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  • Festival de Cannes 2022 - Compétition officielle - Critique de TORI ET LOKITA de LUC DARDENNE et JEAN-PIERRE DARDENNE

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    « Notre plus cher désir est qu’à la fin du film le spectateur et la spectatrice qui auront ressenti une profonde empathie pour ces deux jeunes exilés et leur indéfectible amitié, éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés » ont ainsi déclaré Luc et Jean-Pierre Dardenne à propos de ce film. L’empathie ressentie par le spectateur pour leurs personnages est en effet un des points communs de leurs films, dont nombreux sont ceux qui furent projetés et récompensés à Cannes : Grand prix ex-aequo pour Le gamin au vélo en 2011, Prix du scénario pour Le silence de Lorna en 2008, palme d’or pour L’enfant en 2005, palme d’or remise à l’unanimité pour Rosetta en 1999.

    Ce nouveau film nous emmène en Belgique à la rencontre de Tori (Pablo Schils) et Lokita (Mbundu Joely), un jeune garçon et une adolescente venus seuls d’Afrique qui opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.

    Les deux jeunes adolescents interprètent ici leurs premiers rôles au cinéma. Les frères Dardenne avaient déjà fait appel à des acteurs non professionnels pour Le Gamin au vélo et pour Le jeune Ahmed. Jérémie Rénier était débutant quand il joua dans La Promesse et Emilie Dequenne également dans Rosetta.

    Et à combien d’autres acteurs ont-ils permis de donner le meilleur d’eux-mêmes comme Marion Cotillard qui, dans Deux jours, une nuit, crève littéralement l'écran dans ce sublime portrait de femme fragile et téméraire ? Physiquement transformée mais aussi admirablement dirigée, elle est pour beaucoup dans l'empreinte que nous laisse ce film grave et lumineux, ancré dans notre époque et intemporel.

    Dans chacun de leurs films, les Dardenne obtiennent le meilleur de leurs acteurs et celui-ci ne déroge pas à la règle. Encore une fois, ils s’imposent comme des directeurs d’acteurs exceptionnels et, forts de leur expérience du documentaire, recréent une réalité si forte et crédible avec des êtres blessés par la vie dont les souffrances se heurtent, se rencontrent, s’aimantent.

    Leur cinéma est réaliste, humaniste, social sans être revendicatif mais au contraire nous plongeant dans l’intimité des personnages.  A propos du Silence de Lorna (dans lequel il était déjà question d'exil), je vous disais qu’il est plus parlant que n’importe quel discours politique. Il en va de même pour ce nouveau long-métrage.  Il dépeint magnifiquement une douloureuse histoire fraternelle entre des êtres que le destin va bousculer.

    Au cœur d’une tragique actualité, ce film âpre des Dardenne ne peut laisser insensible grâce à l’acuité de leur regard, leur « empathie », mais aussi l’interprétation bouleversante de leurs deux jeunes comédiens confrontés aux impitoyables réseaux des passeurs, mettant des visages (bouleversants) sur une réalité que l’on réduit bien trop souvent à des chiffres. Ce film se suit comme un thriller mais c’est avant tout un plaidoyer vibrant contre l’injustice et pour ces enfants livrés à eux-mêmes et confrontés à d’effroyables obstacles. A ceux-ci s’oppose la force saisissante de l’amitié des deux jeunes adolescents.  Un lien dont on ne connaîtra jamais vraiment l’origine. Ce film oscille constamment entre la violence et la tendresse qui les lie.

    Après deux Palmes d’or (pour Rosetta et pour L’Enfant), les Dardenne pourraient décrocher une troisième la récompense suprême avec ce film, une nouvelle fois, au cœur de la réalité sociale. Un film poignant et sobre qui évite toujours l'écueil du pathos, d'autant plus émouvant qu'il est filmé à hauteur d'enfants plongés trop tôt dans ce que le monde a de plus rude. Les Dardenne restent les meilleurs cinéastes de l’instant, à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde : un thriller intime.

  • Festival de Cannes 2022 – Compétition officielle – Critique de DECISION TO LEAVE de que Park Chan-wook

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    Disons-le d’emblée : il semble difficilement pensable que le jury de cette 75ème édition n’attribue pas de prix à ce film remarquable et marquant, qu’il s’agisse de celui du scénario (coécrit par le cinéaste Jung Seo-kyoung.) ou de la mise en scène.

    Hae-Joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Sore, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.

    Ce onzième long-métrage de Park Chan-wook (qui n’avait pas réalisé de long-métrage depuis 6 ans) est un peu la quintessence de son cinéma, avec certes moins de violence que dans ses précédents films mais plus que jamais ce sens aiguisé de la mise en scène.

     Evidemment, on pense à Vertigo d’Hitchcock (1958 – Sueurs froides) à la lecture de ce pitch faisant écho à celui du film en question du maître du suspense dans lequel un enquêteur tombe amoureux de la femme qu’il doit surveiller. Les personnages, dans une sorte de mise en abyme du cinéma, jouent constamment un rôle, si bien que la frontière entre vérité et mensonge est très floue. C’est aussi le cas ici, dans ce film noir dans lequel le polar est avant tout un prétexte à une poignante histoire d’amour qui commence en haut d’une montagne et s’achève sous la mer. Entre les deux, se déroule pour le spectateur un voyage sinueux, à la fois captivant et opaque.

