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FESTIVAL DE CANNES 2012 - Page 4

  • Festival de Cannes 2012 - Cannes Classics 2012 - Critique de « Tess » de Roman Polanski avec Nastassja Kinski (projection du 21 mai 2012 en leur présence, salle du 60ème )

     

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    Chaque année, les projections cannoises de classiques du cinéma dans le cadre de Cannes Classics sont l’occasion de revoir de grands films, voire des chefs d’œuvre, mais aussi l’occasion de grands moments d’émotion, l’histoire du cinéma côtoyant le présent du Festival de Cannes, et cinéma et réalité se rejoignant et se confondant même parfois dans ce tourbillon d’émotions. Ce fut ainsi le cas avec la projection en version restaurée du « Guépard », il y a deux ans.

    Depuis 2004, le Festival de Cannes présente ainsi des films anciens et des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma dans des copies restaurées. La plupart des films sélectionnés sont projetés dans le Palais des Festivals, salle Buñuel ou salle du Soixantième, en présence de ceux qui ont restauré ces films et, parfois, de ceux qui les ont réalisés.

    Cette année, Pathé présente ainsi « Tess », le film de Roman Polanski sorti en 1979 ( durée de 171 minutes), dans une restauration qu’il a lui-même supervisée, il s’est dit « épaté » par le travail des laboratoires. Cette projection se déroulera en présence de Roman Polanski et de Nastassja Kinski. Une restauration Pathé, exécutée par Éclair Group pour la partie image et Le Diapason pour la partie sonore.

    Un film que je vous engage vivement à (re)voir lors de sa projection cannoise le 21 mai 2012, salle du Soixantième, a fortiori dans ce cadre splendide et en présence de ses protagonistes. Une projection qui s’annonce émouvante. Pour achever de vous en convaincre, retrouvez ma critique du film, ci-dessous.

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Dans l'Angleterre du XIXème siècle, un paysan du Dorset, John Durbeyfield (John Collin) apprend par le vaniteux pasteur Tringham qu'il est le dernier descendant d'une grande famille d'aristocrates. Songeant au profit qu'il pourrait tirer de cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille aînée, Tess (Nastassja Kinski), se réclamer de cette parenté chez la riche famille d'Urberville. C’est le jeune et arrogant Alec d'Urberville (Leigh Lawson) qui la reçoit. Immédiatement charmée par « sa délicieuse cousine » et par sa beauté, il propose de l’employer, s’obstinant ensuite à la séduire. Il finit par abuser d’elle.  Enceinte, elle retourne chez ses parents. L’enfant meurt peu de temps après sa naissance. Pour fuir son destin et sa réputation, Tess s'enfuit de son village. Elle trouve un emploi dans une ferme où personne ne connaît son histoire. C’est là qu’elle rencontre le fils du pasteur : Angel Clare (Peter Firth). Il tombe éperdument amoureux d'elle mais le destin va continuer à s’acharner et le bonheur pour Tess à jamais être impossible.

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Roman Polanski étant, à l’époque du tournage, accusé de viol sur mineur aux États-Unis et étant alors menacé d'extradition depuis l'Angleterre, bien que le film se déroule en Angleterre, il a été tourné en France : en Normandie,  (Cap de la Hague, près de Cherbourg), mais aussi en Bretagne, à Locronan (Finistère), au Leslay (Côtes-d'Armor), au Château de Beaumanoir, et enfin à  Condette , dans le Pas-de-Calais). Quant au site mégalithique de Stonehenge, il été reconstitué dans une campagne en Seine-et-Marne.

    Le film est dédié à Sharon Tate. La mention « To Sharon »  figure ainsi au début du film. Celle-ci, avant d’être assassinée en 1969 par Charles Manson avec l’enfant qu’elle portait, avait ainsi laissé sur son chevet un exemplaire du roman de Thomas Hardy « Tess d’Urberville», dont le film est l’adaptation,  avec un mot disant qu’il ferait un bon film.

