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CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2008 - Page 13

  • "Passe passe" de Tonie Marshall

    818997253.jpgAlors que le Festival de Cannes choisissait habituellement des icônes cinématographiques féminines glamour internationalement renommées comme maîtresses de cérémonies de l’ouverture et de la clôture, le Festival et Canal plus ont cette année eu la judicieuse idée de choisir Edouard Baer comme maître de cérémonie, déjà habitué des présentations dans des atmosphères plutôt fraîches avec les César. Il succède ainsi à Diane Krüger et aura donc la lourde tâche d’affronter le public majoritairement blasé et de réchauffer l’atmosphère glaciale du Grand Théâtre Lumière du palais des festivals avec son humour savoureusement décalé, parfois noir, dont nous espérons qu’il ne se départira pas pour l’occasion. Après Vincent Cassel en 2006, ce sera seulement le deuxième homme à présenter ces cérémonies.

    Cela tombe bien non seulement parce qu’Edouard Baer devrait savoir dérider cet exigeant public mais aussi parce qu’il est actuellement à l’affiche de deux films : « J’ai toujours rêvé d’être un gangster » de Samuel Benchetrit et « Passe-passe » de Tonie Marshall. Je n’ai pour le moment vu que le second dans lequel le duo qu’il forme avec Nathalie Baye constitue le principal intérêt du film.

     Edouard Baer y incarne ainsi Darry Marzouki, prestidigitateur au chômage qui a volé la BMW de son colérique beau-frère (Joeystarr) sur un coup de tête. Avant qu’il n’ait eu le temps de faire part de son  (dés)accord, Irène Montier-Duval (Nathalie Baye) monte dans sa voiture et lui propose de le payer pour qu’il l’aide à fuir à Genève. Elle a en effet servi d’intermédiaire dans une vente d’armes entre un Ministre français (Guy Marchand) et la Corée et est convoquée par la justice. Darry accepte finalement, en échange Irène devra payer l’institution  dans laquelle sa mère  Madeleine, atteinte de la maladie d’Alzheimer (Bulle Ogier, rôle qu’elle interprétait déjà dans « Faut que ça danse » de Noémie Lvovsky), a été placée. Pour refuser son offre, Darry a d’abord prétexté être un militant alter-mondialiste se rendant à Locarno pour un sommet. Ils vont passer 3 jours ensemble poursuivis par les Coréens, la DST, le Ministre et le beau-frère!

    Dommage ! Voilà ce qu’on se dit en sortant de ce tour de passe-passe de 1H33. Dommage parce que Nathalie Baye y est exceptionnelle, y démontre encore une nouvelle facette de son talent que Tonie Marshall nous avait déjà permis d’entrevoir dans « Vénus Beauté » et que Noémie Lovsky avait également mise en valeur dans « Les sentiments », capable de jouer avant autant de naturel désarmant les femmes fantaisistes, la mère de Di Caprio dans un film de Spielberg (« Arrête-moi si tu peux ») ou les femmes flics rongés par l’alcool et l’âpreté de l’existence (« Le petit lieutenant » de Xavier Beauvois). Elle interprète ici une femme sûre d’elle, enquiquineuse exemplaire, qui se mêle de tout, surtout de ce qui ne la regarde pas, une aventurière égocentrique et fantasque, dont la fragilité qui affleure, à peine, la rend finalement sympathique. Elle a la désinvolture, le charme, la loufoquerie de ceux qui peuvent dire les pires atrocités et paraître encore plus aimables, malgré tout.

    299809311.jpgIl est aussi introverti, dépressif, indécis qu’elle est extravertie, fantaisiste et péremptoire. Il se fiche autant de son apparence qu’elle y accorde une importance capitale. Il se fait passer pour un militant alter-mondialiste, elle est libérale. Deux être très différents donc mais finalement semblables parce que décalés, joueurs, dotés d’une grâce juvénile, égarés dans l’existence, en décalage dans un monde qui voudrait ranger dans des cases trop étroites pour eux. Ils forment un duo au charme fantaisiste et la dérision d’Irène est communicative. Les bases de la comédie romantique avec ses deux protagonistes atypiques, différents l’un de l’autre mais faits l’un pour l’autre étaient pourtant là. Pourquoi dommage alors ?

    Dommage parce que le scénario abracadabrantesque ET inexistant n’est pas à la hauteur de ces deux personnages et de ces deux acteurs à l’énergie débordante. Les  ventes d’arme, le scandale politique, le syndrome Gilles de la Tourette (ah oui, dans l’institution dans laquelle sa mère est logée Darry tombe amoureux d’une jeune malade jouée  par Mélanie Bernier atteinte de ce syndrome…), Alzheimer, Christine Deviers-Joncour, et même Darry Cohl c’est  beaucoup pour un seul film ! Surtout quand celui-ci se veut plutôt léger. Les deux personnages principaux étaient suffisamment intéressants pour que ne leur soient pas ajoutés tous ces artifices « dans l’air du temps ». Le film brasse par ailleurs trop de genres : road movie, comédie romantique, film politique, chronique sur les maladies mentales (le film commence d’ailleurs de manière grave avec le placement de la mère de Darry en institution).

    Dommage encore que le film ressemble autant à un film publicitaire (la clé USB, le sac et les vêtements de marque Hermès allègrement citée, la BMW…) à l’exemple des comédies romantiques américaines truffées de noms de marques. Dommage parce que les répliques cinglantes de la décalée, voire déjantée, Irène constituaient un bon début.  Un film qui brasse trop de thèmes pour finalement nous désintéresser de l’intrigue politique, on ne croit ainsi jamais vraiment au danger aléatoire ni aux personnages secondaires, et Irène ne semble guère y croire non plus.

