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Par Sandra Mézière. Le 7ème art raconté avec passion depuis 2003. 4000 articles. Festivals de cinéma en direct : Deauville, La Baule, Cannes, Dinard...Critiques de films : avant-premières, à l'affiche, classiques. Actualité de romancière. Podcast.
Pour commencer ce 1er jour du Champs-Elysées Film Festival, j’ai choisi un film de la compétition internationale intitulé « Blood pressure » réalisé par le Canadien Sean Garrity, projeté au cinéma Le Balzac (un cinéma que je vous recommande pour la qualité et l’originalité de ses programmations et notamment pour ses ciné-concerts et les nombreuses autres initiatives de son directeur -depuis 35 ans !- Jean-Jacques Schpoliansky qui a su en faire un vrai lieu de vie et de cinéma, et faire survivre son cinéma malgré la rude concurrence des grands groupes qui l’environnent ) présenté par son enthousiaste réalisateur Sean Garrity qui a déclaré faire des films comme ceux qu’il rêverait de voir au cinéma. Le film en question étant par ailleurs résumé dans le programme comme « Le thriller psychologique le plus troublant de l’année », voilà qui était pour le moins intriguant. Et intriguant, « Blood pressure » l’est particulièrement, et cela dès les premières secondes qui, je dois l’avouer, m’ont captivée comme cela ne m’était pas arrivé depuis un moment ! Alors que la caméra survole des maisons tristement identiques, une voix off lit une lettre anonyme d’un mystérieux bienfaiteur adressée à une femme qui vit justement dans une de ces maisons. Si elle accepte que le mystérieux bienfaiteur continue à lui écrire, elle devra déposer une feuille verte sur sa fenêtre, sinon elle n’entendra plus jamais parler de lui. Si cette lettre semble bienveillante, son caractère anonyme, son ton étrange ne la rendent que plus inquiétante, visiblement pas pour Nicole qui n’hésite pas bien longtemps avant de se laisser entraîner…mais jusqu’où ? Et surtout…par qui ?
Sean Garrity capte ainsi immédiatement notre attention, d’abord parce que nous sommes placés au même niveau de connaissance que la destinataire de la lettre sur son expéditeur, l’identification est donc immédiate, ensuite parce que, avec beaucoup de subtilité, et simplement par un montage alerte et une réalisation astucieuse, Sean Garrity instaure un climat étrange, à la frontière des genres, un thriller intime et intimiste dans lequel le quotidien semble pouvoir basculer dans l’horreur à tout moment comme nous le font craindre, notamment, ces lettres rouges qui s’impriment sur les murs quand Nicole lit ces lettres en apparence inoffensives.
Ces lettres ne lui apportent en effet au début que des choses positives : le mystérieux bienfaiteur lui offre d’abord un soin de beauté en institut, des billets pour elle et son mari pour le voyage au Mexique où elle rêve de s’évader depuis si longtemps sans parler de ce moment irréel sur un toit de la ville auquel elle a été conduite par des lumières disposées sur la route… S'instaure pourtant progressivement une distorsion entre ce que ressent le spectateur qui pressent le danger et la menace planer et la confiance aveugle que Nicole semble éprouver envers son expéditeur (qu'elle imagine d'ailleurs avec une douce voix féminine).
Cette femme de 41 ans qui travaille aussi dans une pharmacie (élément qui aura ensuite son importance), délaissée par son mari et méprisée par ses enfants pour qui elle est juste là pour faire la cuisine et les emmener à leurs cours, va trouver une raison de vivre et se laisser entraîner dans ce jeu de pistes inquiétant et troublant, une sorte de rêve qui semble à tout instant pouvoir basculer dans le cauchemar. Ces lettres vont lui donner l’adrénaline que son existence ne lui procurait pas ou plus et surtout un sentiment d’exister. Nicole est incarnée par Michelle Giroux (dont le visage même va changer de manière assez spectaculaire au fur et à mesure des lettres et de la confiance qu’elle prend en elle), parfaite dans ce rôle de de femme docile et se sentant inutile qui va devenir une vraie combattante.
Par des éléments a priori anodins, comme le regard de son collègue de pharmacie qui épie ses moindres faits et gestes (Serait-il le mystérieux expéditeur ? A moins qu’il ne s’agisse de son mari ? Ou de son amie qui semble tellement bien la connaître et si-trop ?-bienveillante ?), la manière de filmer en plongée, à travers une vitre comme si elle était épiée, la numérotation décroissante des lettres portant des messages de plus en plus précis et intrigants, le réalisateur instille ainsi une inquiétude croissante…et maintient notre intérêt, nous lançant sur de fausses pistes.
A l’image de toutes ces routes qui se croisent, s’enchevêtrent et s’entrecroisent et que le réalisateur filme en plongée, Nicole est à un carrefour et elle doit choisir la (bonne ?) voie… Plus les lettres vont l’entraîner loin, plus Nicole va s’affirmer mais aussi s’enfoncer dans ses illusions jusqu’à un basculement (un peu trop ?) soudain qui va la confronter à la réalité.
Même si l’écriture n’est pas parfaite (personnages secondaires caricaturaux et notamment le mari, quelques plans et artifices inutiles), grâce à la vivacité du montage, une réalisation inspirée, l’interprétation et une écriture précises, Sean Garrity nous captive jusqu’à la dernière seconde, et jusqu’à une résolution totalement inattendue transformant le thriller en un film d’un romantisme désespéré et bouleversant. A l’image de ces routes qui s’entrecroisent filmées par Sean Garrity, l’écriture astucieusement déroutante et notre imagination déroutée, ne cessent de nous faire prendre des chemins différents et palpitants. Un thriller haletant, ludique, d’une indéniable originalité. Je vous le conseille, vous pouvez encore le rattraper ce vendredi 14, à 16H15, au cinéma Le Balzac donc.
Changement d’univers et de cinéma avec, ensuite, la projection de « Five dances » de Alan Brown, au cinéma le George V, dans le cadre des avant-premières américaines, présenté par son chorégraphe, un film qui sort le 19 juin 2013 dont je vous parlerai ultérieurement car trois projections m’attendent mais que je tenais à vous recommander dès aujourd’hui (il passe également le lundi 17, à 13H45 et le mardi 18 à 18H15), pour sa douceur séduisante, sa sensibilité lumineuse, l’interprétation nuancée, sa chorégraphie en 5 temps et 5 danses de l’émancipation et du premier amour du jeune Chip, jeune danseur qui débarque à New York pour intégrer une troupe de danse moderne à Soho.
