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  • Critique de LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES de Michel Hazanavicius

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    Le film de Michel Hazanavicius, La Plus Précieuse Des Marchandises figurait parmi les films en compétition au Festival de Cannes 2024. Il fut aussi présenté en avant-première au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2024, et au Festival du Cinéma et Musique de La Baule 2024. Il fit également l’ouverture du Festival International du Film d’Annecy. À Cannes, il a remporté le prix du Cinéma positif, un prix qui récompensait ainsi son « engagement et son message sur des thématiques fortes, pleines d’espoir et d’humanité », permettant « au monde de réfléchir à un monde meilleur ».

    L’an passé, avec son chef-d’œuvre La Zone d’intérêt, également présenté en compétition à Cannes mais aussi en avant-première dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023, Jonathan Glazer prouvait d’une nouvelle manière, singulière, puissante, audacieuse et digne, qu’il est possible d’évoquer l’horreur sans la représenter frontalement, par des plans fixes, en nous en montrant le contrechamp, reflet terrifiant de la banalité du mal, non moins insoutenable, dont il signait ainsi une démonstration implacable, réunissant dans chaque plan deux mondes qui coexistent, l'un étant une insulte permanente à l’autre.

    Avant lui, bien d’autres cinéastes avaient évoqué la Shoah : Claude Lanzmann (dont le documentaire, Shoah, reste l’incontournable témoignage sur le sujet, avec également le court-métrage d’Alain Resnais, Nuit et brouillard) qui écrivit ainsi : « L’Holocauste est d’abord unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas franchir parce qu’un certain absolu de l’horreur est intransmissible : prétendre pourtant le faire, c’est se rendre coupable de la transgression la plus grave. »

    Autre approche que celle de La Liste de Schindler de Spielberg ( qui va à l'encontre même de la vision de Lanzmann) dont le scénario sans concessions au pathos de Steven Zaillian, la photographie entre expressionnisme et néoréalisme de Janusz Kaminski (splendides plans de Schindler partiellement dans la pénombre qui reflètent les paradoxes du personnage), l’interprétation de Liam Neeson, passionnant personnage, paradoxal, ambigu et humain à souhait, et face à lui, la folie de celui de Ralph Fiennes, la virtuosité et la précision de la mise en scène (qui ne cherche néanmoins jamais à éblouir mais dont la sobriété et la simplicité suffisent à retranscrire l’horrible réalité), la musique poignante de John Williams par laquelle il est absolument impossible de ne pas être ravagé d'émotions à chaque écoute (musique solennelle et austère qui sied au sujet avec ce violon qui larmoie, voix de ceux à qui on l’a ôtée, par le talent du violoniste israélien Itzhak Perlman, qui devient alors, aussi, le messager de l’espoir), et le message d’espérance malgré toute l’horreur en font un film bouleversant et magistral. Et cette petite fille en rouge que nous n'oublierons jamais, perdue, tentant d’échapper au massacre (vainement) et qui fait prendre conscience à Schindler de l’individualité de ces Juifs qui n’étaient alors pour lui qu’une main d’œuvre bon marché.

    En 2015, avec Le Fils de Saul, László Nemes nous immergeait dans le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, en octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau.