    La mise en scène d’une élégance rare interroge le réel et la vérité. Elle joue constamment avec les focales, le flou, les amorces, le premier et le second plan...et se joue de nous aussi, y compris avec le titre, également à double sens (qui s'avère bouleversant au dénouement). Le suspense plus que celui du polar est celui du désir, latent, constant. Ce n’est pas un film facile mais si on accepte de se laisser emporter dans ce jeu de dupes, on ressort bouleversé de ce labyrinthe émotionnel habile et malin qui évoque bien davantage la langueur d’In the Mood for Love de Wong Kar-wai que des films précédents de Park Chan-wook comme Old boy.

    Ce mélange de thriller et de mélodrame est évidemment très hitchcockien. Le cinéaste dissèque la complexité des sentiments, l’homme pudique face à la femme manipulatrice dont il va tomber amoureux. Le titre est comme le film : double. Il résulte ainsi d’une chanson populaire coréenne, La brume, une histoire d’amour mélodramatique, mais aussi une série de romans policiers suédois, série de Martin Beck traduite récemment en coréen.

    La mise en scène particulièrement brillante nous montre notamment comme Hae-Joon observe Sore de l’extérieur et par esprit se projette chez elle en des projections fantasmagoriques dont il nous appartient de déterminer s’il s’agit de la vérité. Tout est signifiant jusque dans le décor de l’appartement avec ses motifs de papiers peints qui reprennent des idées de vagues et montagnes. Les transitions sont aussi particulièrement brillantes comme une goutte dans une tasse de thé à laquelle répond une goutte dans une sonde à l’hôpital. La mise en scène distend et distord le temps et l’espace. Même quand ils sont ensemble, elle les sépare car ils ne s’aiment pas en même temps. 

    Ce film poignant nous laisse avec une impression entêtante et un mot, comme une litanie : brisé. A voir absolument ! 

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  • Festival de Cannes 2022 – Cannes Première – Critique de DON JUAN de Serge Bozon

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    Comme ce film a été injustement méprisé par une partie de la critique suite à sa projection hier dans le cadre de Cannes Première, avant de vous en parler plus longuement, je voulais vous convaincre dès à présent de découvrir ce sixième long métrage de Serge Bozon, qui sort en salles ce 23 mai.

    En 2022, Don Juan renommé Laurent (Tahar Rahim) n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme, Julie (Virginie Efira) : celle qui l’a abandonné…

    Un homme se prépare face à un miroir. Ses gestes orchestrent la musique. Don Juan aime mener la danse, semble-t-on nous dire. Puis Don Juan entre en scène, en l’occurrence dans la salle de la mairie où il doit se marier. Sa future femme n’est pas encore arrivée, tarde à venir. Et il l’attend, l’attend, l’attend…Pour soulager cette interminable attente, il invite les invités à écouter un air de musique qu’elle aime pour « la connaître un peu par la musique. » Il continuera à attendre. En vain. Sa future femme ne viendra pas. Il regarde par la fenêtre. Son regarde s’attarde sur une femme qui passe sous celle-ci. Pendant ce temps, Julie entre dans un café et au « Qu’est-ce que je vous sers ? » par lequel on l’interroge, elle répond « Servez-moi de la musique. »

    Tout est là, dans ces premières minutes, le ton décalé, poétique, romantique, mélancolique. Serge Bozon dit avoir voulu abandonner le registre des films de genre pour signer un film d’amour et il y est parvenu. Laurent/Don Juan ne verra alors plus que Julie dans toutes les femmes qu’il rencontrera (incroyable Virginie Efira qui incarne avec brio toutes ces femmes différentes, ce fut probablement aussi jubilatoire à l'actrice de les incarner toutes que cela l'est pour le spectateur à regarder toutes ces incarnations). Ce Don Juan est obsédé par une seule femme. Il croit la reconnaître dans toutes les femmes qu’il aborde, et qui d’ailleurs le rejettent (ce rejet atteint son paroxysme lors d’une fête de mariage à l’occasion d’une danse nocturne presque macabre, fascinante). Plus défait que victorieux, plus sincère que cynique, ce Don Juan contemporain arrive après l’ère #Metoo. C’est donc une version féministe que nous propose ici Serge Bozon, avec ce scénario coécrit avec Axelle Roppert. C’est par la chanson que Don Juan exprime sa douleur par la voix mélodieuse de Tahar Rahim.

    Un troisième protagoniste va jouer un rôle essentiel, sous les traits d’Alain Chamfort dans le rôle du Commandeur, altier et inquiétant, éprouvé par un chagrin incommensurable, la perte de sa fille.

    Avec cette revisite du mythe de Don Juan, sous forme de comédie musicale féministe, Serge Bozon nous livre un film particulièrement élégant, une relecture de Molière moderne et sensible qui inverse la situation : c’est elle qui l’a abandonné, lui qui ne peut pas l’oublier. L’autre bonne idée est que Tahar Rahim interprète ici un comédien qui joue le rôle de Don Juan permettant d’initier un jeu de miroirs entre le rôle que son personnage joue sur scène et celui qu'il incarne dans la vie. La mise en abyme apporte à la fois recul et profondeur à ce film qui mêle brillamment les genres : un film harmonieusement mélancolique qui nous emporte dans sa danse, envoûtante et douloureuse.

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