Au programme aujourd’hui pour moi, deux films en compétition « How to make money selling drugs » et « Hide your smiling faces » puis, pour terminer la journée, l’avant-première de « Belle du Seigneur » (que je vais voir avec autant d’impatience que d’appréhension, ce roman étant pour moi inadaptable et celui qui me bouleverse le plus et que je dévore, invariablement, à chaque lecture, , celui que j’aime autant pour sa satire si acerbe et juste d’une société avide d’ascension sociale- ah le pathétisme hilarant d’Adrien Deume et de sa médiocrité- que parce qu’il s’agit d’un sublime roman d’amour ( ou peut-être anti-roman d’amour d’ailleurs) puisque la passion étouffe ceux qui la vivent, sublimes et tragiques Ariane et Solal, Roman flamboyant, inoubliable dans lequel Albert Cohen décrit mieux que personne la naissance et la désagrégation de la passion. Un roman éblouissant et terrifiant. Comme les sentiments qu’il dépeint, qu’il dissèque. Un roman, une expérience même, que vous adorerez ou détesterez mais qui ne vous laissera sûrement pas indifférent), le tout au Gaumont Champs-Elysées. Pour en savoir plus sur la programmation, retrouvez mon article à propos de celle-ci, ici, et rendez-vous sur le site officiel du festival, là.
Hier soir, sur la terrasse du Publicis, en haut des Champs-Elysées, avec sa vue surplombant Paris sublimement vertigineuse, éblouissante et changeante, avait lieu l'ouverture de la 2ème édition du Champs-Elysées Film Festival, dans une atmosphère conviviale et décontractée, à l'image de ce festival à la riche programmation que vous pouvez retrouver dans mon article, ici.
L'ouverture a eu lieu en présence de la Présidente du festival Sophie Dulac mais aussi des présidents de cette édition 2013, Olivier Martinez et Julie Gayet ou encore de Halle Berry (en la présence de laquelle aura lieu , ce soir,la soirée au profit de l'Association Les Toiles Enchantées qui apporte le cinéma aux enfants malades), Chris Colfer (qui a déchaîné les foules aux abords du Publicis hier soir) et de nombreux autres invités du 7ème art. J'avoue qu'il a été difficile de quitter ce lieu qui aurait été parfait pour une séquence de "Minuit à Paris" de Woody Allen, délicieusement intemporelle.
Ayant le plaisir d'être blog partenaire du festival, je vais vous faire vivre au jour le jour ce festival, ses avant-premières françaises, américaines, mais aussi sa compétition de films indépendants américains ou encore ses master classes comme celle de Cédric Klapisch, à ne pas manquer, samedi.
Aujourd'hui, outre la compétition de films indépendants dont vous pourrez retrouver mes premières critiques, demain, et outre la projection au profit des Toiles enchantées précitée, je vous recommande notamment "Grand Central" de Rebecca Zlotowski qui sera projeté, ce soir, à 20H45 à l'UGC George V et dont vous pouvez retrouver ma critique, ci-dessous.
Critique de "Grand Central" de Rebecca Zlotowski
Dans ce nouveau film de Rebecca Zlotowski, Tahar Rahim incarne Gary, un jeune homme agile, frondeur, qui apprend vite, embauché dans une centrale nucléaire, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus fortes et dangereuses. Là, où le danger est constant. Il va y trouver ce qu’il cherchait, de l’argent, une équipe à défaut d’une famille (on ne verra de sa vraie famille qu’une sœur dont le conjoint le rejette visiblement, et une grand-mère dont la porte restera impitoyablement fermée) même si elle le devient presque, mais aussi Karole ( Léa Seydoux), la femme de son collègue Toni (Denis Menochet). Tandis que les radiations le contaminent progressivement, une autre forme de chimie (ou d’alchimie), l’irradie, puisqu’il tombe amoureux de Karole. Chaque jour, la menace, de la mort et de la découverte de cette liaison, planent.
La première bonne idée du film est de nous faire découvrir cet univers dans lequel des hommes côtoient le danger et la mort chaque jour, dans des conditions terrifiantes que Rebecca Zlotowski parvient parfaitement à transcrire notamment par un habile travail sur le son, des bruits métalliques, assourdissants qui nous font presque ressentir les vibrations du danger. A l’image d’un cœur qui battrait trop fort comme celui de Gary pour Karole. J’ignore ce qui est réel dans sa retranscription des conditions de vie des employés de la centrale nucléaire tant elles paraissent iniques et inhumaines mais j’imagine qu’elles sont tristement réelles puisque Claude Dubout, un ouvrier qui avait écrit un récit autobiographique, « Je suis décontamineur dans le nucléaire », a été le conseiller technique du film. Le film a par ailleurs été tourné dans une centrale nucléaire jamais utilisée, en Autriche, ce qui renforce l’impression de réalisme.
Ne vous y trompez pas, « Grand Central » n’est néanmoins pas un documentaire sur les centrales nucléaires. C’est aussi et avant tout une histoire d’amour, de désirs dont la force est renforcée par la proximité d’un double danger. C’est un film sensuel, presque animal qui pratique une économie de dialogues et qui repose sur de beaux parallèles et contrastes. Parallèle entre l’amour de Gary pour Karole qui se laisse irradier par elle et pour rester auprès d’elle. Parallèle entre le sentiment amoureux, presque violent, impérieux, qui envahit lentement et irrémédiablement celui qui l’éprouve comme la centrale qui contamine. Parallèle entre les effets du désir amoureux et les effets de la centrale : cette dose qui provoque « la peur, l’inquiétude », les jambes « qui tremblent », la « vue brouillée » comme le souligne Karole. Parallèle entre ces deux dangers que Gary défie, finalement malgré lui. Contraste entre cette centrale clinique, carcérale, bruyante et la nature dans laquelle s’aiment Gary et Karole et que Rebecca Zlotowski filme comme une sorte d’Eden, ou comme dans « Une partie de campagne » de Renoir, même si elle n’élude rien des difficiles conditions de vie des ces ouvriers/héros qui habitent dans des mobile-homes près des centrales, telle une Ken Loach française.