     On se demande pourquoi Tonie Marshall a proposé ce rôle de beau-frère violent à Joeystarr qui relève du clin d’œil et qui aurait certainement été plus intéressant dans un contre-emploi que dans la caricature (même réussie) de lui-même. Malgré le talent de leurs interprètes, les rôles de Maurice Bénichou et de Guy Marchand, un peu trop nonchalant  et dégingandé pour un Ministre, manquent de crédibilité et de conviction.

    Dommage encore parce que Tonie Marshall aime ses acteurs et nous le fait sentir malgré tout. Edouard Baer montre lui aussi une nouvelle facette de son talent avec une mélancolie attendrissante qui lui sied parfaitement.

    A voir seulement pour le numéro, non pas de passe-passe (avec un dénouement totalement anecdotique, alambiqué, improbable) mais d’acteurs, de Nathalie Baye et Edouard Baer, qui vaut le détour et  parce qu’un air de Sinatra, forcément nostalgique et envoûtant, est toujours une bonne raison de se déplacer …

    Sandra.M

  • “There will be blood” de Paul Thomas Anderson : la folie fiévreuse de l’or noir

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     1478123491.jpgL’or noir. L’oxymore qui définit ainsi l’objet de la quête effrénée, insatiable, vorace de  Daniel Plainview est à l’image de ce film. Entre ombre et lumière. Entre les profondeurs abyssales et obscures de la terre et les vastes paysages de l’Ouest américain. Entre les Lumières de la foi et l’obscurantisme de la religion. Entre les deux faces si contrastées d’un même visage.  Ainsi, lorsque le chercheur d’or noir, Daniel Plainview (Daniel Day Lewis) entend parler d’un océan de pétrole sous une petite ville de Californie, il part alors avec son « fils » H.W (en réalité, un enfant dont le père est mort en forant pour Daniel Plainview) à Little Boston, un endroit au milieu de vastes étendues vertigineuses où l’unique point de rendez-vous et distraction est l’église animée par le charismatique jeune prêtre Eli Sunday (Paul Dano). Avec l’aide de l’enfant qui l’accompagne qui lui sert à attendrir ceux à qui il achète des terres, Plainview va peu à peu étendre son empire en s’appropriant les terres tout comme Eli Sunday s’approprie les âmes...

    Evidemment quand il est question de  pétrole et d’ouest américain, on pense immédiatement à « Géant », pourtant si ce ne sont les paysages et la fascination pour l’or noir, rien à voir ici avec le chef d’œuvre de 1956, de George Stevens.

    Dès le premier quart d’heure, muet, nous suivons Daniel Plainview, dans les entrailles de la terre, et dès ce premier quart d’heure,  grâce à la virtuosité de la mise en scène de Paul Thomas Anderson et , par l’ambiguïté intrigante et captivante du personnage de Daniel Plainview magistralement et/ou excessivement interprété par Daniel Day Lewis, nous sommes envoûtés, comme nous le serons pendant les 2H38 de ce voyage terrifiant et fascinant dans les entrailles de la terre, dans les paysages et cœurs arides et surtout, dans les profondeurs d’une âme torturée et tortueuse que nous suivons dans sa descente aux enfers de 1898 à 1927. 

     Intrigués parce que nous nous demandons d’abord s’il est guidé par la seule soif de l’or noir, (S’attache-t-il vraiment à H.W ou n’est-il qu’un outil dans sa quête ?) guettant ses lueurs d’humanité d’abord,  de misanthropie ensuite, de folie bientôt, nous demandant lequel entre l’un et l’autre l’emportera, si son humanité n’est que le masque de son avidité, sa philanthropie le masque de sa misanthropie, hypnotisés par son regard comme le sien l’est par ses derricks enflammés, la désolation majestueuse et apocalyptique de ce spectacle grandiose et diabolique. There will be blood. Le titre résonne alors comme un avertissement. Nous voilà prévenus. Le feu sanguinolent va jaillir des entrailles de la terre. Peut-être pas seulement : le sang va jaillir des entrailles de l’homme.

    En sortant de ce film, il y a une semaine déjà, mes impressions étaient si fortes et contrastées qu’il m’a fallu plusieurs jours pour digérer cette expérience et vous en parler. Expérience, c’est bien le mot. Etrange. Dérangeante. Cruelle. Fascinante. Hypnotique. Vertigineuse. Grotesque et/ou sublime. Sublime le travail sur le son entre une musique (de Johnny Greenwood) intelligemment dissonante et des sons astucieusement discordants, ainsi effrayants, assourdissants, nous conduisant même à éprouver le malaise ressenti par HW devenu sourd suite à l’incendie du derrick, ou l’agitation interne  suscitée par le combat qui semble agiter Daniel Plainview entre ses deux visages, entre sa folie et ses intérêts. Sublime la photographie dichotomique qui reflète le combat interne de Plainview mais aussi celui avec son double : Eli Sunday. Sublime la réalisation inspirée à laquelle Kubrick semble avoir insufflé son énergie créatrice. Sublime le face à face entre le jeune prêtre et Daniel Plainview, apparemment si différents, finalement si semblables : dans leur duplicité, le renoncement à leurs principes par intérêt, leur capacité à hypnotiser, posséder, se mettre en scène, exercer leur emprise et manipuler les âmes, leur folie. Sublime le glissement vers la folie, la solitude, la déshumanisation de Daniel Plainview. C’est d’ailleurs finalement lorsque son visage se montre ouvertement le plus monstrueux (lorsqu’il jette à la figure de H.W le fait qu’il n’est pas son fils) qu’il témoigne, peut-être, enfin, de son humanité :  est-ce pas par jalousie  ou parce qu’il se sent abandonné, est-ce une manière de témoigner une part d’humanité ?  Grotesque à force de vouloir paraître absurde, démonstratrice de sa folie, la scène finale avec  Sunday  (tel le duel final d’un western, l’affrontement où les deux (anti)héros laissent voir leurs vrais visages, leur gémellité, et à la différence d’un western, ni bons, ni méchants, juste deux hommes dévorés par leur soif de pouvoir l’un sur l’autre, sur les terres pour l’un, sur les âmes pour les deux). Artificiel ce saut dans le temps pour renforcer l’impression de contraste entre les vastes étendues que Plainview semblait dominer et cette luxueuse maison vide, glaciale, obscure,  qui semble l’emprisonner.

