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Guillaume Nicloux

  • Critique de SARAH BERNHARDT LA DIVINE de Guillaume Nicloux (au cinéma le 18.12.2024)

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    « Je n'appartiens à personne ; quand la pensée veut être libre, le corps doit l'être aussi. » Cette citation d’Alfred de Musset (dans Lorenzaccio, pièce évoquée dans le film) pourrait être la devise de Sarah Bernhardt.

    Qui ne connaît pas le nom de Sarah Bernhardt ? Si son patronyme est mondialement connu, de même que ses excentricités (son cercueil en guise de lit, les animaux sauvages dont elle était entourée...), la femme derrière la légende de l’actrice fantasque et adulée à la fin du XIXème et au début du XXème demeure malgré tout mystérieuse. Guillaume Nicloux, en choisissant l’angle original de la romance historique, nous invite à découvrir qui était cette icône, considérée comme la première star mondiale, « monstre sacré », femme amoureuse, libre et moderne qui défia les conventions.

    Le film débute par une agonie. La fin de La Dame aux Camélias interprétée par Sarah Bernhardt sur scène, pour laquelle la réalisation, au plus près de son visage et de son corps, plaçant la salle du théâtre hors-champ, laisse d’abord penser qu’il s’agit de sa propre agonie à laquelle nous assistons. Dès le début apparaît donc ce qui constitue le grand intérêt de ce film, le jeu habité de Sandrine Kiberlain. Le film est ainsi presque un documentaire sur le jeu d’actrice et sur une actrice qui joue une actrice qui joue.

    La scénariste, Nathalie Leuthreau, plutôt que d’opter pour un biopic chronologique et aussi exhaustif et réaliste que possible a cependant fait le choix de centrer le récit autour de deux dates clefs : la journée du jubilée de Sarah Bernhardt, sa consécration, en 1896, organisée par ses proches, et l’amputation de sa jambe en 1915 par laquelle le film commence avec, à son chevet, Sacha Guitry, tandis que son père Lucien, apprenant que ce dernier est à ses côtés, s’éclipse. Sarah explique à Sacha qu’elle est responsable de leur brouille. Commence alors le récit de son histoire avec Lucien Guitry, le grand amour de sa vie….

     Peu de documents figurent sur ces deux moments de sa vie autour desquels s’articule le scénario pour dessiner le personnage de Sarah Bernhardt. Et un personnage, Sarah Bernhardt en était indéniablement un : pétrie de contradictions, fantasque, excessive, obstinée, aventurière, aventureuse, libre, audacieuse, démesurée… ! L’angle choisi est celui de la femme amoureuse qui défie la morale, les conventions et la raison. Une femme aux amours multiples, qui assume sa maternité sans mari (ce qui était subversif à l’époque), d’aimer les femmes comme les hommes, mais aussi qui dirige un théâtre, s’occupe des costumes, des décors de ses pièces : une femme qui suit ses envies dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Une femme en avance sur son temps. Le film est ainsi à son image : libre et moderne, n’hésitant pas à user d’anachronismes. Elle n’était pas seulement libre dans le rapport aux hommes, aux femmes, à son métier (en décidant de tout, en jouant des rôles d’hommes), elle l’était aussi pour avoir banni le corset bien avant que les couturiers le décident.  Sa liberté se manifestait dans son corps et dans son âme, et dans toutes les strates de sa vie.

    Nathalie Leuthreau et Guillaume Nicloux ont donc inventé une histoire d’amour avec Lucien Guitry, le père de Sacha, qui est le point central du film, en s’inspirant d’autres histoires d’amour de Sarah Bernhardt.

    Si ce choix scénaristique a ses limites (on ne découvre de son travail de comédienne que peu de choses, on ne sait que peu de son enfance), il constitue aussi l’intérêt du film. Celui de dresser le portrait d’une femme fascinante et passionnée dont la vie était tellement dense qu’il était de toute façon impossible de la retranscrire dans son intégralité. Et celui de nous raconter une histoire d’amour qui traverse les orages et le temps entre celle qui n’a jamais aimé que Guitry et celui qui n’a jamais cessé d’aimer Bernhardt.