Rebecca Zlotowski dresse le portrait de beaux personnages incarnés par d’excellents comédiens ici tout en force et sensualité au premier rang desquels Tahar Rahim, encore une fois d’une justesse irréprochable, Denis Menochet, bourru, clairvoyant et attendrissant, un beau personnage qui échappe au manichéisme auquel sa position dans le film aurait pu le réduire, ou encore Olivier Gourmet ou Johan Libéreau (trop rare).
Encore un film dont je vous reparlerai qui à la fois nous emporte par la beauté de ses personnages, leur rudesse tendre, la radieuse force des sentiments (amitié, amour) qui les unit … et qui nous glace d’effroi en nous montrant les conditions de travail de ceux qui risquent chaque jour leur vie dans l’une de ces 19 centrales françaises.
Retrouvez, ci-dessous, mon article publié suite à la projection cannoise de "All is lot" avec, également, mon compte-rendu de la conférence de presse cannoise du film.
A l’image de la météo, pour le moins capricieuse cette année sur la Croisette, avec un ciel particulièrement changeant, passant du soleil à l’orage, avec une brusquerie parfois perturbante, mes journées se (dé)composent de films et d’évènements qui me font passer par une myriade d’émotions en un temps record, d’où la nécessité de prendre du recul sur cette tornade émotionnelle et de vous livrer mes comptes-rendus avec parcimonie (mais un long compte-rendu post Cannes sera bien entendu publié comme chaque année) au-delà du fait que mes journées sont bien remplies.
Cela tombe bien, le film évènement d’hier nous embarquait justement au cœur d’une tempête. Je parle bien évidemment de « All is lost », deuxième film du réalisateur J.C Chandor après « Margin Call » avec un unique interprète, Robert Redford, dont la mythique présence a hier illuminé la Croisette où il est trop rarement venu (Ryan Gosling qui incarnait le personnage principal de « Only god forgives », hier en compétition, a en revanche brillé par son absence, pour cause de réalisation de son propre film). Robert Redford est un des deux acteurs, dont les films comme « Les 3 jours du Condor », « Out of Africa », « Jeremiah Johnson » et bien sûr « Gatsby » sont à l’origine de ma passion pour le septième art. Le deuxième acteur qui a fortement contribué à cette passion sera d’ailleurs également à Cannes samedi près avoir illuminé de sa charismatique présence tant de chefs d’œuvre : « Le Guépard », « Le Samouraï », « La Piscine », « Plein soleil » (projeté en version restaurée dans le cadre de Cannes Classics cette année), « Monsieur Klein », « Le Cercle rouge »…
Je vous parlais avant-hier de contrastes à propos du film de Rebecca Zlotowski, mes journées cannoises en sont ainsi jalonnées : entre des moments hors du temps à vivre, parler, rêver, cinéma, avec des amis ou même des inconnus dans les files d’attente, à croiser quelques ombres furtives du passé, et d’autres qui me font sentir comme Gatsby sur son ponton, comme détachée de cette fête continuelle, éblouissante et assourdissante, perdue dans la mélancolie de mes pensées, repensant à cette phrase de Balzac « Beaucoup d’hommes ont un orgueil qui les pousse à cacher leurs combats et à ne se montrer que victorieux » que j’ai mise en exergue des « Orgueilleux », me disant que je pouvais difficilement choisir un autre titre que « Les Orgueilleux » pour un roman se déroulant dans un festival de cinéma, me disant que je recommence à digresser alors que je dois/veux vous parler de « All is lost ». Contraste entre ces films qui vous parlent souvent de l’essentiel et la superficialité, tantôt salutaire, tantôt exaspérante, de la Croisette. Contraste, surtout, entre le vacarme, la foule et le silence, la solitude de « All is lost ».
J’ai donc commencé cette journée par la conférence de presse de "All is lost", en présence de J.C Chandor et de Robert Redford, attristée tout d’abord de voir que la foule des grands jours n’était pas au rendez-vous ( la presse est sans doute versatile ou amnésique), rassurée de voir que la simple apparition de Robert Redford sur le tapis rouge retransmise dans le Grand Théâtre Lumière lors de la projection officielle le soir a suscité des applaudissements effrénés
Lors de cette conférence, Robert Redford, a notamment parlé, avec autodérision et simplicité, de son amour de la nature et de son inquiétude pour celle-ci, rappelant son engagement en faveur de l'environnement qu’il juge dans une situation "carrément catastrophique, désastreuse". "A mon avis, la planète essaie de nous parler", a-t-il ajouté, évoquant "les ouragans, les tremblements de terre et les tornades", deux jours après la tornade dévastatrice de Moore, près d'Oklahoma City. Il a aussi évoqué son envie de continuer à jouer, de la difficulté de faire des films aujourd’hui. Il a évoqué le défi que représentait ce film pour lui : « C’est un défi qui m’a beaucoup attiré en tant qu’acteur. Je voulais me donner entièrement à un réalisateur ». Il a aussi abordé l’importance du silence « Je crois dans l’intérêt du silence au cinéma. Je crois aussi dans l’intérêt du silence dans la vie car on parle car on parle parfois trop. Si on arrive à faire passer le silence dans une forme artistique, c’est intéressant ». « Ce film est en plein contraste avec la société actuelle. On voit le temps qu’il fait, un bateau et un homme. C’est tout ». « Il y a évidemment des similitudes avec Jeremiah Johnson » a-t-il également répondu.
Après la conférence de presse, direction le pavillon américain, invitée par le Festival du Film Merveilleux dont je ferai partie du jury en juin prochain. Alors qu’un ciel bleu étincelant surplombait la Méditerranée, un nuage noir menaçant l’a impitoyablement et progressivement envahi, comme un écho à l’horizon assombri du personnage de « All is lost ». C’est donc à nouveau sous une pluie battante que j’ai monté les marches pour une ascension épique au milieu d’un océan de parapluies.
Dans « Jeremiah Johnson » de Sydney Pollack, Robert Redford fuyait les hommes et la civilisation pour les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses. Ici, dans « All is lost », au cours d’un voyage en solitaire dans l’Océan Indien, au large de Sumatra, à son réveil, il découvre que la coque de son voilier a été heurtée et endommagée par un container flottant à la dérive. Privé de sa radio, il doit affronter seul les éléments mais malgré toute sa force, sa détermination, son intelligence, son ingéniosité, il devra bientôt regarder la mort en face. Ici, aussi, c’est finalement la civilisation (incarnée par ce container rouge au milieu de l’horizon bleutée et qui transportait d’ailleurs des chaussures, incarnation de la société de consommation mondialisée ) qui le rattrape (alors que, peut-être, il voulait la fuir, nous ne le saurons jamais…), contraint à se retrouver ainsi « seul au monde », comme dans le film éponyme de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, même si je lui préfère, et de loin, ce film de J.C Chandor.
