Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Sélection officielle du 76ème Festival de Cannes : conférence de presse du 13 avril 2023

    Festival de cannes 2023.jpg

    Johnny Depp et Maïwenn dans « Jeanne du Barry » ( WHY NOT PRODUCTIONS LTD)

    Ce jeudi 13 avril, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes et Iris Knobloch, la nouvelle présidente, lors de la traditionnelle conférence de presse, dévoileront la sélection officielle de cette 76ème édition qui s'ouvrira avec Jeanne du Barry de et avec Maïwenn, le 16 mai 2023, jour de sa sortie en salles. Pour connaître les autres premiers éléments de programmation de cette édition 2023, rendez-vous sur mon site In the mood for Cannes (Inthemoodforcannes.com), entièrement consacré au Festival de Cannes. Je couvrirai ainsi le festival pour la 21ème année, notamment sur mon compte Instagram @sandra_meziere et je vous détaillerai bien sûr le programme ici et sur le site précité, dès jeudi.

  • Critique de TÀR de Todd Field

    Tar film critique.jpg

    Découvrir enfin Tár (pléonasme -et humour- facile, oui, je sais) au Lucernaire et, depuis, être habitée par ce film, cette marche funèbre à la complexité revigorante quand tout tend à être simplifié, manichéen, évident. Plutôt qu'une critique exhaustive comme d'habitude, je reprends ici mon petit texte publié sur Instagram, sur mon compte @sandra_meziere.

    La judicieuse durée du film, captivant de la première à la dernière seconde, permet de dessiner un portrait, à l’image des œuvres que la cheffe d’orchestre interprète : nuancé, dense, fascinant, perturbant. Le générique (de fin, placé au début) est annonciateur de ce qui nous attend : un voyage déroutant, le récit d’une chute, et un coup de projecteur sur ceux que Tár méprise, qui œuvrent dans l’ombre à la réussite d’un projet.

    Tár, cheffe d’un grand orchestre symphonique allemand, au firmament de son art et de sa brillantissime carrière, prépare un concerto de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Elle est incarnée (littéralement) par Cate Blanchett, sidérante de vérité et de subtilité (comment l’Oscar a-t-il pu lui échapper pour revenir à l’interprète de ce film abscons Everything Everywhere All at Once ?) à tel point qu’elle nous fait croire à l’existence réelle de ce personnage, tantôt admirable et méprisable, orgueilleux et perturbé, abusif, manipulateur et paranoïaque, cassant et finalement fragile, qui édicte des règles qu’il ne respecte pas. Un fauve qui dévore mais qui est aussi aux abois que Cate Blanchett incarne dans le moindre soubresaut de son corps, animal dangereux, cruel, et blessé. Une femme hantée autour de laquelle des ombres menaçantes et la mort rodent.

    La lumière et les décors, âpres, déshumanisés,  grisâtres, épousent sa rigueur et sa froideur. La mise en scène et le montage reflètent sa désagrégation, d’un plan séquence éblouissant d’un cours lors duquel elle enserre sa proie (un élève), dirige l’espace, le langage (du corps, des mots, de la musique) à des plans de plus en plus resserrés comme l’étau autour d’elle. Elle pour qui « tout est transaction », qui veut tout maîtriser (la musique et les êtres), qui évolue dans un monde personnel dénué d’émotions (aux antipodes de la musique qu’elle dirige), qui veut dompter le temps comme le tempo, va perdre tout contrôle.

    L'émotion vertigineuse et incoercible que va lui procurer une jeune musicienne insolemment vivante, va la conduire dans un gouffre inextricable et va accélérer sa chute, au propre comme au figuré. Une chute brutale d’autant plus que l’ascension fut sans doute une fastidieuse marche vers le sommet. Des projecteurs de Berlin et de New York, elle va se retrouver dans un obscur petit théâtre d’Asie du Sud-Est : d’un univers aseptisé à un monde suintant de vie et de chaleur.

    C’est aussi palpitant qu’un thriller. L’énigme consiste ici à découvrir qui était Linda Tarr devenue Lydia Tár et la force du film réside dans le fait de ne pas la lever totalement, donnant juste quelques pistes dans l'alcôve d'une modeste maison d'enfance américaine dans laquelle elle croise un frère dédaigneux.

