la maison. Dans cet appartement à leur image, fantasque, tous bivouaquent autour d’une mystérieuse cache, qui révèlera peu à peu ses secrets…

    Dans la réalité, l’auteur du livre n’avait que cinq ans au moment des événements de mai 68. Il se souvient des affiches pour l’exposition de son oncle Christian qui s’intitule La vie impossible de Christian Boltanski. Il passe beaucoup de temps dans l’appartement de ses grands-parents, rue de Grenelle où ses parents le déposent lorsqu’ils partent militer (contre la guerre en Algérie ou au Vietnam). Il deviendra grand reporter… Cet appartement est le lieu central du film.

    Dès les premières scènes, dont l’une dans le cabinet du médecin (Père-grand, incarné par Michel Blanc) : le ton est donné. Espiègle. Fantaisiste. Tendre. Joyeusement décalé et anticonformiste. Teinté de mélancolie. D’emblée, il émane de ces personnages de cette histoire une douce tristesse sous le masque de l’humour, mais aussi un charme et une étrange émotion qui font que les larmes ne sont jamais bien loin.

    ​Chaque personnage « existe » (au premier rang desquels l’appartement qui semble respirer) si bien que nous avons l’impression d’entrer dans cette famille pleine d’amour et de secrets dont Mère-grand (Dominique Reymond) est le pilier. À l’extérieur, Christophe doit l’appeler « ma tante ». Elle fait preuve d’une autorité relative devant ce petit garçon irrésistible, et traverse Paris tant bien que mal en ces temps troublés, dans une voiture aux allures singulières et cartoonesques. Atteinte d’une poliomyélite, elle est soignée par son mari, l’amour et la complicité qui les unissent sautent aux yeux. Elle passe son temps à enregistrer des témoignages de Français précaires dans des terrains vagues, dans sa voiture improbable. Il y a aussi grand-oncle (William Lebghil), le linguiste, et le père (Adrien Barazzone), et la mère (Larisa Faber)…

    Les événements de ce mois particulier qui ont exacerbé les passions françaises, vingt-trois ans après la fin de la guerre, ravivent ainsi d’autres tensions, faisant ressurgir les blessures toujours à vif du passé. La cache se révèle alors comme antre protecteur. Et l’émotion sous-jacente qui les relie et nous étreint mystérieusement (scène d’une « perquisition » qui soudain fait exploser les souffrances du passé) révèle alors son origine, bouleversante, nichée dans cette cache qui sauva la vie de Père-grand et qui, vingt-trois ans plus tard, le 29 mai 1968, sera le lieu d’un face-à-face des plus incongrus. En ces temps inquiétants de terrible résurgence d’antisémitisme, ce film rappelle aussi que les plaies du passé sont toujours saillantes, prêtes à ressurgir, nichées dans les recoins de la mémoire comme elles le sont dans ceux de cet appartement. La Cache, c’est aussi cela, une Histoire invisible, mais toujours là, un passé qui obscurcit le présent, comme ce chat fantomatique qui se nourrit en cachette, comme ces voisins grincheux et antisémites qui ne cessent d'épier la famille du petit Christophe.

    La dernière image du film est absolument bouleversante. Elle rappelle celle des Temps modernes de Chaplin, mais surtout que ce voyage et ce film furent les derniers d’un acteur magistral qui révèle ici une fois de plus toute la profondeur de son jeu entre inquiétude, mélancolie et tendresse (-re-voyez Monsieur Hire de Patrice Leconte, et cette scène inoubliable, quand la prétendue laideur d’un visage sculpté dans la blancheur devient beauté implacable et poignante par la force des mots et de son jeu, ou quand deux mains qui se frôlent sont plus palpitantes qu’une course-poursuite).

    Vous l’aurez compris, je vous recommande ce film, doux-amer, aussi profond qu’il semble léger, peut-être à l’image de l’acteur dont le dernier plan est, comme l’un et l’autre, d’une élégance saisissante.