    Avec le plus controversé La vie est belle, Benigni avait lui opté pour le conte philosophique, la fable pour démontrer toute la tragique et monstrueuse absurdité à travers les yeux de l’enfance, de l’innocence, ceux de Giosué. Benigni ne cède pour autant à aucune facilité, son scénario et ses dialogues sont ciselés pour que chaque scène « comique » soit le masque et le révélateur de la tragédie qui se « joue ». Bien entendu, Benigni ne rit pas, et à aucun moment, de la Shoah mais utilise le rire, la seule arme qui lui reste, pour relater l’incroyable et terrible réalité et rendre l’inacceptable acceptable aux yeux de son enfant. Benigni cite ainsi Primo Levi dans Si c’est un homme qui décrit l’appel du matin dans le camp. « Tous les détenus sont nus, immobiles, et Levi regarde autour de lui en se disant : «  Et si ce n’était qu’une blague, tout ça ne peut pas être vrai… ». C’est la question que se sont posés tous les survivants : comment cela a-t-il pu arriver ? ». Tout cela est tellement inconcevable, irréel, que la seule solution est de recourir à un rire libérateur qui en souligne l'absurdité. Le seul moyen de rester fidèle à la réalité, de toute façon intraduisible dans toute son indicible horreur, était donc, pour Benigni, de la styliser et non de recourir au réalisme. Quand il rentre au baraquement, épuisé, après une journée de travail, il dit à Giosué que c’était « à mourir de rire ». Giosué répète les horreurs qu’il entend à son père comme « ils vont faire de nous des boutons et du savon », des horreurs que seul un enfant pourrait croire mais qui ne peuvent que rendre un adulte incrédule devant tant d’imagination dans la barbarie (« Boutons, savons : tu gobes n’importe quoi ») et n’y trouver pour seule explication que la folie (« Ils sont fous »). Benigni recourt à plusieurs reprises intelligemment à l’ellipse comme lors du dénouement avec ce tir de mitraillette hors champ, brusque, violent, où la mort terrible d’un homme se résume à une besogne effectuée à la va-vite. Les paroles suivantes le « C’était vrai alors » lorsque Giosué voit apparaître le char résonne alors comme une ironie tragique. Et saisissante.

    C’est aussi le genre du conte qu’a choisi Michel Hazanavicius, pour son premier film d’animation, qui évoque également cette période de l’Histoire, une adaptation du livre La Plus Précieuse Des Marchandises de Jean-Claude Grumberg. Le producteur Patrick Sobelman lui avait ainsi proposé d’adapter le roman avant même sa publication.

     Le réalisateur a ainsi dessiné lui-même les images, particulièrement marquantes (chacune pourrait être un tableau tant les dessins sont magnifiques), il dit ainsi s’être nourri du travail de l’illustrateur Henri Rivière, l’une des figures majeures du japonisme en France. En résulte en effet un dessin particulièrement poétique, aux allures de gravures ou d’estampes.

    Ainsi est résumé ce conte :  Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron (voix de Grégory Gadebois) et une pauvre bûcheronne (voix de Dominique Blanc). Le froid, la faim, la misère, et partout autour d´eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse leur bois. Protégée quoi qu’il en coûte, ce bébé, cette petite marchandise va bouleverser la vie de cette femme, de son mari, et de tous ceux qui vont croiser son destin, jusqu’à l’homme qui l’a jeté du train.

     Avant même l’horreur que le film raconte, ce qui marque d’abord, ce sont les voix, celle si singulière et veloutée de Jean-Louis Trintignant d’abord (ce fut la dernière apparition vocale de l’acteur décédé en juin 2022) qui résonne comme une douce mélopée murmurée à nos oreilles pour nous conter cette histoire dont il est le narrateur. Dans le rôle du « pauvre bûcheron », Grégory Gadebois, une fois de plus, est d’une justesse de ton remarquable, si bien que même longtemps après la projection son « Même les sans cœurs ont un cœur » (ainsi appellent-ils d’abord les Juifs, les « sans cœurs » avant de tomber fou d’amour pour ce bébé et de réaliser la folie et la bêtise de ce qu’il pensait jusqu’alors et avant d’en devenir le plus fervent défenseur, au péril de sa vie) résonne là aussi encore comme une litanie envoûtante et bouleversante.

    Le but était ainsi que le film soit familial et n’effraie pas les enfants. Les images des camps sont donc inanimées, accompagnées de neige et de fumée, elles n’en sont pas moins parlantes, et malgré l’image figée elles s’insinuent en nous comme un cri d’effroi. Le but du réalisateur n’était néanmoins pas de se focaliser sur la mort et la guerre mais de rendre hommage aux Justes, de réaliser un film sur la vie, de montrer que la lumière pouvait vaincre l’obscurité. Un message qu’il fait plus que jamais du bien d’entendre.

     Le film est accompagné par les notes d’Alexandre Desplat qui alternent entre deux atmosphères du conte : funèbre et féérique (tout comme dans le dessin et l’histoire, la lumière perce ainsi l’obscurité). S’y ajoutent deux chansons : La Berceuse (Schlof Zhe, Bidele), chant traditionnel yiddish, et Chiribim Chiribom, air traditionnel, interprétées par The Barry Sisters.