    « Tess d'Urberville » dont le sous-titre est "Une femme pure, fidèlement présentée par Thomas Hardy" est un roman  publié par épisodes à partir de 1891, dans divers journaux et revues. Son adaptation était donc un véritable défi d’autant que jusqu’alors Roman Polanski n’avait pas encore signé de film d’amour.

    Deux adaptations cinématographiques, toutes deux intitulées « Tess Of d'Urbervilles » avaient déjà été tournées, l’une mise en scène en 1913 par J. Searle Dawley et l’autre par Marshall Neilan en 1924. David O. Selznik en racheta les droits mais il fallut attendre Claude Berri qui racheta les droits à son tour avant que l'œuvre ne tombe dans le domaine public, pour que le film puisse enfin voir le jour.

    Polanski a entièrement réussi ce défi et nous le comprenons dès le début qui nous plonge d’emblée dans l’atmosphère du XIXème siècle, un impressionnant plan séquence qui semble déjà faire peser le sceau de la fatalité sur la tête de la jeune Tess. Tandis qu’arrive un cortège de jeunes filles au sein duquel elle se trouve, tandis qu’est planté le décor mélancolique sous un soleil d’été, tandis qu’est présentée l'innocence de la jeune Tess, le pasteur vaniteux croise son père et lui annonce la nouvelle (celle de son ascendance noble) qui fera basculer son destin. C’est aussi là qu’elle verra Angel pour la première fois. Toute sa destinée est contenue dans ce premier plan séquence qui, par une cruelle ironie, fait se croiser ces routes. Les personnages se rencontrent à un carrefour qui est aussi, symboliquement, celui de leurs existences.

    Si la scène est lumineuse, dans ces deux routes qui se croisent, ces destins qui se rencontrent, la fatalité de celui de Tess et son ironie tragique semble ainsi déjà nous être annoncée. Tout le film sera à l’image de cette première scène magistrale. Aucun didactisme, aucune outrance mélodramatique alors que le sujet aurait pu s’y prêter. Polanski manie l’ellipse temporelle avec virtuosité renforçant encore la mélancolie de son sujet et sa beauté tragique. Comme cet insert sur le couteau et ces deux plans sur cette tache de sang au plafond qui s’étend qui suffisent à nous faire comprendre qu’un drame est survenu, mais aussi sa violence. Le talent se loge dans les détails, dans la retenue, jamais dans la démonstration ou l’outrance. Par exemple, les costumes de Tess en disent beaucoup plus long que de longues tirades comme cette robe rouge, couleur passion qu’elle porte dans la dernière partie du film et qui contraste avec les vêtements qu’elle portait au début. Un rouge qui rappelle celui de cette fraise que lui fera manger Alec, combattant ses réticences qui en annoncent d’autres, avant de l’initier (la forcer) à d’autres gourmandises. Subtilement encore, en un plan qui laisse entrevoir un vitrail représentant une scène inspirée  de Roméo et Juliette, Polanski, comme il l’avait fait dans le plan séquence initial nous rappelle que l’issue ne peut être tragique. Un dénouement aussi magnifique que tragique, la frontière étant toujours très fragile chez Polanski entre le réalisme et une forme de fantastique ou de mysticisme, Tess apparait alors au milieu de ce site mégalithique de Stonehenge, au décor presque irréel, aux formes géométriques et inquiétantes, comme surgies de nulle part,  comme sacrifiée sur un autel.