    Alors, au final ?

    1802965498.jpg Au final, une expérience fascinante, captivante et éprouvante où le sublime (surtout) côtoie le grotesque (finalement si peu, finalement à l’image du personnage principal dont la construction scénaristique et visuelle épouse la folie), une réalisation inventive, une musique intelligemment discordante, une interprétation parfois outrancière (délibérément, probablement, précisons que Daniel Day Lewis a reçu l’Oscar 2008 du meilleur acteur pour ce film) qui nous  fait croire à l’existence de ce Daniel Plainview diabolique, au-delà des frontières du désenchantement et de la folie. « There will be blood » a ainsi été nommé 8 fois aux derniers Oscars, la photographie si expressive de Robert Elswit a également été récompensée. Un film universel, atypique, à voir malgré et pour ses excès, son ostentation, sa démarche ostensible   qui m’empêchent néanmoins de le qualifier de chef d’œuvre mais qui me conduisent plutôt à le définir comme une expérience unique, marquante. Un film singulier, courageusement à contre-courant (quoique, ce face à face de l’homme avec la nature, cette ascension puis cette descente aux enfers nous rappellent plusieurs films sortis récemment, je vous laisse les retrouver),  à voir, à vivre,  à contempler, à éprouver, assurément.

    Sandra.M

  • « Paris » de Cédric Klapisch : fenêtre ouverte sur la vie

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    Moi que Paris fascine, émerveille, éblouit, intrigue toujours autant, ville lumière parfois sombre, inquiétante ou majestueusement mélancolique, dans laquelle je déambule inlassablement rêveusement à imaginer toutes les histoires qu’elle recèle ou que ses habitants véhiculent, moi qui, comme tout Parisien, d’adoption ou non, ai mon Paris idéal, idéalisé probablement aussi, quelque part sur la rive gauche, entre les Bouquinistes des Quais de Seine et la fontaine Médicis du Luxembourg,  j’en attendais évidemment beaucoup de ce pari audacieux : celui d’intituler immodestement un film Paris et de consacrer un film à cette ville mythique. Claude Lelouch avait voulu célébrer les Parisiens dans le film éponyme et c’est aussi aux destins qui tissent leurs toiles dans Paris que s’intéresse Cédric Klapisch dans ce film choral, sublimant et confrontant l’éphémère dans la ville éternelle. Des destins d’abord présentés comme autant de quartiers épars. Des destins vus ou entrevus ou même imaginés peut-être par Pierre (Romain Duris) qui, atteint d’une maladie cardiaque, ne sachant pas s’il va survivre, porte un regard neuf et différent sur Paris et ceux qui s’y croisent, s’y manquent, du haut de son balcon démiurgique qui surplombe la capitale. Chacun devient le héros des histoires qu’il s’invente, sorte de double de Klapisch scénariste car que fait d’autre le scénariste que de faire des gens qu’il croise, connaît ou devine, les héros d’histoires qu’il s’invente ?

    56b44edd7f3bbd91f43fb5d03fad07a7.jpg Dans son Paris à lui se trouvent des personnages dont les définitions ressemblent parfois à des pléonasmes : il y a des maraîchers amoureux (Albert Dupontel, Julie Ferrier, Gilles Lellouche, Zinedine Soualem), une boulangère dont le sourire commercial dissimule à peine ses lieux communs et préjugés (Karin Viard), une assistante sociale en mal d’amour(Juliette Binoche), un architecte « trop normal » (François Cluzet), un SDF malmené, un prof de fac en pleine crise existentielle (Fabrice Luchini) amoureux d’une étudiante (Mélanie Laurent), une mannequin superficielle (Audrey Marnay), un clandestin camerounais qui rêve de l’image d’Epinal de Paris, là-bas, si loin… Rien ne les rassemble a priori si ce n’est cette ville, les ramifications du destin, telles des lignes de métro qui de toute façon finissent en un même point : le cœur. Tous les chemins mènent au cœur de Paris. Le cœur, justement, celui qui menace de lâcher à tout instant, cœur de Pierre. L’éphémère face à l’éternel. L’insignifiant face à l’essentiel. La vie face à la mort. La ville vue par le prisme d’un condamné à mort : une ville dont le cœur bat, insouciante, une ville qui vibre, qui danse, une ville de tous les possibles, une ville et une vie où rien n’empêche personne de « donner une chance au hasard », de faire valser les fils du destin comme il le fait du haut de son balcon.