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2025 Pin it! 2 commentaires
  • COMPTE-RENDU ET PALMARÈS DES PARIS FILM CRITICS AWARDS 2025

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

    La 4ème Cérémonie des Paris Film Critics Awards s’est déroulée ce dimanche 9 mars, à l’Hôtel Le Royal Monceau-Raffles Paris. Créés par Sam Bobino (fondateur et co-président du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule -vous pouvez retrouver ici mon compte-rendu de la dernière édition de ce festival qui célébrait ses 10 ans-, délégué général de la Semaine du Cinéma Positif à Cannes) et inspiré des New York Film Critics Circle Awards ou des Los Angeles Film Critics Association Awards, ces prix, décernés par chaque année par une assemblée de plus d'une centaine de journalistes de cinéma et culture parisiens dont j’ai le plaisir de faire partie, récompensent les meilleurs films français comme étrangers, sortis en salle ou diffusés sur les chaines de télévision et les plateformes en France durant l’année 2024, ainsi que les meilleures séries.

    L’an passé, lors de la troisième édition des Paris Film Critics Awards, en tête des lauréats figuraient  2 films (4 récompenses chacun) pour lesquels j'avais partagé longuement mon enthousiasme ici : Anatomie d’une chute de Justine Triet  (meilleur film, meilleure actrice pour Sandra Hüller, meilleur scénario original, meilleur montage) et Babylon de Damien Chazelle (meilleur réalisateur, Brad Pitt meilleur acteur dans un second rôle, meilleure musique originale, meilleurs décors).

    Cette année, Le Comte de Monte-CristoEmilia Pérez et The Substance figuraient en tête des nominations réparties en 19 catégories (plus trois prix spéciaux ou d’honneur). Avec 11 nominations, le film de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, Le Comte de Monte-Cristo faisait partie des grands favoris dans la course aux Paris Film Critics Awards 2025 au même titre que Emilia Pérez de Jacques Audiard qui obtint 10 nominations, suivis de The Substance de Coralie Fargeat avec 7 nominations.

    Le palmarès de la première édition des Paris Film Critics Awards avait couronné beaucoup de films français et avait ainsi témoigné de la diversité de la production cinématographique française, ce qui fut d'ailleurs à nouveau le cas l’an passé. En 2022, c’est le long-métrage de Xavier Giannoli, Illusions perdues, qui avait reçu le Paris Film Critics Awards du meilleur film tandis que son acteur Vincent Lacoste recevait celui du meilleur second rôle masculin pour cette adaptation magistrale du chef-d’œuvre de Balzac. Vous pouvez retrouver mon compte-rendu complet de cette première édition des Paris Film Critics Awards ainsi que le palmarès, dans mon article, ici. En 2023, La Nuit du 12 avait été élu meilleur film de l’année. Le film de Dominik Moll avait également reçu le prix de la meilleure adaptation et du meilleur second rôle féminin par Anouk Grinberg. Je vous invite à lire mon récit complet de la cérémonie 2023 et le détail du palmarès ici.

    L’an passé, c'était donc à nouveau un film français qui avait reçu le Paris Film Critics Award du film de l'année (retrouvez ici mon compte-rendu et le palmarès complet des Paris Film Critics Awards 2024). Cette cérémonie avait également rendu hommage à deux figures marquantes du cinéma international en attribuant un prix d’honneur à Vincent Lindon et un prix pour l’ensemble d’une carrière à Jerry Schatzberg (à l’issue de la cérémonie avait été également diffusé le documentaire de Pierre FilmonJerry Schatzberg portrait paysage). Un prix de la contribution exceptionnelle au cinéma avait également été attribué au critique de cinéma récemment disparu, Michel Ciment.

    Cette année, lors de la cérémonie présentée avec bonne humeur et professionnalisme par le journaliste Vincent Perrot, l’académie des Paris Film Critics Awards a particulièrement distingué le film de Jacques Audiard Emilia Perez avec 4 awards : meilleur film, du meilleur montage,  meilleur second rôle féminin et meilleure musique. Ce film inclassable constamment inventif, mêlant danse, chansons, drame, comédie, film noir, mélodrame, télénovela etc…tout en étant toujours aussi juste et captivant, nous achève joyeusement avec le dénouement, une procession lors de laquelle est entonnée en espagnol la sublimement mélancolique chanson de Brassens, Les Passantes. Une chanson à l’image du film : une ode aux femmes. Bouleversante.