    Tár est aussi un film passionnant pour les questions qu’il pose. L’art justifie-t-il tout ? 
    Selon le précepte de Machiavel, la fin justifie-t-elle toujours les moyens ?  Le pouvoir est-il indissociable d’abus ? L’art et/ou la réussite nécessitent-ils de céder au mensonge, de toujours se réinventer, de claquemurer une part de soi, de manipuler les autres, de perdre une part d’humanité ? Ou au contraire le véritable artiste n'est-il pas celui qui ne se trahit pas et qui ne transige par avec son intégrité ? Ou l'art nécessite-t-il forcément des concessions, y compris jusqu'à y perdre son âme ? L'art véritable ne doit-il pas élever celui qui le reçoit comme celui qui le pratique ?

    L’accusation de misogynie adressée au film par ses détracteurs est en tout cas ridicule puisque justement considérer des personnages féminins dans leur noirceur et leur complexité relève du principe même de l’égalité.

    Tout dans ce 3ème film de Todd Field est brillamment pensé, à commencer par le choix de la 5ème Symphonie de Mahler, indissociable de Mort à Venise de Visconti, histoire (là aussi) de décadence et de déchéance (qui plus est d'un compositeur), évidemment pas un hasard, film avec lequel celui de Todd Field établit un parallèle jusque dans la mort de son personnage (métaphorique ici pour Tár). L'Adagietto serait en effet, selon l'entourage de Mahler, une lettre d'amour en musique destinée à Alma. La Symphonie débute par ailleurs par une marche funèbre, ce qu'est finalement la trajectoire tragique de Tár. Mais vous pourrez tout aussi bien y voir une victoire sur la mort et la fatalité comme l'évoque aussi la fin de la Symphonie n°5 de Mahler.

    Il faudrait encore évoquer les ellipses et les énigmes si pertinentes, les dialogues percutants, et beaucoup  d'autres choses encore tant ce film est une ode à la polysémie et à la complexité humaines et artistiques. (Il passe encore au MK2 Parnasse).

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2023 Pin it! 0 commentaire
  • Critique - LE PRIX DU PASSAGE de Thierry Binisti (au cinéma le 12 avril)

    cinéma, Le prix du passage, Thierry Binisti, Alice Isaaz, Adam Bessa, critique, film

    Je vous ai souvent parlé ici du travail de Thierry Binisti dont j’avais déjà tant aimé Une bouteille à la mer, un film que j’avais découvert au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz dans le cadre duquel il fut primé du Prix du meilleur film en 2011. Ce film était une adaptation du roman de Valérie Zenatti Une bouteille à la mer de Gaza, l’histoire de Tal (Agathe Bonitzer), une jeune Française de 17 ans installée à Jérusalem avec sa famille, qui, après l’explosion d’un kamikaze dans un café de son quartier, écrit une lettre à un Palestinien imaginaire dans laquelle elle exprime ses interrogations et son refus d’admettre que seule la haine puisse régner entre les deux peuples. Elle glisse la lettre dans une bouteille qu’elle confie à son frère pour qu’il la jette à la mer, près de Gaza, où il fait son service militaire. Quelques semaines plus tard, Tal reçoit une réponse d’un mystérieux « Gazaman » (Mahmoud Shalaby). Va alors débuter un échange épistolaire d’abord constitué de doutes, de reproches, d’incompréhension mais qui va finalement les mener sur le chemin d’une liberté et d’une réconciliation a priori impossibles.

    Je vous avais aussi parlé du travail de Thierry Binisti à l’occasion de la diffusion du docu-fiction Louis XV, le soleil noir qu’il avait réalisé pour France 2 et par lequel j’avais été captivée : un divertissement pédagogique passionnant, de très grande qualité, aussi bien dans le fond que dans la forme, une immersion dans les allées tumultueuses de Versailles et dans les mystérieux murmures de l'Histoire, dans le bouillonnant siècle des Lumières et dans la personnalité tourmentée de Louis XV. Les similitudes entre ce téléfilm et Une bouteille à la mer étaient d’ailleurs assez nombreuses : Versailles, une prison (certes dorée) pour Louis XV comme pouvait l’être Gaza pour Naïm, un portrait nuancé de Louis XV comme l’étaient ceux de Naïm et Tal, une combinaison astucieuse entre fiction et documentaire.

