Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 23

  • 49èmeFestival du Cinéma Américain de Deauville – Conversation avec Luc Besson et critique de DogMan de Luc Besson (Première)

    20230903_163649.jpg

    L’évènement du jour à Deauville fut la master class de Luc Besson après la projection de DogMan hier soir (dans le cadre des « Premières » du festival), qui a enthousiasmé et ému les festivaliers. DogMan, fiklm écrit, réalisé et produit par Luc Besson a été présenté en avant-première au Festival de Deauville, et a aussi été sélectionné en compétition au Festival de Venise.

    dogman.jpg

    Le film débute par les images d’un travesti déguisé en Marilyn Monroe. Hagard. Et ensanglanté.

    C’est en lisant un article sur une famille qui avait jeté son enfant de 5 ans dans une cage que Luc Besson a eu l'idée de ce film si singulier. Selon le pitch officiel, DogMan raconte « l’incroyable histoire d’un enfant, meurtri par la vie, qui trouvera son salut grâce à l’amour que lui portent ses chiens ». Seul l’amour des chiens sauve en effet ce jeune homme traumatisé par les effroyables maltraitances subies dans son enfance. Son « gang » animalier qui aide les victimes de la violence humaine. Tel un Robin des bois, avec leur aide, il vole les riches propriétaires…

    À la suite d’un règlement de comptes qui termine tragiquement, il est arrêté par la police puis interrogé par une psychiatre bienveillante (dont les failles font écho aux siennes). Les flashbacks nous racontent alors sa tragique et romanesque histoire...

     C’est plus que « l’histoire incroyable d’un enfant meurtri ». C’est un conte funèbre. La construction d’un (anti)héros mémorable tels Léon et Nikita.  

    Caleb Landry Jones, prix d’interprétation masculine à Cannes en 2021 pour son rôle dans Nitram, incarne ici un DogMan tantôt attachant, tantôt effrayant, et livre une performance absolument sidérante qui nous embarque avec lui dans ce film hybride entre fable sombre, film social, série B, thriller, avec comme toujours chez Besson l’influence prégnante de la BD et une esthétisation de la violence même si le  hors-champs est judicieusement utilisé dans les scènes les plus « carnassières », de même que le son et le montage, remarquables. 
    « Au bout de 2 jours, j'étais au spectacle. C'est un bonheur d'avoir la chance de travailler avec un acteur de ce calibre. La dernière fois que j'ai vu ça c'est Gary Oldman » a ainsi  déclaré Luc Besson à propos de Caleb Landry Jones lors de sa conversation avec le public, à Deauville, cet après-midi.

    Bien sûr, ce n’est pas un cinéma de la demi-mesure et de la nuance que nous propose Luc Besson. Mais ce n’est pas là non plus que nous l’attendions. Tout est excessif et emphatique : les malheurs du héros, la musique (d’Éric Serra), l’interprétation, les dialogues. Malgré tout, se dégagent de cette histoire une humanité poignante et une poésie sombre qui finissent par nous emporter, a fortiori si vous aimez les animaux et savez la force que vous pouvez puiser dans leur compagnie.

    Un dénouement christique un peu trop surligné (too much diront certains) mais qui a le mérite d’aller au bout de son idée et de susciter l’émotion tout comme cette scène sur la musique de Piaf renversante d’émotions et qui, à elle seule, justifie de voir ce film, ode à l'art salvateur, à la construction en puzzle qui maintient le suspense jusqu'à la dernière seconde et qui a fait se lever la salle du CID.

    EXTRAITS DE LA MASTER CLASS (Conversation avec Luc Besson animée par Stéphane Charbit)

    « Créer, c’est se découvrir, c’est s’exposer, c’est se fragiliser. » Luc Besson

    « Chaque metteur en scène est fragilisé à cette période.  A l’époque du Grand Bleu, on m’a dit 10 millions d’entrées, c’est formidable. Alors j’ai dit, pourquoi les 50 millions ils n’ont pas envie de le voir ? Je pense qu’on est très démuni. On prépare en cuisine. On met un beau papier avec un ruban et on espère que ça va plaire. Le film vous appartient maintenant donc prenez soin de lui. »

    « Je pense que c’est un rapport d’émotions. Le cinéma c’est le septième art, c’est le dernier, c’est le plus jeune, c’est le résumé des autres. Il y a un peu d’architecture. Il y a un peu de danse. C’est un art préparatoire. Il n’est pas mineur. Il est préparatoire. Il prépare aux autres. Faire écouter de la musique classique à 14 ans, oubliez. Mais avec le cinéma, on y arrive. »

    « Ce n’est pas une impulsion, c’est une nourriture Dans l’art, tout est faux et pourtant on cherche une vérité. Normalement, dans la vie dans la politique tout est supposé être vrai mais on s’aperçoit qu’ils mentent tout le temps donc c’est assez paradoxal. Aller chercher dans quelque chose. Tout le monde sait que quand vous faites une déclaration d’amour il y n’y a pas 50 violons derrière. On le sait mais ça fait du bien. Et si ça peut nous rendre meilleur et si ça peut nous aider. Ce qui est amusant c’est que ce n ‘est pas sa mission de départ. Nous éveiller. Nous emporter. Embellir un peu la vie. »

    A propos de la musique de film :

    « Grâce à un ami de mes parents qui m’a fait découvrir Miles Davis. J’avais 14 ans. C’est le premier qui m’a montré l’architecture de la musique. La batterie avec la basse. Comment ça se répondait. Je n’avais jamais abordé la musique sous un aspect d’architecture. D’un seul coup, je me suis dit que c’était incroyable.  C’est par ce biais de l’architecture musicale que j’ai remonté la filière de Miles Davis…J’avais cette culture-là. Ce qui était un peu compliqué avec mes copains de l’époque. Comme mon beau-père n’avait pas d’électrophone chez lui. Je ne pouvais pas écouter mes disques chez lui. J’essayais d’emmener mes disques en boum. Je mettais Weather Report. Cette culture-là. Eric a cette base-là. Cette base de jazz. On se comprend tout de suite. La musique est le deuxième dialogue dans mes films. Il y a un sentiment qui est en train de naitre chez l’acteur. Il y a deux solutions. L’acteur qui dit ce que tu me dis cela me fait mal. Et puis la musique peut dire la même chose. Mais on ne peut pas dire deux fois la même chose. Il ne faut pas paraphraser. Si le jeune homme ou la jeune femme dit « je vous aime », il ne faut pas forcément balancer les violons. Généralement, je monte en musique de référence, sur d’autres films ou d’autres morceaux. Trente secondes d’un morceau et on prend un autre morceau. Cela guide beaucoup Éric. Cela le guide en termes de tempo. Il peut suivre après. Si on lui met du Mozart après cela peut être compliqué. Donc on essaie aussi de ne pas mettre des trucs trop beaux.  Je suis incapable d’écrire sans musique. N’importe où. Ce qui est très rigolo, quand je pars sur un script, j’écoute un album pendant parfois trois mois en boucle. J’ai compris pourquoi après. Quand tous les matins, on remet cet album cela vous remet dans le même tempo et dans le même mood que là où vous avez quitté le script la veille.  C’est presque un moyen mémo-technique de revenir à l’endroit où on était. Donc j’écoute tout l’album. Pour DogMan, c’est un album de Billie Eilish."