     

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Le spectateur éprouve immédiatement de l’empathie pour Tess, personnage vulnérable et fier malmené par le destin qui semble s’y résigner jusqu’à la révolte finale fatale. Le film doit aussi beaucoup au choix de la trop rare Nastassja Kinski (fille de l'acteur Klaus Kinski), à la fois rayonnante et sombre, naturelle et gracieuse, si triste malgré sa beauté lumineuse et surtout d’une justesse constante et admirable. Elle porte en elle les contraires et les contrastes de ce film dans lequel le destin ne cesse de se jouer d’elle. Contraste entre la tranquillité apparente des paysages (magistralement filmés et mis en lumière, rappelant les peintures du XIXème comme notamment « Des Glaneuses » de Millet ou certains paysages de Courbet, la nature emblème romantique par excellence, le passage des saisons, des paysages symbolisant les variations des âmes ) et les passions qui s’y déchaînent, contraste entre la bonté apparente d’Angel (à dessein sans doute ainsi nommé) qui a « Le Capital » de Marx pour livre de chevet mais qui agit avec un égoïsme diabolique finalement presque plus condamnable que le cynisme et l’arrogance d’Alec. Même lorsqu’elle apparait en haut de cet escalier, transformée, sa tenue et sa coiffure suffisant à nous faire comprendre qu’elle est devenue la maitresse d’Alec, Tess garde cette candeur et cette fragilité si émouvantes.

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Nommé six fois aux Oscars (pour 3 récompenses), récompensé d’un Golden Globe et par trois César dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, « Tess » est un très grand film empreint de mélancolie poétique, d’une beauté formelle  envoûtante, un film tout en retenue grâce à des ellipses judicieuses. Le film nous captive avec toute la douceur de son personnage principal, lentement mais sûrement, par une mise en scène sobre. L’impact dramatique n’en est que plus fort et bouleversant.  On y retrouve le thème de l’enfermement (ici dans les conventions) si cher à Polanski, un thème également dans les deux films dont je vous livre les critiques en bonus après celle de « Tess », ci-dessous.

    Ce mélange d’imprégnation de la peinture du XIXème, ce romantisme tragique qui rappelle les plus grands écrivains russes et cette fresque lente et majestueuse sur la déchéance d’un monde qui rappelle Visconti (dont le cinéma était aussi très imprégné de peinture), sans oublier cette photographie sublime, l’interprétation magistrale de Nastassja Kinski et sa grâce juvénile, lumineuse et sombre, et la musique de Philippe Sarde, en font un film inoubliable. Au-delà de la peinture du poids des conventions (morales et religieuses) et d’une critique des injustices sociales, « Tess » est un film universel d’une poésie mélancolique sur l’innocence pervertie, sur les caprices cruels du destin, sur la passion tragique d’une héroïne intègre, fier et candide, un personnage qui vous accompagne longtemps après le générique de fin.

    « J'ai toujours voulu tourner une grande histoire d'amour. Ce qui m'attirait également dans ce roman, c'était le thème de la fatalité : belle physiquement autant que spirituellement, l'héroïne a tout pour être heureuse. Pourtant le climat social dans lequel elle vit et les pressions inexorables qui s'exercent sur elle l'enferment dans une chaîne de circonstances qui la conduisent à un destin tragique. » Roman Polanski

     

     Critique de "The Ghost-Writer" de Roman Polanski

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    Un « écrivain-nègre » britannique (beaucoup plus poétiquement appelé un « Ghost-Writer » dans les pays anglo-saxons) à succès (Ewan Mc Gregor) -dont on ne connaîtra d'ailleurs jamais le nom- est engagé pour terminer les mémoires de l'ancien Premier Ministre britannique Adam Lang (Pierce Brosnan), le précèdent rédacteur, ancien bras droit de Lang, étant décédé dans d'étranges circonstances. C'est sur une île isolée au large de Boston que l'écrivain part à la rencontre de son nouveau sujet...

     

    Répulsion. Chinatown. Tess. Le Pianiste... Et tant d'autres films de genres si différents auxquels, à chaque fois, Polanski a su imprimer son inimitable style. Qu'allait-il en être cette fois de ce thriller? Avec cette adaptation cinématographique de L'Homme de l'ombre, thriller contemporain du romancier et journaliste anglais Robert Harris, Roman Polanski se rapproche davantage de « Frantic » même si ce film ne ressemble à aucun autre.