Pendant 1H45, il est en effet seul. Seul face à la folle et splendide violence des éléments. Seul face à nous. Seul face à lui-même. Seul face à l’Océan Indien à perte de vue. Seul face à la force des éléments et face à ses propres faiblesses. Seul face à la nature. Cela pourrait être ennuyeux…et c’est passionnant, palpitant, terrifiant, sublime, et parfois tout cela à la fois.
Le seul «dialogue », est en réalité un monologue en ouverture du film, une sorte de testament qui s’écoute comme le roulement poétique, doux et violent, des vagues, et qui place ce qui va suivre sous le sceau de la fatalité : « Ici, tout est perdu, sauf le corps et l’âme ».
Progressivement il va se voir dépouillé de ce qui constitue ses souvenirs, de tout ce qui constitue une chance de survie : radio, eau... Son monde va se rétrécir. La caméra va parfois l’enfermer dans son cadre renforçant le sentiment de violence implacable du fracas des éléments. Avec lui, impuissants, nous assistons au spectacle effrayant et fascinant du déchainement de la tempête et de ses tentatives pour y survivre et résister.
Le choix du magnétique Robert Redford dans ce rôle renforce encore la force de la situation. Avec lui c’est toute une mythologie, cinématographique, américaine, qui est malmenée, bousculée, et qui tente de résister envers et contre tout, de trouver une solution jusqu’à l’ultime seconde. Symbole d’une Amérique soumise à des vents contraires, au fracas de la nature et de la réalité, et qui tente de résister, malgré tout.
La mise en scène et la photographie sobre, soignée, épurée, le montre (et sans le moindre artifice de mise en scène ou flashback comme dans « l’Odyssée de Pi ») tantôt comme une sorte de Dieu/mythe dominant la nature (plusieurs plongées où sa silhouette se détache au milieu du ciel), ou comme un élément infime au milieu de l’Océan. La musique signée Alex Ebert (du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zeros) apporte une force supplémentaire à ces images d’une tristesse et d’une beauté mêlées d’une puissance dévastatrice. Inexistante au début du film, elle prend de l’ampleur a fur et à mesure que la tragédie se rapproche et qu’elle devient inéluctable, sans jamais être trop grandiloquente ou omniprésente.
Certains plans sont d’une beauté à couper le souffle, comme ces requins en contre-plongée qui semblent danser, le défier et l’accompagner ou comme cette fin qui mélange les éléments, l’eau et le feu, le rêve et la réalité ou encore cette lune braquée sur lui comme un projecteur.
Comme l’a souligné Robert Redford, il s’agit d’un « film presque existentiel qui laisse la place à l’interprétation du spectateur » et cela fait un bien fou de « regarder quelqu’un penser » pour reprendre les termes du producteur même si cette définition pourrait donner une image statique du film qui se suit au contraire comme un thriller.
En conférence de presse, Robert Redford avait révélé ne pas avoir vu le film et qu’il allait le découvrir le soir lors de la projection officielle dans le Grand Théâtre Lumière. On imagine aisément son émotion, à l’issue de cette heure quarante. Face à lui-même. Face à cette fable bouleversante d’une beauté crépusculaire
« All is lost »a été présenté hors compétition. Il aurait indéniablement eu sa place en compétition et peut-être même tout en haut du palmarès
Projeté en compétition officielle du 66ème Festival de Cannes, The Immigrant de James Gray décidément à l’honneur cette année puisqu’il est aussi le coscénariste de Blood ties réalisé par Guillaume Canet (également présenté à Cannes) est, seulement, le cinquième long-métrage du cinéaste américain ( après Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two lovers) et nous avons bien du mal à le croire tant chacun de ses films précédents était déjà maîtrisé, et James Gray comptant, déjà, comme un des plus grands cinéastes américains contemporains. The Immigrant a apparemment déçu bon nombre de ses admirateurs alors que, au contraire, c’est à mon sens son film le plus abouti, derrière son apparente simplicité. Il s’agit en effet de son film le plus sobre, intimiste et épuré mais quelle maîtrise dans cette épure et sobriété!
On y retrouve les thèmes chers au cinéaste: l’empreinte de la Russie, l’importance du lien fraternel, le pardon mais c’est aussi son film le plus personnel puisque sa famille d’origine russe est arrivée à Ellis Island, où débute l’histoire, en 1923.
L’histoire est centrée sur le personnage féminin d’Ewa interprétée par Marion Cotillard. 1921. Ewa et sa sœur Magda quittent leur Pologne natale pour la terre promise, New York. Arrivées à Ellis Island, Magda, atteinte de tuberculose, est placée en quarantaine et Ewa, seule et désemparée, tombe dans les filets de Bruno, un souteneur sans scrupules. Pour sauver sa sœur, elle est prête à tous les sacrifices et se livre, résignée, à la prostitution. L’arrivée d’Orlando (Jeremy Renner), illusionniste et cousin de Bruno (Joaquin Phoenix), lui redonne confiance et l'espoir de jours meilleurs. Mais c'est sans compter sur la jalousie de Bruno...
James Gray a écrit le rôle en pensant à Marion Cotillard (très juste et qui aurait mérité un prix d’interprétation) qui ressemble ici à une actrice du temps du cinéma muet, au visage triste et expressif. The Immigrant est ainsi un mélo assumé qui repose sur le sacrifice de son héroïne qui va devoir accomplir un véritable chemin de croix pour (peut-être…) accéder à la liberté et faire libérer sa sœur. Les personnages masculins, les deux cousins ennemis, sont en arrière-plan, notamment Orlando. Quant à Bruno interprété par l’acteur fétiche de James Gray, Joaquin Phoenix, c’est un personnage complexe et mystérieux qui prendra toute son ampleur au dénouement et montrera aussi à quel point le cinéma de James Gray derrière un apparent manichéisme est particulièrement nuancé et subtil.
Le tout est sublimé par la photographie de Darius Khondji (qui avait d’ailleurs signé la photographie de la palme d’or du Festival de Cannes 2012, Amour de Michael Haneke) grâce à laquelle certains plans sont d’une beauté mystique à couper le souffle.