    Tout aussi moderne et tristement actuel est son combat contre l’antisémitisme. Elle convainc ainsi Zola (Arthur Igual) de se plonger dans le dossier de l’affaire Dreyfus, avant qu’il ne rédige son historique J’accuse en faveur du capitaine : « Plongez-vous dans ce dossier et vous verrez que vous aurez raison de vouloir sa liberté. »

    Sandrine Kiberlain se glisse avec maestria dans la peau de ce personnage aux multiples facettes tout comme Sarah Bernhardt se glissait dans les siens. « Laissez-moi, il faut que je me quitte », déclare-t-elle ainsi avec emphase. Elle fait habilement percer le désespoir et la noirceur derrière les extravagances et les excès. Sa voix, ses gestes, sa démarche : tout contribue à créer ce personnage derrière lequel s’efface Kiberlain pour devenir Bernhardt et c’est magistral et captivant à observer. Nous avions laissé Sandrine Kiberlain, prouvant une nouvelle fois sa puissance comique sous la caméra de Podalydès, dans La Petite vadrouille , dans lequel elle incarnait une Justine forte et fragile. Une fois de plus, ce rôle de Sarah Bernhardt témoigne de sa capacité étonnante à passer d’un registre à l’autre avec des rôles aux antipodes les uns des autres. Difficile de trouver plus différentes que Sarah Bernhardt et la discrète et effacée Mademoiselle Chambon, et pourtant Sandrine Kiberlain est aussi remarquable dans le film de Nicloux qu’elle l’était dans celui de Brizé ou dans Chronique d’une liaison passagère d'Emmanuel Mouret dans lequel elle est solaire et aventureuse, ou encore dans Le Parfum vert de Nicolas Pariser dans lequel était déjà désopilante dans le rôle de Claire, une femme déterminée, obstinée, fantasque, extravertie…qualificatifs qui pourraient aussi s’appliquer à une certaine Sarah Bernhardt.

    À ses côtés évolue une bande de comédiens de grand talent, notamment le trop rare Grégoire Leprince-Ringuet (dont je vous recommande au passage le film qu’il a réalisé en 2016, La forêt de Quinconces, un ballet fiévreux, aux frontières du fantastique, d’une inventivité rare, qui ne pourra que séduire les amoureux de la poésie et de la littérature) dans le rôle de son fils, ou encore Laurent Stocker dans le rôle de Pitou, son homme à tout faire, répétiteur, souffre-douleur, mais aussi Amira Casar, dans le rôle de son amie et amante Louise Abbéma, ou encore Pauline Etienne dans le rôle de Suzanne. Face à la tornade Bernhardt/Kiberlain, Laurent Lafitte impose sa tranquille présence dans le rôle de Lucien Guitry.

    Porté par la musique classique de Reynaldo Hahn, Ravel, Debussy, Chopin, Schubert…, par les costumes chatoyants d'Anaïs Romand, la photographie éclatante d'Yves Cape, par le montage de Guy Lecorne et Karine Prido mais surtout par l’énergie débordante de Sandrine Kiberlain et les savantes nuances dans l’extravagance laissant pointer le désespoir et la clairvoyance derrière la folie, ce film sur Sarah Bernhardt vous laissera le souvenir d’un voyage détonant à la rencontre d’une personnalité à part, mais aussi avec l’envie d’en savoir plus sur cette femme inspirée et inspirante d’une modernité sidérante. Une ode à la liberté d’être soi et d’aimer.

    Pour terminer, je ne peux m’empêcher d’évoquer un autre film de Guillaume Nicloux, Valley of love, qui figurait en compétition du Festival de Cannes 2015. Un film qui ne ressemble à aucun autre, qui n’est pas dans le spectaculaire et l’esbroufe, mais dans l’intime et la pudeur, et qui aborde avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité une réflexion sur le deuil et ce lien distordu avec le réel qu’il provoque, tellement absurde et fou qu’il porte à croire à tout, même aux miracles, même une rencontre avec un mort dans une vallée du bout du monde. Aux frontières du fantastique qu’il franchit parfois, avec sa musique hypnotique, ses comédiens qui crèvent l’écran, un décor qui pourrait être difficilement plus cinégénique, intrigant, fascinant, inquiétant, Valley of love est un film captivant duquel se dégage un charme étrange  et envoûtant. Sa fin nous hante longtemps après le générique, une fin d’une beauté foudroyante, émouvante, énigmatique. Un film pudique et sensible qui mérite d’être vu et revu et qui ne pourra que toucher en plein cœur ceux qui ont été confrontés à cet intolérable et ineffable vertige du deuil. L’oublié du palmarès de Cannes 2015 comme le fut un autre film produit par sa productrice Sylvie Pialat l’année d'avant, l’immense  Timbuktu.