    « DogMan catalyse les souffrances de tout le monde. Il est là pour aider. L'art qui sauve est le thème du film. »

    « L'envie primaire de désir de cinéma, c'est simplement d'exister. »

    Il a déploré « l’appauvrissement du cinéma dans sa globalité. »

    « J’ai pris une claque en revoyant le Guépard. C'est de l'orfèvrerie, il n'y a plus d'orfèvrerie. C'est monstrueux, ce film. L'équivalent en architecture des pyramides. »

    « La force du cinéma, plus que les films, c'est les personnages qui font partie de notre vie. »

    « J'ai toujours été intéressé par montrer les faiblesses de l'homme et les forces de la femme. »

    « J’ai construit le plan de travail de DogMan en fonction des émotions que le personnage traverse dans l'histoire »

    « De Niro est un des piliers du cinéma capable de tout faire de tout jouer. »

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE 2023 Pin it! 0 commentaire
  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 - CRITIQUE de PAST LIVES – NOS VIES D’AVANT de CELINE SONG (compétition officielle)

    past lives 2.jpg

    Selon Baudelaire, « La mélancolie est l’illustre compagnon de la beauté. Elle l’est si bien que je ne peux concevoir aucune beauté qui ne porte en elle sa tristesse. » Une citation qu’illustre parfaitement ce film d’une mélancolie subrepticement envoûtante.

    Cela commence dans un bar à New York. Quelqu’un observe un trio (une femme et deux hommes) de l’autre côté du comptoir, interpellé par son étrangeté, s’interrogeant sur le lien qui peut bien les unir. La femme et un des deux hommes semblent en effet particulièrement complices. La première tourne le dos au deuxième homme, comme s’il n’existait pas. Qu’est-ce qui réunit ces trois-là ? Quelles peuvent être les relations entre eux ? Pourquoi la femme a soudain cette expression sur son visage, entre joie et nostalgie (entre « joie » et « souffrance » dirait Truffaut) ?  Le flashback va répondre à cette question…

    Nous retrouvons Nayoung (Moon Seung-ah) et Hae Sung (Seung Min Yim) à l’âge de douze ans. Ils sont amis d’enfance, inséparables, complices. Ils vont à la même école à Séoul et se chamaillent tendrement quand il s’agit d’avoir la première place à l’école. Jusqu’au jour où les parents de Nora, artistes, décident d’émigrer pour le Canada.  Douze ans plus tard, Nayoung devenue Nora (Greta Lee), habite seule à New York. Hae Sung (Teo Yoo), lui, est resté à Séoul où il vit encore chez ses parents pour suivre des études d’ingénieur. Par hasard, en tapant son nom sur internet, Nora découvre que Hae Sung a essayé de la retrouver. Elle lui répond. Ils retrouvent leur complicité d’avant. Au bout de plusieurs mois, Nora décide de suspendre ces échanges, face à l’impossibilité de se retrouver, et devant l’importance que prennent ces conversations et les sentiments qui les unissent. Mais douze ans plus tard, alors que Nora est désormais mariée à un Américain, Arthur (John Magaro), Hae Sung décide de venir passer quelques jours à New York.

    Celine Song s’est inspirée de sa propre histoire. Elle a ainsi quitté la Corée à l’âge de 12 ans pour Toronto, avant de s’installer à New York à vingt ans.

    Inyeon. Cela signifie providence ou destin en coréen. Si deux étrangers se croisent dans la rue et que leurs vêtements se frôlent cela signifie qu’il y a eu 8000 couches de inyeon entre eux. La réalisatrice explique ainsi ce en quoi consiste ce fil du destin : « Dans les cultures occidentales, le destin est une chose que l’on doit impérativement réaliser. Mais dans les cultures orientales, lorsqu’on parle d’"inyeon", il ne s’agit pas forcément d’un élément sur lequel on peut agir. Je sais que le "inyeon" est une notion romantique, mais en fin de compte, il s’agit simplement du sentiment d’être connecté et d’apprécier les personnes qui entrent dans votre vie, que ce soit aujourd’hui, hier ou demain ». « Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que des rendez-vous » écrirait Éluard…

    Quand Nora a changé de pays, elle a laissé derrière elle : son prénom asiatique, son amour d’enfance, la Corée. Past lives - nos vies d'avant est d’abord le récit d’un déracinement. Quand nous la retrouvons à New York, nous ne voyons jamais sa famille, comme si elle avait été amputée d’une part d’elle-même. C’est l’histoire d’un adieu. De l’acceptation de cet adieu, de ce qu’implique le Inyeon, d’une porte sur le passé et l’enfance qu’il faut apprendre à fermer. Rien n'est asséné, surligné. Tout est (non) dit en délicatesse, en silences, en mains qui pourraient se frôler, en regards intenses, en onomatopées qui en disent plus que de longs discours. Pas seulement pour ce qui concerne les liens entre Nora et Hae-Sung mais aussi les ambitions littéraires de la première dont des indices fugaces nous laissent deviner qu'ils ne sont peut-être pas à la hauteur de ses rêves. Comme si, cela aussi appartenait à une vie passée...

    Dans cette époque de fureur, de course effrénée et insatiable au résultat et à l’immédiateté, y compris dans les sentiments, ce refus du mélodrame, de l’explicite et de l’excès, n’est pas du vide, mais au contraire un plein de sensations et troubles contenus qui nous enveloppent, nous prennent doucement par la main, jusqu’à la fin, le moment où surgit enfin l’émotion, belle et ravageuse.

    Celine Song a ainsi déclaré : « Je voulais mettre en scène des relations qui ne soient pas définissables. Ce qui unit mes trois personnages ne se résume pas en un mot ou une expression. Leur relation est un mystère, et le film est la réponse à ce mystère. Past Lives - Nos vies d'avant n’est pas un film sur les liaisons amoureuses. C’est un film sur l’amour. »

    Et c’est aussi là que réside la beauté de ce film. Il n’y a pas de disputes, d’adultère, de fuite. Mais une confrontation à soi-même, à son être profond, comme un miroir tendu à Nora la confrontant à son passé et son devenir. Aucun des trois personnages n’est ridiculisé ou caricatural. Ils agissent avec maturité, empathie, compréhension. Ce que le film perd peut-être (judicieusement) en conflits, il le gagne en singularité et profondeur. Il sublime l'implicite, aussi, comme l'ont fait, sublimement, Wong Kar Wai ou Sofia Coppola (dans Lost in translation) avant Celine Song.

    Christopher Bear et Daniel Rossen ont signé la musique aux notes cristallines, là aussi jamais redondantes ou insistantes, accompagnant le mystère qui lie les personnages, et magnifiant leurs silences. Se joignent à ces musiques celles de Leonard Cohen, John Lee Hooker, John Cale ou encore du Coréen Kim Kwang Seok,. La réalisation privilégie l’intime, sans négliger les décors, Céline Song filme ainsi New York nimbée de lueurs romantiques, quand Hae Sung  et Nora la (re)découvrent ensemble.

    Ce film tout en retenue, ensorcelante, est un joyau de pudeur, de subtilité, d’émotions profondes que l’on emporte avec soi une fois la porte de Nora refermée, et celle de son cœur avec, une fois celui-ci s'étant laissé brusquement envahir et submerger. Et le nôtre avec. LE film à voir absolument en cette fin d'année et en cette période d'actualités tragiquement indicibles : une bulle de douceur réconfortante, comme un conte (lucide et mélancolique) de Noël, murmuré.

