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Albert Dupontel

  • Critique de SECOND TOUR d’Albert Dupontel (au cinéma le 25 octobre 2023)

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    Alain Cavalier (Pater), Bertrand Tavernier (Quai d’Orsay), Pierre Scholler (L’exercice de l’Etat), Xavier Durringer (La Conquête), Anne Fontaine (Présidents), Nicolas Pariser (Alice et le Maire)…Ces dernières années, nombreux sont les cinéastes à avoir placé la politique française au cœur des intrigues de leurs films, très réussis pour la plupart. Ce nouveau long-métrage, abordant lui aussi ce sujet, était-il nécessaire ? Sans aucun doute, car Albert Dupontel y apporte son ton si singulier, faussement naïf (à l’image de son héroïne incarnée ici par Cécile de France). Après Adieu les cons (sorti en 2020) qui récolta 7 César dont celui de meilleur film, avec ce huitième long-métrage dédié à Bertrand Tavernier, Jean-Paul Belmondo et Michel Deville, Albert Dupontel revient avec une fable, tragicomique et réjouissante, aux frontières de l’absurde.

    Journaliste politique en disgrâce placée à la rubrique football, Mlle Pove (Cécile de France) est sollicitée pour suivre l’entre-deux tours de la campagne présidentielle. Le favori est Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel), héritier d'une puissante famille française et novice en politique. Troublée par ce candidat qu'elle a connu moins lisse, Mlle Pove se lance dans une enquête aussi étonnante que jubilatoire, aidée de son cameraman Gus (Nicolas Marié).

    Albert Dupontel raconte que l’idée de ce film lui est venue en voyant le documentaire Bobby Kennedy for president consacré à la campagne de ce dernier en 1968, et à son issue tragique, s’étant demandé ce qu’il serait advenu « si Robert Kennedy n’avait rien dit de ses véritables intentions politiques et sociales », ajoutant que « quelques semaines avant son assassinat, Romain Gary l’avait averti « Est-ce que vous vous rendez compte qu’ils vont vous tuer ? ». Robert Kennedy avait répondu qu’il le savait. Cette détermination à la fois héroïque et résignée a été le point de départ de mon personnage imaginaire Pierre-Henry Mercier. »

    Citant Balzac, « la réalité, on l’exprime ou on la restitue », Albert Dupontel explique que depuis des années il ne cherche qu’à exprimer la réalité, et non à la restituer. C’est donc par le prisme du conte contemporain que Dupontel dissèque ici le cynisme des politiques et journalistes de notre époque auquel il oppose une réconfortante utopie dans laquelle les enjeux environnementaux seraient pris à bras-le-corps. Mais cette utopie, dans une époque où le cynisme et l’individualisme règnent, doit avancer masquée. Le double (le masque) est d’ailleurs au centre de ce film comme le laisse entendre malicieusement son titre.

    La grande force du film, outre les dialogues percutants, c’est indéniablement sa distribution, Dupontel en tête, qui montre ici de multiples facettes (et même la dualité) de son talent, mais aussi Cécile de France, toujours aussi juste, que ce soit dans un film de Mouret, Giannoli ou Dupontel, au rythme et au phrasé pourtant si différents. Déterminé, rebelle et intrépide, son personnage est avant tout intéressé par la quête de la vérité, quel qu’en soit le coût pour sa carrière. Elle forme un duo attendrissant et désopilant avec Nicolas Marié, au jeu si expressif dans l’interprétation du naïf et optimiste Gus, passionné de foot qui en fait même une référence en tous domaines. Un tandem complémentaire qui donne lieu à un comique de répétition, sacrément efficace.

    L’intrigue est magnifiée par les envolées formelles de la caméra de Dupontel, le montage de Christophe Pinel, la musique de Christophe Julien et par la photographie du chef opérateur Julien Poupard dont la lumière « radicale » inonde la nature (comme ce plan lyrique d’un aigle majestueux qui virevolte avant de plonger) en opposition avec la lumière de faible intensité, à la limite de l’obscurité, qui environne les personnages, et leur entourage souvent flou, dans les bureaux ou dans le « jeu »politique ou social.

