Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Critique de « Or noir » de Jean-Jacques Annaud et interview de Tahar Rahim et Jean-Jacques Annaud

     interview photos.jpg

    Depuis huit ans, l’écriture de mes différents blogs est guidée par le désir (inaltéré et même croissant) de raconter mes pérégrinations festivalières, de partager mes coups de cœur cinématographiques mais surtout de transmettre ma passion viscérale pour le cinéma…mais il m’aura aussi permis d’écouter et rencontrer   des artistes aussi talentueux que passionnés (et humbles, j’ai remarqué d’ailleurs que cela coïncide souvent avec le vrai talent et la passion sincère).

     Cette « interview » de Jean-Jacques Annaud et Tahar Rahim restera parmi les beaux moments que m’aura permis de vivre ce blog et qui auront renforcé ma conviction que le cinéma, quand il est fait avec ardeur, est le plus beau métier du monde et permet de conserver un regard juvénile et curieux sur l'existence. Interview entre guillemets parce que ce qui devait être une table ronde de 30 minutes (nous étions 5 blogueurs*, vous reconnaîtrez aisément ma voix, la seule féminine de l’assistance) s’est transformé en une passionnante leçon de cinéma d’une heure si bien que j’oubliais parfois un peu que nous étions aussi d’une certaine manière « acteurs » de la rencontre et que, tellement attentive, j'en oubliais de tenir correctement la caméra (avec une pratique involontaire du hors-champ de laquelle vous pourrez toujours induire une interprétation hautement philosophique).

     Il y a encore tant d’autres questions que j’aurais aimé poser…notamment à Tahar Rahim sur « Les hommes libres » que j’avais beaucoup aimé (voir ma critique, ici: http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2011/09/27/critique-les-hommes-libres-d-ismael-ferroukhi-avec-tahar-rah.html   ), sur  ses projets dont le prochain film de Cyril Mennegun, réalisateur d’un très beau, sensible, âpre premier long intitulé « Louise Wimmer » et qui avait déjà réalisé un documentaire sur Tahar Rahim « Tahar l’étudiant » ( Cyril Mennegun avait révélé au Festival de Saint Jean de Luz que Tahar Rahim serait l’acteur principal de son prochain film). Cela m’a aussi donné envie de voir le dernier film de Lou Ye que j’avais inexplicablement manqué lors de sa sortie. J’aurais aussi aimé leur dire à quel point j’admirais leur travail mais des compliments peuvent toujours aisément passer pour de la flagornerie dans ces circonstances et auraient sans doute mis leur auteure encore plus mal à l’aise que les destinataires. Et enfin cela m’a donné envie de persister dans ma passion aussi sinueux soit le chemin qui mène à  la réalisation de mes projets.

     La rencontre s’est déroulée dans les locaux labyrinthiques et chaleureux de Warner, sans rapport donc avec les press junkets habituels anonymes, aseptisés et expéditifs. Il y a évidemment été question d’ « Or noir » (en salles aujourd’hui et que je vous recommande, voir ma critique ci-dessous) mais aussi de révolution tunisienne, de Claude Chabrol, de Sean Connery, de dromadaires, de Kurosawa, de Moussinac… et de passion(s) cinématographiques(s) avant tout. Je vous laisse découvrir cet instructif échange, la passion exaltée de Jean-Jacques Annaud, la réserve rare et d’autant plus louable de Tahar Rahim (dont le talent mais aussi l’humilité font honneur à ses deux César, rappelons qu’il était le premier acteur à obtenir le César du meilleur espoir et du meilleur acteur la même année, en 2010, pour « Un Prophète » de Jacques Audiard) et ses propos non moins pertinents.

    or noir2.jpg

    Avec ce treizième film (un nombre moins élevé que pour nombre de ses confrères mais qui démontre aussi son souci de la documentation, du perfectionnisme, et l'ampleur de ses projets), Jean-Jacques Annaud nous embarque à nouveau dans des contrées lointaines pour lesquelles il témoigne, comme à chaque fois, d’une fascination contagieuse pour le spectateur, alternant scènes grandioses et intimes comme il l’avait si bien réussi déjà dans « Sept ans au Tibet » et « Stalingrad ».

    Dans les années 30, le pétrole s’immisce dans la vie des peuples arabes. Symbole de richesse mais aussi d’une altérité dangereuse, celle d’un progrès qui n’en est pas forcément un pour tout le monde. Après avoir triomphé  du Prince Amar (Mark Strong), pour conclure une trêve, le Prince Nessib (Antonio Banderas) prend en otage ses deux fils pour les élever. Des années plus tard, un Américain découvre du pétrole dans une zone située entre les deux royaumes, une zone censée rester neutre et qui, justement, était la cause initiale de leurs conflits.  Le Prince Nessib veut l’exploiter pour s’enrichir tandis que le Prince Amar y est totalement hostile. Pour être certain que son fils « adoptif » Auda (Tahar Rahim) lui restera loyal, Nessib lui donne sa fille en mariage. Il en tombe amoureux. Auda rend visite au Prince Amar, son « vrai » père, pour le raisonner. Il va alors se retrouver confronter à des choix cornéliens et va devoir endosser un rôle auquel lui, l’intellectuel porteur d’un message de paix, n’était apparemment pas destiné…

    Jean-Jacques Annaud et ses scénaristes (Menno Meyjes et Alain Godard)  ont eu la judicieuse idée de ne pas conserver le titre du roman dont ils se sont inspirés : « La soif noire » de Hans Ruesch. Or noir. L’oxymore du titre reflète ainsi parfaitement ce entre quoi est écartelé Auda, au cœur de plusieurs dilemmes. Entre deux pères. Entre le progrès et le conservatisme. Entre deux interprétations du Coran.  Entre la paix et la guerre. Entre les valeurs morales et la corruption.  Cela reflète aussi évidemment ce qui est à l’origine du conflit : le pétrole.