  • Critique de VALLEY OF LOVE de Guillaume Nicloux à 20H40 sur OCS Max

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    C’est à la fin du Festival de Cannes 2015 où il figurait en compétition officielle (le film était également en ouverture du Champs-Elysées Film Festival et en clôture du Festival du Film de Cabourg) que j’ai découvert pour la première fois « Valley of love », après 10 jours de grand cinéma qui font que, parfois, les images se mêlent, s’embrouillent, ne sont pas appréciées à leur juste valeur, surtout en un lieu et une époque où chacun se doit de donner (et de proclamer haut et fort) un avis à peine le générique terminé et qui comme le sujet du film finalement (le deuil) se doit d’être zappé. Or, certains films se dégustent plus qu’ils ne se dévorent, et il faut souvent du temps pour en appréhender la force, la profondeur, la pérennité de leurs images. C’est le cas de « Valley of love » qui, à Cannes, m’avait laissé un goût d’inachevé, malgré l’émotion qu’il avait suscitée en moi. Ce fut également sans aucun doute la conférence de presse la plus intéressante de ce 68ème Festival de Cannes. Curieusement, c’est celui auquel je repense le plus souvent et c’est sans aucun doute le pouvoir des grands films que de vous accompagner, de vous donner la sensation d’avoir effectué un voyage à l’issue duquel vous n’êtes plus tout à fait la même personne, c’est pourquoi j’ai décidé de retourner le voir pour vous en parler comme il le mérite…

    Isabelle (dont le prénom n’est d’ailleurs jamais prononcé) et Gérard (interprétés aussi par Isabelle –Huppert- et Gérard -Depardieu-) se rendent à un étrange rendez-vous dans la Vallée de la mort, en Californie. Ils ne se sont pas revus depuis des années et répondent à une invitation de leur fils, Michael, photographe, qu’ils ont reçue après son suicide, six mois auparavant. Malgré l’absurdité de la situation, ils décident de suivre le programme initiatique imaginé par Michael. Quel pitch prometteur et original, en plus de cette prestigieuse affiche qui réunit deux monstres sacrés du cinéma et qui reconstitue le duo de « Loulou » de Pialat, 35 ans après !

    Les premières minutes du film sont un modèle du genre. La caméra suit Isabelle qui avance de dos, vers un motel au milieu de nulle part. Une musique étrange et hypnotique (quelle musique, elle mérite presque à elle seul ce voyage !) l’accompagne. Les bruits de ses pas et de la valise marquent la cadence. Au fur et à mesure qu’elle avance, des notes dissonantes se glissent dans la musique. Puis, elle apparaît face caméra, dans la pénombre, son visage est à peine perceptible. Et quand elle apparaît en pleine lumière, c’est derrière les barreaux d’une fenêtre. Elle enlève alors ses lunettes et se dévoile ainsi à notre regard. Tout est là déjà : le cheminement, les fantômes du passé, l’ombre, le fantastique, la sensation d’enfermement, de gouffre obscur. Plus tard, ils se retrouvent. Le contraste est saisissant, entre le corps imposant et généreux de l’un, le corps frêle et sec de l’autre au milieu de ce paysage d’une beauté vertigineuse, infernale, fascinante, inquiétante.

    Le décor est le quatrième personnage avec Isabelle, Gérard, le fils absent et omniprésent. La chaleur est palpable, constamment. Des gouttes de sueur perlent sur le front de Gérard, se confondent parfois avec des larmes imaginées, contenues. Les grandes étendues vertigineuses du désert résonnent comme un écho à ce vertige saisissant et effrayant du deuil que ce film évoque avec tellement de subtilité, ainsi que son caractère si personnel et intransmissible. Isabelle n’est ainsi pas allée à l’enterrement de son fils parce qu’elle ne va plus aux enterrements depuis la mort de son père. On imagine que la vie les a l’un et l’autre happés, les a contraints à masquer leur douleur indicible, que ces étendues à perte de vue, le vide et l’enfer qu’elles symbolisent leur permet enfin d’y laisser libre cours « comme une sorte de pèlerinage. » : « Parfois j’ai l’impression que je vais m’effondrer, que plus rien ne me porte. Je me sens vidée, abandonnée », dit ainsi Isabelle.