    Michel Hazanavicius signe ainsi une histoire d’une grande humanité, universelle, réalisée avec délicatesse, pudeur et élégance sans pour autant masquer les horreurs de la Shoah. Les dessins d’une grande qualité, les sublimes voix qui narrent et jouent l’histoire, la richesse du texte, la musique qui l’accompagne en font un film absolument captivant, d’une grande douceur malgré l’âpreté du sujet et de certaines scènes. Un conte qui raconte une réalité historique. Une ode au courage, elle-même audacieuse. On n’en attendait pas moins de la part de celui qui avait osé réaliser des OSS désopilants, mais aussi The Artist, un film muet (ou quasiment puisqu’il y a quelques bruitages), en noir et blanc tourné à Hollywood, un film qui concentre magistralement la beauté simple et magique, poignante et foudroyante, du cinéma, comme la découverte de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable. Chacun de ses films prouve l’immense étendue du talent de Michel Hazanavicius qui excelle et nous conquiert avec chaque genre cinématographique, aussi différents soient-ils avec, toujours, pour point commun, l’audace.

    Des années après Benigni, Hazanavicius a osé à son tour réaliser un conte sur la Shoah, qui est avant tout une ode à la vie, un magnifique hommage aux Justes, sobre et poignant, qui use intelligemment du hors champ pour nous raconter le meilleur et le pire des hommes, la générosité, le courage et la bonté sans limites (représentées aussi par cette Gueule cassée de la première guerre mondiale incarnée par la voix de Denis Podalydès)  et la haine, la bêtise et la cruauté sans bornes, et qui nous laisse après la projection, bouleversés, avec, en tête, les voix de Grégory Gadebois et Jean-Louis Trintignant, mais aussi cette lumière victorieuse, le courage des Justes auquel ce film rend magnifiquement hommage et cette phrase, à l’image du film, d’une force poignante et d’une beauté renversante  :  « Voilà la seule chose qui mérite d’exister : l’amour. Le reste est silence ».

  • Critique de SARAH BERNHARDT LA DIVINE de Guillaume Nicloux (au cinéma le 18.12.2024)

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    « Je n'appartiens à personne ; quand la pensée veut être libre, le corps doit l'être aussi. » Cette citation d’Alfred de Musset (dans Lorenzaccio, pièce évoquée dans le film) pourrait être la devise de Sarah Bernhardt.

    Qui ne connaît pas le nom de Sarah Bernhardt ? Si son patronyme est mondialement connu, de même que ses excentricités (son cercueil en guise de lit, les animaux sauvages dont elle était entourée...), la femme derrière la légende de l’actrice fantasque et adulée à la fin du XIXème et au début du XXème demeure malgré tout mystérieuse. Guillaume Nicloux, en choisissant l’angle original de la romance historique, nous invite à découvrir qui était cette icône, considérée comme la première star mondiale, « monstre sacré », femme amoureuse, libre et moderne qui défia les conventions.

    Le film débute par une agonie. La fin de La Dame aux Camélias interprétée par Sarah Bernhardt sur scène, pour laquelle la réalisation, au plus près de son visage et de son corps, plaçant la salle du théâtre hors-champ, laisse d’abord penser qu’il s’agit de sa propre agonie à laquelle nous assistons. Dès le début apparaît donc ce qui constitue le grand intérêt de ce film, le jeu habité de Sandrine Kiberlain. Le film est ainsi presque un documentaire sur le jeu d’actrice et sur une actrice qui joue une actrice qui joue.

    La scénariste, Nathalie Leuthreau, plutôt que d’opter pour un biopic chronologique et aussi exhaustif et réaliste que possible a cependant fait le choix de centrer le récit autour de deux dates clefs : la journée du jubilée de Sarah Bernhardt, sa consécration, en 1896, organisée par ses proches, et l’amputation de sa jambe en 1915 par laquelle le film commence avec, à son chevet, Sacha Guitry, tandis que son père Lucien, apprenant que ce dernier est à ses côtés, s’éclipse. Sarah explique à Sacha qu’elle est responsable de leur brouille. Commence alors le récit de son histoire avec Lucien Guitry, le grand amour de sa vie….