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE 2023 Pin it! 0 commentaire
  • Cérémonie et film d’ouverture du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023, LE JEU DE LA REINE de Karim Aïnouz

    20230901_200008.jpg

     

    Comme c’est le cas désormais chaque année, pour le plus grand plaisir des festivaliers, c’est en musique que s’ouvre le Festival du Cinéma Américain de Deauville. Pour cette 49ème édition, c’est Kyle Eastwood qui a enchanté les spectateurs de la majestueuse salle du CID, avant de présenter un documentaire qui lui est consacré, aux Franciscaines. 

    20230901_203725.jpg

     

    L’été expire ses dernières lueurs et, chaque année début septembre, il se ravive avec l’incontournable rendez-vous du festival. D’autant plus avec cette 49ème édition au programme passionnant, nullement abîmé par les absences de ceux qui auraient dû être à l’honneur cette année, récipiendaires de Deauville Talent Awards (Natalie Portman, Jude Law, Joseph Gordon-Levitt, Peter Dinklage), absents pour cause de grève à Hollywood. L’occasion cependant de découvrir leurs derniers films en avant- première (notamment She came to me de Rebecca Miller, en la présence de la cinéaste) ou leurs anciens (notamment The Nest de Sean Durkin, Grand prix du Festival de Deauville 2020). Emilia Clarke recevra le prix Nouvel Hollywood, qui récompense une étoile du cinéma américain, avant la projection de The Pod Generation réalisé par Sophie Barthes.

    20230901_194945.jpg

    Comme chaque année, le Festival de Deauville sera le reflet des ombres et lumières de la société américaine, et nous a offrira une plongée réjouissante ou angoissante dans les méandres de son âme, ses tourments et ses espoirs, avec 80 films en sélection officielle dont 14 en compétition officielle (9 étant premiers longs-métrages) mais aussi des Premières et des Docs de l’Oncle Sam. Ou encore, comme c’est le cas depuis la pandémie, une Fenêtre sur le cinéma français (3 films français en première mondiale dont Icon of french cinema, la série de Judith Godrèche dans laquelle elle incarne son alter ego fictif qui rentre à Paris après dix années d’exil à Hollywood) et L’heure de la Croisette ( 3 films de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes).

    20230901_203719.jpg

    Le festival propose aussi cette année des conversations avec Luc Besson (à l’occasion de la première de son film DogMan) et Carole Bouquet (à l’occasion de la projection de Captives de Arnaud des Pallières).

    Comme chaque année, il ne faudra également pas manquer le Prix d’Ornano-Valenti, attribué cette année à Rien à perdre de Delphine Deloget.

    Rendez-vous le 9 septembre pour découvrir le palmarès décerné par Guillaume Canet (à qui la distinction numérique de l’INA sera remise le 6 septembre avant la projection de L’enlèvement de Marco Bellochio). Il sera accompagné du réalisateur Alexandre Aja, de la romancière Anne Berest, de la réalisatrice Laure de Clermont-Tonnerre, de la réalisatrice Léa Mysius, de la comédienne Marina Hands de la Comédie-Française, de la comédienne Rebecca Marder, du comédien Stéphane Bak, et du musicien et comédien Maxime Nucci.

    Le Jury de la Révélation est présidé par la comédienne Mélanie Thierry, entourée de la comédienne Julia Faure, du comédien Pablo Pauly, de la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy et du comédien Félix Lefebvre.

    La cérémonie du palmarès sera suivie du film de clôture : Joika de James Napier Robertson.

    20230901_195929.jpg

    En attendant, ce soir, le photographe et cinéaste, Jerry Schatzberg recevait un hommage pour l'ensemble de sa carrière. L'occasion pour lui de retrouver Guillaume Canet, qu'il avait dirigé à ses débuts dans The Day The Ponies Come Back. C’est Guillaume Canet qui lui a rendu hommage, en l’accueillant par ces mots :  « Il représente le festival indépendant américain. Je vous demande d'accueillir mon ami et mon père spirituel, Jerry Schatzberg ». Jerry Schatzberg réalisa notamment L’Epouvantail (Palme d’or à Cannes en 1973), Panique à Needle Park (1971), Portrait d’une enfant déchue (1970).

    CRITIQUE - LE JEU DE LA REINE

    Jeu de la Reine.jpg

    C’est le film Le Jeu de la reine de Karim Aïnouz de qui a ensuite été projeté lors de cette cérémonie d’ouverture.

    Catherine Parr (Alicia Vikander) est la sixième femme du roi Henri VIII (Jude Law), dont les précédentes épouses ont été soit répudiées, soit décapitées (une seule étant décédée suite à une maladie). Avec l’aide de ses dames de compagnie, elle tente de déjouer les pièges que lui tendent l’évêque, la cour et le roi…

    Ce film a été figurait en compétition du Festival de Cannes 2023.

    Catherine Parr fut donc la sixième et dernière épouse du roi tyrannique Henri VIII.  Le film s’intéresse ainsi aux derniers mois de la survie de Catherine Parr en tant que reine d’Angleterre, et aux derniers mois d’Henri VIII en tant que roi. Une femme qui rêvait en dépit de la relation abusive dans laquelle elle était enfermée. Une femme courageuse.

    Entre horreur psychologique et thriller politique, Le Jeu de la Reine est une adaptation du roman éponyme d’Elizabeth Fremantle, publié en 2012. Henri VIII, souverain réputé pour sa cruauté, a eu cinq épouses avant Catherine Parr, dont deux qu'il fit décapiter, Anne Boleyn et Catherine Howard.

     L’intégralité du film a été tournée à Haddon Hall qui ressemble au décor d’un thriller funeste. La mise en scène en clair-obscur sied parfaitement à cette histoire de ténèbres parsemées de lueurs d’espoirs éparses. Où menacent les complots et la peste. Et où la liberté est sans cesse menacée.

    Jude Law est surprenant et même méconnaissable dans le rôle de ce roi repoussant, inquiétant, tyrannique et abusif. Un film intemporel et angoissant. Un magnifique portrait de femme aussi, celui de  Catherine Parr, première femme à publier un recueil de poèmes en langue anglaise.

    Avec cette vision de sa relation avec Henri VIII féministe et originale, mais aussi austère et angoissante, le coup d’envoi de cette 49ème édition était donné. Sera-t-elle à l’image de ce film ? Réponse dans dix jours !

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE 2023 Pin it! 0 commentaire
  • Critique de LA TORTUE ROUGE de MICHAEL DUDOK DE WIT (2016)

    Critique de la tortue rouge.jpg

    La Tortue rouge faisait partie de la sélection officielle du 69ème Festival de Cannes, dans la catégorie Un Certain Regard. Ce film a obtenu le Prix Spécial du Jury Un Certain Regard avant de nombreux autres prix et nominations dans le monde, notamment aux César et aux Oscars comme meilleur film d’animation. Michaël Dudok de Wit avait auparavant  déjà remporté l’Oscar du Meilleur court-métrage d’animation pour Père et fille.

    La Tortue rouge a été cosignée par les prestigieux studios d’animation japonaise Ghibli qui collaborent pour la première fois avec un artiste extérieur au studio, a fortiori étranger. Ce film est en effet le premier long-métrage d’animation du Néerlandais Michael Dudok de Wit, grâce à l’intervention d’Isao Takahata, réalisateur notamment des sublimes films d’animation Le Tombeau des lucioles et Le Conte de la princesse Kaguya et cofondateur, avec Hayao Miyazaki, du studio Ghibli, et ici producteur artistique tandis que Pascale Ferran a cosigné le scénario avec le réalisateur. À ce trio, il faut ajouter le compositeur, Laurent Perez del Mar, sans la musique duquel le film ne serait pas complètement le chef-d’œuvre qu’il est devenu.