    Grâce à l’humour judicieusement distillé, qui joue sur l’étanchéité des frontières entre leurs identités réelles et leurs identités dans le film (Gérard est acteur, dit être né à Châteauroux, et ne lit que les titres des films pour savoir s’il va accepter un film), elle est végétarienne, le trouve caractériel, lui reproche d’altérer l’écosystème parce qu’il nourrit les lézards. Le comique de situation provient du contraste entre ces deux corps, du contraste visuel aussi de ces deux personnages au milieu du décor (certains plans d’une beauté décalée, imprègnent autant la pellicule que la mémoire des spectateurs), à la fois gigantesques et minuscules dans cette vallée de la mort où ils ont rendez-vous avec leur fils, leur amour perdu. Ces quelques moments de comédie, comme dans le formidable film de Moretti, également en compétition du 68ème Festival de Cannes et également oublié du palmarès (« Mia Madre ») qui aborde le même sujet, permettent de respirer dans ce décor à perte de vue et étouffant avec cette chaleur écrasante, à l’image du deuil qui asphyxie et donne cette impression d’infini et d’inconnu oppressants.

    Mon seul regret concerne une scène trop écrite (dans la voiture) qui expose leurs situations respectives mais ce qui m’a gênée à la première vision, me paraît anecdotique à la deuxième. Certaines phrases résonnent avec d’autant plus de justesse qu’elles sont dites par des comédiens qui les prononcent avec une infinie délicatesse, qui trouvent constamment la note juste : « Si on se met à détester quelqu’un avec qui on a vécu c’est qu’on ne l’a jamais vraiment aimé. Quand on aime quelqu’un c’est pour toujours. » La force de ces deux immenses comédiens est de malgré tout nous faire oublier Depardieu et Huppert et de nous laisser croire qu’ils sont ces Isabelle et Gérard. Et il leur suffit de lire une lettre dans le décor épuré d’une chambre, sans autre artifice que leur immense talent, pour nous émouvoir aux larmes sans parler de cette scène finale bouleversante qui m’a ravagée à la deuxième vision autant qu’à la première.

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    Ce film qui ne ressemble à aucun autre, qui n’est pas dans le spectaculaire et l’esbroufe, mais dans l’intime et la pudeur, aborde avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité une réflexion sur le deuil et ce lien distordu avec le réel qu’il provoque, tellement absurde et fou, qu’il porte à croire à tout, même aux miracles, même une rencontre avec un mort dans une vallée du bout du monde. Aux frontières du fantastique qu’il franchit parfois, avec sa musique hypnotique, ses comédiens qui crèvent l’écran et un Depardieu à la présence plus forte que jamais (et il n’est pas question ici seulement de corpulence mais de sa capacité inouïe à magnétiser et occuper l’écran), un décor qui pourrait être difficilement plus cinégénique, intrigant, fascinant, inquiétant, « Valley of love »est un film captivant duquel se dégage un charme étrange   et envoûtant.

    En résulte une réflexion intéressante sur le deuil qui abolit ou suscite de nouvelles croyances (finalement l’homme ou la femme endeuillé(e) devient peut-être cet homme irrationnel du film de Woody Allen dans le formidable « Irrational man »), finalement comme le cinéma… Ainsi, Lambert Wilson, maître de cérémonie de ce 68ème Festival de Cannes, lors de l’ouverture, n’a-t-il pas dit lui-même « Le cinéma, c’est le rêve, le secret, le miracle, le mystère ». « Valley of love » est ainsi aussi une métaphore du cinéma, ce cinéma qui donne vie aux illusions, cette croyance folle que porte Isabelle face au scepticisme de Gérard.

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    Une fin qui nous hante longtemps après le générique, une fin d’une beauté foudroyante, émouvante, énigmatique. Un film pudique et sensible qui mérite d’être vu et revu et qui ne pourra que toucher en plein cœur ceux qui ont été confrontés à cet intolérable et ineffable vertige du deuil. L’oublié du palmarès comme le fut un autre film produit par sa productrice Sylvie Pialat l’année précédente, l’immense « Timbuktu ».