    Peut-être vous direz-vous qu’il s’agit là d’un énième film choral parisianiste. Et vous auriez tort. Klapisch a un ton et surtout un regard sensibles et particuliers qui font de chaque instant des moments imprévus qui arrêtent le temps, suspendent les battements du cœur pour nous donner envie de saisir l’impalpable magie de l’instant de Paris, dans Paris, de profiter de l’instant, un instant où tout peut basculer : du rire aux larmes, de la vie à la mort, du sentiment d’éternité à celui de l’éphémère. Deux scènes en sont ainsi emblématiques reflétant l’ambivalence humaine que Klapisch, fin observateur, insuffle à ses personnages : une scène où Fabrice Luchini face à son psychanalyste interprété par Mauriche Bénichou passe de la désinvolture aux larmes, une scène où la maraîchère (Julie Ferrier)  passe en une fraction de seconde de la légèreté au malaise…et nous avec eux.

     Paris est aussi la cinquième collaboration de Cédric Klapisch avec Romain Duris (après « Le péril jeune », « Chacun cherche son chat », « L’Auberge espagnole », « Les poupées russes »), lequel Romain Duris incarnait également le personnage principal d’un autre film consacré à Paris « Dans Paris » de Christophe Honoré. Romain Duris nous fait oublier son personnage de Xavier dans "L'Auberge espagnole" et "Les Poupées russes" et il incarne ici avec beaucoup de retenue et de justesse ce danseur condamné à voir et imaginer la vie danser sous ses pieds immobilisés, sous son regard que l’imminence probable de la fin rend si clairvoyant. . C’est en effet aussi un film sur le regard, sur les « choses cachées derrière les choses », derrière le regard pressé et imprécis et catégorique du Parisien, de sa hauteur il voit ce que les autres ne savent plus regarder comme la dérision de l’involontaire cruauté d’assistants sociaux débordés par leur propre détresse qui ne voient plus celle des autres alors que c’est pourtant leur métier, ou l’égarement soudain d’un homme qui ne sait plus voir la détresse de son frère qu’il s’était toujours satisfait d’imaginer si heureux.

    2fa0c954086ed3f8f2bae4d11153ea08.jpg Karin Viard est parfaite dans le rôle de la boulangère en veste pied-de-poule et col roulé, avec ses bijoux et ses réflexions d’un autre âge, Fabrice Luchini aussi en historien amoureux égaré, Julie Ferrier aussi en maraîchère éprise de liberté, en fait il faudrait citer toute la distribution : François Cluzet,  Albert Dupontel, Zinedine Soualem, Mélanie Laurent, Juliette Binoche évidemment. Un casting impeccable, en tout cas une direction d’acteurs irréprochable.

    Des pléonasmes, des clichés sans doute mais pour mieux s’en départir ensuite ou pour apporter une dose de comédie salutaire (par le personnage de Karin Viard par exemple) dans cette histoire qui vous donnera envie de rire, pleurer, qui vous déstabilisera aussi, un melting pot émotionnel à l’image de Paris et de ses habitants.

    Certains ont dit ou diront que c’est là et seulement une image d’Epinal mais Cédric Klapisch, jamais dupe,  s’en moque en passant aux images virtuelles par exemple (et se moque ainsi de l'idée imaginaire, aseptisée de Paris), en faisant de Luchini un historien qui fait visiter la capitale de lieux méconnus en lieux touristiques par excellence, ou encore par le personnage du Camerounais qui balade avec lui cette image d’Epinal de Paris, au sens propre comme au sens figuré. Ou en nous montrant un chauffeur de taxi acariâtre (je vous assure, ce n’est pas qu’un cliché…), symbole d’un parisien mécontent. Certains encore (les mêmes, allez savoir) ont dit que ce film était trop déstructuré, au contraire : tout converge vers le même cœur, vers un même point, celui de Paris, celui de Pierre que sa maladie fait regarder et voir différemment les autres Parisiens dont il envie la possibilité de l’insouciance. Certains ont dit aussi que des personnages étaient « survolés » mais c’est le regard que Pierre porte sur eux : les imaginant plus ou moins bien et nous laissant aussi à nous la liberté d’’imaginer, de survoler leurs destins et Paris avec lui, bloqués dans notre fauteuil comme lui derrière sa fenêtre, prenant au sens propre l’expression « fenêtre ouverte sur le monde », sur la ville, sur la vie. Cette jubilatoire liberté laissée au spectateur  dans un cinéma condamné lui aussi à de plus en plus de conventions, de conformisme,  fait beaucoup de bien, cette responsabilisation et ce respect du spectateur, de son imaginaire aussi.

    Un film qui, par un montage astucieux,  nous parle d’ « histoires simples » et des « choses de la vie », de la vie trop pressée sur laquelle nous n’avons plus le temps de prendre de la hauteur pour en saisir le cœur, le sel de ses rencontres, d’histoires d’amours et de mort, célébrant la ville et la vie qu’elle incarne et contient, un film qui chante et danse la vie, qui  vous fera passer par un arc-en-ciel d’émotions, de lieux emblématiques et qui  vous procurera cette irrépressible envie de « donner une chance au hasard ». Alors n’attendez- plus un battement de cœur, prenez immédiatement un ticket pour Paris !