    The Substance est reparti avec 2 awards (meilleure réalisatrice pour Coralie Fargeat et meilleure actrice pour Demi Moore) tout comme Le Comte de Monte-Cristo (meilleurs décors et  meilleurs costumes). 

    Le récemment césarisé Karim Leklou décroche là aussi le titre de meilleur acteur de l'année pour Le Roman de Jim des frères Larrieu dans lequel il incarne Aymeric, avec beaucoup d’humanité et de gentillesse (« T’es gentil », lui dit ainsi le personnage de Florence. « On me dit souvent que je suis gentil », répond-il), mais aussi d’empathie, celle, aussi, avec laquelle les Larrieu regardent chacun des personnages de ce film qui, tous, exhalent une vraie présence. Aymeric sort de prison pour un larcin dans lequel il s’est laissé embarquer, il a payé pour les autres, sans les dénoncer. Pour tout, d’ailleurs, Aymeric semble se laisser embarquer. Il regarde le monde à travers son appareil photo, toujours avec une profonde gentillesse, avançant avec discrétion. Joie et tristesse, douceur et cruauté des sentiments, tout cela se mêle habilement, sans esbroufe.  Karim Leklou interprète son personnage, si touchant, doux et vélléitaire, avec une infinie délicatesse et une grande générosité. Ce mélo décrit les nouvelles formes de paternité avec beaucoup de subtilité et de pudeur. Elles s’incarnent dans le personnage d’Aymeric, avec sa tendresse tranquille et communicative qui nous bouleverse subrepticement. Le roman de Jim, c’est aussi son histoire à lui, Aymeric, celle de sa renaissance. Moins débridé que leurs autres films, parsemé d’une émotion contenue, avec Le roman de Jim, les Larrieu se sont surtout centrés sur leurs personnages, attachants, cabossés, incarnés par de remarquables comédiens. On ressort du Roman de Jim avec un sentiment de joie et de sérénité, gaiement bouleversés. On se souvient alors de la phrase de Florence au début du film : « C’est assez rare l’amour en fait ». Le roman de Jim est avant tout cela, un roman d’amour(s). Rare.

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

    Karim Leklou et Sam Bobino, Crédit photo David Boyer

    Sur ses 11 nominations, Le Comte de Monte-Cristo a récolté deux récompenses, dévolues aux costumes (Thierry Delettre) et aux décors (Stéphane Taillasson). Le Comte de Monte-Cristo (dont vous pouvez retrouver ma critique complète en podcast ici ou dans cet article) est donc à la fois un succès du public (plus de 9 millions d’entrées au box-office français) et de la critique (ici en tête des nominations, 11). Un succès mérité pour ce film spectaculaire comme le cinéma hexagonal n’en faisait plus, qui transporte avec lui les souvenirs de cinéma de l’enfance, quand cet écran géant nous embarquait dans des aventures de héros tourmentés et intrépides, plus grandes que la vie, ou pour les plus rêveurs d'entre nous, à l’image de ce que nous l’imaginions devenir. Trépidante. Périlleuse. Romanesque. Traversée du vertige des grands sentiments. L’interprétation, la photographie, le montage, la musique, les décors et enfin le rythme, parent ce film de la plus belle des vertus : l’oubli du temps qui passe, l'oubli du fait que la vie n’est pas du cinéma, qu’il n’est pas possible de devenir un héros masqué. Ce film témoigne du pouvoir inestimable du cinéma de nous faire renouer avec les vestiges et les vertiges de l'enfance.