    -Conférence de presse de « Valley of love » au 68ème Festival de Cannes –

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    Ci-dessous, quelques citations de la conférence de presse cannoise, lors de laquelle les deux acteurs se sont prêtés sans rechigner et avec générosité au jeu des questions, et en particulier Gérard Depardieu, bien plus complexe et passionnant que l’image à laquelle certains voudraient le réduire (j’en veux pour preuve les citations de cette conférence de presse reprises avec démagogie par certains médias qui n’ont pas pris la peine de citer en entier ses propos).

    « J’étais émerveillée par le scénario. » Sylvie Pialat

    « Je ne me servirai pas du deuil de Guillaume pour le rôle car c’est 1deuil à part mais je peux imaginer le poids de ces lettres. » Depardieu

    « Je n’ai pas de vision de l’Ukraine. Je suis comme tout le monde choqué. J’adore peuple ukrainien. Ces conflits ne sont pas de mon ressort. » Depardieu

    « Monsieur Poutine, je le connais bien, je l’aime beaucoup et « l’URSS » j’y vais beaucoup ». Depardieu

    « Je connais très mal les cinéastes de maintenant. J’aime beaucoup des gens comme Audiard dont le physique me fait penser à son père. » Depardieu

    « J’adore les séries et des acteurs comme B. Willis. Je ne rechigne pas devant un bon Rossellini ou un très bon Pialat. » Depardieu

    « Je me suis rendu compte que je faisais ce métier par plaisir et parce que ça facilitait la vie. » Depardieu

    « J’ai décidé de faire ce métier car je ne voulais pas travailler. Je me suis rendu compte que je voulais vivre. » Depardieu

    « Ce film, c’est comme une lecture sur des questions essentielles dont nous avons oublié de nous souvenir. » Gérard Depardieu

    « En lisant script sur ces actes manqués de l’oubli, ces interrogations qui nous retombent dessus, je l’ai rarement lu. » Depardieu

    « J’avais vu « La Religieuse », un film qui m’avait particulièrement interpellé. » G.Depardieu

    « L’idée de départ, qu’on s’appelle Gérard et Isabelle a créé d’emblée un aspect documentaire, un rapport particulier aux rôles. » Huppert

    « On se croit sur une autre planète dans la Vallée de la mort. On ne peut se raccrocher à rien. » Isabelle Huppert

    « Le lieu a été l’élément déclencheur de l’histoire. » Guillaume Nicloux

  • La clef de Guillaume Nicloux : une âpreté ostensible et ostentatoire

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     Hier, devant un de mes cinémas de prédilection, j’ai hésité entre les deux films que je n’ai pas encore vus, scrutant longuement les deux affiches pour me décider : entre « Si c’était lui » d’Anne-Marie Etienne et « La clef » de Guillaume Nicloux. Entre l’une sur laquelle Carole Bouquet est hilare. Et l’autre sur laquelle Guillaume Canet semble poursuivi par le diable et sur laquelle est écrit « Un fils doit-il payer pour les fautes de son père ? », laquelle affiche me rappelait d’ailleurs étrangement celle de « Ne le dis à personne » (rappelez-vous il était déjà poursuivi par le diable), l’affiche n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre ces deux films. J’ai hésité entre l’ombre et la lumière.  Entre un film peut-être réussi mais dont le dénouement était prévisible (pas une critique, c’est simplement le principe même de la comédie romantique, qu’ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants) et un film dont l’âpreté l’était tout autant. Allez savoir pourquoi, la noirceur et son ambivalence m’ont davantage attirée. 

     Pour avoir vu un des deux précédents films de Guillaume Nicloux constituant cette « trilogie policière », je savais un peu à quoi m’attendre.  Un fils doit-il payer pour les crimes de son père donc ? Le fils c’est Eric Vincent (Guillaume Canet) dont la femme (Marie Gillain) aimerait justement en avoir un (fils donc). Un inconnu (Jean Rochefort) l’appelle pour qu’il vienne récupérer les cendres de son père qu’il n’a jamais connu. Tandis qu’un père, détective privé de son état déjà présent dans « Une affaire privée », François Manéri, (Thierry Lhermitte) recherche sa fille (Vanessa Paradis) la seule à pouvoir le sauver de sa maladie incurable, laquelle va justement se retrouver sur la route périlleuse d’Eric Vincent. A cela s’ajoute, 30 ans plus tôt, l’enquête de Michèle Varin (Josiane Balasko), commissaire de police, protagoniste de « Une affaire privée », qui enquête sur un brutal assassinat dont la naissance non moins brutale d’Eric Vincent s’avèrera être la conséquence… et autour de laquelle tourne la clef du mystère.