James Gray a par ailleurs tourné à Ellis Island, sur les lieux où des millions d’immigrés ont débarqué de 1892 à 1924, leur rendant hommage et, ainsi, à ceux qui se battent, aujourd’hui encore, pour fuir des conditions de vie difficiles, au péril de leur vie. C’est de dos qu’apparaît pour eux la statue de la liberté au début du film. C’est en effet la face sombre de cette liberté qu’ils vont découvrir, James Gray ne nous laissant d’ailleurs presque jamais entrevoir la lumière du jour. Si le film est situé dans les années 1920, il n’en est pas moins intemporel et universel. Une universalité et intemporalité qui, en plus de ses très nombreuses qualités visuelles, ne lui ont pas permis de figurer au palmarès cannois auquel il aurait mérité d’accéder.
Tout comme dans La Nuit nous appartient qui en apparence opposait les bons et les méchants, l’ordre et le désordre, la loi et l’illégalité, et semblait au départ très manichéen, dans lequel le personnage principal était écartelé, allait évoluer, passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres, ici aussi le personnage de Bruno au cœur qui a « le goût du poison », incarne toute cette complexité, et le film baigné principalement dans des couleurs sombres, ira vers la lumière. Un plan, magistral, qui montre son visage à demi dans la pénombre sur laquelle la lumière l’emporte peu à peu, tandis qu’Ewa se confesse, est ici aussi prémonitoire de l’évolution du personnage. L’intérêt de Two lovers provenait avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. C’est aussi le cas ici même si le thème du film et la photographie apportent encore une dimension supplémentaire. James Gray s’est inspiré des photos « quadrichromes » du début du XXe siècle, des tableaux qui mettent en scène le monde interlope des théâtres de variétés de Manhattan. Il cite aussi comme référence Le Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson.
James Gray parvient, comme avec Two lovers, à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante et lancinante qui nous envahit peu à peu et dont la force ravageuse explose au dernier plan et qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Longtemps après, en effet, j’ai été éblouie par la noirceur de ce film, une noirceur de laquelle émerge une lueur de clarté sublimée par une admirable simplicité et maitrise des contrastes sans parler du dernier plan, somptueux, qui résume toute la richesse et la dualité du cinéma de James Gray et de ce film en particulier.
Critique de TWO LOVERS de James Gray
Direction New York, ville fétiche du cinéma de James Gray, où, après avoir tenté de se suicider, un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle, fragile et inconstante, dont il est tombé éperdument amoureux, un amour dévastateur et irrépressible.
L’intérêt de « Two lovers » provient avant tout des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses. Si James Gray est avant tout associé au polar, il règne ici une atmosphère de film noir et une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente.
Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…
Il éprouve ainsi un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».
Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne ( plan de Michelle derrière des barreaux de son appartement, les appartements de Leonard et Michelle donnant sur la même cour rappelant ainsi « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock de même que la blondeur toute hitchcockienne de Michelle), et qui exalte et détruit.
James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudique et la magnifique photographie crépusculaire de Joaquin Baca-Asay qui procurent des accents lyriques à cette histoire qui aurait pu être banale, mais dont il met ainsi en valeur les personnages d’une complexité, d’une richesse, d’une humanité bouleversantes. James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père etc).
Un film d’une tendre cruauté, d’une amère beauté, et parfois même d'une drôlerie désenchantée, un thriller intime d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur. Irrépressiblement. Ajoutez à cela la bo entre jazz et opéra ( même influence du jazz et même extrait de l’opéra de Donizetti, L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima » que dans le chef d’œuvre de Woody Allen « Match point » dans lequel on retrouve la même élégance dans la mise en scène et la même "opposition" entre la femme brune et la femme blonde sans oublier également la référence commune à Dostoïevski… : les ressemblances entre les deux films sont trop nombreuses pour être le fruit du hasard ), et James Gray parvient à faire d’une histoire a priori simple un très grand film d’une mélancolie d’une beauté déchirante qui nous étreint longtemps encore après le générique de fin. Trois ans après sa sortie : d’ores et déjà un classique du cinéma romantique.
Critique de LA NUIT NOUS APPARTIENT de James Gray
La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au Festival de Cannes. Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène...) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…
Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?) a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000) qui se déroule à New York, à la fin des années 80, la police en est un personnage à part entière. C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille : Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout, et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile, vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.
Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé, considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire...)
Les bons et les méchants. L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé, va évoluer, va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.
« La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages. Un film noir sur lequel plane la fatalité : fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.
Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.
C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…
Ci-dessous ma critique de "Gatsby" de Baz Luhrmann vu en ouverture du Festival de Cannes 2013 (et publiée suite à cette ouverture) avec, également, mon avis sur cette ouverture.
Chaque année, au fur et à mesure que les jours avancent et que la clôture du Festival de Cannes se rapproche, la barrière entre la fiction et la réalité s’amenuise, transformant chaque journée et chaque seconde en une troublante, délicieuse, enivrante et perturbante confusion… Cette année, pour cette 66ème édition qui s’annonce décidément exceptionnelle à tous points de vue, cette vertigineuse et grisante sensation s’est emparée de moi dès le premier jour avec, en film d’ouverture, « Gatsby le magnifique » de Baz Luhrmann, nouvelle adaptation de l’intemporel roman de Francis Scott Fitzgerald, miroir de Cannes, de la mélancolie et de la solitude, sans doute, de quelques uns, derrière le faste, la fête, les éblouissements.
Mais avant cela, il y a eu cette musique, dans le Grand Théâtre Lumière qui annonce la cérémonie d’ouverture et, qui, pour la 13ème année consécutive, sans que mon enthousiasme soit entamé (bien au contraire) a réussi à me faire frissonner d’impatience et de plaisir. Avant, il y a eu la voix douce d’Audrey Tautou qui, dans une élégante robe blanche, simple et raffinée, à son image, le souffle à peine coupé, de sa voix à la fois fragile et assurée, a présenté la cérémonie. Enthousiaste, resplendissante, glamour, pétillante Audrey Tautou qui, contrairement à d’autres lors de précédentes éditions, a eu la bonne idée d’écrire son texte elle-même…et j’en tremblais pour elle devant le public sans doute le plus difficile qui soit dans cette salle en effet vertigineuse. Le prestige de l’évènement ne lui a en rien fait perdre ses moyens. Elle nous a rappelé, avec justesse, les beaux paradoxes cannois, que derrière « son air frivole », c’est la « plus fervente manifestation du 7ème art », que le festival est là pour nous « offrir du rêve » et aussi « nous faire voir la vérité ». Elle nous a aussi parlé d’émotions, de cœurs entrainés, charmés, renversés etc, de ses premières émotions cinématographiques. Et puis il y a eu la standing ovation à Steven Spilerbg, la présentation de son éclectique et splendide jury, l’aperçu des films de la sélection qui m’ont rappelé pourquoi j’aimais Cannes et le cinéma. Et pourquoi je les aimais à la folie.