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

    Thierry Delettre et Stéphane Taillasson, crédit photo David Boyer

    Abou Sangaré a reçu le prix, mérité, de la meilleure révélation masculine pour le remarquable L’histoire de Souleymane ( qui était nommé quatre fois : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure révélation masculine, meilleur scénario original, meilleure photographie) avec sa fin poignante qui nous laisse épuisés et abasourdis comme si nous avions nous aussi vécu ces deux jours de course après le temps. Un film profondément humaniste, haletant, entre documentaire, film social et thriller, porté par un acteur non-professionnel qui est une vraie révélation dont vous n’avez pas fini d’entendre parler.

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

    Le Paris Film Critics Award du scénario original a été attribué au film de Mohammad Rasoulof,  Les Graines du Figuier sauvage, qui ausculte brillamment la déshumanisation à l’œuvre dans les régimes totalitaires, et en l’occurrence le régime iranien. En plus d’être formellement époustouflant, remarquablement interprété, ce huis-clos aux frontières du thriller n’a eu « que » le prix spécial du jury à Cannes et aurait mérité la palme d’or. La tension croissante et l’intensité constante du film doivent beaucoup aussi à son scénario parfait. Sans compter le courage exceptionnel de son réalisateur et son équipe pour le tourner.

    Pierre Lottin a reçu le Paris Film Critics Award du meilleur second rôle pour dans le film de François Ozon, Quand vient l'automne. Un film dans lequel règne un sentiment de tension, renforcé par la musique atmosphérique (thème au piano) de Sacha et Evgueni Galperine. Un film ensorcelant et chamarré comme les couleurs de l’automne (magnifique photographie de Jérome Alméras), doux et cruel, savoureusement ambigu, qui célèbre autant l’automne de la vie que cette saison et qui s’achève, comme toujours chez Ozon, par la fin logique d’un cycle, entre trouble et apaisement. Passionnant de la première à la dernière minute. Ce Quand vient l’automne vaut avant tout par ses personnages troubles et troublants, aux couleurs lunatiques comme celles de l’automne (comme Vincent le fils de Marie-Claude qui sort de prison et dont on sait seulement « qu’il a fait des bêtises », incarné par Pierre Lottin, inquiétant, écorché vif), mais aussi pour l’atmosphère automnale, faussement douce. Retrouvez ma critique sur Inthemoodforcinema.com, ici, et en podcast, là.

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

    Le Paris Film Critics Award de l’adaptation a été attribué à La Plus précieuse des marchandises, le film de Michel Hazanavicius également nommé comme meilleur film d’animation. Des années après Benigni, Hazanavicius a osé à son tour réaliser un conte sur la Shoah, qui est avant tout une ode à la vie sobre et poignante, qui use intelligemment du hors champ pour nous raconter le meilleur et le pire des hommes, la générosité, le courage et la bonté sans limites (représentées aussi par cette Gueule cassée de la première guerre mondiale incarnée par la voix de Denis Podalydès)  et la haine, la bêtise et la cruauté sans bornes, et qui nous laisse après la projection, bouleversés, avec, en tête, les voix de Grégory Gadebois et Jean-Louis Trintignant, mais aussi cette lumière victorieuse, le courage des Justes auquel ce film rend magnifiquement hommage et cette phrase, à l’image du film, d’une force poignante et d’une beauté renversante  : « Voilà la seule chose qui mérite d’exister : l’amour. Le reste est silence ».

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

     

