Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mausolée

  • « Mausolée » de Rouja Lazarova - (Sélection prix littéraire des lectrices de Elle 2010)

    elle35.jpg
    mausolée.jpg

    Je poursuis aujourd'hui mes critiques des livres que je reçois dans le cadre de la sélection pour le prix littéraire des lectrices de Elle 2010 avec aujourd'hui, dans la catégorie roman, « Mausolée » de Rouja Lazarova, mon premier vrai coup de cœur de cette sélection, sans doute aussi un roman qui ferait un excellent film et qui est avant tout un édifiant et passionnant document sur la vie sous la dictature communiste en Bulgarie (même si l'histoire est une fiction, l'Histoire, elle, est bien réelle).

    Bulgarie 1944-1990. Un demi-siècle de communisme, de peurs et de trahisons, quand se taire devient le mot d'ordre de la survie. Gaby, sa fille Rada et sa petite-fille Milena survivent. Mais elles disent aussi leur haine du régime et rient de ses absurdités. En même temps que la peur, elles se transmettent le désir de révolte...

    Né en Bulgarie communiste, Rouja Lazarova vit en  France depuis 1991. « Mausolée » est son quatrième roman.

    Le Mausolée, c'est l'emblème du communisme bulgare, gigantesque et incontournable, situé en plein centre de Sofia, construit en 1954 et abritant le corps embaumé du dictateur  Gueorgui Dimitrov, « le père de la Nation ».   C'est le symbole de la dictature, de l'Etat omniprésent qui écrase l'individu. 

    Rouja Lazarova a commencé à écrire ce roman pour exprimer à ses amis la douleur vivace que représentaient pour elle les termes de « communisme » et « socialisme », là « où le rouge avait une signification mortifère », des termes  qui représentaient a contrario de belles et nobles idées en France...  Elle nous emmène de l'autre côté du rideau de fer et entremêle violence et douceur, ironie tendre et glaciale pour décrire ce quotidien de révolte sourde et de soumission révoltante.

     Le roman commence par l'arrestation de Sacho dont une place commémore ainsi le souvenir : « Arrêté pour une blague, mort dans le camp de concentration de Béléné, en mars 1964. » Là pourrait être résumée toute l'absurdité effroyable de ce régime que décrit Rouja Lazarova à travers le destin de ces trois femmes et de ceux qui ont croisé leurs routes. Le sentiment d'oppression mais aussi de culpabilité se transmettra d'une génération à l'autre : la culpabilité de la mort de Peter, fusillé en 1946 ; la culpabilité  de n'avoir pu résister ou s'opposer davantage ; la culpabilité d'une mère pour avoir dû se taire pour protéger sa fille plutôt que de résister ;  la culpabilité de n'avoir pas vécu cette histoire.

     Chaque page démontre cette absurdité révoltante devant laquelle il faut se soumettre parce que la délation est une menace constante, rampante, suffocante ; parce que des musiciens de jazz sont des « ennemis du peuple » ; parce qu'un foulard bleu et rouge mal noué autour du cou d'une écolière peut vous faire suspecter ; parce que tout, tout le temps, tout acte ou toute parole peuvent être interprétés et dénoncés comme signes d'opposition au régime. Les individus sont méprisés pour n'être plus que les éléments d'un tout omniscient et omnipotent : l'Etat communiste. Malgré ce quotidien asphyxiant, ces journées sombres, de rares rayons de soleil parviennent à percer. Rouja Lazarova les décrit avec une belle mélancolie.

    Judicieuse idée que celle de montrer les répétitions kafkaïennes du régime à travers les destins de ces trois femmes dont les drames, les douleurs se répètent même si « la répétition la plus soigneusement orchestrée finit par s'épuiser ; les échos perdent de leur force, les refrains se déforment ». Par une écriture pudique et précise, par cette habile construction narrative qui entremêle les époques pour insister sur la répétition, Rouja Lazarova souligne subtilement cette horreur lancinante qui écrasait toute tentative de parole, de bonheur ou de liberté.  

    Et puis arrivent le 9 novembre 1989, et plus tard, la destruction du mausolée et à ce grisant mais aussi insaisissable sentiment de liberté succèdent les désillusions, les nouvelles constructions qui ressemblent à des destructions, l'hypocrisie face à un passé nié et exploité, les profiteurs, les criminels, une nouvelle cruelle réalité à laquelle il faut faire face et un passé qu'il faudra tant d'années pour que ses terribles mystères commencent à être dévoilés.

    Avec ce livre, Rouja Lazarova construit son propre « mausolée » poignant, passionnant, nécessaire et apporte ainsi une mémoire, une dignité, une parole à ceux qui en ont tant été privés.