    Jean-Jacques Annaud a choisi l’angle de la fable, ce qui réduit d’emblée à néant les arguments de ceux qui trouvent le film suranné ou académique. Ce parti pris permet de renouer avec ces grandes fresques cinématographiques, trop rares, qui s’assument pleinement et embarquent le spectateur loin pour ne pas moins et parfois mieux évoquer des problèmes contemporains : la place des femmes, ici dans l’ombre, les interprétations du Coran, la cupidité, le combat pour le progrès (qui fait ainsi écho à la vraie Histoire qui se déroulait pendant le tournage dont une partie a eu lieu en Tunisie au moment du printemps arabe). Les violons emphatiques et mélodiques de James Horner exacerbent le caractère épique du film.  Le regard de Jean-Jacques Annaud est celui d’un homme fasciné par ces terres au centre des convoitises, un regard clairvoyant et jamais condescendant.

    Jean-Jacques Annaud et Tahar Rahim étaient faits pour se rencontrer. Les personnages écrits et mis en scène par le premier ont en commun d’être en périodes de transition et de s’accomplir bien souvent dans le combat. Ceux interprétés par le second s’élèvent et se révèlent dans l’adversité. Tahar Rahim confirme, une fois de plus, en incarnant Auda, cet amoureux des livres devenu lui aussi une forme de Prophète (mais très différent de celui du film éponyme qui l’a fait connaître) héros et héraut, à quel point il s’investit dans chacun de ses rôles (au point même ici de s’être réellement blessé et que sa blessure qui le faisait boiter ait été intégrée à la fin du scénario), à quel point il sait faire évoluer ses personnages d’ailleurs très différents les uns des autres mais ayant en commun d’être au départ effacés pour se révéler héros ou antihéros : d’invisible, courbé, velléitaire, Auda révèle ainsi sa hauteur, son pouvoir de décision, sa majesté mais aussi toutes la force des contradictions qu’il incarne. Lui venu en intellectuel pacifiste sera un redoutable combattant et s’y révèlera.  Mark Strong est également remarquable en roi attaché à ses valeurs qui incarne les traditions d’un monde en péril. Seul bémol : le « surjeu » d’Antonio Banderas mais vous comprendrez en écoutant l’interview que la responsabilité en incombe plus à l’acteur qu’à la direction d’acteurs.

     Mais le vrai héros du film, et il suffit de voir l’affiche pour s’en convaincre, c’est ce désert qu’Annaud aime éperdument, que sa caméra caresse et affronte pour nous le montrer dans toute sa flamboyance et sa cruelle beauté,  avec toute son humilité devant cette nature majestueuse, royale, indomptable. Jean-Jacques Annaud s’est ainsi beaucoup inspiré de textes et tableaux d’Orient et on retrouve en effet un vrai souci du détail et de la véracité, de même que dans les différentes interprétations du Coran pour lesquelles ses scénaristes et lui-même se sont beaucoup documentés.

    Enfin, il a eu le mérite, en tournant au Qatar et en Tunisie, de ne recourir que très exceptionnellement aux effets spéciaux donnant à l’art de filmer et mettre en scène toutes ses lettres de noblesse. Les scènes de combats sont ainsi impressionnantes en particulier celles entre les chars et les dromadaires, par ailleurs tout un symbole, celui de deux mondes qui s’opposent, se rencontrent et se confrontent. Celui qui s’enlise n’est d’ailleurs pas forcément celui auquel on aurait songé de prime abord. Très beau plan également de cette tâche noire qui noircit le désert, et s’étend comme une tâche de sang vorace. Toujours par souci de perfectionnisme, Jean-Jacques Annaud a également la particularité de réenregistrer tous les sons ainsi que toutes les voix du film sans exception, après le tournage.

    Jean-Jacques Annaud signe donc là une fable initiatique flamboyante avec des péripéties haletantes dignes d’une tragédie grecque, un conte qui permet une métaphore d’autant plus maligne des heurts de notre époque, un conte intemporel et très actuel au souffle épique incontestable, aux paysages d’une beauté vertigineuse dans la lignée des films de David Lean (d’ailleurs pas seulement « Lawrence d’Arabie » même si le contexte y fait  songer, évidemment). Le retour à un cinéma romanesque, flamboyant où tout est plus grand que la vie sans pour autant en être totalement déconnecté mais qui en est au contraire le miroir réfléchissant (dans les deux sens du terme). Un film emp(h)athique qui rend hommage à ces terres lointaines et plus largement au cinéma qu’il montre à l’image du désert : une redoutable splendeur à côté de laquelle le spectateur se sent dérisoire mais tellement vivant.

    *(Autres blogueurs présents à l’interview : Vodkaster, Filmosphère, Lyricis, Myscreens)

  • Liste des Révélations 2012 pour le César du meilleur espoir féminin et du meilleur espoir masculin

    césar.jpg

    Je continue à vous tenir informés de l’actualité des César en vous rappelant de ne pas oublier que début décembre vous pourrez voir les courts-métrages présélectionnés pour le César du meilleur court, au cinéma Le Balzac, à Paris.