    Le Paris Film Critics Award du meilleur documentaire a été attribué à Il était une fois Michel Legrand, le documentaire de David Hertzog Dessites. Ce film est passionnant parce que, en plus de montrer, à qui en douterait encore, à quel point la musique est un rouage essentiel d’un film, mais aussi un art à part entière, il évoque la complexité de l’âme de l’artiste, artiste exigeant à l’âme d’enfant, et c’est ce qui rend ce film unique et captivant. Ce n’est en effet pas une hagiographie mais un documentaire sincère qui n’édulcore rien, mais montre l’artiste dans toute l’étendue de son talent, et de ses exigences, témoignages de son perfectionnisme mais sans doute plus encore masques de ses doutes. Il témoigne évidemment aussi magnifiquement de la richesse stupéfiante de l’œuvre de celui qui entre au Conservatoire de Paris à 10 ans et qui ensuite n’a cessé de jouer, jusqu’à son dernier souffle. Du souffle. C’est sans doute ce qui caractérise sa musique et ce documentaire. Un souffle constamment surprenant. Un souffle de liberté. Le souffle de la vie. Le souffle de l’âme d’enfant qui ne l’a jamais quitté. Ce film est aussi un hymne à la musique qui porte et emporte, celle pour laquelle Michel Legrand avait tant d’« appétit ». Il vous enchantera en vous permettant de réentendre ses musiques les plus connues, des films de Demy, de L’Affaire Thomas Crown, de Yentl, mais aussi de découvrir des aspects moins connus comme ses collaborations dans la chanson française, jusqu’à ce ciné-concert de la Philharmonie de Paris en décembre 2018. Son dernier. Un vrai moment de cinéma monté comme tel. Truffaut disait bien que la réalité a plus d’imagination que la fiction, cette séquence palpitante en est la parfaite illustration. Un moment où il est encore question de souffle, le nôtre, suspendu à ce moment qu’il a magistralement surmonté, bien qu’exsangue. Encore une histoire de souffle.  Son dernier. Presque. Il décèdera moins de deux mois après ce concert. En plus d’être le résultat d’un travail colossal (constitué d’images de films, d’archives nationales et privées, d’une multitude de passionnants témoignages et séquences tournées lors des deux dernières années de vie du maestro), c’est aussi le testament  poignant d’un artiste légendaire, aux talents multiples : pianiste, interprète, chanteur, producteur, arrangeur, chef d'orchestre, et compositeur de plus de 200 musiques de films (dont de multiples chefs-d’œuvre à l’image de toutes les musiques des films de Demy) jusqu’à celle du film inachevé d’Orson Welles, De L’Autre Côté Du Vent. De son passage au conservatoire de Paris sous l’occupation alors qu’il avait 11 ans, jusqu’à son dernier concert à la Philarmonie de Paris, le réalisateur nous conte avec passion Michel Legrand, un homme double et complexe comme sa musique.

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

     

    Un prix d’honneur a également été décerné à l’actrice Victoria Abril à l’occasion de ses 50 ans de carrière.

    Le prix de la meilleure contribution à l’art du cinéma a été attribué à La Cinémathèque Française pour la restauration du film Napoléon d’Abel Gance, ce qui nous a permis d'en voir un extrait d'une beauté vertigineuse.

    cinéma,paris film critics awards,sam bobino,jacques audiard,karim leklou,cinémathèque française,gilles jacob,la plus précieuse des marchandises

    Et enfin un prix de la contribution exceptionnelle au cinéma a été décerné à Gilles Jacob. Est-ce possible que personne n'y ait songé avant tant cette contribution est en effet exceptionnelle ? Le Festival de Cannes serait-il aujourd'hui le plus grand festival de cinéma au monde sans sa contribution ? Combien de cinéastes lui doivent d'avoir vu leur talent flamboyer aux yeux du monde ?  Et s''il y avait un prix de l'élégance morale, si rare, Gilles Jacob en serait sans aucun doute le lauréat incontesté, je vous le garantis. En 2014, lorsqu'il quitta la présidence du Festival de Cannes s'afficha sobrement derrière lui sur la scène du festival un discret "Au revoir les enfants", une révérence tout en malice et pudeur qui le caractérisent aussi si bien. Comme le reflétait aussi son discours lu par la talentueuse Dominique Blanc (que vous pouvez visionner sur mon compte instagram). Et comme le reflétait aussi le merveilleux montage de photos de Tim Burton qu'il nous a réservé. J’en profite aussi pour vous recommander son dernier ouvrage dont je vous avais longuement parlé ici, intitulé A nos amours !. Des textes qui se savourent comme autant de petites nouvelles constituent ce livre de 710 pages, comme une invitation à voyager dans le cinéma français, à prendre immédiatement son billet pour les films évoqués avec passion par le biais de leurs acteurs. D’Isabelle Adjani à Roschdy Zem, les trois auteurs (ce livre a été coécrit par Gilles Jacob et les journalistes Marie Colmant et Gérard Lefort) nous proposent ainsi un « florilège des actrices et acteurs français », de la naissance du film parlant à nos jours.

