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  • Critique de BORSALINO de Jacques Deray à 20H45 sur Paris Première

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      C'était en 1970. 4, 7 millions de spectateurs avaient alors vu ce film produit par Alain Delon. Un film alors très médiatisé. Et pour cause : deux mythes du cinéma s'y retrouvaient pour la première fois, 28 ans avant que Patrice Leconte les réunisse à nouveau pour « Une chance sur deux ». Belmondo avait d'ailleurs reproché à Delon d'être deux fois sur l'affiche, en tant que producteur et en tant qu'acteur. Ce jeu et cette apparente concurrence entre les deux acteurs avaient même conduit Jacques Deray à s'arranger pour qu'ils aient exactement le même nombre de plans et il est vrai que les deux acteurs y sont autant l'un que l'autre à leur avantage...

    Basé sur le roman « Bandits à Marseille » d'Eugène Saccomano, « Borsalino » est inspiré de l'histoire des bandits Carbone et Spirito   dont les noms avaient finalement été remplacés en raison de leurs rôles pendant l'Occupation. On y retrouve, outre Delon et Belmondo,  Nicole Calfan, Françoise Christophe, Corinne Marchand, Mireille Darc (qui fait une apparition remarquée) mais aussi Michel Bouquet, Julien Guiomar, Mario David, Laura Adani. Les dialogues sont signés Jean-Claude Carrière, co-scénariste avec Claude Sautet, Jacques Deray, Jean Cau. Rien de moins !

    Début des années 30 à Marseille. Roch Siffredi (Alain Delon) sort de prison. Venu retrouver son amie Lola (Catherine Rouvel) il rencontre par la même occasion son nouvel amant François Capella (Jean-Paul Belmondo). S'ensuit une bagarre entre les deux rivaux, elle scellera le début d'une indéfectible amitié.  Capella cherche à se faire une place dans la pègre marseillaise. Les deux truands vont ainsi se trouver et  se respecter. De cette réunion va naître une association de malfaiteurs florissante puis une amitié à la vie, à la mort qui va leur permettre de gravir les échelons de la Pègre marseillaise !

    D'un côté, Capella/Belmondo séducteur, désinvolte, bon vivant,  aux goûts clinquants et aux manières cavalières. De l'autre Siffredi/Belmondo élégant, ambitieux, taciturne, froid, implacable, presque inquiétant. Deux mythes du cinéma face à face, côte à côte qui jouent avec leurs images. Parfois avec dérision (ah la scène de la baignade, ah la bagarre...), démontrant ainsi d'ailleurs l'humour dont ils savaient et savent faire preuve même celui dont ses détracteurs l'accusaient à tort d'en être dépourvu, même si dans le DVD on reconnaît plus volontiers cette qualité à Jean-Paul Belmondo et à Delon... sa générosité. Jouant avec leur image encore lorsqu'ils deviennent des gangsters stars sur le passage desquels on se  détourne, et applaudis par la foule, comme ils le sont en tant qu'acteurs.

    C'est aussi un hommage aux films de gangsters américains, aux films de genre, avec leurs voitures rutilantes,  leurs tenues élégantes parfois aussi clinquantes (dont le fameux Borsalino qui inspira le titre du film), leurs femmes fatales mystérieuses ou provocantes, leurs lieux aussi folkloriques et hauts en couleurs que les personnages qui les occupent. En toile de fond la pittoresque Marseille, Marseille des années 30,  sorte de Chicago française, Marseille luxueusement reconstituée que Deray filme avec minutie, chaleur, avec l'allégresse qui illumine son film influencé par l'atmosphère ensoleillée et chaleureuse de Marseille. Sa caméra est alerte et virevoltante et elle accompagne avec une belle légèreté et application quelques scènes d'anthologie comme celle de la fusillade dans la boucherie. Tout cela donne au film une vraie « gueule d'atmosphère » qui n'appartient qu'à lui. Et s'il n'y a pas réellement de suspense, Deray nous fait suivre et vivre l'action sans penser à la suivante, à l'image de Siffredi et Capella qui vivent au jour le jour;  il  ne nous embarque pas moins avec vivacité dans cette ballade réjouissante, autant teintée d'humour et de second degré (dans de nombreuses scènes mais aussi dans les dialogues, savoureux) que de nostalgie, voire de mélancolie suscitée par la solitude du personnage de Delon dont la majesté de fauve, parfois la violence, semblent être les masques de la fragilité. Et dont la solitude fait écho à celle de l'acteur, auréolé d'un séduisant mystère. Celui d'un fauve blessé.

    Un film que ses deux acteurs principaux font entrer dans la mythologie de l'Histoire  du cinéma, et qui joue intelligemment avec cette mythologie, ce film étant par ailleurs  avant tout un hymne à l'amitié incarnée par deux prétendus rivaux de cinéma.  Ce sont évidemment deux rôles sur mesure pour eux mais c'est aussi toute  une galerie de portraits et de personnages aussi pittoresques que la ville dans laquelle ils évoluent qui constitue d'ailleurs  un véritable personnage (parmi lesquels le personnage de l'avocat magistralement interprété par Michel Bouquet). Un film avec un cadre, une ambiance, un ton, un décor, deux acteurs uniques. Et puis il y a l'inoubliable musique de Claude Bolling avec ses notes métalliques parfois teintées d'humour et de violence, de second degré et de nostalgie, d'allégresse et de mélancolie,  de comédie et de polar entre lesquels alterne ce film inclassable.