    Ce conte philosophique et écologique est un éblouissement permanent qui nous attrape dès la première image (comme si nous étions ballottés par la force des éléments avec le naufragé) pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions, abasourdis, que ce voyage captivant sur cette île déserte, cet état presque second dans lequel ce film nous a embarqués, n’étaient que virtuels.

    C’est l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux. Il tente vainement de s’échapper de ce lieu jusqu’à sa rencontre avec la tortue rouge, qu’il combat d’abord…avant de succomber à son charme. Quand la carapace de l’animal va se craqueler puis se fendre, une autre histoire commence en effet. La tortue se transforme en femme. Une transformation dans laquelle chacun peut projeter sa vision ou ses rêves. Que ce soit un écho à la mythologie et à l’œuvre d’Homère : comme Ulysse, le naufragé est retenu dans une île par une femme. Ou que ce soit une projection de ses désirs. Ou une personnification de la nature pour en signifier la beauté et la fragilité. Le rouge de cet animal majestueux contraste avec le bleu et le gris de la mer et du ciel. Respecté, solitaire, paisible, mystérieux, il est aussi symbole d’un cycle perpétuel, voire d’immortalité. Comme une parabole du cycle de la vie que le film met en scène.

    Le murmure des vagues. Le chuchotement du vent. Le tintement de la pluie. L’homme si petit au milieu de l’immensité. La barque à laquelle il tente de s'accrocher. Le vrombissement de l’orage. Les cris des oiseaux. Les vagues qui se fracassent contre les rochers, puis renaissent. Le bruissement des feuilles. L'armée joyeuse des tortues. Le clapotis de l'eau. La nature resplendit, sauvage, inquiétante, magnifique. Sans oublier la respiration (dissonante ou complémentaire de l’homme) au milieu de cette nature harmonieuse.

    La musique à peine audible d’abord, en gouttes subtiles, comme pour ne pas troubler ce tableau, va peu à peu se faire plus présente. L’émotion du spectateur va aller crescendo à l'unisson, comme une vague qui prendrait de l’ampleur et nous éloignerait peu à peu du rivage de la réalité avant de nous embarquer, loin, dans une bulle poétique et consolatrice. Cela commence quand le naufragé rêve d’un pont imaginaire, la force romanesque des notes de Laurent Perez de Mar nous projette alors dans une autre dimension, déjà. Puis, quand tel un mirage le naufragé voit 4 violonistes sur la plage, qui jouent une pièce de Leoš Janáček : String Quartet No.2 Intimate Letter

    Jamais l’absence de dialogue (à peine entendons-nous quelques cris des trois protagonistes) ne freine notre intérêt ou notre compréhension mais, au contraire, elle rend plus limpide encore ce récit d’une pureté et d’une beauté aussi envoûtantes que la musique qui l’accompagne. Composée en deux mois une fois l’animation terminée et le film monté, elle respecte les silences et les bruits de la nature. La musique et les ambiances de nature se (con)fondent alors avec virtuosité pour créer cette symbiose magique. Jamais redondante, elle apporte un contrepoint romanesque, lyrique, et un supplément d’âme et d’émotion qui culmine lors d’un ballet aquatique ou plus encore lors de la scène du tsunami. À cet instant, la puissance romanesque de la musique hisse et propulse le film, et le spectateur, dans une sorte de vertige hypnotique et sensoriel d’une force émotionnelle exaltante, rarement vue (et ressentie) au cinéma.

    Ce film universel qui raconte les différentes étapes d’une vie, et reflète et suscite tous les sentiments humains, est en effet d’une force foudroyante d’émotions, celle d’une Nature démiurgique, fascinante, grandiose et poétique face à notre vanité et notre petitesse humaines. Une allégorie de la vie d’une puissance émotionnelle saisissante exacerbée par celle de la musique à tel point qu’on en oublierait presque l’absence de dialogues tant elle traduit ou sublime magistralement les émotions, mieux qu’un dialogue ne saurait y parvenir.

    Le graphisme aussi épuré et sobre soit-il est d’une précision redoutable. Les variations de lumières accompagnent judicieusement l’évolution psychologique du personnage. Rien n’est superflu. Chaque image recèle une poésie captivante.

    La tortue rouge est film contemplatif mais aussi un récit initiatique d’une poésie, d’une délicatesse et d’une richesse rares dont on ressort étourdis, avec l’impression d’avoir volé avec les tortues, d’avoir déployé des ailes imaginaires pour nous envoler dans une autre dimension et avec l’envie de réécouter la musique pour refaire le voyage (et y projeter nos propres rêves, notre propre "tortue rouge") et se laisser emporter par elle et les images qu’elle initie, nous invitant dans un ailleurs étourdissant, entre le ciel et la mer, dans un espace indéfini et mirifique. Un ailleurs qui est tout simplement aussi la vie et la nature que ce film sublime et dans lequel il nous donne envie de plonger. Plus qu'un film, une expérience sensorielle unique. Un chef-d’œuvre.

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE EN 2016 Pin it! 0 commentaire
  • Programme complet du 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : à suivre en direct ici du 1er au 10 septembre 2023

    Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 l'affiche.jpg

    Comme chaque année depuis une vingtaine d'années, je vous ferai vivre en direct le Festival du Cinéma Américain de Deauville dont la 49ème édition aura lieu du 1er au 10 septembre. Vous pourrez notamment me suivre sur mon compte Instagram (@Sandra_Meziere). Une édition avec un programme qui s'annonce passionnant malgré les absences de ceux qui auraient dû être à l'honneur cette année (Natalie Portman, Jude Law, Joseph Gordon-Levitt, Peter Dinklage) pour cause de grève à Hollywood. Le festival propose d'ailleurs une table ronde à ce sujet intitulée Grève à Hollywood : les mutations du cinéma, en partenariat avec Le Monde, le 2 septembre à 14h.

    Cela n'empêchera pas ce festival, comme chaque année, d'être le reflet des ombres et lumières de la société américaine, de nous offrir une plongée réjouissante dans les méandres du pays de l'Oncle Sam, avec 80 films en sélection officielle : Premières, compétition, Docs de l'Oncle Sam...mais aussi, comme c'est le cas depuis la pandémie, une Fenêtre sur le cinéma français ( 3 films français en première mondiale) et L'heure de la Croisette ( 3 films de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes). Jerry Schatzberg sera par ailleurs bien présent à l'occasion de l'hommage que lui rendra le festival, de même que Kyle Eastwood qui fera résonner ses notes lors de la cérémonie d'ouverture et viendra présenter un documentaire qui lui est consacré. L'ouverture sera aussi l'occasion de découvrir Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz. Le festival propose cette année des "conversations avec..."  Luc Besson (à l'occasion de la première de son film Dogman) et Carole Bouquet (à l'occasion de la projection de Captives de Arnaud des Pallières). Comme chaque année, il ne faudra également pas manquer le Prix d'Ornano-Valenti attribué cette année à Rien à perdre de Delphine Deloget.

    Rendez-vous le 9 septembre pour découvrir le palmarès décerné par Guillaume Canet (à qui la distinction numérique de l'INA sera remise le 6 septembre avant la projection de L'enlèvement de Marco Bellochio) et Mélanie Thierry, et leurs jurys respectifs. La cérémonie du palmarès sera suivie du film de clôture : Joika de James Napier Robertson

    Retrouvez également l'ensemble de mes articles consacrés à l'édition 2022 du festival sur In the mood for Deauville et mon bilan du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022 dans le magazine Normandie Prestige 2023 (distribué à partir du 20 juillet 2023, également disponible en ligne ici).