     Peu de documents figurent sur ces deux moments de sa vie autour desquels s’articule le scénario pour dessiner le personnage de Sarah Bernhardt. Et un personnage, Sarah Bernhardt en était indéniablement un : pétrie de contradictions, fantasque, excessive, obstinée, aventurière, aventureuse, libre, audacieuse, démesurée… ! L’angle choisi est celui de la femme amoureuse qui défie la morale, les conventions et la raison. Une femme aux amours multiples, qui assume sa maternité sans mari (ce qui était subversif à l’époque), d’aimer les femmes comme les hommes, mais aussi qui dirige un théâtre, s’occupe des costumes, des décors de ses pièces : une femme qui suit ses envies dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Une femme en avance sur son temps. Le film est ainsi à son image : libre et moderne, n’hésitant pas à user d’anachronismes. Elle n’était pas seulement libre dans le rapport aux hommes, aux femmes, à son métier (en décidant de tout, en jouant des rôles d’hommes), elle l’était aussi pour avoir banni le corset bien avant que les couturiers le décident.  Sa liberté se manifestait dans son corps et dans son âme, et dans toutes les strates de sa vie.

    Nathalie Leuthreau et Guillaume Nicloux ont donc inventé une histoire d’amour avec Lucien Guitry, le père de Sacha, qui est le point central du film, en s’inspirant d’autres histoires d’amour de Sarah Bernhardt.

    Si ce choix scénaristique a ses limites (on ne découvre de son travail de comédienne que peu de choses, on ne sait que peu de son enfance), il constitue aussi l’intérêt du film. Celui de dresser le portrait d’une femme fascinante et passionnée dont la vie était tellement dense qu’il était de toute façon impossible de la retranscrire dans son intégralité. Et celui de nous raconter une histoire d’amour qui traverse les orages et le temps entre celle qui n’a jamais aimé que Guitry et celui qui n’a jamais cessé d’aimer Bernhardt.

    Tout aussi moderne et tristement actuel est son combat contre l’antisémitisme. Elle convainc ainsi Zola (Arthur Igual) de se plonger dans le dossier de l’affaire Dreyfus, avant qu’il ne rédige son historique J’accuse en faveur du capitaine : « Plongez-vous dans ce dossier et vous verrez que vous aurez raison de vouloir sa liberté. »

    Sandrine Kiberlain se glisse avec maestria dans la peau de ce personnage aux multiples facettes tout comme Sarah Bernhardt se glissait dans les siens. « Laissez-moi, il faut que je me quitte », déclare-t-elle ainsi avec emphase. Elle fait habilement percer le désespoir et la noirceur derrière les extravagances et les excès. Sa voix, ses gestes, sa démarche : tout contribue à créer ce personnage derrière lequel s’efface Kiberlain pour devenir Bernhardt et c’est magistral et captivant à observer. Nous avions laissé Sandrine Kiberlain, prouvant une nouvelle fois sa puissance comique sous la caméra de Podalydès, dans La Petite vadrouille , dans lequel elle incarnait une Justine forte et fragile. Une fois de plus, ce rôle de Sarah Bernhardt témoigne de sa capacité étonnante à passer d’un registre à l’autre avec des rôles aux antipodes les uns des autres. Difficile de trouver plus différentes que Sarah Bernhardt et la discrète et effacée Mademoiselle Chambon, et pourtant Sandrine Kiberlain est aussi remarquable dans le film de Nicloux qu’elle l’était dans celui de Brizé ou dans Chronique d’une liaison passagère d'Emmanuel Mouret dans lequel elle est solaire et aventureuse, ou encore dans Le Parfum vert de Nicolas Pariser dans lequel était déjà désopilante dans le rôle de Claire, une femme déterminée, obstinée, fantasque, extravertie…qualificatifs qui pourraient aussi s’appliquer à une certaine Sarah Bernhardt.