    « Borsalino » fut nommé aux Golden Globes et à l'ours d'or. Quatre ans plus tard Jacques Deray réalisera Borsalino and co, de nouveau avec Alain Delon, sans connaître le même succès auprès du public et de la critique. Reste un film qui, 40 ans après, n'a rien perdu de son aspect jubilatoire et semble même aujourd'hui encore, pour son habile mélange des genres, en avoir inspiré beaucoup d'autres. Imité, rarement égalé. En tout cas inimitable pour ses deux personnages principaux que ses deux acteurs mythiques ont rendu à leur tour mythiques, les faisant entrer dans la légende, et dans nos souvenirs inoubliables, inégalables et attendris de cinéphiles.

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  • Critique de L'ATTENTE de Julien Piero Messina

    C'est dans le cadre du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule dont vous pouvez retrouver mon compte rendu complet, ici, que j'ai eu le plaisir de découvrir ce film.

    attente

    Un film avec Juliette Binoche dont les choix cinématographiques sont toujours judicieux, est déjà en soi une promesse de bon film. « Copie conforme » de Kiarostami reste pour moi une des plus exceptionnelles performances d’actrices à laquelle il m’ait été donné d’assister. Malgré sa jeune carrière, Lou de Lâage se distingue par l’intelligence de ses choix et par son immense talent qui crève l’écran de « J’aime regarder les filles » de Frédéric Louf à « Respire » de Mélanie Laurent. J’étais donc impatiente de voir les deux réunies pour ce film réalisé par un ex assistant de Paolo Sorrentino et produit par les producteurs de « Youth » et « La Grande Bellezza ». Lors du débat d’après film, dans le cadre du festival, le producteur nous a expliqué qu’il ne fut pas évident de trouver une « jeune femme qui puisse faire face à Juliette Binoche ». Et je ne vois pas quel meilleur choix il y aurait pu avoir que celui de Lou de Lâage.

    Synopsis : Dans les grands salons d’une ancienne villa marquée par le temps, Anna (Juliette Binoche), touchée par un deuil soudain, passe ses journées dans la solitude. La campagne sicilienne, sauvage et d’une grande beauté, entoure la maison et l’isole tandis que le brouillard se lève lentement sur les flancs de l’Etna. Seuls les pas de Pietro, l’homme à tout faire, rompent le silence. A l’improviste arrive Jeanne (Lou de Lâage), la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna, qu’il a invitée à venir passer quelques jours en Sicile. Anna ignorait l’existence de Jeanne et Giuseppe est absent. Il va revenir bientôt, très bientôt…c’est ce que dit Anna à Jeanne. Les jours passent, les deux femmes apprennent lentement à se connaître et attendent ensemble le jour de Pâques, où Giuseppe rentrera pour la procession.

    La sonnerie du téléphone qui retentit dans cette villa glacialement vide, sombre et silencieuse dans laquelle déambule Anna, livide, fantomatique, annonce le surgissement de la vie, de l’imprévu, impression renforcée par l’arrivée de Jeanne avec, en fond sonore, une musique pop qui contraste avec l’atmosphère recueillie de la scène qui précède. Dans cette villa déserte où ne déambule que l’homme à tout faire et sur laquelle semble peser un chagrin ineffable, va s’instaurer une relation trouble entre les deux femmes et la vie s’y immiscer à nouveau. Jeanne va apporter sa fougue, sa jeunesse, sa fraîcheur, son aveuglement, sa gaieté et la vie dans cette maison qui en a soudainement été dénuée. Sans doute a-t-elle tous les éléments pour comprendre, mais sans doute plus sidérée et incapable d’affronter la réalité que réellement aveugle à celle-ci, elle se jette à corps perdu dans le mensonge d’Anna. Le véritable mensonge étant finalement celui que les deux femmes se font à elles-mêmes. Les scènes lors desquelles cette dernière semble sur le point de lui avouer la vérité sont d’une rare justesse et se prêtent à ces diverses interprétations. Ces deux femmes en apparence si différentes se ressemblent finalement beaucoup. Le film est d’ailleurs baigné de contrastes, entre le soleil et la noirceur, les rires et les silences, le deuil et la vie éclatante que représente Jeanne. Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle comme lorsque les rayons du soleil se réverbèrent sur l’eau du lac dans lequel se baigne Jeanne. Le deuil renforce la beauté douloureuse de ce qui entoure les deux femmes qui le vivent.

    Parmi les très belles scènes de ce film qui n’en est pas avare, la danse envoûtante de Jeanne sur une chanson de Leonard Cohen (au titre à propos :« Waiting for miracle ») suspend le vol du temps et est à l’image de ce film : sensuel, sombre et solaire, ensorcelant et âpre comme un village de Sicile et, surtout, ce film est porté par deux splendides et talentueuses actrices qui apportent toute leur sensibilité à ces personnages exhalant la vie et la bienveillance et à ce beau film empreint de vie et de mélancolie, belle variation sur l’indicible attente et absence.

    Sortie en salles: le 16 décembre 2015