    Sandra.M

     

  • Avant-première - « Il y a longtemps que je t’aime » de Philippe Claudel : une peinture des âmes grises bouleversante

    65ac8f39ddfb68b4d2c7cd6960c52370.jpgHier matin avait lieu la projection presse d’ « Il y a  longtemps que je t’aime » de Philippe Claudel, à l‘UGC Normandie.

    Le film s’ouvre sur le regard bleu et absent et glacial de Kristin Scott Thomas (Juliette), ce regard qui va nous happer dans les abysses de ses douleurs et ses secrets et ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière seconde du film. Ses traits sont tirés, sa démarche maladroite, ses réactions sont brutales. Elle vient de sortir de prison après 15 ans d’enfermement.  15 années pendant lesquelles sa famille l’a rejetée. Sa jeune sœur, Léa (Elsa Zylberstein), vient la chercher pour l’héberger et l’accueillir chez elle auprès de son mari Luc (Serge Hazanavicius) et ses deux filles, adoptives (ce qui n’est évidemment pas anodin). L’une et l’autre vont alors reconstruire leur relation et reconstruire le passé, panser cette plaie à vif, ce gouffre béant. Juliette va devoir se faire « adopter ».

    78c6f923d22bbf6d767494e0cca2be92.jpgA la manière d’un tableau qui l’on jugerait rapidement, s’arrêtant à notre premier regard, vue d’ensemble imparfaite et simpliste et finalement rassurante dans nos certitudes illusoires, c’est d’abord le mal être, la violence des réactions de Juliette qui nous apparaît, filmée en plongée, si fragile, brisée par la vie, l’absence de vie. Le cinéaste distille les informations retenant judicieusement notre attention par cette soif de comprendre, accroissant notre curiosité pour cette femme aux contours de moins en moins flous mais de plus en plus complexes. On apprend ensuite qu’elle a commis l’impardonnable : elle a tué son enfant. Elle devrait être détestable mais l’humanité avec laquelle elle est filmée, son égarement, son mutisme obstiné sur les circonstances du drame, la violence des réactions qu’elle provoque suscitent notre empathie puis notre sympathie.  « Crime et châtiment ». Dostoïevski. (Probablement le livre le plus cité au cinéma, non ? Ici, aussi.) Le tableau nous apparaît d’abord très noir. Et puis les nuances apparaissent peu à peu. Juliette « Raskolnikov » s’humanise. Nous voyons le monde à travers son regard : faussement compassionnel,  un monde qui aime enfermer dans des cases, un monde qui juge sans nuances. Un monde dont Philippe Claudel, peintre des âmes grises (Juliette est d’ailleurs presque toujours vêtue de gris) et des souffrances enfouies, nous dépeint la cruauté et la fragilité avec acuité.

    123d0f153ac881bcd7bc96b0868d006a.jpgIl y a des films comme ça, rares, qui vous cueillent, vous embarquent, vous emprisonnent délicieusement dans leurs univers, douloureux et, puis, lumineux, dès la première seconde, pour ne plus vous lâcher.  C’est le cas d’ « Il y a longtemps que je t’aime », premier film en tant que réalisateur de l’auteur des « Ames grises » (Prix Renaudot 2003 adapté par Yves Angelo) et du « Rapport de Brodeck » qui a également signé le scénario.  La bienveillance de son regard sur ces âmes grises, blessées, insondables, parcourt tout le film. Tous ces personnages, libres en apparence, sont enfermés à leur manière : le grand-père muet à la suite de son accident cérébral est muré dans son silence, la mère de Juliette et Léa est enfermée dans son oubli après l’avoir été dans son aveuglement, le capitaine est enfermé dans sa solitude, Michel –Laurent Grévil- (un professeur qui enseigne dans la même faculté que Léa et qui va s’éprendre de Juliette) est enfermé dans ses livres, Léa est enfermée dans ce passé qu’on lui a volé, et Juliette est encore enfermée dans cette prison à laquelle on ne cesse de l’associer et la réduire. La caméra ne s’évade que très rarement des visages pour mieux les enfermer, les scruter, les sculpter aussi, les disséquer dans leurs frémissements, leurs fléchissements, leurs fragilités : leur humanité surtout. La ville de Nancy où a été tourné le film est quasiment invisible. Nous sommes enfermés. Enfermés pour voir. Pour distinguer les nuances, dans les visages et les regards. Comme cette jeune fille que Michel vient sans cesse voir au musée, enfermée dans son cadre, et qui ressemble à un amour déçu et dont il se venge ainsi parce qu’elle ne peut pas s’échapper. Nous ne pouvons nous enfuir guidés et hypnotisés par le regard captivant, empli de douleur et de détermination, de Juliette. Nous n’en avons pas envie.

    Ne vous méprenez pas, ne soyez pas effrayés par le sujet. Si le tableau est sombre en apparence, ses couleurs sont multiples, à l’image de la vie : tour à tour cruel, très drôle aussi, l’ironie du désespoir peut-être, l’ironie de l’espoir aussi,  les deux parfois (scène du dîner), bouleversant aussi, ce film vous poursuit très longtemps après le générique à l’image de la rengaine qui lui sert de titre.  Il est parfois plus facile de chanter ou d’esquisser que de dire. « Il y a longtemps que ».  Tout juste peut-on regretter que les traits de la personnalité du personnage de Luc ne soient qu’esquissés. (néanmoins interprété avec beaucoup de justesse par Serge Hazanavicius). Mais à l’image du verdict improbable, cela importe finalement peu.

    ef7396aca26c62ce0118fae3b1ff799a.jpgKristin Scott Thomas trouve là un personnage magnifique à la (dé)mesure de son talent, au prénom d'héroïne romantique qu'elle est ici finalement, aimant inconiditionnellement, violemment. A côté d’elle le jeu d’Elsa Zylberstein nous paraît manquer de nuances mais après tout la violence de la situation (le passé qui ressurgit brusquement) justifie celle de ses réactions.  Au contact l’une de l’autre elles vont reconstituer le fil de l’histoire, elles vont renaître, revivre, et illuminer la toile.