    Tout comme le docu-fiction évoqué ci-dessous, Une bouteille à la mer ne laissait pas place à l’approximation, avec un scénario particulièrement documenté. Ces deux voix qui se répondent, à la fois proches et parfois si lointaines, se font écho, s’entrechoquent, se confrontent et donnent un ton singulier au film, grâce à une écriture belle et précise, et sont ainsi le reflet de ces deux mondes si proches et si lointains qui se parlent, si rarement, sans s’entendre et se comprendre. Thierry Binisti ne tombe jamais dans l’angélisme ni la diabolisation de l’un ou l’autre côté du « mur ». Il montre au contraire Palestiniens et Israéliens, par les voix de Tal et Naïm, si différents mais si semblables dans leurs craintes et leurs aspirations, et dans l’absurdité de ce qu’ils vivent. Il nous fait tour à tour épouser le point de vue de l’un puis de l’autre, leurs révoltes, leurs peurs, leurs désirs finalement communs, au-delà de leurs différences, si bien que nous leur donnons tour à tour raison. Leurs conflits intérieurs mais aussi au sein de leurs propres familles sont alors la métaphore des conflits extérieurs qui, paradoxalement, les rapprochent.

    Si j’ai établi ce long préambule avec ces digressions, c’est parce que l’on retrouve ces qualités dans Le Prix du passage, le troisième long-métrage de Thierry Binisti (qui a aussi réalisé de très nombreux téléfilms, souvent remarquables), là aussi très documenté, notamment grâce à l’expérience de la scénariste Sophie Gueydon qui a travaillé avec des associations à Paris puis à Calais, et noué des liens avec les migrants rencontrés alors. Avec Pierre Chosson, elle a écrit un scénario puissant dénué de manichéisme.

    Là aussi, il s’agit de la rencontre entre deux mondes qui n’auraient jamais dû se rencontrer, qui vont s’enrichir l’un l’autre. Là aussi il s’agit de partir de l’intime pour parler du politique. Là aussi, il s’agit de deux personnages forts. Là aussi il s’agit de désirs (d’ailleurs) qui vont éclore.

    Sur ce sujet de la situation des migrants, il y eut notamment Welcome de Philippe Lioret dans lequel, pour impressionner et reconquérir sa femme Marion (Audrey Dana), Simon (Vincent Lindon), maître-nageur à la piscine de Calais, (là où des centaines d’immigrés clandestins tentent de traverser pour rejoindre l’Angleterre, au péril de leur vie)  prend le risque d’aider en secret un jeune réfugié kurde, Bilal (Firat Ayverdi) qui tente lui-même de traverser la Manche pour rejoindre la jeune fille dont il est amoureux, Mina (Dira Ayverdi).

    L’an passé, l’excellente comédie sociale bienveillante de Louis-Julien Petit, La Brigade, braquait ses projecteurs sur la situation des migrants en foyers pour mineurs dans les Hauts-de-France. Le film de Thierry Binisti nous emmène aussi dans les Hauts-de-France, où vit Natacha (Alice Isaaz), 25 ans, jeune mère célibataire qui galère pour élever son fils Enzo (Ilan Debrabant), 8 ans. Walid (Adam Bessa), quant à lui, migrant d’origine Irakienne, attend de réunir assez d’argent pour payer son passage vers l’Angleterre. Aux abois, ils improvisent ensemble une filière artisanale de passages clandestins. Ne parvenant plus à payer ses factures, sa chaudière tombant en panne, renvoyée du bar où elle travaillait pour avoir pris de l’argent dans la caisse, Natacha est dans une impasse et ne trouve que cette solution pour s’en sortir et pour offrir une vie un peu plus confortable à son fils avec lequel elle partage un logement spartiate à Boulogne-sur-mer.