    32 comédiennes et comédiens ont été proposés par le Comité Révélations de l’Académie des César, à l’issue de sa délibération du 21 novembre 2011. Ces comédiens et comédiennes sont proposés aux 4199 membres de l’Académie afin de faciliter leur vote pour les César 2012 du Meilleur Espoir Féminin et Masculin. Cette liste leur est proposée à titre indicatif afin de faciliter leur vote, sans avoir aucun caractère d’obligation.

    Je découvre avec plaisir que Pierre Niney figure dans la liste (mais le contraire aurait été vraiment injuste). Vous pouvez retrouver mon interview de ce dernier au sujet de « J’aime regarder les filles » pour lequel il est nommé (espérons que ce sera l'occasion pour certains de découvrir le film) dans lequel il incarnait le rôle principal. Vous avez également pu le voir récemment dans « Les neiges du Kilimandjaro » (un film dont je vous parlerai ces jours prochains) dans lequel il a un  rôle aussi court que remarquable. Astrid Bergès-Frisbey était également exceptionnelle dans "La fille du puisatier" et je me réjouis également de la nomination d'Agathe Bonitzer, un film primé au Festival des jeunes réalisateurs de  Saint Jean de Luz dans le cadre duquel je l'avais découvert, un film pour lequel j'avais eu un vrai coup de coeur. Je vous laisse découvrir le reste de la liste ci-dessous qui compte d'autre jeunes comédiens talentueux comme Marie Denarnaud, Guillaume Gouix ou Clotilde Hesme.

     Les Révélations 2012

    Présélection pour le César du meilleur espoir féminin 2012

    Naidra AYADI dans Polisse

    Anne AZOULAY dans Léa

    Alice BARNOLE dans L’Apollonide, souvenirs de la maison close

    Astrid BERGÈS-FRISBEY dans La fille du puisatier

    Agathe BONITZER dans Une bouteille à la mer

    Lola CRÉTON dans Un amour de jeunesse

    Marie DENARNAUD dans Les adoptés

    Amandine DEWASMES dans Toutes nos envies

    Golshifteh FARAHANI dans Si tu meurs, je te tue

    Adèle HAENEL dans L’Apollonide, souvenirs de la maison close

    Clotilde HESME dans Angèle et Tony

    Joséphine JAPY dans Le moine

    Céline SALLETTE dans L’Apollonide, souvenirs de la maison close

    Christa THÉRET dans La brindille

    Alison WHEELER dans Mon père est femme de ménage

    Iliana ZABETH dans L’Apollonide, souvenirs de la maison close

     

    Présélection pour le César du meilleur espoir masculin 2012

    Nicolas BRIDET dans Tu seras mon fils

    François CIVIL dans Nos résistances

    Jérémie DUVALL dans Mon père est femme de ménage

    Franck FALISE dans La fin du silence

    Raphaël FERRET dans Présumé coupable

    Grégory GADEBOIS dans Angèle et Tony

    Guillaume GOUIX dans Jimmy Rivière

    Iabe LAPACAS dans L’ordre et la morale

    Nicolas MAURY dans Let my people go !

    Pierre MOURE dans Où va la nuit

    Pierre NINEY dans J’aime regarder les filles

    Pierre PERRIER dans American Translation

    Aymen SAÏDI dans L’assaut

    Mahmud SHALABY dans Les Hommes libres

    Alexandre STEIGER dans L’ordre et la morale

    Dimitri STOROGE dans Les Lyonnais

    Lien permanent Imprimer Catégories : CESAR 2012 Pin it! 2 commentaires
  • Critique de "Je l'aimais" de Zabou Breitman, sur France 2, à 20H45, ce soir: à ne pas manquer!

     

    aimais.jpg
    monaco6.jpg

    C'est dans le cadre du Forum International Cinéma et Littérature de Monaco, où j'avais eu la chance d'être invitée en 2009 que j'avais découvert le troisième long-métrage de Zabou Breitman (« Se souvenir des belles choses » et « L’homme de sa vie » étaient les deux premiers) . « Je l’aimais » était ainsi projeté en avant-première, lors de la clôture, et en présence de l’équipe du film.  Daniel Auteuil fut primé lors de ce festival (voir photos et vidéos ci-dessus). Lors du débat précédant le film, il avait  suscité quelques rires gênés dans la salle en soulignant qu'il était plus facile d'adapter un livre moyen qu’un bon livre. J’avoue que, moi aussi, j’avais trouvé que  le livre éponyme d’Anna Gavalda correspondait davantage au premier adjectif qu’au second, et qu’il me semblait un peu inconsistant pour qu’en soit réalisée une adaptation cinématographique (Ce film m’a néanmoins donné envie de le relire, peut-être le percevrai-je alors différemment). C’était oublier que les histoires a priori les plus simples contribuent souvent aux meilleurs films, et laissent aux réalisateurs le loisir d’imposer leurs univers. Et un univers (et une sensibilité, rare) Zabou Breitman en possède indéniablement. En témoigne ce film qu’elle a adapté du roman d’Anna Gavalda, avec la scénariste Agnès de Sacy…