A peine le temps de comprendre que tout cela était réel, quoique pas tout à fait en apparence, que déjà Gatsby nous emportait dans son tourbillon mélancolique et festif (certains, certainement, songeant déjà à leurs « tweets grincheux », trop rarement joyeux). Je redoutais beaucoup cette adaptation, appréciant beaucoup celle de Jack Clayton (Robert Redford étant pour moi à jamais Gatsby) et aimant inconditionnellement ce sublime roman qui évite toujours soigneusement la mièvrerie et assume le romantisme effréné et exalté (mais condamné) de son personnage principal. Je redoutais surtout que Baz Luhrmann ne dénature totalement le roman en voulant le vulgariser.
Le film a été projeté en 3D. C’était la deuxième fois dans l’histoire du Festival après « Up » (« Là-Haut ») de Pete Docter, en 2009, que le film d’ouverture faisait l’objet d’une projection en relief.
Printemps 1922. L’époque est propice au relâchement des moeurs, à l’essor du jazz et à l’enrichissement des contrebandiers d’alcool… Apprenti écrivain, Nick Carraway (Tobey Maguire » quitte la région du Middle-West pour s’installer à New York. Voulant sa part du rêve américain, il vit désormais entouré d’un mystérieux millionnaire, Jay Gatsby (Leonardo DiCaprio), qui s’étourdit en fêtes mondaines, et de sa cousine Daisy ( Carey Mulligan) et de son mari volage, Tom Buchanan, issu de sang noble. C’est ainsi que Nick se retrouve au coeur du monde fascinant des milliardaires, de leurs illusions, de leurs amours et de leurs mensonges.
Dans l’adaptation de Clayton (rappelons que le scénario de cette précédente adaptation était écrit par Coppola), je me souviens de la magnificence crépusculaire de la photographie et de la langueur fiévreuse qui étreignait les personnages et nous laissaient entendre que tout cela s’achèverait dans le drame. Ici, c’est plus implicite même si de la fête émane toujours une certaine mélancolie. C’est d’ailleurs ce qui semble avoir déçu une grande partie des festivaliers hier qui s’attendaient sans doute à une joyeuse flamboyance…et, c’est selon moi, au contraire, toute la réussite de cette adaptation que de retranscrire la flamboyance de l’univers de Gatsby sans dissimuler totalement la mélancolie et même la tristesse qui affleurent dans cette débauche festive. L’amertume dissimulée derrière l’apparente légèreté. La mélancolie et le désenchantement derrière la désinvolture.
Là aussi, Jay Gatsby n’apparaît qu’au bout de vingt minutes, voire plus. Nous nous trouvons alors dans la même situation que Nick qui ne le connaît que par sa réputation : on dit qu’il « a tué un homme » et qu’il n’apparaît jamais aux fêtes somptueuses qu’il donne dans une joyeuse décadence.
« Gatsby le magnifique » est à la fois une critique de l’insouciance cruelle et de la superficialité de l’aristocratie que symbolise Daisy, c’est aussi le portrait fascinant d’un homme au passé troublant, voire trouble et à l’aura romantique dont la seule obsession est de ressusciter le passé et qui ne vit que pour satisfaire son amour inconditionnel et aveugle. (Je me souvenais de la magnifique scène où Jay et Daisy dansaient dans une pièce vide éclairée à la bougie, dans le film de Clayton, moins réussie ici). Face à lui Daisy, frivole et lâche, qui préfère sa réputation et sa richesse à Gatsby dont la réussite sociale n’avait d’autre but que de l’étonner et de poursuivre son rêve qui pour lui n’avait pas de prix. Gatsby dont par bribes la personnalité se dessine : par sa manie d’appeler tout le monde « vieux frère », par ses relations peu recommandables. Pour Daisy, la richesse est un but (même si elle me parait moins frivole que dans le roman de Fitzgerald et que dans l’adaptation de Clayton). Pour Jay, un moyen (de la reconquérir). Elle qui ne sait que faire des 30 années à venir où il va falloir tuer le temps.
Gatsby est une histoire de contrastes. Entre le goût de l’éphémère de Daisy et celui de l’éternité de Gatsby. Entre la réputation sulfureuse de Gatsby et la pureté de ses sentiments. Entre la fragilité apparente de Daisy et sa cruauté. Entre la douce lumière d’été et la violence des sentiments. Entre le luxe dans lequel vit Gatsby et son désarroi. Entre son extravagance apparente et sa simplicité réelle. Entre la magnificence de Gatsby et sa naïveté. Et tant d’autres encore. Des contrastes d’une douloureuse beauté dans le roman, et dans l’adaptation de Clayton dont la mise en scène (trop rare) est la réussite du film de Luhrmann (comme ces plans de Gatsby seul sur son ponton) davantage que les fastueuses et non moins réussies scènes de fête qui ne comblent pas le vide de l’existence de Gatsby.
C’est à travers le regard sensible et lucide de Nick qui seul semble voir toute l’amertume, la vanité, et la beauté tragique de l’amour, mélancolique, pur et désenchanté, que Gatsby porte à Daisy que nous (re)découvrons cette histoire tragique. Bien que le connaissant par cœur, j’en suis ressortie avec l’irrésistible envie de relire encore et encore le chef d’œuvre de Fitzgerald, une nouvelle fois bouleversée par cette histoire d’amour absolu, d’illusions perdues, de bal des apparences, de solitude, de lâcheté, de cruauté (oui, il y a tout cela dans Gatsby) et avec l’irrésistible envie de me laisser dangereusement griser par l’atmosphère de chaleur écrasante, d’extravagance et d’ennui étrangement mêlés dans une confusion finalement criminelle.