    Même si ce film est sans doute le plus policé de Dupontel, ses thèmes de prédilection, comme celui de l’enfant rejeté par la société devenant un adulte plutôt ordinaire avant que son destin ne se et ne le révèle extraordinaire, sont bien présents, comme l’explique lui-même le cinéaste : « je raconte toujours les mêmes histoires, les enfants qui courent après les parents, les parents après les enfants, les enfances traumatisées… ».

    Un film salutairement candide, au rythme trépidant, au scénario brillamment dichotomique, entre fable, comédie et thriller politique, bercé de nobles références dans divers domaines (de Médée à Pakula, de Chaplin à Gilliam ou Pollack), tantôt tendre, tantôt cynique, porté par l’utopie de la prise de conscience de l’urgence écologique que résume parfaitement cette citation de Hannah Arendt employée par Dupontel dans le dossier de presse : « Je me prépare au pire en espérant le meilleur. »  

     

  • "Deux jours à tuer" de Jean Becker : un coeur en hiver?

    632472823.pngC’est toujours difficile de parler d’un film quand on en sort à peine (à peine parce que ce film me hante encore une journée après l’avoir vu), parce que l’émotion l’emporte et anéantit la distance que nécessite l’analyse. Mais quelles que seront mes critiques ultérieures, le résultat est là : je suis ressortie bouleversée de ce film et sa première partie m’a donnée la sensation d’être avec Dupontel, au bord de l’abyme, le souffle coupé, à bout de souffle même, glacée par ses vérités cinglantes et poignantes, en empathie avec son égarement, sa sincérité hurlée, criante, violente, désarmante.  Et à l’image des spectateurs de la salle dans laquelle j’ai vu ce film, j’ai été incapable de partir avant la dernière ligne du générique de fin, avant la dernière note de la chanson de Reggiani, dernières vibrantes, résonantes (raisonnantes aussi) répliques du film : « Le temps qui reste »...

    D’abord, je trouve que la présentation de ce film (qui est une adaptation du roman éponyme de François d’Epenoux) relève du malentendu. Le pitch officiel est le suivant : Antoine Méliot (Albert Dupontel), la quarantaine, a tout pour être heureux : une belle épouse (Marie-José Croze), deux enfants adorables, des amis sur lesquels il peut compter à tout instant, une jolie demeure dans les Yvelines et de l'argent. Mais un jour, il décide de tout saboter en un week-end : son bonheur, sa famille, ses amis (Christiana Réali, Claire Nebout, François Marthouret...). Que s'est-il passé chez cet homme pour qu'il change si étrangement de comportement ? Or, l’intérêt, contrairement à ce que laisse croire ce pitch, ne réside nullement dans les causes du comportement d’Antoine dont la simple question à ce sujet induit la réponse et que le scénario laisse apparaître avec évidence dès ses premières minutes. Non, l’intérêt n’est pas là.  L’intérêt est dans son comportement et ses manifestations et les réactions qu’il engendre, dans la tension qui nous emprisonne, nous renvoie à nos propres vérités, notre propre urgence, notre propre temps à vivre. Ou tuer.