    J’ai lu ça et là que l’intrigue était incompréhensible. Non. Elle mêle juste les temporalités par une habile (dé)construction. Le montage et la structure scénaristique sont d’ailleurs selon moi le grand atout de ce film, outre le fait qu’il confirme ce que nous savions déjà : Guillaume Canet adore courir dans les films. Accessoirement, il confirme qu’il est aussi un des meilleurs acteurs de sa génération. La caméra à l’épaule de Guillaume Nicloux, au plus près des visages, au plus près de l’angoisse, au plus près des stigmates du temps pour d’autres (les visages sont filmés sans artifices, aucun acteur n’a été maquillé…c’est parfois cruel), ne pardonne rien. Si certains jugent cette intrigue incompréhensible, c’est que nous sommes de plus en plus habitués au confort hypnotisant des récits formatés, cadenassés, ordonnés, habitués à zapper quand cela sort des sentiers battus et balisés. Seulement au cinéma on ne peut pas zapper. La caméra impitoyable de Guillaume Nicloux nous emprisonne avec Guillaume Canet, et ne nous laisse aucun répit. En refusant un père et un fils Eric Vincent va se retrouver avec les deux, écartelé entre son passé et son avenir, plongé dans une obscure histoire dont il ne soupçonne pas être la clef.

    D’après les dires des acteurs qui tournent avec lui Guillaume Nicloux a une méthode assez radicale, par exemple il ne dit ni moteur ni action et il impose, par ce biais et par d’autres, une certaine tension, palpable à l’écran tant les acteurs semblent souffrir au-delà de leurs rôles.  A force de vouloir nous plonger dans un univers obscur, à force de demander à ses acteurs d’avoir l’air paumés, à force de les rendre méconnaissables pour   qu’ils ressemblent le moins possible à des acteurs qui jouent mais le plus possible à des êtres ordinaires, rongés par le temps et l’angoisse, à force de noirceur et de souci de réalisme surlignés, Guillaume Nicloux montre (trop) ostensiblement ses intentions.

    Reste que Guillaume Canet nous transmet son angoisse d’homme ordinaire plongé dans une étrange et extraordinaire affaire, que Vanessa Paradis est une nouvelle fois d’une fragilité et d’une justesse saisissantes, que Marie Gillain est très crédible en épouse rongée par son désir d’enfant, et aveuglée, que Jean Rochefort est impérial, comme toujours. Thierry Lhermitte joue à être méconnaissable. (un petit air de Michael Douglas dans « King of California » non ?), Josiane Balasko à être déprimée et à ne surtout pas sourire. Un film qui oscille entre le ridicule de l’ostentatoire et l’angoissant.  Le ridicule de la violence abjecte (corps calciné, bébé volé dans le ventre de sa mère, ventres lacérés) et des visages filmés sans artifices. Le ridicule de la noirceur par l’odeur de la mort omniprésente (Deux malades incurables pour un seul film ça fait beaucoup non ?). L’angoisse par cette caméra oppressante.

     Comme s’il voulait  justifier la forme par le fond Guillaume Nicloux fait dire à Eric Vincent que « ce n’est pas le but mais le chemin qui compte ». Chemin inégal, sinueux et… malgré tout captivant. Un thriller sur la paternité et sur les vicissitudes du destin, aussi (non, non Guillaume Nicloux ne lorgne pas mais alors pas du tout du côté de Lelouch, les hasards et coïncidences ne suffisent pas à établir un parallèle, ceux de la scène de l’hôpital, là au contraire pas surlignés, sont au passage plutôt réussis) dont la clef n’est effectivement pas ce qui importe mais plutôt le chemin pour la trouver… Ce chemin-là en tout cas ne vous laissera probablement pas indifférents. Si vous n’avez pas peur de devoir attendre les 2H que dure le film pour revoir la lumière dans les reflets de la chevelure dorée de Vanessa Paradis, plus éclatante, après cette plongée nocturne,  pourquoi ne pas vous y hasarder, et puis, qui sait, peut-être se marièrent-ils (ah, non ils le sont déjà au début) et eurent-ils un fils ?

    Je vous aurai prévenus. Sinon, vous pouvez toujours aller voir « Si c’était lui »…

    Sandra.M