    Cet article ci-dessous vous détaillant le programme du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2023 sera mis à jour au fur et à mesure des annonces.

    Lire la suite

  • Critique de ANATOMIE D’UNE CHUTE de Justine Triet (palme d’or du Festival de Cannes 2023 – au cinéma le 23.08.2023)

    cinéma, critique, film, anatomie d'une chute, Justine Triet, film, palme d'or, Festival de Cannes 2023

    J’ai découvert ce film en « rattrapage » le dernier jour du Festival de Cannes, quelques heures avant la clôture lors de laquelle Ruben Östlund et son jury lui ont décerné la palme d’or, et j’en suis sortie bousculée, heurtée par la lumière réconfortante du Sud après cette plongée dans cette histoire qui m’avait totalement happée. La récompense cannoise suprême est amplement méritée pour ce thriller de l’intime qui m’a captivée de la première à la dernière seconde. Comme à l’issue d’un thriller, le film terminé, vous n’aurez qu’une envie : le revoir, pour quérir les indices qui vous auraient échappés. Avec cette palme d’or française, le cinéma hexagonal recevait ainsi pour la onzième fois la prestigieuse récompense, dévolue à une réalisatrice pour la troisième fois de l’histoire du festival après Jane Campion, pour La leçon de piano, en 1993, et après Julia Ducournau, pour Titane, en 2021. Anatomie d’une chute est le quatrième long-métrage de Justine Triet après La bataille de Solférino (2013), Victoria (2016) et Sibyl (2019). Alors qu’un autre film de procès récoltait les louanges des festivaliers, Le procès Goldman de Cédric Kahn, à la Quinzaine des cinéastes, le procès de cette chute a également reçu des avis presque unanimement enthousiastes. Il serait néanmoins très réducteur de définir ce film comme étant uniquement un « film de procès ».

    Sandra (Sandra Hüller), Samuel (Samuel Theis) et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel (Milo Machado Graner), vivent depuis un an loin de tout, à la montagne, dans la région dont Samuel est originaire. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ?

    Ce sont finalement trois mystères qu’explore le film, contenus dans son titre : le mystère d’un couple, surtout de sa déliquescence, le mystère d’une mort suspecte, le mystère des récits de Sandra, écrivaine. Trois chutes. Le terme chute s’applique ainsi à ces trois mystères. La chute du couple. La chute (physique) qui conduit à la mort de Daniel. La chute d’une œuvre (qu’elle soit romanesque ou cinématographique). C’est donc à cette triple anatomie que nous convie Justine Triet. Et finalement à l’anatomie de celle qui les réunit : le fascinant, intrigant, froid et impénétrable personnage de Sandra. 

    Cela commence dans le cadre en apparence serein du chalet familial, par une chute : celle d’une balle dans un escalier, qui en préfigure d’autres. Une jeune universitaire vient interviewer Sandra sur son travail d’écrivaine. Autour d’un verre, une joute verbale s’installe, non dénuée de séduction. Cette dernière répond de manière évasive, et dans ses réponses et sa manière de répondre, déjà, s’instaure un certain malaise qui s’accroît lorsque Samuel, invisible, à l’étage, met une musique assourdissante (une version instrumentale du P.I.M.P de 50 Cent , P.I.M.P de Bacao Rhythm et Steel Band) qu’il écoute en bouche tout en rénovant les combles du chalet. Bien qu’absent du cadre, Samuel envahit l’espace. Sandra feint tout d’abord de faire abstraction de cet envahissement sonore qui entrave l’interview, qu’elle doit finalement interrompre. Pour s’échapper de cette cacophonie, le jeune Daniel part sortir son chien. C’est là qu’il découvrira le corps sans vie de son père.

    Le personnage de Sandra est absolument passionnant, celui d’une femme libre, à la personnalité retorse. C’est finalement cette personnalité qui semble être disséquée et désapprouvée lors du procès parce qu’elle n’entre pas dans les cases. Dans la vie d’une romancière, on préfère ainsi imaginer qu’elle « tue le héros de son roman » plutôt  « qu’un banal suicide» de son mari. Sa froideur et sa distance la rendent rapidement suspecte aux yeux du procureur qui n'aura de cesse de prouver sa culpabilité. Incarné par Antoine Reinartz, il s’acharne sur elle avec une rare violence. Son récit à lui est parfaitement manichéen. Sandra fait une « bonne coupable », une parfaite « méchante » pour que soit raconté « le bon récit », celui de l’écrivaine meurtrière.

    L’aveugle est finalement le seul à (sa)voir. Plus que de vérité, il est question de réécriture de la vérité, de choix de récit et c’est avant tout cela qui rend cette histoire passionnante. Elle questionne constamment cette notion de vérité et d’écriture. Le récit appartient alors à Daniel. C’est à lui que reviendra de choisir le récit officiel. Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger (film prenant avec James Stewart, que je vous recommande au passage) dont le titre a inspiré celui du film de Justine Triet, interrogeait lui aussi cette notion de vérité. Dans Sibyl, Virginie Efira incarne une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d'écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Là aussi, elle va réécrire une réalité…

    La dissection du couple est également particulièrement passionnante, notamment une scène de dispute pendant laquelle vous retiendrez votre souffle (ce ne sera d’ailleurs pas la seule). Est ainsi disséquée la complexité des rapports qu’entretiennent Sandra et Samuel, constitués de rancœurs, de jalousie aussi, d’inégalité. L’un et l’autre puisent dans la vie, dans leur vie, pour écrire, l’une avec plus de succès que l’autre. Samuel veut faire de la vie de son couple la matière de son roman, il enregistre d’ailleurs leurs conversations. Le scénario, habile et ciselé, inverse les rôles stéréotypés qu’offre la plupart des récits. C’est elle qui réussit et vit de sa plume (lui n’est qu’un professeur qui tente d’écrire). C’est lui qui est en mal de reconnaissance. C’est en cela aussi que l’on fera son procès, on lui reproche de n’être finalement pas à sa place.

    Sandra Hüller, présente dans deux films en compétition cette année à Cannes (l’autre était The Zone of Interest de Jonathan Glazer), révélée à Cannes en 2016 dans Toni Erdmann, est impressionnante d’opacité, de froideur, de maitrise, d’ambiguïté. Justine Triet a écrit le rôle pour elle et elle l’incarne à la perfection.  « J’ai écrit pour elle, elle le savait, c’est une des choses qui m’ont stimulée dès le départ. Cette femme libre qui est finalement jugée aussi pour la façon qu’elle a de vivre sa sexualité, son travail, sa maternité : je pensais qu’elle apporterait une complexité, une impureté au personnage, qu’elle éloignerait totalement la notion de « message » a ainsi déclaré Justine Triet.

    Swann Arlaud (Petit paysan, Grâce à Dieu, Vous ne désirez que moi…), pour moi un des meilleurs acteurs de sa génération, est également  d’une rare justesse dans le rôle de l’avocat, sensible, très impliqué, qui fut sans doute plus qu’un ami, ce qui donne une fragilité intrigante à son personnage, instillant un trouble dans leurs relations.

    Justine Triet a fait le choix de ne pas mettre de musique additionnelle, néanmoins la musique du début nous hante, contrebalancé par le prélude de Chopin que Daniel joue au piano.