    À ses côtés évolue une bande de comédiens de grand talent, notamment le trop rare Grégoire Leprince-Ringuet (dont je vous recommande au passage le film qu’il a réalisé en 2016, La forêt de Quinconces, un ballet fiévreux, aux frontières du fantastique, d’une inventivité rare, qui ne pourra que séduire les amoureux de la poésie et de la littérature) dans le rôle de son fils, ou encore Laurent Stocker dans le rôle de Pitou, son homme à tout faire, répétiteur, souffre-douleur, mais aussi Amira Casar, dans le rôle de son amie et amante Louise Abbéma, ou encore Pauline Etienne dans le rôle de Suzanne. Face à la tornade Bernhardt/Kiberlain, Laurent Lafitte impose sa tranquille présence dans le rôle de Lucien Guitry.

    Porté par la musique classique de Reynaldo Hahn, Ravel, Debussy, Chopin, Schubert…, par les costumes chatoyants d'Anaïs Romand, la photographie éclatante d'Yves Cape, par le montage de Guy Lecorne et Karine Prido mais surtout par l’énergie débordante de Sandrine Kiberlain et les savantes nuances dans l’extravagance laissant pointer le désespoir et la clairvoyance derrière la folie, ce film sur Sarah Bernhardt vous laissera le souvenir d’un voyage détonant à la rencontre d’une personnalité à part, mais aussi avec l’envie d’en savoir plus sur cette femme inspirée et inspirante d’une modernité sidérante. Une ode à la liberté d’être soi et d’aimer.

    Pour terminer, je ne peux m’empêcher d’évoquer un autre film de Guillaume Nicloux, Valley of love, qui figurait en compétition du Festival de Cannes 2015. Un film qui ne ressemble à aucun autre, qui n’est pas dans le spectaculaire et l’esbroufe, mais dans l’intime et la pudeur, et qui aborde avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité une réflexion sur le deuil et ce lien distordu avec le réel qu’il provoque, tellement absurde et fou qu’il porte à croire à tout, même aux miracles, même une rencontre avec un mort dans une vallée du bout du monde. Aux frontières du fantastique qu’il franchit parfois, avec sa musique hypnotique, ses comédiens qui crèvent l’écran, un décor qui pourrait être difficilement plus cinégénique, intrigant, fascinant, inquiétant, Valley of love est un film captivant duquel se dégage un charme étrange  et envoûtant. Sa fin nous hante longtemps après le générique, une fin d’une beauté foudroyante, émouvante, énigmatique. Un film pudique et sensible qui mérite d’être vu et revu et qui ne pourra que toucher en plein cœur ceux qui ont été confrontés à cet intolérable et ineffable vertige du deuil. L’oublié du palmarès de Cannes 2015 comme le fut un autre film produit par sa productrice Sylvie Pialat l’année d'avant, l’immense  Timbuktu.

  • CIAK ! 2ème édition du Festival du film italien des Vosges - 22 au 24 novembre 2024 : le programme

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    Vous connaissez forcément le Festival du film italien de Villerupt qui célébrait cette année sa 47ème édition. Mais peut-être ne connaissez-vous pas encore ce nouveau festival également consacré au cinéma italien, CIAK !, le festival du film italien des Vosges, dont la deuxième édition aura lieu en fin de semaine, à Raon-l'Étape, dans les Vosges donc, du 22 au 24 novembre 2024.

    À la programmation et à la direction artistique de ce festival figure l'auteur, réalisateur et spécialiste du cinéma italien, Laurent Galinon (dont je vous recommande au passage le documentaire Delon Melville, la solitude de deux samouraïs mais aussi le livre Delon en clair-obscur) qui vous propose, pour cette deuxième édition, un hommage aux grandes actrices italiennes (la première édition était consacrée aux acteurs de la "Comédie à l'italienne".)

    Au programme, cette année : quatre films, de Vittorio De Sica, Federico Fellini, Mario Monicelli, Alberto Lattuada, respectivement avec Sophia Loren, Giulietta Masina, Anna Magnani, Catherine Spaak.

    Les organisateurs présentent ainsi le thème de cette deuxième édition du festival :

    " Un demi siècle plus tard, les actrices que nous avons choisies demeurent des icônes, à la fois éruptives et subtiles, facétieuses et bouleversantes ; capables en un battement de cils, de passer du rire aux larmes chez Fellini ou de Sica, pour nous raconter cette Italie complexe que nous aimons tant admirer."