    Pour les films que je regrette de ne pas voir (ou de ne pas voir davantage) figurer parmi les nommés  et donc parmi les lauréats, retrouvez mon article sur les nominations à ces Paris Films Critics Awards 2025 dans lequel je les évoque. Parmi ces oubliés, je ne peux m'empêcher d'évoquer à nouveau ici Sandrine Kiberlain, qui était nommée pour son rôle dans Sarah Bernhardt, la divine. Elle se glisse avec maestria dans la peau de ce personnage aux multiples facettes tout comme Sarah Bernhardt se glissait dans les siens. « Laissez-moi, il faut que je me quitte », déclare-t-elle ainsi avec emphase. Elle fait habilement percer le désespoir et la noirceur derrière les extravagances et les excès. Sa voix, ses gestes, sa démarche : tout contribue à créer ce personnage derrière lequel s’efface Kiberlain pour devenir Bernhardt et c’est magistral et captivant à observer. Nous avions laissé Sandrine Kiberlain, prouvant une nouvelle fois sa puissance comique sous la caméra de Podalydès, dans La Petite vadrouille , dans lequel elle incarnait une Justine forte et fragile. Une fois de plus, ce rôle de Sarah Bernhardt témoigne de sa capacité étonnante à passer d’un registre à l’autre avec des rôles aux antipodes les uns des autres. Difficile de trouver plus différentes que Sarah Bernhardt et la discrète et effacée Mademoiselle Chambon, et pourtant Sandrine Kiberlain est aussi remarquable dans le film de Nicloux qu’elle l’était dans celui de Brizé ou dans Chronique d’une liaison passagère d'Emmanuel Mouret dans lequel elle est solaire et aventureuse, ou encore dans Le Parfum vert de Nicolas Pariser dans lequel était déjà désopilante dans le rôle de Claire, une femme déterminée, obstinée, fantasque, extravertie…qualificatifs qui pourraient aussi s’appliquer à une certaine Sarah Bernhardt. Porté par la musique classique de Reynaldo Hahn, Ravel, Debussy, Chopin, Schubert…, par les costumes chatoyants d'Anaïs Romand, la photographie éclatante d'Yves Cape, par le montage de Guy Lecorne et Karine Prido mais surtout par l’énergie débordante de Sandrine Kiberlain et les savantes nuances dans l’extravagance laissant pointer le désespoir et la clairvoyance derrière la folie, ce film sur Sarah Bernhardt laisse le souvenir d’un voyage détonant à la rencontre d’une personnalité à part, mais aussi avec l’envie d’en savoir plus sur cette femme inspirée et inspirante d’une modernité sidérante. Une ode à la liberté d’être soi et d’aimer. Le film est également nommé pour les costumes et les décors.

    Découvrez ci-dessous la liste des lauréats de l’édition 2025 :

    PALMARÈS PARIS FILM CRITICS AWARDS 2025

    MEILLEUR FILM

    Emilia Pérez - Jacques Audiard, Pascal Caucheteux, Valérie Schermann

    MEILLEURE RÉALISATRICE

    Coralie Fargeat - The Substance

    MEILLEURE ACTRICE

    Demi Moore - The Substance

    MEILLEUR ACTEUR

    Karim Leklou - Le Roman de Jim

    MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE

    Zoe Saldaña - Emilia Pérez

    MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE

    Pierre Lottin - Quand vient l’automne

    MEILLEURE RÉVÉLATION FÉMININE

    Mallory Wanecque - L'Amour ouf

    MEILLEURE REVELATION MASCULINE

    Abou Sangaré - L’Histoire de Souleymane

    MEILLEUR SCENARIO ORIGINAL

    Les Graines du figuier sauvage – Mohammad Rasoulof  Mohammad Rasoulof

    MEILLEURE ADAPTATION

    La plus précieuse des marchandises - Michel Hazanavicius, Jean-Claude Grumberg

    MEILLEURE PHOTOGRAPHIE

    Dune : part. 2 - Greig Fraser

    MEILLEUR MONTAGE

    Emilia Pérez  - Juliette Welfling

    MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE

    Emilia Pérez – Camille, Clément Ducol 

     