     Le premier plan avec Dupontel nous le montre en ville, à Paris, une ville grouillante, pressée de vivre ou plutôt d’oublier qu’elle existe ou qu’elle existe mal. Sa femme le charge d’aller chercher sa belle-mère à la clinique.  Il est odieux avec cette dernière, ou honnête : c’est selon.  Il faut dire que la belle-mère en question est plutôt capricieuse et n’inspire guère la sympathie. Il agit de même à son travail,  ridiculisant le produit qu’il est censé faire vendre (il est publicitaire). Il faut dire que ses collaborateurs et clients apparaissent aussi stupides que sinistres (et donc nous prenons fait et cause pour Dupontel, déjà) : l’univers de la publicité, et le mercantilisme et le cynisme qu’il sous-tend, n’a pas été choisi par hasard. La caméra vacille légèrement (mais déjà beaucoup pour un film de Becker qui nous a habitués à des plans impeccablement léchés), la caméra est au plus près des visages pour les mettre à nu, les décontenancer, à portée du regard si puissant et déstabilisant de Dupontel. La tension monte  d’un cran lors d’une scène très réussie avec Marie José-Croze, son épouse qui se croit trompée, par leur fébrilité, les non-dits, la violence, le jeu ciselé des deux comédiens. Puis elle culmine lors d’une scène de repas d’anniversaire où Antoine dit tout haut ce qu’on devrait, ou ce que les conventions, le souci du lendemain, veulent qu’on se contente de penser tout bas : il vilipende par des répliques assassines l’hypocrisie sociale, il se moque de la bonne conscience humanitaire, ironise sur les clichés de langage (une convive, Bérengère la bien nommée, ne manque pas de dire que « L’argent ne fait pas le bonheur » et je vous laisse découvrir la réplique d’Antoine savoureusement cruelle), le matérialisme, sans oublier que, au lieu de faire un sourire hypocrite ou sincèrement touché devant les dessins que ses enfants lui ont fait pour son anniversaire, il n’oublie pas de préciser que les avions ne peuvent pas voler avec des ailes en bas comme son fils le lui a dessiné et qu’anniversaire prend deux n et non un seul comme sur le dessin de sa fille. Aussi odieux soit-il, on demeure finalement en empathie avec lui. Sa férocité apparait en effet comme le masque de ses fêlures. (Un peu comme le personnage incarné par Isabelle Adjani dans « L’été meurtrier ») et ses amis apparaissent apathiques, antipathiques, délibérément caricaturaux (la bourgeoise en panthère qui donne à des œuvres de charité pour se donner bonne conscience ou qui se sent soudain concernée par l’immigration parce qu’il s’agit d’une de ses employées).

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     Dès les premières minutes, nous sommes embarqués avec Dupontel qui semble diriger le film (autant que Jean Becker) avec son regard puissant, glacial et chaleureux à la fois qui, tel un gouffre obscur et mystérieux, capte notre attention avec une force et même une virulence inouïe ne nous laissant pas une seconde, nous captivant, nous hypnotisant et désarçonnant à la fois. Cette violence, essentiellement verbale, mais pas seulement, nous déroute, d’autant plus que c’est très inattendu chez Jean Becker, cinéaste habituellement très classique dans le fond comme dans la forme… et non moins talentueux. (A moins qu’on ne considère le classicisme comme un défaut).

    La seconde partie très « Et au milieu coule une rivière » (en Irlande, dans la région des lacs du Connemara) contraste avec la première avec la lumière presque onirique des paysages irlandais, l’hymne à la nature ( je décompte pas moins de trois chiens, je n’ai pas eu le temps de compter les moutons:-) ), au plus près de la vérité, où il se retrouve seul avec son père (Pierre Vaneck), ou presque : aussi avec les démons, les blessures du passé, malgré le silence qui ne fait pas tomber la tension. Là, on retrouve les thèmes de prédilection de Jean Becker : la pêche (« Les Enfants du marais »), les souvenirs d’enfance, la figure paternelle ("Elisa")... et on se dit que la fin (morale) justifiera sans doute les moyens (en apparence immoraux ou du moins amoraux), comme toujours chez Jean Becker.

