« Fatal » de Michaël Youn : lucide et opportuniste
C’est promis, ce soir, je reviens à Paris et donc à une offre (et donc des critiques) cinématographique(s) plus diversifiée(s), c’est-à-dire pas seulement des comédies ou des blockbusters, comme ce que se cantonnent malheureusement à projeter certains cinémas de province quelque peu frileux. Je ne recule devant rien puisque, après le désolant « Les meilleurs amis du monde », hier c’est « Fatal » de Michaël Youn que j’ai dû me résoudre à aller voir, à vrai dire intriguée entre, d’un côté, les critiques à la limite du panégyrique et, de l’autre, la bande-annonce qui annonçait un film ne me semblant pas mériter tous ces éloges. Comme je n’aime ni me fier aux critiques, ni m’arrêter à mes préjugés, j’ai décidé d’aller juger sur pièce.
Fatal c’est donc Fatal Bazooka incarné par Michaël Youn, un personnage de sketch créé par ce dernier puis développé dans un album musical dont il a tout de même vendu 500000 exemplaires. Le film invente donc une vie à ce rappeur fictif qui dans le film a vendu 15 millions d’albums, a des millions de fans, a développé tout un merchandising autour de son nom, y compris un magazine, et projette même d’ouvrir son propre parc d’attraction : Fataland. Dans son domaine, il est le n°1 incontesté jusqu’à ce qu’arrive un concurrent, Chris Prolls, (Stéphane Rousseau) et jusqu’à ce que le public découvre que Fatal Bazooka est en réalité un savoyard nommé Robert LaFondue...
Il faut l’avouer : les premières minutes, le déploiement de moyens fait illusion, la surenchère satirique sur le milieu de la télévision et de la musique électro-pop surprend plutôt agréablement. La photographie aussi bling bling que le héros du film également. Tout est là pour nous (dé)montrer que nous sommes au cinéma et non dans un sketch télévisé. Les choses se gâtent avec le personnage de Michaël Youn, de cinq ans d’âge mental. Le ton est alors davantage celui d’une bande dessinée que d’un film de cinéma : surjeu, décors champêtres acidulés, personnages régressifs…
Il y a au moins une chose qu’on ne peut nier à Michael Youn, c’est qu’il est d’une incontestable lucidité sur le milieu qui l’entoure et particulièrement malin. Derrière les blagues potaches, derrière l’humour vulgaire, derrière son personnage simple d’esprit se cache un sens du marketing particulièrement aigu. En feignant de dénoncer le cynisme et le mercantilisme d’un certain milieu musical (un aspect d’ailleurs plutôt réussi entre les causes humanitaires défendues par les « artistes » là avant tout pour servir la leur, et les musiques insipides d’une efficacité redoutable car savamment habillées de marketing et de sons assourdissants et ingénieusement répétitifs ), il en tire profit avec beaucoup d’habileté. Ou comment exploiter ce qu’on feint de dénoncer : le merchandising (Michaël Youn incarne un personnage pseudo parodique qui vit du merchandising mais sans doute le film d’une manière ou d’une autre (re)lancera-t-il les ventes d’albums avec la BO du film et les musiques qui circulent déjà sur youtube), la misogynie (Fatal est montré comme misogyne, ce que Michaël Youn prétend dénoncer, seulement les personnages féminins du film sont eux-mêmes d’une bêtise affligeante -car cupide notez bien concernant Athéna-Paris Novotel-Hilton- ), le mépris du public ( Fatal méprise le public mais le film n’en donne guère une image plus glorieuse puisqu’il le montre versatile, et prêt à se laisser éblouir par n’importe quel produit formaté ou à glorifier n’importe quelle bimbo ou n’importe quel illuminé ), le narcissisme (Fatal pratique le culte de la personnalité mais Michaël Youn ne laisse pas plus de place aux seconds rôles que Fatal à ses acolytes, dommage d’ailleurs Stéphane Rousseau est assez irrésistible en Jean-Claude Vandamne de la musique accro au bio et Catherine Allégret s’en sort avec les honneurs échappant presque aux caricatures féminines évoquées plus haut). Sous son apparence de dénonciation d’un système et d’autodérision, Fatal représente donc l’utilisation paroxystique de ce système et finalement une ingénieuse publicité hors de prix pour ses produits dérivés. Ce n’est finalement pas le film qui me dérange ou déplait, d’une certaine manière plutôt réussie dans son genre, mais la bonne conscience de laquelle se pare son auteur et qui n’est finalement qu’un astucieux argument de vente…
En digne ancien étudiant en commerce, Michaël Youn a bien compris et assimilé les recettes d’une publicité rentable mais aussi celles du cinéma. On ne peut ainsi non plus nier la présence d’un scénario là aussi efficace : le héros déchu qui renait de ses cendres après un retour aux racines, une introspection et une remise en cause et qui revient pour faire sa leçon de morale.