     

    Par une manière admirable à la fois d'aller à l'essentiel et de capter les détails avec une acuité remarquable, Roman Polanski nous plonge d'emblée dans son intrigue pour ne plus nous lâcher jusqu'à la dernière seconde. Combien de réalisateurs sont capables d'en dire tellement en deux ou trois plans et cela dès le début : une voiture abandonnée dans la cale d'un ferry, la police qui tourne autour de la voiture sur un quai et le film est lancé. Et nous voilà plongés dans l'atmosphère unique et inquiétante de « The Ghost-Writer ».

     

    La caméra de Roman Polanski ne quitte jamais son (anti)héros auquel le spectateur s'identifie rapidement (Ewan Mc Gregor tout en sobriété, parfait pour le rôle), cet « homme ordinaire plongé dans une histoire extraordinaire » comme Hitchcock aimait à résumer ses propres histoires. D'ailleurs, il y a beaucoup du maître du suspense dans ce nouveau Polanski, à commencer par ce huis-clos sur cette île inhospitalière à l'abandon balayée par le vent et la monotonie, et ce blockhaus posé au milieu d'une nature rebelle où un jardinier fantomatique œuvre en vain au milieu d'un tourbillon de feuilles. L'inquiétude et le sentiment d'inconfort nous saisissent immédiatement dans cette demeure élégante mais déshumanisée dont l'ouverture sur l'extérieure donne des plans d'une redoutable beauté glaciale aux frontières de l'absurde, sorte de monde désormais désertique devant lequel, tel un démiurge, apparaît l'ancien premier ministre qui jadis dirigeait tout un peuple. Tout est à la fois familier et étrange, envoûtant et angoissant.

     

    C'est moins le suspense qui importe que la manière dont Polanski conduit son intrigue (même s'il réussit à nous étonner avec un dénouement pourtant attendu et prévisible), capte et retient notre attention. Pas par des course-poursuites ou des explosions, non, par des scènes où notre souffle est suspendu à un mot (comme ce formidable face-à-face avec Tom Wilkinson ) ou aux glaçantes et cinglantes répliques de la femme d'Adam Lang ( remarquable Olivia Williams) qui, avec Kim Cattrall, réinventent les femmes fatales hitchcockiennes.

     

    Une austérité étrangement séduisante, une lenteur savamment captivante, une beauté froide et surtout une atmosphère à la fois inquiétante et envoûtante émanent de ce nouveau Polanski qui nous donne une magnifique leçon de cinéma, jusqu'au dernier plan, effroyablement magnifique. Un film agréablement inclassable quand on essaie de plus en plus de réduire les films à un concept voire à un slogan. Ce « Ghost-Writer » n'est pas sans rappeler un autre film qui lui aussi parle de manipulation ( et nous manipule) et se déroule en huis-clos sur une île également au large de Boston comme si pour définir un pays aussi gigantesque que les Etats-Unis, la claustrophobie d'une terre insulaire était la plus parlante des métaphores...

     

    Difficile de dissocier l'histoire du film de celle de son auteur tant les similitudes son présentes ( à commencer par l'exil d'Adam Lang dans un pays où il est assigné à résidence, à cette exception près que c'est justement dans ce pays que ne peut retourner Polanski) . Difficile aussi de dissocier l'Histoire contemporaine de l'histoire de the Ghost-Writer qui évoque les tortures pendant la guerre en Irak et stigmatise le rôle trouble des Etats-Unis (là où justement ne peut retourner Polanski qui d'une certaine manière règle quelques comptes) Harris étant par ailleurs un ancien journaliste proche de Tony Blair à qui Adam Lang fait évidemment penser. Mais ce serait dommage aussi de réduire ce grand film inclassable et passionnant à cela... Laissez-vous guider par « l'écrivain fantôme » et manipuler dans les coulisses du pouvoir. Je vous promets que vous ne le regretterez pas!

     

    Roman Polanski a reçu l'Ours d'argent du meilleur réalisateur pour ce film au dernier Festival de Berlin.