    Synopsis : En une nuit, dans un chalet, Pierre (Daniel Auteuil) va partager avec sa belle-fille Chloé (Florence Loiret-Caille, que vous avez pu voir dans l’excellent film « J’attends quelqu’un »  de Jérôme Bonnell) , ce grand secret qui le hante depuis vingt ans, celui qui le mit face à lui-même, à ses contradictions et à ses choix, à son rôle d’homme et à ses manques. Le secret de cet amour pour Mathilde (Marie-Josée Croze) pour laquelle il n’a pas tout abandonné, choisissant une route plus sûre et plus connue. En une nuit nous saurons la vie d’un homme qui n’osa pas…

    L’histoire pourrait tenir en une ligne : un homme qui, en voyage d’affaires à Hong Kong,  tombe amoureux d’une femme qui devient sa maîtresse et, malgré tout l’amour qu’il porte à cette dernière, reste avec sa femme. Mais c’est là ce qui fait la force de cette adaptation : ni une ligne, ni plusieurs ne peuvent résumer tout ce que Zabou Breitman parvient à faire passer dans un plan, à tout ce que Daniel Auteuil et Marie-Josée Croze parviennent à faire passer dans un geste, un regard, procurant un caractère universel et intemporel à leur histoire, et aux choix auxquels ils sont confrontés.

    Plutôt que d’employer des envolées lyriques, des mouvements de caméra grandiloquents ou fantaisistes, Zabou Breitman a choisi la simplicité dans sa réalisation, laquelle convient  à ces personnages, finalement prisonniers des conventions, malgré cette parenthèse enchantée. Le choix de la narration, la structure en flash-back, et même ce chalet isolé où ce secret est révélé, reflètent judicieusement le caractère secret de leur liaison. Sa caméra est toujours au plus près des regards, souvent troublés, vacillant parfois comme eux, au plus près des battements de cœur, à l’écoute du moindre frémissement, nous faisant trembler à l’unisson.  Grâce à de subtiles transitions parfois saupoudrées de cette fantaisie poétique qui la caractérise aussi, Zabou passe du passé au présent, accentuant notre curiosité et la résonance entre les deux histoires.

    On dit qu’il existe deux sortes de films : ceux qui vous racontent une histoire, ceux qui vous présentent des personnages. Et ici c’est dans le personnage de Daniel Auteuil, mais aussi dans celui de Marie-Josée Croze que ce film trouve toute sa force et sa singularité. Malgré tous les rôles  marquants qu’il a incarnés, au bout de quelques minutes, nous oublions Daniel Auteuil pour ne plus voir que Pierre, cet homme, comme tant d’autres, qui survit plus qu’il ne vit, dévoué à son travail, cet homme, comme tant d’autres, dont la femme vit avec lui plus par habitude et par confort  que par amour, un amour dont on se demande s’il a un jour existé : les scènes avec son épouse Suzanne (excellente Christiane Millet) sont d’ailleurs particulièrement réussies, révélant toute l’horreur et la médiocrité de l’habitude.  Cet homme qui apparaît froid, conventionnel, enfermé dans ses conventions sociales même, dont le récit de cette passion fugace éclaire la personnalité, révèle progressivement son humanité. Cet homme qui devient vivant, beau, intéressant, sans être spirituel (ne sachant guère lui dire autre chose que « tu es belle »), dans le regard de Mathilde et dans celui que lui porte la caméra de Zabou Breitman, toujours subtilement placée, à la juste distance : comme dans cette scène où ils se retrouvent, pour la première fois, dans un bar d’hôtel, scène où passent toutes les émotions (le malaise, le bonheur, le trouble) d’un amour naissant sous nos yeux. Une scène magique et magistrale. Par la seule force de l’interprétation, l’éloquence des silences. Et de la réalisation qui les met sur un pied d’égalité, pareillement emportés, et nous place comme les témoins involontaires de leur rencontre, nous donnant l’impression d’être nous aussi dans ce bar, n’osant bouger et respirer de peur de briser cet instant fragile et envoûtant.

    Ce rôle d’un homme « lost in translation » (et qui n’est d’ailleurs pas, aussi, sans rappeler le film éponyme de Sofia Coppola) est à mi-chemin entre celui qu’il interprétait dans les deux films de Claude Sautet : « Quelques jours avec moi » et « Un cœur en hiver », dont les deux titres pourraient d’ailleurs également s’appliquer au film de Zabou Breitman dont la sensibilité n’est pas totalement étrangère à celle de Claude Sautet.

    Quant à Marie-Josée Croze, elle illumine le film de sa rayonnante présence, incarnant magnifiquement  ce personnage insaisissable et indépendant, cet amour éphémère et fantasmé qui s’écroule lorsqu’il est rattrapé par la réalité.

    Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve ? Fuir son simulacre de peur que la vie ne se sauve ? Fuir une réalité médiocre et confortable pour un rêve éveillé et incertain ? A-t-on le droit de se tromper ? Ne vaut-il mieux pas faire un choix, même mauvais, plutôt que d’éluder le choix ? Le renoncement, le sacrifice sont-ils des actes de courage ou de lâcheté ? Autant de questions que chacun peut se poser…et qui résonnent bien après le générique de fin.

    Un film empreint de nostalgie qui se termine sur une note d’espoir. Un film lumineux et mélancolique qui nous est narré comme un conte, moderne et intemporel. Un film qui a la force brûlante, douloureusement belle, des souvenirs inaltérables.  Un film qui nous plonge dans le souvenir, amer et poignant, des belles choses.

    « Je l’aimais » a reçu le prix 2009 de la Fondation Diane et Lucien Barrière. A Monaco, son producteur, Fabio Conversi (prix du meilleur producteur d’adaptations littéraires au cinéma) et son acteur principal, Daniel Auteuil ( prix du meilleur acteur d’adaptations littéraires au cinéma) ont également été récompensés.