    Justine Triet et Arthur Harari (coscénariste) livrent un film palpitant sur le doute, le récit, la vérité, la complexité du couple, et plus largement des êtres. Un film qui fait une confiance absolue au spectateur. Un film dont le rythme ne faiblit jamais, que vous verrez au travers du regard de Daniel, l'enfant que ce drame va faire grandir violemment, comme lui perdu entre le mensonge et la vérité, juge et démiurge d’une histoire qui interroge, aussi, avec maestria, les pouvoirs et les dangers de la fiction.

     

  • Critique - UN COUP DE MAÎTRE de Rémi Bezançon (au cinéma le 9 août 2023)

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

     

    « Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » Dans Un homme et une femme de Claude Lelouch, Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant), en citant cette phrase de Giacometti, demande à Anne (Anouk Aimée) si elle « choisirait l’art ou la vie ». Mais peut-être y aurait-il une troisième voie qui consisterait à les entrelacer…

    « L'art n'est pas juste une représentation de la réalité. L'art peut créer sa propre réalité. » Dès les premières secondes d'Un coup de maître, juste avant cette phrase, notre attention est attisée, déjà, par une mystérieuse toile dont on se rapproche et qu'accompagnent les notes cristallines puis ardentes de Laurent Perez del Mar tandis qu’Arthur (Vincent Macaigne), off, prononce ces mots : « Cette pièce est l’œuvre de l’artiste Renzo Nervi. »

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    ©Thomas Nolf

     

    Renzo Nervi (Bouli Lanners) est ainsi un « peintre figuratif radical en pleine crise existentielle » et surtout l’ami de longue date d’Arthur Forestier (Vincent Macaigne), propriétaire d'une galerie d'art passionné qui le représente et avec qui il partage son amour de l'art. Déprimé, ne parvenant plus à peindre, Renzo sombre dans l'ennui le plus total. Il accepte tout de même un assistant (Bastien Ughetto), cédant à l'insistance de celui qui le considère comme une « légende vivante ». De son côté, Arthur s'acharne à reconstruire ce que son ami peintre, aussi dépressif qu'excessif, s'acharne à détruire. Pour sauver Renzo, il va ainsi jusqu'à élaborer un plan audacieux qui finira par les dépasser… Jusqu’où peut-on aller par amitié ?

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    ©Thomas Nolf

    Quatre ans après Le Mystère Henri Pick, qui réunissait Fabrice Luchini et Camille Cottin dans l’adaptation de l'excellent roman éponyme de David Foenkinos, Rémi Bezançon met à nouveau en scène un savoureux duo de comédiens. Après l’hommage au livre et au pouvoir des mots, c’est cette fois l’art pictural qui est à l’honneur. Ce septième long-métrage de Rémi Bezançon est donc à nouveau une adaptation, en l'occurrence d’un film argentin, Mi obra maestra de Gaston Duprat, dont il a cosigné le scénario avec Vanessa Portal, également cosignataire de ses scénarios des films suivants : Le Premier jour du reste de ta vie, Un heureux évènement, Nos futurs, le Mystère Henri Pick mais aussi de Premiers crus de Jérôme Le Maire.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    C’est en 2005, au Festival du Film de Cabourg dans le cadre duquel il présentait son premier long-métrage, Ma vie en l’air, que j’avais découvert l’univers de Rémi Bezançon, interpellée déjà par son écriture ciselée, un cinéma de la nostalgie et de la mélancolie teintées d’humour, d'un romantisme dénué de mièvrerie.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Vint ensuite, en 2008, Le premier jour du reste de ta vie, un beau succès estival qui avait allègrement dépassé le million d’entrées et récolté 9 nominations aux César. « 5 personnages. 5 membres d’une même famille. 5 journées déterminantes. 12 ans. » À nouveau, nous retrouvions ce ton mêlant astucieusement tendre ironie et drame qui s’imposait dès la première scène, la première journée : la mort décidée du chien de 18 ans et le départ de l’aîné, au grand désarroi, plus ou moins avoué, du reste de la famille. Un pan de vie et d’enfance qui se détachait, violemment. Le spectateur se reconnaît forcément à un moment ou à un autre de ce film personnel et universel, dans un instant, un regard, un déchirement, une émotion, des pudeurs, des non-dits, un étrange hasard, la tendresse ou la complicité ou l’incompréhension d’un sentiment filial, la déchirure d’un deuil (d’un être ou de l’enfance), ou encore ces instants d’une beauté redoutable lors desquels bonheur et horreur indicibles semblent se narguer et témoigner de toute l’ironie, parfois d’une cruauté sans bornes, de l’existence. Cinq regards sur le temps qui passe impitoyablement et que chacun tente de retenir. Un film empreint de la nostalgie, douce et amère, délicieuse et douloureuse, de l'enfance, porté par une judicieuse synchronisation entre le fond et la forme et une utilisation tout aussi judicieuse du hors-champ et de l'ellipse. De ces films que l'on revoit avec le même plaisir à chaque diffusion. Ne manquez pas la prochaine...

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Puis, en 2011, il y eut Un heureux évènement, l'adaptation du roman éponyme d'Éliette Abécassis, publié en 2005.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Ensuite, ce fut Zarafa, en 2012, coréalisé avec Jean-Christophe Lie. Ce film d’animation était déjà une histoire d’amitié indéfectible, entre Maki, un enfant de 10 ans, et Zarafa, une girafe orpheline, cadeau du Pacha d’Égypte au Roi de France Charles X. Un périple palpitant, entre récit initiatique et conte, basé sur une réalité historique, avec un scénario là encore particulièrement réussi (de Alexander Abela et Rémi Bezançon) qui évoquait ainsi l'esclavage, la fraternité et la liberté.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    Nos futurs, le cinquième long-métrage réalisé par Rémi Bezançon, était une tragi-comédie surprenante et double, définition qui peut d’ailleurs s’appliquer à Un coup de maître dont le titre est aussi polysémique que celui du film précité. Nos futurs, c’est l’histoire de « deux amis d’enfance, qui s’étaient perdus de vue depuis le lycée, se retrouvent et partent en quête de leurs souvenirs… ». 

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika

    L’amitié est donc aussi au centre d'Un coup de maître, celle, inébranlable, pétrie d’admiration que voue Arthur à Renzo, de son côté reconnaissant que son ami lui soit toujours resté fidèle malgré « les ponts d’or que lui offraient les galeries à sa grande époque ». « Même si tout les oppose, l'amour de l'art les réunit » précise le pitch officiel qui pourrait être celui d'une comédie romantique dont le film reprend et détourne d'ailleurs la structure et les codes. L'amitié au cinéma a été sublimée par Claude Sautet. Il y avait Vincent, François, Paul et les autres. Il y a désormais Arthur et Renzo.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    ©Thomas Nolf

    Qu’avons-nous fait de nos rêves ? De nos espoirs d’adolescence ? De ce sentiment de « no future », que la mort n’arriverait jamais ou n’arriverait qu’aux autres, aux inconnus ? Telles sont les questions auxquelles répondait No future, récit initiatique particulièrement sensible sur l’amitié, les souvenirs, les douleurs insondables, la nostalgie et la nécessité d’y faire face pour affronter le présent et l’avenir. Un coup de maître s’interroge aussi sur les rêves, plutôt sur les concessions à sa liberté qu'accepte ou n'accepte pas un artiste pour accéder à ses rêves, ou à la « réussite » dans sa sphère artistique. Mais c’est d’abord une comédie jubilatoire qui brocarde le monde de l’art et sa marchandisation effrénée : « Le milieu de l'art est une farce. Il est l'illustration de la corruption du monde que nous laissons derrière nous. L'art est désormais un investissement comme un autre. »