    1914391729.jpg Dupontel a dit plusieurs fois que « Deux jours à tuer » était un « Sautet qui dérape ». Je ne suis pas tout à fait d’accord, je crois même que dans Sautet il y a toujours un personnage qui dérape (Nelly-Emmanuelle Béart- lorsqu’elle dit ses 4 vérités à M.Arnaud dans « Nelly et M.Arnaud », Camille -Emmanuelle Béart- qui folle de passion  se jette au cou de Stéphane-Daniel Auteuil- dans « Un cœur en hiver », ou François-Michel Piccoli- dans « Vincent, François, Paul et les autres »,  qui explose dans une autre mémorable scène de repas etc )et surtout que Becker ne dérape  pas tant que ça ou alors  pour mieux revenir dans le rang.  

    Si j’analyse objectivement en essayant de mettre de côté l’émotion qu’il a provoqué, ce film a un défaut majeur : son dénouement trop didactique (le plan prémonitoire de Dupontel dans l’herbe me paraît intéressant dans sa singularité et perdre son intérêt, si ce n’est celui d’accroître son aspect mélodramatique, dans la répétition) qui rend ce film très politiquement correct en quelques secondes annihilant tout l’aspect aussi violent, jubilatoire, décalé de ce qui précède. Ainsi, chaque acte se trouve finalement justifié : il est désagréable avec les enfants (cruauté et tabou suprêmes semble-t-il) mais ensuite il vient s’excuser. Et toutes les personnes avec lesquelles il est odieux ne sont pas éminemment sympathiques ni éminemment intelligentes, à l’exception de sa femme (d’ailleurs interprétée avec beaucoup de justesse par Marie-José Croze dont la douceur du regard accentue encore l’obscurité de celui d’Antoine) mais il a là aussi la meilleure des raisons, très noble, l’antihéros devenant alors un héros sacrificiel.

    Nous nous souvenons alors que nous ne sommes pas chez François Ozon , Claude Chabrol ou Dominique Moll  (même si nous avons pu le croire une longue et jubilatoire partie du film), Becker a préféré faire d’Antoine un héros, signer une histoire d’amour qu’une pure chronique sociale désenchantée et cynique : le film acerbe se révèle alors acidulé.   Passée ce qui n'est pas une surprise mais pourrait être une déception (En est-ce finalement une ? Becker est juste resté fidèle à lui-même, à son univers, tout en sachant faire un dérapage contrôlé et une incursion dans un ton plus inhabituel qui sonne néanmoins juste, la caricature de certains personnages étant ici assumée et même justifiée), reste surtout l’émotion qui nous cueille, nous saisit, nous secoue -à moins d’être léthargiques et/ou blasés et/ou cyniques- malgré les fils blancs, restent des scènes d’une force incontestable, un rôle principal saisissant magistralement habité par Albert Dupontel : une histoire de temps à vivre et de temps à tuer, une histoire d’amour poignante malgré (et grâce à ) ses contradictions.

    Vous ne ferez pas que tuer le temps en allant voir ce film qui prend aux trippes, vous en gagnerez, vous prendrez conscience du poids de chaque seconde, incités au "carpe diem", c’est certes un lieu commun et un cliché cinématographique mais quand c’est fait avec autant d’application, de sincérité,  j’assume que mes émotions l’emportent sur des critiques et réserves objectives et je vous recommande vivement de voir ce film. Alors, à bout de souffle, certes. Mais un magistral souffle de vie. Et on n’en a jamais trop…