    Ne manquez pas ce film malheureusement décrié lors de sa sortie, e soir, à 20H45, sur France 2.

    Lien permanent Imprimer Catégories : A VOIR A LA TELEVISION : CRITIQUES DE FILMS Pin it! 0 commentaire
  • Bande-annonce de "Titanic" de James Cameron en salles et en 3D le 4 avril 2012

    titanic.jpg

    Il est rare que je vous présente ici des bandes-annonces mais... je ne résiste pas à celle-ci qui vous rappellera sans doute des souvenirs puisqu'il s'agit de celle d'un film qui a battu tous les records en 1998.

     Un film romantique et mélodramatique qui s'assume pleinement doublé d'un grand spectacle. La quintessence du genre. En attendant ma critique prochaine et de le (rerere)voir en salles à l'occasion de sa ressortie en 3D, le 4 Avril 2012 (rerere)découvrez la bande-annonce.

    Lien permanent Imprimer Pin it! 1 commentaire
  • Avant-première- Critique de « L’art d’aimer» de Emmanuel Mouret

    artaimer.jpg

    « Un baiser s’il vous plait » du même Emmanuel Mouret m’avait particulièrement enthousiasmée de par son ton théâtralisé, ludique et burlesque qui nous donnait envie de saisir chaque seconde et désirer la vie. « L’art d’aimer » était un titre aussi alléchant et intrigant que celui précédemment cité, évidemment en référence à l’œuvre d’Ovide avec lequel il a en commun une certaine ironie et des digressions (apparentes).

    « Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus… » Tel est le pitch officiel qui, à l’image du titre, nous trompe un peu sur ce à quoi nous assistons, ce qui n’enlève rien aux qualités du film. D’art d’aimer ou de sublimer l’amour, il n’est pas vraiment question mais plutôt de l’art de désirer dans lequel la morale est bien souvent un obstacle et qui se résume finalement davantage à l’art d’esquiver qu’à celui d’aimer 

    A la lecture du titre, j’avais imaginé que le film serait une illustration de la célèbre phrase de La Rochefoucauld : « Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour » mais Mouret nous fait suivre plusieurs saynètes mettant en scène les tergiversations de ses personnages sur leur désir et non sur leur manière de sublimer l’amour. Ainsi, une femme mûre mariée qui ne peut s’empêcher de regarder et désirer tous les hommes. Une autre amoureuse de son compagnon mais qui désire son collègue de travail. Un compositeur en quête de musique de l’amour (à mon sens la plus intéressante mais qui ne sera pas vraiment traitée, ce qui nous prive en plus de Stanislas Merhar, déjà trop rare). Une femme en couple désirée par un de ses amis qui va suggérer à une amie célibataire de prendre sa place. Volontairement Emmanuel Mouret a réduit ses histoires à l’essentiel, les comparant d’ailleurs lui-même à des nouvelles sauf que toute nouvelle se caractérise par une chute, ce qui n’est pas forcément le cas ici pour toutes les histoires à l’exception notamment de la plus ludique qui clôture le film.

    Malgré cela, on retrouve ce mélange d’inspirations : Truffaut, Rohmer et Allen (lorgnant plus vers les deux derniers cette fois et notamment des dialogues et même une manière de parler qui m’ont beaucoup rappelé le célèbre cinéaste américain) mais aussi cette légèreté mélancolique, cette gravité légère et fantaisiste. Emmanuel Mouret possède incontestablement un ton bien à lui qui peut agacer autant que charmer, frôlant parfois la caricature d’un cinéma d’auteur français. Je fais partie des charmés davantage que des agacés. Les différentes saynètes sont séparées par des intertitres ( et se recoupent parfois) qui illustrent ce ton décalé : « Il n’y a pas d’amour sans musique », « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre », « Le désir est inconstant », « Sans danger, le plaisir est moins vif »…

    Ce film est à l’image de ses personnages : séduisant. Car c’est là indéniablement l’autre atout du film, son casting impeccable. Chacun interprète sa variation sur l’art de désirer, et non d’aimer donc, avec beaucoup de justesse: Stanislas Merhar, François Cluzet, Gaspard Ulliel, Pascale Arbillot, Julie Depardieu, Judith Godrèche sans oublier la belle et grave voix off de Philippe Torreton.

    Une fantaisie ludique d’une ironie savoureuse qui laisse parfois affleurer une douce gravité qui a autant de charme maladroit que ses personnages mais qui, malgré le sentiment d’inachevé qu’elle nous laisse, témoigne d’une liberté de ton de plus en plus rare, salutaire et rafraîchissante, et réellement réjouissante dans son dernier quart d’heure.

    Sortie en salles : le 23 novembre

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2011/2012 Pin it! 1 commentaire
  • "Les Adoptés" de Mélanie Laurent: prix du jury et prix du public du Festival de Saint Jean de Luz

    saintjeandeluzcloture 116.JPG

    Photos ci-dessus et ci-dessous prises par Inthemoodforcinema.com lors du Festival de Saint Jean de Luz

    saintjeandeluzcloture 032.JPG

    C'est à Saint Jean de Luz, au Festival International des Jeunes Réalisateurs( http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2011/10/18/festival-international-des-jeunes-realisateurs-de-saint-jean.html ) que j'ai découvert le premier film réalisé par Mélanie Laurent "Les Adoptés" qui sortira en salles, le 23 novembre prochain.