    Jusqu’à cet instant paroxystique où le regard, enfin, n’est plus las mais là, où des larmes sublimes, vivantes, ostensibles, coulent sur la vitre,  de l’autre côté, inlassablement, et les libèrent. Un hymne à la vie. Bouleversant. De ces films dont on ressort avec l’envie de chanter, de croquer la vie (dans le sens alimentaire et dans le sens pictural du terme) et la musique du générique, de Jean-Louis Aubert, achève de nous conquérir. Irréversiblement.

    Sortie  en salles : le 19 Mars 2008.  Ne le manquez surtout pas.

    Sandra.M

  • "Into the wild" de Sean Penn: une quête de vérité bouleversante

    f974babb100e87a39f2094f4bfe3ede1.jpgQuel voyage saisissant ! Quelle expérience envoûtante ! A la fois éprouvante et sublime. Je devrais commencer par le début avant d’en venir à mes impressions mais elles étaient tellement fortes que parmi toutes ces sensations puissantes et désordonnées suscitées par ce film, c’était ce qui prévalait, cette impression pas seulement d’avoir vu un film mais d’avoir effectué un voyage, un voyage en moi-même, et d’avoir vécu une véritable expérience sensorielle. Depuis que j’ai vu ce film, hier, il me semble penser à l’envers, du moins autrement, revenir moi aussi (plutôt, moi seulement, certains n’en reviennent pas) d’un voyage initiatique bouleversant.

    Mais revenons au début, au jeune Christopher McCandless, 22 ans, qui reçoit son diplôme et avec lui le passeport pour Harvard, pour une vie tracée, matérialiste, étouffante. Il décide alors de tout quitter : sa famille, sans lui laisser un seul mot d'explication, son argent, qu’il brûle, sa voiture, pour parcourir et ressentir la nature à pied, et même son nom pour se créer une autre identité. Et surtout sa vie d’avant. Une autre vie. Il va traverser les Etats-Unis, parcourir les champs de blé du Dakota, braver les flots agités du Colorado, croiser les communautés hippies de Californie, affronter le tumulte de sa conscience pour atteindre son but ultime : l’Alaska, se retrouver « into the wild » au milieu de ses vastes étendues grisantes, seul, en communion avec la nature.

    Dès les premières secondes la forme, qui attire d’abord notre attention, épouse intelligemment le fond. Des phrases défilent sur l’écran sur des paysages vertigineux, parce que ce sont les deux choses qui guident Christopher : l’envie de contempler la nature, de se retrouver, en harmonie avec elle et la littérature qui a d’ailleurs en partie suscité cette envie, cette vision du monde. Jack London. Léon Tolstoï.  Et en entendant ces noms, je commence à me retrouver en territoires connues, déjà troublée par ce héros si différent et si semblable. Influencé par Henry David Thoreau aussi, connu pour ses réflexions sur une vie loin de la technologie…et pour la désobéissance civile.

    Puis avec une habileté déconcertante et fascinante Sean Penn mélange les temporalités ( instants de son enfance, sa vie en Alaska, seul dans un bus au milieu de paysages sidérants de beauté) et les rencontres marquantes de son périple, les points de vue (le sien, celui de sa sœur), les fonctions de la voix off (lecture, citations, impressions)brouillant nos repères pour en créer d’autres, trouver les siens, transgressant les codes habituels de la narration filmique, s’adressant même parfois à la caméra, à nous, nous prenant à témoin, nous interpellant, nous mettant face à notre propre quête. De bonheur. De liberté. Et surtout : de vérité.

    Au travers de ces différentes étapes,  nous le découvrons, ainsi que ce qui l’a conduit à effectuer ce périple au bout de lui-même en même temps que lui chemine vers la réconciliation avec lui-même, avec son passé, avec son avenir. En phase avec l’instant, l’essentiel, le nécessaire. Un instant éphémère et éternel. Carpe diem. Au péril de sa vie, au péril de ceux qui l’aiment. Mais c’est sa vérité. Paradoxale : égoïste et humaniste. 

     Comme son protagoniste, la réalisation de Sean Penn est constamment au bord du précipice, à se faire peur, à nous faire peur mais jamais il ne tombe dans les écueils qu’il effleure parfois : celui d’un idéalisme aveugle et d’un manichéisme opposant la nature innocente et noble à la société pervertie. Non : la nature est parfois violente, meurtrière aussi, et sa liberté peut devenir étouffante, sa beauté peut devenir périlleuse. Et la mort d’un élan la plus grande tragédie d’une vie. De sa vie. La fin d’un élan, de liberté.

    « Into the wild » fait partie de ces rares films qui vous décontenancent et vous déconcertent d’abord,  puis vous intriguent et vous ensorcellent ensuite progressivement, pour vous emmener vous aussi bien au-delà de l’écran, dans des contrées inconnues, des territoires inexplorées ou volontairement occultées, même en vous-même. Avec le protagoniste, nous éprouvons cette sensation de liberté absolue, enivrante. Ce désir de simplicité et d’essentiel, cette quête d’un idéal. D’un chemin particulier et singulier ( C’est une histoire vraie, Christopher McCandless a réellement existé, son histoire a inspiré « Voyage au bout de la solitude » du journaliste américain Jon Krakauer) Sean Penn écrit une histoire aux échos universels . Un chemin au bout de la passion, au bout de soi, pour se (re)trouver. Pour effacer les blessures de l’enfance. Et pour en retrouver la naïveté et l’innocence.