    MEILLEURS DÉCORS

    Le Comte de Monte-Cristo - Stéphane Taillasson

    MEILLEURS COSTUMES

    Le Comte de Monte-Cristo - Thierry Delettre

    MEILLEUR PREMIER FILM

    Vingt Dieux - Louise Courvoisier

    MEILLEUR FILM D’ANIMATION

    Flow - Gints Zilbalodis

    MEILLEUR DOCUMENTAIRE 

    Il était une fois Michel Legrand - David Hertzog Dessites 

    MEILLEURE SÉRIE (ou Mini-Série)

    La Fièvre (Canal+) - Éric Benzekri, Ziad Doueiri

    PRIX D’HONNEUR (pour l’ensemble de sa carrière)

    Victoria Abril

    PRIX DE LA CONTRIBUTION EXCEPTIONNELLE AU CINÉMA

    Gilles Jacob

    PRIX DE LA MEILLEURE CONTRIBUTION À L’ART DU CINÉMA

    La Cinémathèque Française pour la restauration du film Napoléon d’Abel Gance

  • Critique - LE SYSTÈME VICTORIA de Sylvain Desclous (au cinéma le 5.03.2025)

    cinéma, critique, film, Le Système Victoria, Sylvain Desclous, Jeanne Balibar, Damien Bonnard, Eric Reinhardt

    Le Système Victoria, le nouveau long-métrage de Sylvain Desclous qui sortira au cinéma le 5 mars 2025, deux ans après le palpitant De Grandes espérances, fut présenté au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2024 et au Festival du Film du Croisic 2024. Des sélections dans ces festivals sont déjà un gage de qualité comme je vous le disais récemment pour cet autre film, toujours à l’affiche, que je vous recommande également.

    Le Système Victoria est une adaptation du roman éponyme d’Éric Reinhardt publié en 2011 chez Stock.

    De François Truffaut à Nicole Garcia, nombreux sont les cinéastes à avoir exploré le thème de la passion amoureuse au cinéma qui devient alors un moteur de « destruction » ou de construction pour les personnages, alors sous son emprise. Moteur de destruction, elle l’est ici au sens propre…

    David (Damien Bonnard) est en effet directeur de travaux, à la tête du chantier d’une grosse tour en construction à La Défense. Retards insurmontables, pressions incessantes et surmenage des équipes : il ne vit que dans l’urgence. Lorsqu’il croise le chemin de Victoria (Jeanne Balibar), ambitieuse DRH d’une multinationale, il est immédiatement séduit par son audace et sa liberté. Entre relation passionnelle et enjeux professionnels, David va se retrouver pris au piège d’un système qui le dépasse. Le système Victoria, donc.

    Anatole France écrivit que « L'attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. » Sans doute est-ce ainsi que nous pouvons justifier l’aveuglement du personnage principal qui ne cesse de flirter avec ce qui met sa vie privée et professionnelle en péril, se laissant dévorer par la passion qui le lie à l’énigmatique Victoria, qui surgit comme par magie dans sa vie (David ne se questionne jamais réellement sur cette apparition miraculeuse), une passion charnelle dans laquelle il semble expurger les frustrations provoquées par son travail qui le confronte au mépris et à la déshumanisation.