    Voici les quatre films programmés dans le cadre du festival

    - Larmes de Joie (1961). Réalisé par Mario Monicelli – 1H46 - N/B. Avec Anna Magnani, Toto et Ben Gazzara. Vendredi 22 novembre à 20 h. 

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    - Les Adolescentes (1960). Réalisé par Alberto Lattuada – 1H30 - N/B. Avec Catherine Spaak, Gabriele Ferzetti. Samedi 23 novembre à 17h.

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    - Les Nuits de Cabiria (1957). Réalisé par Federico Fellini – 1H55 - N/B. Avec Giuletta Massina, Amedeo Nazzari. Samedi 23 novembre à 20h30.

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    Hier, Aujourd’hui et Demain (1963). Réalisé par Vittorio de Sica – 2 h - Couleurs. Avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni. Dimanche 24 novembre à 10h.

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    Le réalisateur Emmanuel Barnault, auteur de près d'une trentaine de documentaires sur le cinéma, sera l'invité d'honneur du festival. Deux portraits de son documentaire Nos Italiennes, de Magnani à Muti ( 15 portraits d'actrices italiennes inoubliables : Sophia Loren, Anna Magnani, Monica Vitti, Claudia Cardinale, Stefania Sandrelli, Léa Massari, Antonella Lualdi...) seront diffusés avant chaque séance.

    Suivez le festival sur Instagram (@ciak_festival) et sur Facebook, ici.

    Théâtre de la Halle aux Blés -  32, rue Jules-Ferry  - Raon-l'Étape

    Plein tarif : 5.00 € / Pass 4 films : 16.00 €

  • CONCERT - DELON, LE DERNIER SAMOURAÏ – Palais des Congrès – 8 novembre 2024

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    « Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. » Hier soir, le Palais des Congrès tenait lieu de cercle rouge à ceux qui souhaitaient rendre hommage au « dernier samouraï », le jour de son anniversaire, presque deux mois après sa mort survenue au cœur de l’été dernier, en « plein soleil ».

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    Manalese. Sartet. Gabin. Delon. Verneuil. Morricone. Cela a commencé comme cela. Par le « duel » final Manalese (Gabin) / Sartet (Delon) sur la musique entêtante de Morricone (pour laquelle ce dernier disait s’être inspiré du Prélude et Fugue 543 de Bach). Sartet meurt. Delon meurt souvent. Enfin non, cela a commencé un peu avant, avec la musique de Clapton à tue-tête dans le bus qui me menait vers le Palais des Congrès. J’ignore quelle était la probabilité que le chauffeur fasse résonner cette musique-là, à ce moment-là, une des musiques préférées de celui qui m’a fait aimer le cinéma grâce aux films avec Delon. Il paraît que « la chance, ça n’existe pas » (citation extraite de Borsalino), mais les signes du destin, et le hasard peut-être ?