    2H27 pour vivre une renaissance. Enfance. Adolescence. Famille. Sagesse. Au fil de ses rencontres, magiques, vraies, il se reconstitue une famille. Chaque rencontre incarne un membre de sa famille, l’autre, celle du cœur : sa mère, son père, sa sœur.  Sur chaque personnage Sean Penn porte un regard empli d’empathie, jamais condescendant  à l’image de cette nature. A fleur de peau. Sauvage. Blessée. Ecorchée vive.

    La photographie du célèbre et talentueux Eric Gautier révèle la beauté et la somptuosité mélancolique de la nature comme elle révèle Christopher à lui-même, confrontant l’intime au grandiose. La bande originale poignante  composée par Eddie Vedder du groupe « Pearl Jam » contribue à cette atmosphère sauvage et envoûtante, il a d’ailleurs obtenu le Golden Globe 2008 de la meilleure chanson. Et puis évidemment Emile Hirsch d’une ressemblance troublante avec Leonardo Di Caprio (Sean Penn avait d’ailleurs pensé à lui pour le rôle), par son jeu précis et réaliste, par sa capacité à incarner ce personnage à tel point qu’il semble vraiment exister, vibrer, vivre, mourir et renaître, sous nos yeux, est indissociable de la réussite de ce film.

    Avec ce quatrième long-métrage (après « The Indian Runner », « Crossing guard », « The pledge ») Sean Penn signe (il a aussi écrit le scénario) un film magistralement écrit, mis en scène (avec beaucoup de sensibilité, d’originalité et de sens) et mis en lumière, magistralement interprété, un road movie animé d’un souffle lyrique, un road movie tragique et lumineux, atypique et universel. 

     Vous ne ressortirez ni  indifférents, ni indemnes. Ce film va à l’essentiel, il vous bouscule et vous ensorcelle, il vous embarque bien au-delà de l’écran, dans sa quête d’absolu, de liberté, de bonheur. Un voyage aux confins du monde,  de la nature, un voyage aux confins  de l'être, de vous-même… Un film d’auteur. Un très grand film. D'un très grand auteur. Qui se termine sur des battements de cœur. Celui du héros qui renait. Au cœur de la vérité.

    Voilà qui est de très bon augure pour ce 61ème Festival de Cannes dont Sean Penn présidera le jury. De belles surprises en perspective…

    Sandra.M

  • « Vous êtes de la police ? » de Romuald Beugnon : comédie policière tendrement caustique

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     Un inspecteur de police à la retraite, Simon, (Jean-Pierre Cassel) n’apprécie pas mais alors pas du tout d’être placé (de force, par sa fille, parce que vous en connaissez, vous, dont le rêve est de couler des jours maussades en maison de retraite ?) dans une résidence pour personnes âgées, encore moins quand la chambre proprette individuelle se transforme en « colocation » exiguë avec un vieillard gâteux. Dès son arrivée, Simon se lie d’amitié avec un autre « résident », Alfred, (Jean-Claude Brialy) l’ancien propriétaire des lieux dont la jovialité contraste avec la lassitude de la plupart des pensionnaires. Ce dernier décède dans des circonstances apparentées à un accident par la police et la direction de l’établissement. Mais Simon, seul témoin de « l’accident », persuadé qu’il s’agit d’un meurtre, décide de mener l’enquête avec l’aide de Francky, (Philippe Nahon) un autre pensionnaire aux allures de rocker adepte du karaoké (tiens, ça me rappelle quelque chose), et cleptomane. Les suspects ne sont autres que les pensionnaires : de la pimpante Jane Latour-Jackson ( Micheline Presle) à la directrice de l’établissement, Monique Laval (Marilyne Canto).

    Ce film a suscité une curiosité à quatre titres  ( la mienne en tout cas, celle des médias étant malheureusement, souvent, limitée, cadenassée, orientée vers ce qui rentre dans des cases, ce qui n’est pas le cas de ce film joyeusement hybride) tout d’abord parce qu’il s’agit ici du premier long métrage de Romuald Beugnon qui avait réalisé le sarcastique et tendre, émouvant et cruel « Béa » largement et justement primé dans de nombreux festivals et notamment au Festival du Film Romantique de Cabourg 2006, notamment pour les interprétations remarquables des deux interprètes Thérèse Roussel et Aymeric Cormerais. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une « comédie policière », genre périlleux et singulier. Egalement parce que les protagonistes sont des personnes âgées et que le cinéma, de plus en plus aseptisé et contraint à la frilosité, rechigne de plus en plus à filmer des visages ridés et las,… d’ailleurs pas forcément : débonnaires, malicieux,  aussi, parfois. Enfin, parce que c’est le dernier film de deux grands acteurs avec lesquels tout un pan de l’Histoire du cinéma français semble avoir disparu, emportés avec et par une « nouvelle vague » : Jean-Pierre Cassel et Jean-Claude Brialy.