    Sandra.M

  • « Paris » de Cédric Klapisch : fenêtre ouverte sur la vie

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    Moi que Paris fascine, émerveille, éblouit, intrigue toujours autant, ville lumière parfois sombre, inquiétante ou majestueusement mélancolique, dans laquelle je déambule inlassablement rêveusement à imaginer toutes les histoires qu’elle recèle ou que ses habitants véhiculent, moi qui, comme tout Parisien, d’adoption ou non, ai mon Paris idéal, idéalisé probablement aussi, quelque part sur la rive gauche, entre les Bouquinistes des Quais de Seine et la fontaine Médicis du Luxembourg,  j’en attendais évidemment beaucoup de ce pari audacieux : celui d’intituler immodestement un film Paris et de consacrer un film à cette ville mythique. Claude Lelouch avait voulu célébrer les Parisiens dans le film éponyme et c’est aussi aux destins qui tissent leurs toiles dans Paris que s’intéresse Cédric Klapisch dans ce film choral, sublimant et confrontant l’éphémère dans la ville éternelle. Des destins d’abord présentés comme autant de quartiers épars. Des destins vus ou entrevus ou même imaginés peut-être par Pierre (Romain Duris) qui, atteint d’une maladie cardiaque, ne sachant pas s’il va survivre, porte un regard neuf et différent sur Paris et ceux qui s’y croisent, s’y manquent, du haut de son balcon démiurgique qui surplombe la capitale. Chacun devient le héros des histoires qu’il s’invente, sorte de double de Klapisch scénariste car que fait d’autre le scénariste que de faire des gens qu’il croise, connaît ou devine, les héros d’histoires qu’il s’invente ?

    56b44edd7f3bbd91f43fb5d03fad07a7.jpg Dans son Paris à lui se trouvent des personnages dont les définitions ressemblent parfois à des pléonasmes : il y a des maraîchers amoureux (Albert Dupontel, Julie Ferrier, Gilles Lellouche, Zinedine Soualem), une boulangère dont le sourire commercial dissimule à peine ses lieux communs et préjugés (Karin Viard), une assistante sociale en mal d’amour(Juliette Binoche), un architecte « trop normal » (François Cluzet), un SDF malmené, un prof de fac en pleine crise existentielle (Fabrice Luchini) amoureux d’une étudiante (Mélanie Laurent), une mannequin superficielle (Audrey Marnay), un clandestin camerounais qui rêve de l’image d’Epinal de Paris, là-bas, si loin… Rien ne les rassemble a priori si ce n’est cette ville, les ramifications du destin, telles des lignes de métro qui de toute façon finissent en un même point : le cœur. Tous les chemins mènent au cœur de Paris. Le cœur, justement, celui qui menace de lâcher à tout instant, cœur de Pierre. L’éphémère face à l’éternel. L’insignifiant face à l’essentiel. La vie face à la mort. La ville vue par le prisme d’un condamné à mort : une ville dont le cœur bat, insouciante, une ville qui vibre, qui danse, une ville de tous les possibles, une ville et une vie où rien n’empêche personne de « donner une chance au hasard », de faire valser les fils du destin comme il le fait du haut de son balcon.

    Peut-être vous direz-vous qu’il s’agit là d’un énième film choral parisianiste. Et vous auriez tort. Klapisch a un ton et surtout un regard sensibles et particuliers qui font de chaque instant des moments imprévus qui arrêtent le temps, suspendent les battements du cœur pour nous donner envie de saisir l’impalpable magie de l’instant de Paris, dans Paris, de profiter de l’instant, un instant où tout peut basculer : du rire aux larmes, de la vie à la mort, du sentiment d’éternité à celui de l’éphémère. Deux scènes en sont ainsi emblématiques reflétant l’ambivalence humaine que Klapisch, fin observateur, insuffle à ses personnages : une scène où Fabrice Luchini face à son psychanalyste interprété par Mauriche Bénichou passe de la désinvolture aux larmes, une scène où la maraîchère (Julie Ferrier)  passe en une fraction de seconde de la légèreté au malaise…et nous avec eux.