    C’est en adoptes.jpgeffet Mélanie Laurent qui a fait l’ouverture du festival avec « Les Adoptés », également en compétition, qui a reçu le prix du jury et le prix du public, 10 ans après avoir été elle-même membre du jury du festival. 

    "Les Adoptés", c'est l’histoire d’une famille de femmes unies par un bel et fragile équilibre qui se rompra quand l’une d’entre elles tombera amoureuse. Elles n’auront pas le temps de le reconstruire, un drame frappant l’une d’elles qui se retrouve dans le coma.

    Il faudra alors vivre avec l’absence et le manque, s’adopter (il s’agit bien évidemment ici d’une adoption symbolique), tisser des liens nouveaux, un nouvel équilibre peut-être encore plus fort car soudé par le drame…

     Mélanie Laurent a "le malheur" d’être polyvalente : elle chante (avec talent), joue, réalise, et a même présenté la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes, ce qui est forcément mal vu dans un pays où on souhaite mettre dans  des cases y compris les personnes joliment inclassables mais ce qui montre surtout qu’elle est une artiste à part entière, guidée par le désir de créer (elle avait d'ailleurs même été sélectionnée à Cannes avec son court-métrage "De moins en moins"). Je suis d'ailleurs assez consternée par les commentaires de ceux qui n'ont pas vu le film, ne daigneront pas aller le voir mais qui sont déjà persuadés qu'il est mauvais (il faudra d'ailleurs qu'ils m'en expliquent la raison: le film d'un réalisateur inconnu provenant d'une contrée éloignée et méconnue bénéficie forcément de plus d'indulgence que celui d'une actrice connue censée visiblement n'être là que grâce à son nom mais pourquoi ne pourrait-on pas lui laisser le bénéfice du doute, au moins?),  confirmant ainsi la justesse de sa récente mise en cause de la critique (comme si critiquer négativement et avec cynisme était synonyme d'esprit critique). Critiquer sera de toutes façons toujours plus facile et vain que créer...

     Elle dit que ce sont avant tout les idées de mise en scène qui l’ont conduite à réaliser ce film, et c’est ce qui en fait la grande qualité et la faiblesse. La réalisation est sensible, inspirée, et témoigne d’un vrai regard de cinéaste, très influencée par le cinéma indépendant américain. Elle revendique par ailleurs trois références: la comédie dramatique "Garden State" de Zach Braff, "Punch-drunk love" de Paul Thomas Anderson et "Morse" de Tomas Alfredson.

     Elle fait alterner humour et larmes avec sensibilité, et sa réalisation est lumineuse, portée par des comédiens de talent malheureusement encore peu connus (Marie Denarnaud et Denis Ménochet) à tel point que Mélanie Laurent qui ne souhaitait pas jouer au préalable à dû s’y résoudre pour que le film puisse être monté, une réalisation lumineuse qui vient contrebalancer la dureté du sujet, le tout porté par la douceur des Nocturnes de Chopin.

    Un film lumineux et tendre sur un sujet grave, qui n’échappe pas à quelques longueurs mais en tout cas très prometteur pour la suite. Peut-être le fait que le sujet ne soit pas personnel (mais c'était là une volonté de sa part que de traiter d'un sujet qui ne soit pas personnel) explique-t-il que ce petit plus  qui rende un film marquant et poignant lui fasse défaut.

     Mélanie Laurent a également eu la bonne idée de tourner à Lyon sans que le lieu soit pour autant clairement identifiable, sa caméra étant principalement centrée sur ses acteurs principaux, leurs émotions. « On fait des films pour soi avec des équipes, avec des acteurs mais aussi pour le public. Et pour moi donc c’est le plus beau des prix » a-t-elle déclaré en recevant son prix du public. Un conte solaire, d'une gravité joliment et lumineusement mélancolique, que je vous recommande.

    Retrouvez ci-dessous mes vidéos prises au Festival de Saint Jean de Luz, lors de la présentation du film par Mélanie Laurent et lors de la remise des prix et en bonus, le clip de sa chanson "En t'attendant" qui me trotte dans la tête depuis un moment.

     

     

     

    Lien permanent Imprimer Catégories : IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 1 commentaire
  • Plus de 2 millions de spectateurs pour "Polisse" de Maïwenn et plus de 5 millions pour "Intouchables"

    mersi.png

    Je vous parle ici rarement du nombre d'entrées des films, la qualité cinématographique n'en étant malheureusement pas toujours synonyme contrairement à "Polisse" dont je vous avais déjà parlé lors du Festival de Cannes où je l'ai découvert, en compétition, puis lors du Festival Paris Cinéma dont il a fait l'ouverture. Je vous l'avais alors vivement recommandé (vous retrouverez, ainsi, ci-dessous, ma critique et les photos et vidéos prises lors du Festival Paris Cinéma et de la conférence de presse du Festival de Cannes).