    Avant tout c’est un film inclassable (et j’adore ce qui n’est pas classable, identifiable, résumable à un qualificatif insipide rassurant dans le journal tv.) :

    - Cela pourrait être seulement une chronique sociale, une vision personnelle, tendre et acerbe des maisons de retraite pudiquement appelées résidences, un portrait tendrement irrévérencieux des personnes âgées trop souvent cantonnées aux rôles secondaires ou à la figuration, bref à être juste tolérées. Il va bien falloir : vous allez être « enfermés » avec eux le temps du film, mais attendez, ne fuyez pas, c’est jubilatoire, inattendu, réjouissant.

    Le soir, les « résidents » sont en effet enfermés à clef dans leurs chambres, Francky chante le pénitencier lors du karaoké, seule réjouissance hebdomadaire, avec un enthousiasme débordant, à la fois ridicule et émouvant: la « pension » est parfois assimilée à une prison par ses pensionnaires  souvent infantilisés par le personnel dont Yolande Moreau, d’ailleurs parfaite dans son rôle d’infirmière mielleuse et autoritaire. Cette prison pour personnes âgées semble avoir emprunté son architecture carcérale à « Playtime » de Tati et « Vertigo » d’Hitchcock, à la fois absurde et inquiétante, rectiligne et circulaire.

    -Cela pourrait être seulement une comédie.  Derrière l’humour, savoureusement noir et réjouissant, et les dialogues, caustiques et cinglants (« Les vieux c’est l’avenir ») pointe la tendresse et derrière la tendresse, l’humour noir. L’un et l’autre affleurent constamment pour ne pas tomber dans la caricature, dans la comédie outrancière ou le  mélo pathétique. Un humour grinçant, oui mais mine de rien. Avec le sourire, l’élégance et la politesse du désespoir de Jean-Pierre Cassel.  Entre rire et émotion, toujours,  une scène emblématique de déclaration d’amour au karaoké (j’ai remarqué que dans tout bon film, ou presque, il y a une scène de chanson !) glisse subtilement du ridicule et du rire à l’émotion à l’enquête policière, une scène qui résume parfaitement ce film atypique et multiple.

    80fd1e2e5f8fe4e0e7c6e0be0faa324e.jpg-Cela pourrait être seulement un film policier inspiré d’Agatha Christie, avec Jean-Pierre Cassel en Hercule Poirot en fauteuil roulant. D’ailleurs la référence est clairement assumée avec une affiche qui rappelle étrangement celle du dernier film de Pascal Thomas « L’heure zéro », adaptation d’Agatha Christie. Romuald Beugnon lorgne pourtant davantage du côté de Claude Chabrol que de celui de Pascal Thomas : d’abord par le mélange d’humour noir, de comédie, de critique sociale (la présence du François du « Beau Serge » n’est peut-être pas étrangère à tout ça…) et par l’attention portée aux acteurs dont le jeu n’est pas  comme chez Pascal Thomas volontairement « faux » ou outrancier.

    C’est donc tout cela à la fois, un film de genre : critique sociale, film policier, comédie, film noir même (avec son incontournable femme fatale en la personne de Micheline Presle, toujours aussi étonnante !). Où les personnes âgées ne sont pas des boulets inanimés mais des êtres de chair (un peu), d’os (bon d’accord, beaucoup) et de sang (ici, aussi) qui aiment, trahissent, critiquent, 4cbaa14e67b3320be644737fcce1a2d8.jpgantipathiques, ou sympathiques, ambivalents, malicieux, sournois, calculateurs mais finalement toujours attendrissants. Comme dans « Béa » les comédiens (parfois non professionnels, ici) sont savamment choisis et témoignent d’une direction d’acteurs attentive : Micheline Presle est rayonnante, espiègle et aussi séduisante que séductrice, on retrouve avec plaisir Thérèse Roussel dans une scène savoureuse  de chamaillerie pour vol de vernis à ongle, et surtout Philippe Nahon, dans un rôle inhabituel, attachant, d’une force comique inattendue exacerbée par son costume et sa dégaine improbable et ses « sales » manies (le karaoké, la cleptomanie), lequel a d’ailleurs remporté un prix d’interprétation au Festival de Saint-Jean de Luz 2007.

    Comme dans « Béa » ce sont les personnes âgées qui ont le dernier mot, le dernier regard, qui mènent la danse, endiablée. Loin de l’infantilisation, la victimisation à laquelle on veut les réduire, ils  prennent le pouvoir pour notre plus grand plaisir ! C’est finalement un film très malin qui nous amuse et nous captive tout en nous faisant réfléchir, qui fait oublier l’âge des protagonistes par leur fantaisie et leurs envies : de vivre, de plaire, de s’amuser. Et qui nous les rappellent. Mine de rien, encore.

    Quant à Jean-Pierre Cassel et Jean-Claude Brialy, on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise surtout quand ce dernier se voit gratifié d’un « va mourir » par un des pensionnaires, ce qu’il fait dans le film… Ironie cruelle du destin et de la fiction.

    Donc irrévérencieux, ludique, tendrement cruel, réjouissant et drôle : soyez de la police avec Romuald Beugnon chanteur (un tout tout petit peu), magicien (beaucoup) et metteur en scène et directeur d’acteurs (passionnément!). Les frères Dardenne (qui coproduisent le film) ne s’y sont pas trompés…

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    Le film vu hier à Paris n’y est plus projeté et ne passe malheureusement plus que dans 12 salles en province…

    Sites officiels:

    -Site officiel du film: http://www.vousetesdelapolice-lefilm.com/

    Journal du film: http://romualdbeugnon.com/blog/

    Sandra.M