Si le film est assurément rythmé à en être vertigineux et s’il atteint parfois sa cible dans sa satire grinçante du milieu du show business qui malheureusement finit toujours par verser dans la vulgarité, il tombe littéralement à plat en tirant profit de ce qu’il feint de dénoncer. L’autodérision n’est finalement qu’un argument commercial dissimulé. Le comble de la société de consommation et du cynisme. Un film guidé par une lucidité aussi brillante que désolante et surtout opportuniste.














Avec La Bandera (1935), Pépé Le Moko (1936) est certainement le film le plus marquant de Duvivier. Si le cadre des deux films est différent(Montmartre pour le premier, la casbah d’Alger pour le second), la fatalité s’abat identiquement sur les personnages de ces deux films. Dans Pépé le Moko (1937) il s’agit d’un gangster, chef d’une bande de malfaiteurs (Gabin) réfugié dans le dédale protecteur de la casbah d’Alger. Cerné par la police de la ville, il ne peut en effet sortir de cette prison symbolique. Un policier, Slimane (Lucas Gridoux) profite de la liaison amoureuse entre Pépé et Gaby(Mireille Balin), une jeune parisienne, pour monter un stratagème afin de le faire sortir de son repaire et de le capturer plus facilement. Alors que Pépé rejoint sur le port d’Alger la jeune femme qui embarque pour la France, il y est arrêté et se suicide en regardant le bateau partir sans que celle-ci ne l’ait vu. Le médiocre récit policier du « Détective Ashelbé »(pseudonyme de Henri La Barthe) dont est tiré le film devient donc un noir mélodrame colonial.
ailleurs c’est en réalité « une prison » dont les personnages ne rêvent que de s’évader, l’exotisme étant ici symbolisé par Paris. Alger est en effet décrite comme : « Un maquis, profond comme une forêt, grouillant comme une fourmilière, un vaste escalier dont chaque terrasse est une marche et qui descend vers la mer. Entre ces marches des ruelles tortueuses et sombres, des ruelles en forme de guet-apens, des ruelles qui se croisent, qui se chevauchent(…)dans un fouillis de labyrinthes(…), des cafés obscurs bondés à toute heure. » Si la casbah protège Pépé elle est donc aussi sa prison. Si au début du film le narrateur évoque en effet « une mer colorée, vivante, multiple, brûlante », le contraste en sera d’autant plus saisissant avec l’enfermement de Pépé le Moko et de ses acolytes. Le cadre ensoleillé et extérieur semble en effet être à l’opposé de celui des films du réalisme poétique : décor de brume, de pavés mouillés ou scènes d’intérieurs sinistres. L’impression d’enfermement connu par Pépé dans ce cadre a priori idyllique en sera donc encore exacerbée. Le thème de la prison est en effet omniprésent. Pépé avec sa gouaille inimitable dit ainsi à Gaby : « avec toi, je m’évade » ou à la fin à Ines, sa « compagne » : « tu lui diras que je me suis évadé. » Il ne cesse de rêver de Paris dont Gaby symbolise la nostalgie et même « du parfum du métro », qu’il évoque lors d’une scène mythique avec Gaby où tous deux alors à la Casbah s’envolent ensemble et en dialogues vers le Paris de leurs souvenirs : « Tu sens bon, tu sens le métro. En première… ». Malgré son cadre qui aurait pu être enchanteur émane du film une poésie sombre, une sorte de nostalgie à l’image de cette scène où Fréhel écoute sa propre voix d’ancienne chanteuse et fredonne sur cette voix, les larmes aux yeux : « Où sont-ils donc mes amis, mes copains. Où sont-ils donc nos vieux bals musettes, leurs javas au son de l’accordéon ». Les protagonistes ne sont donc pas les seuls à être emprisonnés, que ce soit Gaby avec son « mari » ou Pépé dans la Casbah ou encore Fréhel
qui dit ainsi : « Quand j’ai trop le cafard, je change d’époque .» Le Front Populaire appartient ici à un lieu rêvé « où sont-ils tous nos bals musettes », comme son euphorie appartiendra bientôt à un passé révolu. Tous semblent rêver d’un ailleurs, ou d’une autre époque comme si ce cadre idyllique était imprégnée de la menace qui gronde dans la réalité et qui encercle peu à peu la France comme la police enferme les personnages dans la Casbah. Outre le portrait caustique des membres de la bande à Pépé le Moko et outre les répliques pittoresques signées Jeanson, la fin dramatique du film contribua beaucoup à sa célébrité. L’ailleurs, le changement, l’évasion n’étaient qu’une utopie et en se suicidant sur les grilles du port, enfermé jusqu’au bout Pépé regarde le bateau partir comme le passé joyeux semble s’éloigner pour entrer dans les heures sombres de l’Histoire.« Pépé Le Moko, c’est l’installation officielle ,dans le cinéma français d’avant guerre , du romantisme des êtres en marge , de la mythologie de l’échec .C’est de la poésie populiste à fleur de peau :mauvais garçons ,filles de joie ,alcool , cafard et fleur bleue » estima Jacques Siclier. Pépé Le Moko fut en effet unanimement salué par la critique.