    "Polisse" vient ainsi de dépasser les 2 millions d'entrées et "Intouchables" les 5, 6 millions en deux semaines seulement. Si le premier m'a particulièrement enthousiasmée, j'avoue que je reste assez perplexe devant l'engouement critique pour le second (même si je comprends que le public se soit déplacé en grand nombre pour un film qui est extrêmement drôle, sans doute salutaire dans une période de morosité) qui, malgré sa drôlerie, malgré le jeu  des comédiens, par un tour de passe-passe qui a consisté à mettre l'accent sur le message du film (auquel on ne peut qu'adhérer, la leçon d'espoir, de tolérance, l'histoire d'amitié improbable et d'autant plus touchante, l'absence d'apitoiement) pour faire oublier les lacunes cinématographiques de ce conte des temps modernes (une mise en scène qui n'a rien d'exceptionnel, des personnages secondaires tout de même très caricaturaux, et un scénario qui s'apparente à une suite de sketchs, certes très réussis). "The Artist" de Michel Hazanavicius aurait pour moi davantage mérité ce succès phénomènal, lequel n'avoisine "que" les 1 500000 spectateurs, un succès néanmoins parait-il exemplaire pour un film muet en noir et blanc...et surtout Jean Dujardin mériterait 100 fois plus un César (et un Oscar d'ailleurs) qu'Omar Sy qui est certes irrésistible dans "Intouchables" mais ne livre pas une performance aussi exceptionnelle que le premier.

    J'entends ici et là que nous avons "enfin" du bon cinéma français. C'est oublier un peu vite que Resnais et Téchiné (malgré son décevant dernier film), parmi d'autres, sont encore bien vivants et que le cinéma français compte les plus grands chefs d'oeuvre dans son Histoire... Des succès néanmoins réjouissants pour la création et pour le cinéma français...

    pariscine5.jpg

     

     

    polisse1.jpg

    polisse2.jpg

    polisse3.jpg

    polisse4.jpg

    « Polisse » est le troisième long métrage de Maïwenn  après « Pardonnez-moi » (2006) et « Le bal des actrices » (2009).  J’étais restée particulièrement sceptique devant «Le  Bal des actrices » , film sur les masques et  les mensonges des actrices  dans lequel Maïwenn nous impose sa propre vérité, un bal dont elle est la reine et la manipulatrice, un bal dans lequel le cinéma est montré comme un théâtre masqué, un monde de faux-semblants dans lequel les actrices sont toutes malheureuses, narcissiques, prétentieuses et pour se dédouaner de s'être attribuée le beau rôle, Maïwenn lors d'une scène finale (lors de laquelle toutes les actrices sont réunies pour voir son documentaire) devance toutes les critiques, ses actrices lui adressant les reproches que pourrait lui faire la critique. Bref, je craignais le pire avec le sujet ô combien sensible de ce troisième long métrage.

     Connaissant l’intrigue et le dénouement, j’étais curieuse de voir si je serais à nouveau embarquée, touchée, parfois agacée… et je dois avouer qu’à cette deuxième vision l’émotion, surtout, était tout autant au rendez-vous qu’à la première.

    Synopsis : « Polisse » suit le quotidien des policiers de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs) : gardes à vue de pédophiles,  arrestations de pickpockets mineurs, auditions de parents maltraitants, dépositions des enfants, les dérives de la sexualité chez les adolescents, mais aussi la solidarité entre collègues et les fous rires incontrôlables dans les moments les plus impensables. En parallèle, Maïwenn montre les répercussions sur la vie privée de chacun de ces policiers et l’équilibre précaire entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Mélissa ( Maïwenn) est mandatée par le Ministère de l’Intérieur pour réaliser un livre de photos sur la brigade. Ce regard va révéler les fêlures de Fred (Joeystarr), le plus écorché vif de la brigade.

    Les premières minutes nous montrent une petite fille décrivant avec sa candeur enfantine les attouchements que son père lui a ou aurait fait subir (nous ne saurons pas vraiment). Quelques scènes plus tard, nous retrouvons les policiers de la BPM qui, à la cantine, racontent leurs histoires de couples, avec une certaine crudité, à la fois pour désamorcer la violence de ce qu’ils entendent au quotidien, mais aussi parce que cette violence a des répercussions inévitables sur leur vie privée.

      C’est avant tout eux que la caméra de Maïwenn va suivre, nous immergeant dans leur douloureux quotidien. Douloureux parce que difficile d’entendre des horreurs toute la journée et de ne pas en ressortir écorché, voire blessé, ou même meurtri. Douloureux parce que la vie privée devient chaotique quand la vie professionnelle est aussi rude et vorace, et exige un tel dévouement dont il est impossible de ressortir indemne. Douloureux parce que les blessures des autres ravivent les leur.

    Lors de la première projection à Cannes, je vous avais dit avoir été partagée entre émotion et scepticisme, agacement et admiration mais j’avoue que cette fois l’émotion et l’admiration ont dominé. Emotion parce que la caméra de Maïwenn capte et esquisse admirablement des portraits de pères, de mères, d’hommes, de femmes, d’enfants, désemparés face à la douleur indicible mais aussi la glaçante épouvante de ceux qui avouent les pires horreurs avec le sourire et une terrible « innocence », inconscients de celle qu’ils ont bafouée (Terrifiante déclaration du personnage d’Audrey Lamy inspirée comme tous les autres faits de ce film, de faits réels). Emotion parce qu’il est impossible de rester insensible devant, par exemple, cette scène douloureusement réaliste de cet enfant arraché à sa mère parce qu’il est impossible de leur trouver un foyer à tous deux. Emotion lorsque par un frôlement de main, une danse d’abandon, surgit une tendresse si longtemps contenue. Emotion parce que la scène finale d’une logique tragiquement implacable vous saisit d’effroi.