    Un coup de maître n’épargne pas non plus la versatilité des flagorneurs qui disparaissent quand le succès se tarit (et qui réapparaissent tout aussi vite en cas de revirement de fortune), laquelle peut tout autant s’appliquer au milieu de la peinture qu'à celui du cinéma. Le snobisme des expressions employées pour qualifier les toiles pourrait aussi venir de certains critiques de films : « Sous la cruauté de cette peinture se dégage une ironie, une certaine commisération, de la mansuétude même. » (Il faut voir le tableau en question pour juger de l’absurdité et donc de l'effet comique de cet avis !). Sans parler de ce critique qui évoque la « matrice mortifère de son existentialisme » à propos de la peinture de Renzo. L’humour noir est aussi omniprésent. Renzo est ainsi hanté par le souvenir de sa femme disparue : « C'est le gros problème de la mort. La mort, il y a quelque chose d'irrémédiable dedans. »

    Labyrinthes. Tel est le nom de l’exposition de Renzo. Un labyrinthe scénaristique, peut-être est-ce ainsi que l’on pourrait qualifier chaque film de Rémi Bezançon. Mais un labyrinthe dont on retrouve toujours la sortie, avec la lueur réconfortante au dénouement. C’était déjà le scénario « labyrinthique » que j’avais tant aimé dans No future : une construction particulièrement astucieuse qui jouait avec le temps, sa perception, telle celle que nous avons de notre propre passé, forcément biaisée en raison du prisme déformant des souvenirs, souvent infidèles. Un habile puzzle qui, une fois reconstitué au dénouement, nous ravageait. Un film qui nous donnait envie de refaire le voyage à l’envers pour le revivre à la lueur de son arrivée et dire à nos amis à quel point nous sommes heureux qu'ils fassent partie de nos futurs.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    ©Thomas Nolf

    Ce qui échappe à la marchandisation, c’est donc l’amitié, à l’honneur dans Zarafa, No future et Un coup de maître, mais aussi l’émotion que procure une œuvre d’art. C’est d’ailleurs cette émotion qui a fait naître l’amitié entre Arthur et Renzo, le premier étant bouleversé en découvrant pour la première fois une œuvre du second. La valeur de l’art, c’est la valeur du souvenir et non sa valeur marchande, comme celle que Renzo attribue au Portrait de Maude Abrantès de Modigliani, un tableau devant lequel l’ami d’Arthur rêverait de passer ses journées.

    Vincent Macaigne est parfait dans le rôle de l’ami d'une fidélité inaltérable, un peu gauche, mais prêt à tout par amitié. Aussi crédible en galeriste qu'en médecin de nuit dans le film éponyme d'Élie Wajeman dans lequel il est magistral, aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie comme dans Chronique d’une liaison passagère, la fable d’une trompeuse légèreté d'Emmanuel Mouret, expression par laquelle on pourrait d'ailleurs également définir Un coup de maître.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    © Hélène Legrand

    Bouli Lanners, dans le rôle du peintre qui préfère perdre sa vie plutôt que son âme, ou plutôt que de la « vendre au diable », livre une prestation savoureuse de bougon désabusé, entier, déprimé, obstiné, exubérant, et faussement misanthrope, témoignant une nouvelle fois de toute l’étendue de son jeu après son rôle de gendarme tourmenté dans La nuit du 12 de Dominik Moll pour lequel il a reçu le César 2023 du meilleur acteur dans un second rôle.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Zinc. Film

    Les seconds rôles, justement, sont judicieusement distribués : Anaïde Rozam, Aure Atika, Bastien Ughetto. Aure Atika incarne ici Dudu, une galeriste impudente. Elle aussi a toujours autant de présence et de précision dans la comédie que dans le drame (et mériterait davantage de premiers grands rôles, notamment dramatiques). Ainsi, récemment, dans Rose d’Aurélie Saada, elle était très émouvante dans le rôle de ce personnage aveuglé par l’amour qui sombre puis renaît mais aussi dans le film, plus ancien, de Stéphane Brizé, Mademoiselle Chambon, dans lequel elle est d'une sobriété et d'une justesse remarquables.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Hélène Perkins

    On se souvient également de Bastien Ughetto, déjà inénarrable dans un autre film labyrinthique, joyeusement immoral, drôle et cruel, la comédie grinçante de François Ozon, Dans la maison.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    © Thomas Nolf

    Comme toujours dans le cinéma de Rémi Bezançon, la bande originale est particulièrement marquante. Après Sinclair pour Le premier jour du reste de ta vie, avec une BO aussi parsemée de morceaux de Bowie, The Divine Comedy, Janis Joplin, Lou Reed et évidemment Etienne Daho avec cette magnifique chanson à laquelle le réalisateur a emprunté son titre pour celui de son film, après la musique signée Pierre Adenot pour No future, cette fois il retrouve son compositeur de Zarafa et Le Mystère Henri Pick, Laurent Perez del Mar. La musique se fait la complice du montage ingénieux de Sophie Fourdrinoy et de la somptueuse photographie de Philippe Guilbert (qui a de nombreux longs-métrages à son actif parmi lesquels le bouleversant J'enrage de son absence de Sandrine Bonnaire), lequel a visiblement puisé son inspiration dans l'univers de peintres renommés, de Rembrandt à Monnet en passant par Renoir. Preuve en est l'image ci-dessous...

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista

    © Thomas Nolf

    La puissance magnétique de la musique de Laurent Perez del Mar accompagne le geste du peintre, et caresse les toiles. Dès le début, ces notes qui ruissellent, rebondissent et tombent comme le feraient des gouttes cristallines sur un miroir, préfigurant les premiers mots en off, nous enjoignent à bien regarder, au-delà. Le mélange astucieux de modernité et de classicisme, avec ces claviers, guitares, et violoncelles, illustre ainsi le caractère de ce film : salutairement inclassable. La musique se fait aussi onirique, fantastique ou même cauchemardesque, sur le sublime poème de Victor Hugo, Le Tombeau de Théophile Gautier. Comme un peintre avec les couleurs sur sa palette, le compositeur entremêle instruments, teintes et sonorités, à la fois bigarrées et logiques.

    Chacune des BO de Laurent Perez del Mar frappe la mémoire, et y laisse une forte empreinte, immortalisant ainsi le souvenir des images qu'elle colore, approfondit ou éclaire. Comme dans La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit, cette musique foudroyante de pureté et d'émotions, en harmonie avec celles que suscite la Nature, démiurgique, fascinante et poétique dont elle exacerbe la magnificence. Comme dans La Brigade de Louis-Julien Petit, avec ces notes venues d’ailleurs qui rappellent les vies exilées et les périples des jeunes migrants. Comme dans Carole Matthieu de Louis-Julien Petit, quand la musique d'une beauté déchirante accompagne cette dernière dans un crescendo bouleversant, telle une armée en marche. Comme dans Les Éblouis de Sarah Suco, quand les envolées des violons, à la fois flamboyantes et délicates, ponctuées des larmes subtiles du piano, reflètent les tourments et les élans de la jeune Camille. Comme dans My son de Christian Carion, avec ces notes lancinantes et obsédantes, obscurément envoûtantes, sur les paysages grandioses et sauvages, à leur image : d'une beauté sombre, étrangement ensorcelante. Comme dans Ténor de Claude Zidi Jr, quand la musique suggère la mélancolie et la nostalgie de la professeure de chant, la fougue aventureuse de la jeunesse, ou quand elle accompagne la lecture de la poignante Lettre de Marie, prenant alors de l’ampleur et de l’amplitude à l’unisson de l’émotion qu'elle transcende. Comme dans Les Invisibles de Louis-Julien Petit, ces visages de femmes maquillées, dont la chanson Move over the light souligne joyeusement l'élan d'espoir et de renaissance. Comme dans Zarafa, quand elle procure un souffle épique aux images...