     Paris est aussi la cinquième collaboration de Cédric Klapisch avec Romain Duris (après « Le péril jeune », « Chacun cherche son chat », « L’Auberge espagnole », « Les poupées russes »), lequel Romain Duris incarnait également le personnage principal d’un autre film consacré à Paris « Dans Paris » de Christophe Honoré. Romain Duris nous fait oublier son personnage de Xavier dans "L'Auberge espagnole" et "Les Poupées russes" et il incarne ici avec beaucoup de retenue et de justesse ce danseur condamné à voir et imaginer la vie danser sous ses pieds immobilisés, sous son regard que l’imminence probable de la fin rend si clairvoyant. . C’est en effet aussi un film sur le regard, sur les « choses cachées derrière les choses », derrière le regard pressé et imprécis et catégorique du Parisien, de sa hauteur il voit ce que les autres ne savent plus regarder comme la dérision de l’involontaire cruauté d’assistants sociaux débordés par leur propre détresse qui ne voient plus celle des autres alors que c’est pourtant leur métier, ou l’égarement soudain d’un homme qui ne sait plus voir la détresse de son frère qu’il s’était toujours satisfait d’imaginer si heureux.

    2fa0c954086ed3f8f2bae4d11153ea08.jpg Karin Viard est parfaite dans le rôle de la boulangère en veste pied-de-poule et col roulé, avec ses bijoux et ses réflexions d’un autre âge, Fabrice Luchini aussi en historien amoureux égaré, Julie Ferrier aussi en maraîchère éprise de liberté, en fait il faudrait citer toute la distribution : François Cluzet,  Albert Dupontel, Zinedine Soualem, Mélanie Laurent, Juliette Binoche évidemment. Un casting impeccable, en tout cas une direction d’acteurs irréprochable.

    Des pléonasmes, des clichés sans doute mais pour mieux s’en départir ensuite ou pour apporter une dose de comédie salutaire (par le personnage de Karin Viard par exemple) dans cette histoire qui vous donnera envie de rire, pleurer, qui vous déstabilisera aussi, un melting pot émotionnel à l’image de Paris et de ses habitants.

    Certains ont dit ou diront que c’est là et seulement une image d’Epinal mais Cédric Klapisch, jamais dupe,  s’en moque en passant aux images virtuelles par exemple (et se moque ainsi de l'idée imaginaire, aseptisée de Paris), en faisant de Luchini un historien qui fait visiter la capitale de lieux méconnus en lieux touristiques par excellence, ou encore par le personnage du Camerounais qui balade avec lui cette image d’Epinal de Paris, au sens propre comme au sens figuré. Ou en nous montrant un chauffeur de taxi acariâtre (je vous assure, ce n’est pas qu’un cliché…), symbole d’un parisien mécontent. Certains encore (les mêmes, allez savoir) ont dit que ce film était trop déstructuré, au contraire : tout converge vers le même cœur, vers un même point, celui de Paris, celui de Pierre que sa maladie fait regarder et voir différemment les autres Parisiens dont il envie la possibilité de l’insouciance. Certains ont dit aussi que des personnages étaient « survolés » mais c’est le regard que Pierre porte sur eux : les imaginant plus ou moins bien et nous laissant aussi à nous la liberté d’’imaginer, de survoler leurs destins et Paris avec lui, bloqués dans notre fauteuil comme lui derrière sa fenêtre, prenant au sens propre l’expression « fenêtre ouverte sur le monde », sur la ville, sur la vie. Cette jubilatoire liberté laissée au spectateur  dans un cinéma condamné lui aussi à de plus en plus de conventions, de conformisme,  fait beaucoup de bien, cette responsabilisation et ce respect du spectateur, de son imaginaire aussi.

    Un film qui, par un montage astucieux,  nous parle d’ « histoires simples » et des « choses de la vie », de la vie trop pressée sur laquelle nous n’avons plus le temps de prendre de la hauteur pour en saisir le cœur, le sel de ses rencontres, d’histoires d’amours et de mort, célébrant la ville et la vie qu’elle incarne et contient, un film qui chante et danse la vie, qui  vous fera passer par un arc-en-ciel d’émotions, de lieux emblématiques et qui  vous procurera cette irrépressible envie de « donner une chance au hasard ». Alors n’attendez- plus un battement de cœur, prenez immédiatement un ticket pour Paris !

    Sandra.M