Mia Farrow interprétait Daisy entre cruauté, ennui, insouciance et même folie. La Daisy de Carey Mulligan est moins déjantée, presque moins pitoyable. Si Gatsby restera pour moi à jamais Robert Redford, Leonardo DiCaprio, une fois de plus, excelle, et est un Gatsby bouleversant, énigmatique, mélancolique, fragile, charismatique, avec ce sourire triste, si caractéristique du personnage. Il incarne magnifiquement celui qui est pour moi un des plus beaux personnages de la littérature. Le talent de Leonardo Di Caprio n’est plus à prouver : que ce soit dans « Les Noces rebelles« , « Inception » , « Shutter Island« ou, plus récemment dans « Django unchained » , il crève invariablement l’écran et prouve aussi son intelligence par ses judicieux choix de rôles.
Ont participé à la B.O du film: Lana Del Rey, Beyoncé x André 3000, Florence + The Machine, will.i.am, The xx, Fergie + Q Tip + GoonRock, et The Bryan Ferry Orchestra … Ces anachronismes et cette volonté de moderniser un roman et des sentiments de toute façon intemporel restent ici (heureusement) mesurés.
Un film, comme celui de Clayton, empreint de la fugace beauté de l’éphémère et de la nostalgie désenchantée que représente le fascinant et romanesque Gatsby auxquelles Baz Luhrmann ajoute une mélancolique flamboyance. Il n’a pas dénaturé l’essence du roman, en choisissant justement de modérer ses envolées musicales.
Relisez le magnifique texte de Fitzgerald, ne serait-ce que pour « La poussière empoisonnée flottant sur ses rêves » ou cette expression de « nuages roses » qui définit si bien le ton du roman et du film et revoyez l’adaptation de Jack Clayton …mais ne passez pas non plus à côté de celle-ci qui ne déshonore pas la beauté de ce roman bouleversant sur l’amour absolu, la solitude et les illusions perdues derrière le faste et la multitude, et qui ici, et en particulier hier soir, prenait une étrange résonance devant tous ces acteurs qui, sans doute, connaissent ses rêves inaccessibles (ou les rêves accomplis qui ne guérissent ni l’amertume ni la solitude) et de cruelles désillusions, la mélancolie et la solitude dans la fête et la multitude, peut-être même celui qui incarne Gatsby dont le nom toute la journée, n’a cessé d’être murmuré et hurlé sur la Croisette et qui, peut-être, s’est parfois senti comme Gatsby, dans une troublante confusion (nous y revenons) entre la fiction et la réalité. Belle mise en abyme pour une ouverture et un film d’ouverture mêlant flamboyance, grand spectacle, mélancolie… à l’image de Cannes. Vivement la suite !
Le Festival Paris Cinéma célèbrera cette année sa 11ème édition, déjà (!), un Festival dont je n’ai manqué aucune édition puisque l’année de sa création coïncide avec mon arrivée à Paris. J’ai même fait partie de ses bénévoles, il y a quelques années de cela, avant d’intégrer son jury de blogueurs un peu plus tard. Retrouvez mes articles sur les dernières éditions en cliquant sur l’année qui vous intéresse, ci-dessous.
Comme chaque année, je profiterai donc de ses nombreuses avant-premières (avec de nombreux films présentés à Cannes, comme chaque année, ce qui me permettra de rattraper ceux que j’avais manqués ou d’en revoir certains comme la palme d’or « La vie d’Adèle » ou « La Vénus à la fourrure » de Roman Polanski).
Comme chaque début été, le festival proposera dans une quinzaine de lieux de la capitale plus de 200 films, dont beaucoup d’inédits, en présence de nombreuses personnalités du 7e art.
MADE IN BELGIËQUE : Les cinémas wallon, flamand et bruxellois à l’honneur
Après un focus sur le cinéma hongkongais en 2012, place à l’humour et à l’avant-garde , l’édition 2013 mettra à l’honneur le cinéma belge avec un panorama très large. C’est donc un panorama de plus de 100 films, des premiers temps du muet à nos jours que le festival proposera en présence de nombreux invités : Natacha Régnier, Joachim Lafosse, Bouli Lanners, Félix van Groeningen… Le focus sur Joachim Lafosse sera notamment l’occasion de revoir « A perdre la raison« , grand coup de cœur de l’année 2012 dont vous pouvez retrouver ma critique, ici.
La Compétition Internationale
Le Festival Paris Cinéma offre un aperçu du cinéma contemporain mondial à travers une sélection d’une dizaine de films (fictions, documentaires, films d’animation ou expérimentaux) présentés par leurs réalisateurs. Ces films, en provenance du monde entier, concourent pour le Prix du Public, le Prix du Magazine Grazia, le Prix des Blogueurs & du Web et le Prix des Étudiants. Les films primés recevront une aide pour soutenir leur distribution en France. Voici les films en compétition:
« La Bataille de Solférino » de Justine Triet
2013 / France
« Celui que nous laisserons » de Caetano Gotardo
2012 / Brésil
« Eka & Natia, Chronique d’une jeunesse géorgienne » de Nana Ekvtimishvili Simon Groß
2013 / Allemagne, Géorgie, France
« Ilo Ilo” de Anthony Chen
/ Singapour
“Kid” de Fien Troch
2012 / Belgique
« Lifelong » (titre provisoire) de Asli Özge
2013 / Turquie, Allemagne, Pays-Bas
« Prince Avalanche” de David Gordon Green
2013 / USA
“Vic + Flo ont vu un ours » de Denis Côté
2012 / Canada
“Youth” de Tom Shoval
2012 / Israel, Allemagne
Les Avant-premières
Une sélection d’une quarantaine d’avant-premières présentées par leurs équipes vous permettront de découvrir avant tout le monde les grands films de Cannes, les futurs succès des mois à venir ou pour redécouvrir des classiques du cinéma en copie restaurée.
2 automnes 3 hivers
Sébastien Betdeder
France
Présenté par Sébastien Betbeder et l’équipe du film
Vendredi 28 juin à 21h
MK2 Bibliothèque
3x3D
JL Godard, P. Greenaway et Edgar Pêra
Portugal
Alabama Monroe
Felix van Groeningen
Belgique
Film de clôture en présebce du réalisateur
lundi 8 juillet à 21h
MK2 Bibliothèque
Les Apaches
Thierry de Peretti
France
Présenté par Thierry de Peretti et l’équipe du film
Samedi 29 juin à 19h
MK2 Bibliothèque
Budori
Gisaburo Sugii
Japon
La Cinquième saison
Peter Brosens et Jessica Woodworth
Belgique
Présenté par Jessica Woodworth et l’équipe du film
Retour en 20 films sur les petits et grands rôles d’une comédienne remarquable, en sa présence.