    Dans Un coup de maître, la musique semble duale, comme ce film avec son début et sa fin en miroir, avec ces notes, récurrentes, entendues dès le générique, dont on a l'impression qu'elles tintinnabulent. Là aussi, grâce à la musique, il y a des plans qui restent en mémoire. Ce rai de lumière qui éblouit sur ce moment de « folie » de Renzo avec ces notes légèrement dissonantes qui rappellent celles du début, ces notes qui carillonnent presque comme un reflet sonore de la lumière éblouissante, qui se font ensuite plus douces et apaisées. Mais aussi ces plans « à la Rembrandt » à la lueur des bougies auxquels la musique procure une aura presque magique. Renzo lui-même se réfère d’ailleurs au peintre néerlandais : « Je suis né en 360 à partir de Rembrandt. Je préfère compter à partir de Rembrandt qui était un vrai génie. »

    À la fin, la musique s’emporte et s’emballe comme des applaudissements victorieux, comme un tourbillon de vie, comme un cœur qui renaît, comme le pouls de la forêt, avec de plus en plus de profondeur aussi, comme si la toile atteignait son paroxysme, sa plénitude. Dévoilant toute sa profondeur, elle emporte alors comme une douce fièvre, harmonieuse, réconfortante, avec ces notes de guitare et cette chanson finale (All you’ve got interprétée par Laure Zaehringer) que l’on emmène avec soi.

    La musique illustre ainsi parfaitement le propos du film. Ce qui compte, comme avec le tableau de Modigliani, comme avec toute œuvre d’art, ce sont les émotions qu'elle convoque. Ce qui importe vraiment dans l’art, même si « le monde de l’art est une farce », ce sont les images et les réminiscences que suscite une œuvre, comme ce Portrait de Maude Abrantes pour Renzo. La musique et les plans du début et de la fin se répondent ainsi brillamment, illustrant cette première phrase « l’art crée sa propre réalité », comme si nous pouvions finalement imaginer tout cela à partir d’un tableau, celui qui apparaît au tout début du film. Ce qui compte, c’est bel et bien de « saisir l'expérience que l'œuvre offre à vos sens » qu’il s’agisse d’une musique, d’un film ou d’un tableau.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Thomas Nolf


    Cette tragi-comédie burlesque et mélancolique, aux dialogues d'une ironie mordante et au scénario labyrinthique et brillant, est donc une invitation à l’imaginaire, à mieux regarder, à privilégier l’émotion qu’offre une œuvre d’art. Comme dans les précédents films de Rémi Bezançon, on retrouve cet enchevêtrement de second degré et de profondeur, de gravité et de légèreté apparente, de comédie et de drame, cette mélancolie teintée d’humour comme une « politesse du désespoir ». On en ressort la tête pleine d'images, de peintures, de poésie, de dialogues savoureux, de musique (bref, d'arts !), et avec l’envie de « bien regarder » car, comme le disait Picasso : « L'art est un mensonge qui nous permet de dévoiler la vérité.» Oui, apprendre à regarder, c’est l’essentiel. » À regarder derrière la toile. Ou derrière les apparences et les êtres de prime abord misanthropes…

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma,renzo nervi,action contre la faim

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma,renzo nervi,action contre la faim,vente aux enchères

    Une tragi-comédie maligne aussi, qui joue et jongle avec l'art et la réalité, au-delà même du film puisque Anne-Dominique Toussaint et Zinc.* ont présenté une exposition des tableaux du peintre fictif Renzo Nervi réalisés pour le film par Adam Martyniak, Milosz Flis et Anita Werter. Intitulée Labyrinthes (comme celle du peintre fictif Renzo Nervi !), cette exposition a eu lieu dans l’espace de la Galerie Cinéma* : « 18 tableaux réalisés pour le film qui nous emportent dans l’univers coloré et énigmatique d’un artiste controversé (et dans celui du cinéaste). Un faux documentaire sur Renzo Nervi, ainsi que des (vraies) interviews avec le réalisateur et les chefs décorateurs, sont visibles dans la petite salle de projection de la Galerie pendant l’exposition. Une vente aux enchères des tableaux est organisée cet été au profit de l’association Action contre la faim. » Une idée aussi généreuse qu'astucieuse puisque les 20 tableaux spécialement créés pour le film pour donner vie à l'univers du peintre interprété par Bouli Lanners (qui a aussi réalisé un des tableaux vendus) sont ainsi vendus aux enchères au profit d'Action contre la faim, du 17 juillet au 31 août. Vous pouvez ainsi participer à la vente aux enchères caritative, ici, ou visiter la galerie virtuelle des oeuvres, là. Vous pourrez également voir les œuvres à la maison Tajan (37 rue des Mathurins, 75008 - Paris), du 21 au 31 août 2023 de 10h à 18h (fermé les 26 et 27 août. Vous y trouverez notamment le tableau RENZO NERVI (né en 360 après Rembrandt) REGARDEZ. Le prix de départ pour toutes les œuvres est à 100 euros. 

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma,renzo nervi,action contre la faim

    Entre l'art et la vie, définitivement, peut-être est-il préférable de ne pas choisir, d'opter pour la mise en abyme et de se fondre dans le décor (comme le fait d'ailleurs le cinéaste lui-même dans le film), parce que, comme l'écrivait Oscar Wilde, « la vie imite l'art, bien plus que l'art n'imite la vie », ce qui n'est surtout pas une raison pour vous dispenser de l'art et d'aller voir ce film à l'image de son duo : réjouissant et (car) inclassable ! Souhaitons à cette ode à l'amitié (et à l'émotion inestimable -au sens propre comme au sens figuré- que procure la peinture, et l'art en général), décalée, burlesque, inventive, tendre, inattendue, incisive, mélancolique, profonde et drôle, le même succès estival qu'au Premier jour du reste de ta vie, sorti il y a 15 ans, également en plein été.

    cinéma,film,critique,un coup de maitre,rémi bezançon,critique de un coup de maître de rémi bezançon,bouli lanners,vincent macaigne,aure atika,anaïde rozam,bastien ughetto,zinc film,mandarin cinéma,kinovista,galerie cinéma

    © Zinc. Film

    Bonus : Rémi Bezançon a aussi réalisé plusieurs spots pour la sécurité routière, dont ce dernier de 2023, formidable, que je vous recommande vivement.

    Découvrez la bande-annonce du film Un coup de maître, ici.

    *Ce film a été distribué par la jeune maison de distribution, Zinc., tout comme Les Petites victoires de Mélanie Auffret dont je vous avais parlé, ici.

    *Galerie Cinéma | 26, rue Saint-Claude 75003 Paris | contact@galeriecinema.com | +33 (0) 1 45 35 14 04 | du mardi au samedi, 11h - 19h