    Admiration parce que Maïwenn en quelques plans, parfois juste le temps d’une déclaration à la police, nous raconte toute une histoire, un passé sombre et un avenir compromis. Admiration parce qu’elle tire des acteurs et surtout actrices, le meilleur d’eux-mêmes : Sandrine Kiberlain bouleversante,  Karin Viard insaisissable, touchante puis presque effrayante,  et que dire de Marina Foïs, remarquable dans le rôle de ce personnage de policier, le plus intéressant, abimé, fragile, désorienté. Même Joeystarr dont la prestation dans « Le bal des actrices » ne m’avait pas convaincue, est ici particulièrement touchant dans son rôle de flic bourru au cœur tendre qui s’implique émotionnellement dans chaque « cas ».

    Alors pourquoi étais-je aussi sceptique et agacée suite à la projection cannoise ? Sceptique parce que le personnage qu’incarne Maïwenn qui se cache derrière ses grandes lunettes, son chignon, qui passe des beaux quartiers aux quartiers plus populaires, semble une nouvelle fois une manière de se dédouaner, de se donner le beau rôle, de se mettre en scène sans que cela soit forcément nécessaire. Il faut avouer que, suite à cette deuxième projection, j’ai trouvé que son personnage qui certes parfois sourit un peu trop béatement, apporte une certaine fraîcheur, un regard extérieur et est une vraie trouvaille scénaristique pour permettre au personnage de Joeystarr d’évoluer et de révéler une autre facette de sa personnalité. C’est aussi un moyen d’explorer à nouveau la mise en abyme.  C'est d’ailleurs après avoir vu un documentaire à la télévision sur le travail des policiers chargés de protéger les mineurs, qu'elle a eu l'idée d'en faire un film.

     Agacée par ce style faussement réaliste (Lors de la conférence de presse des lauréats à Cannes, Maïwenn s’est énervée suite à la question d’un journaliste qui, à propos de son film, parlait de style semi-documentaire) qui recrée une réalité et forcément l’édulcore pour faire surgir une réalité qui forcément n’en est pas totalement une. Agacée parce que Maïwenn par moments semble nous refaire « Le bal des actrices » et plus soucieuse de leurs performances que du réalisme (peut-être aurait-il été plus judicieux d’utiliser uniquement des comédiens inconnus) mais après cette deuxième projection, je reconnais que tous les acteurs sans exception, sont absolument remarquables et que Maïwenn est incontestablement douée pour la direction d’acteurs sachant tirer ici le meilleur de chacun (les « témoignages » d’anonymes sont saisissants).

    Agacée parce que parfois la caméra s’attarde un peu trop, et nous prend en otage, ou parce que parfois elle semble privilégier ou du moins hésiter entre l’effet de style ou l’émotion et le réalisme (comme la scène des enfants qui dansent dans le bus). Agacée parce que, à l’image de son titre, cela frôle alors l’artificiel. Polisse écrit par un enfant. Polisse mais surtout pas « policé ». Polisse parce qu’il y avait déjà le PoliCe de Pialat.

    Avec ce troisième film, Maïwenn veut à nouveau faire surgir la vérité, « peindre les choses cachées derrière les choses » pour reprendre une célèbre réplique d’un non moins célèbre film de Marcel Carné. En voulant parfois trop mettre en valeur ses actrices (ou elle-même), elle nuit justement à cette vérité nous rappelant trop souvent que « c’est du cinéma », alors qu’elle retranscrit malheureusement surtout une sombre réalité. Il n’en demeure pas moins que c’est un bel hommage à ces policiers de la BPM, à leur dévorant métier et leur dévouement,  un constat effroyable sur la noirceur humaine, et il n’en demeure pas moins que la fin est bouleversante de beauté tragique et de lyrisme dramatique : ces deux corps qui s’élancent, et font éclater ou taire la vérité, inadmissible, et éclater ou taire l’espoir. Un film agaçant, intense, marquant, bouleversant, parfois même (sombrement) drôle.

    A cette deuxième vision, la qualité de la réalisation (caméra nerveuse qui épouse la tension palpable), et surtout l’écriture m’ont particulièrement marquée, sans doute la raison pour laquelle Maïwenn condamnait cette définition de semi-documentaire. Le film est extrêmement construit, les dialogues sont particulièrement efficaces et sans doute certains les trouveront trop écrits, en contradiction avec l’impression de réalisme auquel ils ne nuisent néanmoins pas. Chaque scène de chaque personnage, qu’il soit au premier ou au second plan, dit quelque chose du dénouement concernant ce personnage et il faut dire que Maïwenn et sa coscénariste Emmanuelle Bercot manient brillamment le film choral aidées par un brillant montage qui fait alterner scènes de la vie privée et scènes de la vie professionnelle, les secondes révélant toujours quelque chose sur les premières, ces deux familles se confondant parfois. Pialat, Tavernier, Beauvois, Marchal avaient chacun à leur manière éclairer une facette parfois sombre de la police. Il faudra désormais compter avec le « Polisse » de Maïwenn dont le prix du jury cannois était en tout cas entièrement justifié.

    Cliquez ici pour lire le compte rendu de la conférence de presse cannoise de « Polisse ».

    conférence de presse Maïwenn 011.JPG

    conférence de presse Maïwenn 014.JPG

    conférence de presse Maïwenn 017.JPG

    conférence de presse Maïwenn 018.JPG

    conférence de presse Maïwenn 019.JPG

     

    conférence de presse Maïwenn 023.JPG

    conférence de presse Maïwenn 006.JPG

     

    Lien permanent Imprimer Catégories : IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 3 commentaires