Les Événements
Le Festival Paris Cinéma c’est aussi une série d’événements festifs et ludiques pour vivre le cinéma autrement.
Ne ratez pas la Nuit du Cinéma qui marquera le lancement de cette nouvelle édition : films cultes de série B, petits bijoux d’animations et autres raretés, films trash ou érotiques… viendront ponctuer cette exploration du cinéma sous ses formes les plus déviantes ou méconnues.
Ouverte aux professionnels comme aux particuliers et dédiée à la vente d’objets en lien avec l’univers du cinéma (DVD, affiches, photos de tournages, revues, matériel de projection, figurines collector…), la 5ème Brocante cinéma se tiendra les samedi 6 et dimanche 7 juillet sur le parvis du MK2 Bibliothèque.
Sans oublier le désormais mythique Ciné- Karaoke! Venez fêter le cinéma en sons et en images, et reprendre à tue-tête les grands airs du 7e Art !
D’autres événements et surprises vous seront dévoilés à l’approche du festival !
Hommage au Pape du Nouveau Roman devenu auteur de cinéma en 1961 en signant le scénario de L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais. En présence de nombreux invités.
À l’occasion de l’exposition « Keith Haring, The Political Line » qui se tient au CENTQUATRE et au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, le festival propose un cycle de films et des ateliers dédiés au Street Art.
Paris Project (événement réservé aux professionnels)
Du 30 juin au 3 juillet, le Festival Paris Cinéma invite les professionnels du cinéma européen et étranger à sa plateforme de co-production, Paris Project, pour accompagner une sélection de projets à la recherche de financements. Au programme de cet événement devenu incontournable : des rendez-vous personnalisés, des séances de pitching, des séminaires et des ateliers pratiques conçus par des professionnels reconnus de l’industrie du cinéma en Europe et à l’intention des réalisateurs, producteurs, vendeurs internationaux et distributeurs.
En 2012, 350 professionnels de 140 sociétés ont participé à Paris Project, tandis que 500 rendez-vous étaient organisés.
Après 4 années de « séparation », Ahmad arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie, son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d’Ahmad pour tenter d’améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé.
Dès les premiers plans, la précision visuelle et scénaristique d’Asghar Farhadi, est saisissante. Ahmad et Marie se retrouvent dans un aéroport, communiquant d’abord en lisant sur les lèvres de l’autre, à travers une vitre, se parlant sans s’entendre, ce qu’ils feront finalement pendant tout le film, cette première scène étant la métaphore de ce que sera tout le film qui traite essentiellement du doute, puisque chacun devra essayer de deviner la réalité, la vérité de l’autre. Puis, ils se retrouvent dans la voiture. Le malaise et l’émotion sont palpables. En reculant, Marie, heurte un autre véhicule. Revenir en arrière ne se déroule jamais sans heurts. Des secrets vont en effet ressurgir du passé et faire basculer l’équilibre déjà très fragile entre ces différents personnages.
Le récit se construit comme pourrait l’être un thriller. Les preuves s’accumulent. De nouvelles pistes naissent. Et nous sommes captivés comme s’il s’agissait d’une course-poursuite haletante. La force de la mise en scène, sa discrétion aussi, constamment au service d’un scénario ciselé et de dialogues parfaitement écrits, nous conduisent à suivre ces personnages pas forcément sympathiques mais pris et écartelés par l’absurdité et la complexité de la réalité.
La direction d’acteurs et la distribution sont également exceptionnelles avec, d’abord, une très belle découverte, Pauline Burlet qui interprète le rôle de la fille de Marie, à la fois introvertie et très forte. Bérénice Béjo très loin ici de la lumineuse Peppy Miller, est constamment crédible dans le rôle de cette mère écartelée entre son passé et l’avenir qu’elle tente de construire (un rôle qui vient de lui valoir le prix d'interprétation féminine à Cannes) et Tahar Rahim comme toujours d’une justesse irréprochable et sidérante sans oublier Ali Mosaffa qui interprète le rôle d’Ahmad, l’autre belle découverte du film.
En conférence de presse, Tahar Rahim a expliqué que, avec Asghar Farhadi « Tout est réglé comme du papier à musique et pourtant on se sent libre au milieu de tout ça ». Bérénice Bejo a parlé de chorégraphie pour ce film qui a nécessité 2 mois de répétition et 4 mois de tournage. Et, en effet, tout semble parfaitement orchestré, sans qu’il n’y ait jamais la moindre fausse note.
Asghar Farhadi ne cherche jamais à forcer notre émotion, ou à la prendre en otage mais il nous montre des personnages pas forcément aimables (ils ne sont pas tendres avec leurs enfants et Bérénice Bejo et Tahar Rahim, en conférence de presse, hier, ont d’ailleurs expliqué avoir parfois eu des réticences à interpréter ces personnages très éloignés d’eux) pour lesquels il parvient à nous faire ressentir de l’intérêt, constant, et de l’empathie.
Il a également eu la bonne idée, pour ce film tourné en France, de ne pas filmer un Paris de carte postale mais de tourner en banlieue, pour l’ancrer davantage encore dans la réalité.
« Le Passé » est aussi un film remarquable parce qu’il traite du doute et nous laisse aussi dans le doute quand tant de films nous prennent par la main, cherchant à nous dicter jusqu’à nos émotions. Faut-il privilégier la loyauté au passé ou y renoncer pour s’élancer vers l’avenir ? Pour échapper au passé, il faut continuer à avancer, mais le passé ne freine-t-il et ne condamne-t-il pas ce dessein ? Asghar Farhadi a la bonne idée de ne pas apporter de réponse et de nous laisser, comme ses personnages, avec ces questionnements.
Le scénario, pour son extrême sensibilité et sa précision rare et parce qu’il donne au spectateur un vrai rôle (finalement comme dans le film de Folman) et qui reflète si bien l’absurdité et la complexité de l’existence mériterait sans aucun doute un prix. C’est là toute la force du « Passé », d’une justesse fascinante et rare, dont le dernier plan nous laisse astucieusement interrogatifs, et émus, enfin.