    C’est d’ailleurs ainsi que cela commence, par des plans en contreplongée de cette grande tour menaçante, dominatrice, accompagnée d’une musique oppressante et de bruits anxiogènes. Déjà, une menace insidieuse plane. L’urgence qui l’accompagne ne cessera de régner sur ce film, haletant de la première à la dernière seconde, et sur le quotidien de David. D’emblée, l’angoisse qui étreint David est ainsi mise en scène. David est en plus séparé de la mère de sa petite fille, c’est la course contre la montre pour lui acheter une peluche pour son anniversaire : une scène aussi captivante qu’une course-poursuite lors de laquelle il chercherait à échapper à la mort. C’est pire ici peut-être, c’est à la mort de la considération dans les yeux de sa fille qu’il essaie d’échapper.

    Dans son travail, David se retrouve face à des objectifs irréalisables pour respecter les délais de la construction que lui impose un commanditaire obséquieux qui le traite avec un dédain d’une rare violence. Dans ces conditions, l’estime que lui porte Victoria va le galvaniser (architecte talentueux, il a dû abandonner ses ambitions d’architecte indépendant pour raisons financières), le porter à se transcender et à adopter les méthodes dont il était victime et qu’il condamnait jusqu’alors. Avec pour seul objectif de terminer la tour à temps, il devient lui aussi brutal, intraitable, inique.

    Les scènes de miroir qui jalonnent le film évoquent clairement cette dualité de chacun des deux personnages, a fortiori Victoria avec son phrasé singulier et sa voix envoûtante et inquiétante : double, manipulatrice, mystérieuse, follement libre, scandaleuse, impertinente. Fascinante. En tout cas pour David qui a dix ans de moins et une position sociale inférieure. Damien Bonnard, face à l’élégance trouble et à l’audace insolente remarquablement incarnées par Jeanne Balibar, est parfait en « homme ordinaire placé dans une situation extraordinaire », comme l’aurait qualifié Hitchcock. Cette dichotomie se retrouve aussi dans les sons (contraste entre les atmosphères ouatées dans le cadre desquelles ils se retrouvent et la cacophonie de la construction).

    À leurs côtés figurent d’excellents rôles secondaires, à commencer par celui incarné par Cédric Appietto qui joue le rôle de l’ex-beau-frère de David, Dominique, sensible et écorché, qui lui voue une admiration flagrante, visiblement sans recevoir l’attention qu’il mériterait en retour.

    Dans le rôle du mari de Victoria, il est cocasse de retrouver Éric Reinhardt, qui est donc ici doublement démiurge : de l’histoire…et du rôle de Victoria. La mise en abyme est filée comme le serait une métaphore puisque le journaliste littéraire François Busnel incarne l’amant éconduit de Victoria.

    Nous retrouvons ici des thématiques (notamment le désir d’ascension sociale, des personnages pris dans un engrenage) et une atmosphère suffocante qui rappellent celles du précédent film de Sylvain Desclous, De Grandes Espérances dans lequel Madeleine (Rebecca Marder), brillante et idéaliste jeune femme issue d'un milieu modeste, prépare l'oral de l'ENA dans la maison de vacances d'Antoine (Benjamin Lavernhe), en Corse avant que, le matin, sur une petite route déserte, le couple se trouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame.

    Grâce à son rythme soutenu, un travail sur le son remarquable, une musique originale prenante composée par Florencia Di Concilio, deux comédiens, Bonnard (Les Intranquilles, Le Sixième enfant, Les Misérables, Trois Amies) et Balibar (Boléro, Les Illusions perdues, Barbara, Sagan…) intenses, vous ne verrez pas passer le temps et plongerez avec David dans le gouffre sombre des illusions avant, peut-être, de retrouver la lueur du dehors et de la raison…

  • Gros plan sur le métier de scénariste au cinéma

    La règle du jeu de Jean Renoir 2.png

    “Qu'on écrive un roman ou un scénario, on organise des rencontres, on vit avec des personnages ; c'est le même plaisir, le même travail, on intensifie la vie.” J’aime beaucoup cette citation de Truffaut qui reflète ma vision du scénario et du roman. C’est du premier dont je souhaite vous parler aujourd’hui.

    Lire la suite

    Lien permanent Imprimer Pin it! 0 commentaire