    80 musiciens. 20 films. 20 musiques. Un ciné-concert symphonique au profit de la recherche contre Alzheimer (que Delon soutenait). Un hommage à l’image de Delon : sobre, nostalgique, mélancolique, élégant, concentré sur l’essentiel : le cinéma. Des souvenirs de vie et de cinéma qui se confondent, le tourbillon étourdissant des extraits, des musiques, allant crescendo pour finalement nous emporter et faire chavirer d’émotions. Sarde. Morricone. Delerue. Rota. Demarsan. De Roubaix. Bolling. Legrand.  Borniche. Ripley. Rocco. Tancrède. Costello. Sartet. Siffredi. Klein. Corey. Clément. Verneuil. Visconti. Losey. Cavalier. Melville. Deray. Giovanni. Granier-Deferre. Dans le désordre. La liste impressionnante des compositeurs de musiques de films dans lesquels Delon a tourné, à l’honneur hier soir (et que de chefs-d’œuvre parmi ces musiques, redécouvertes grâce à ce ciné-concert, comme celle de Rocco et ses frères, de Nino Rota, dont j’avais oublié à quel point elle était bouleversante). Les noms des personnages que Delon a rendus immortels et qui seuls suffisent à nous rappeler les films dans lesquels il les incarne. Les immenses metteurs en scène des films en question. Les extraits juxtaposés témoignaient du talent unique et du jeu protéiforme de Delon, mais qui en douterait encore ? Les variations de la voix. L’intensité et la polysémie du regard, l’émotion qui y affleure souvent. Et puis ces regards échangés, d’une puissance renversante. Entre Gabin et Delon à la fin de Mélodie en sous-sol (avec l’inoubliable musique de Michel Magne). Entre Signoret et Delon (La Veuve Couderc, musique de Philippe Sarde). Entre Gabin et Delon (Deux hommes dans la ville, musique de Philippe Sarde). Dans les deux derniers, la mort qui s’insinue dans les regards et les silences. Alors, le cœur qui s’emballe, parce que ce n’est plus tout à fait du cinéma. Oui, Delon meurt beaucoup. Et puis ces mots (écrits par Barbelivien) avec la voix de Delon qui envahit le Palais des Congrès, présent, vivant même soudain, sur la musique de Rêve d’amour de Liszt (quel autre incroyable signe du destin que comprendront ceux qui auront lu La Symphonie des rêves). Alors, oui Delon meurt beaucoup, est mort pour de bon mais hier soir son ombre illuminait le Palais des Congrès lors de ce moment où réalité et fiction valsaient comme Tancrède et Angelica dans Le Guépard. 

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    J’ai repensé à cette scène du Guépard justement : Salina (Lancaster), face à sa solitude, devant un tableau de Greuze, La Mort du juste, faisant « la cour à la mort » comme le lui dira Tancrède (Delon). Angelica, Tancrède et Salina ensuite dans cette même pièce face à ce tableau morbide alors qu’à côté se fait entendre la musique joyeuse du bal. L’aristocratie vit ses derniers feux mais déjà la fête bat son plein. Devant les regards attristés et admiratifs de Tancrède et Angelica, Salina s’interroge sur sa propre mort. Les regards lourds de sens qui s’échangent entre eux trois, la sueur qui perle sur les trois visages, ce mouchoir qu’ils s’échangent pour s’éponger en font une scène d’une profonde cruauté et sensualité, entre deux regards et deux silences, devant ce tableau terriblement prémonitoire de la mort d’un monde et d’un homme, illuminé par deux bougies que Salina a lui-même allumées comme s’il admirait, appelait, attendait sa propre mort, devant ces deux êtres resplendissants de jeunesse, de gaieté, de vigueur. Là, Delon ne mourait pas, il incarnait la vie.

    Cet hommage (posthume, vraiment là) m’a évidemment fait repenser à ce soir, poignant et inoubliable, du 19 mai 2019, lorsque Delon recevait sa palme d’or d’honneur, où il faisait ses adieux à la vie et à la scène, et évoquait « un hommage posthume de mon vivant ».

     « Je ne joue pas. Je vis », disait-il aussi. Alors, hier soir, lors de cette soirée mémorable, il ne jouait pas, il vivait. Après cela, il a fallu retrouver la réalité, s’enfoncer dans le silence de la nuit percé par les galimatias des noctambules, la vie qui n’était plus un jeu. Quoique… J’aime à croire qu’elle peut l’être comme m’y incitaient les musiques de films sublimant davantage encore la beauté incendiaire Paris qui résonnaient dans ma tête, contribuant à ce que tout se mélange un peu : les morts, les vivants, Clapton, Liszt, Morricone, Delon, le hasard, les signes du destin, la vie, le cinéma, le passé, le présent, la nostalgie, la joie, la musique joyeuse du bal et, finalement, la vie qui l’emportait là aussi, la vie qui M’emportait. Pour terminer, et refermer le cercle rouge, une autre citation, extraite du Samouraï cette fois :

    « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï. Si ce n'est celle d'un tigre dans la jungle...Peut-être. »
    (Quelques mots désordonnés encore portée par l'émotion d'hier et peu d'images ayant préféré profiter de l'instant et aussi parce qu'elles sont souvent plus imparfaites et traîtresses et moins puissantes que les souvenirs).

    En complément : mon article "Delon, hommage et souvenirs" écrit le 18.08.2024.