    Ce film, comme ses acteurs principaux, dégage un charme qui vous saisit dès les premières minutes, dès cette chanson en Italien qu’entonnent Natacha et son fils. Comme dans Une bouteille à la mer, Le Prix du passage réunit deux êtres que tout oppose a priori et la richesse du film réside avant tout dans la profondeur de ces deux personnages qui aspirent tous deux à prendre un nouveau départ, à un ailleurs, à un nouvel horizon. S’ils viennent de deux mondes en apparence opposés (Natacha est au départ particulièrement hostile aux migrants), leurs situations finalement pas si différentes, la dureté du monde à laquelle ils se confrontent et l’âpreté de leurs existences vont les rapprocher,  la précarité dans laquelle la jeune femme vit la conduisant aussi à être sans cesse aux abois et dans l’instabilité, tout comme Walid.

    Leur rencontre nait d’un choc contre le capot de la voiture de Natacha. Le choc d’une rencontre qui va la bousculer, la conduire à commettre des folies, à se saisir de sa liberté…

    Walid était étudiant en Irak. Il parle parfaitement le français, connaît et aime la littérature française, Voltaire et Rousseau, philosophes des Lumières et de la liberté.  On ne saura jamais ce qu’il a vécu en Irak, un plan furtif sur ses cicatrices dans le dos entrevues par Natacha laisse deviner un douloureux passé inscrit dans sa chair. Adam Bessa a reçu le Prix d’Interprétation de Un Certain Regard, au dernier Festival de Cannes, pour son rôle dans Harka. Il mériterait aussi d’être récompensé pour ce rôle tant il apporte d’intensité, de détermination et de douceur à son personnage.

    Alice Isaaz, quant à elle, apporte toute sa fougue à son personnage en colère et impulsif, qui peu à peu va prendre le chemin de la lumière, de la liberté, et empoigner son destin de mère. Elle qui n’a jamais quitté sa région va franchir les frontières, de la morale et de ses Hauts-de-France. Le passage du titre, c’est bien sûr celui qui mène vers l’Angleterre mais aussi celui-là, le passage vers la liberté, de partir et d’être soi. De Mademoiselle de Joncquières de Emmanuel Mouret, du Mystère Henri Pick de Rémi Bezançon à Une belle course de Christian Carion, Alice Isaaz impose sa lumineuse présence, et accède ici enfin au premier rôle qu'elle mérite.

    Toute la beauté de la relation entre Natacha et Walid, orageuse puis complice, se situe dans l’indicible, dans cet avenir sur lequel ouvre le film qu’il nous appartient d’esquisser, dans cette phrase  que Walid dit à Natacha qui n’est pas traduite qu’il nous appartient de deviner (comme dans Lost in translation).

    Le film lorgne aussi du côté du thriller, avec des séquences trépidantes particulièrement réussies lors des franchissements des contrôles de police, grâce à la réalisation inspirée et efficace de Thierry Binisti et grâce à l’interprétation d’Alice Isaaz dont le spectateur partage alors l’angoisse. Et quand le coffre s'ouvre sur un horizon irradié de lumière, nous partageons avec elle ce sentiment de soulagement.

    Cette histoire singulière dont le rythme ne faiblit jamais, le montage mettant ainsi en exergue le sentiment d'urgence et de risque constants qui étreint les deux protagonistes, donne une incarnation à une situation plus universelle, celle des migrants qui, au péril de leur vie, fuient et bravent tous les dangers pour se donner une chance d'un avenir meilleur. Ce film riche de ses nuances nous donne aussi envie, comme Natacha, de prendre conscience de la préciosité de notre liberté, et d’en saisir chaque parcelle de seconde… Vous l’aurez compris : je vous recommande vivement et sans réserves ce film nuancé et palpitant, au cinéma ce 12 avril, dont vous ressortirez le cœur empli du souvenir revigorant et rassérénant de ce plan d'un horizon ensoleillé mais aussi du souvenir de ces deux magnifiques personnages, deux combattants de la vie qui s'enrichissent de la confrontation de leurs différences.