    Critique de "Carnage" de Roman Polanski

     

     

    L’an passé avec « The Ghost Writer », Roman Polanski réalisait un des trois meilleurs films de l’année, une forme de huis-clos sur une île inhospitalière à l’abandon balayée par le vent et la monotonie, un film dans lequel l’inquiétude et le sentiment d’inconfort nous saisissaient immédiatement avec pour cadre une demeure élégante mais déshumanisée dont l’ouverture sur l’extérieure donnait des plans d’une redoutable beauté glaciale aux frontières de l’absurde, sorte de monde désertique devant lequel, tel un démiurge, apparaissait un ancien premier ministre qui jadis dirigeait tout un peuple. Un film dans lequel tout est à la fois familier et étrange, envoûtant et angoissant. A priori, le nouveau film de Roman Polanski, en compétition du dernier Festival de Venise, est très différent ne serait-ce que parce que celui de l’an passé restera davantage dans l’histoire du cinéma pourtant…l’enfermement et l’angoisse chers au cinéaste sont bel et bien très présents dans ce nouveau film, véritable huis-clos (deux plans exceptés) adapté de la célèbre et « multiprimée » pièce de Yasmina Reza « Le Dieu du carnage » dont Polanski est ici à son tour le Dieu et le démiurge du carnage.

     

    New York. Dans un jardin public, deux enfants de 11 ans se bagarrent et l’un d’eux, le fils de Nancy (Kate Winslet) et Alan Cowan (Christoph Waltz) blesse l’autre au visage, le fils de Penelope (Jodie Foster) et Michael Longstreet (John C.Reilly). Tout se passe apparemment très cordialement pour rédiger la déclaration destinée aux assurances si ce n’est que le père du « coupable » demande à ce que le terme « armé » d’un bâton soit remplacé par celui de « muni », le tout dans l’appartement de Penelope et Michael.

     

    Nancy et Alan sont tirés à quatre épingles. Nancy est « armée » de son collier de perles, d’une coiffure dont pas une mèche ne dépasse et d’un sourire impeccable même si légèrement condescendant. Penelope et Michael semblent particulièrement affables, compréhensifs, cordiaux. Les premiers auraient dû partir et les seconds en rester là … sauf que… une phrase, un mot, finalement la différence entre armé et muni, la frontière entre victime et coupable, va constamment les retenir… Le vernis va voler en éclats, la pose princière de Nancy se transformer en attitude vulgaire, le débonnaire Michael va se transformer en être médiocre et cynique, l’avocat Alan sarcastique et grossier qui se prend pour John Wayne (et se tient comme s’il était dans un saloon, s’appropriant les lieux) être constamment accroché à son portable plus important que quoi que ce soit d’autre avant de s’écrouler et l’altruiste Penelope qui écrit sur le Darfour se révéler plus attachée aux objets qu’aux hommes et être enfermée dans ses principes. Chacun va vomir (au figuré et même au propre) toute sa médiocrité, sa haine, révéler son vrai et méprisable visage, sa monstruosité derrière son apparence civilisée. Cela me rappelle le « Tous coupables » du « Cercle rouge » sauf que, dans le film de Melville, le constat était fait avec une sorte de mélancolie désabusée et qu’ici chacun semble en retirer une forme de jouissance malsaine (d’ailleurs Nancy et Alan pourraient partir à tout moment mais semblent finalement trouver un certain plaisir à régler leurs comptes en public et à dévoiler leur odieux visage).

     

    Polanski ne s’est pas contenté de filmer une pièce de théâtre, au contraire même, tout le génie de Polanski se révèle une nouvelle fois ici. Par un cadrage, parfois étouffant, par une manière de placer sa caméra dans l’espace et de diviser cet espace au gré des clans qui se forment, par des gros plans ou des plongées ou contre-plongées qui révèlent toute la laideur de ses personnages, le cinéaste est très présent et ne se contente pas de poser sa caméra. D’ailleurs, j’ai ressenti un vrai malaise physique en parallèle de celui qui s’empare des personnages. Les deux plans hors de l’appartement (le premier et le dernier) sont également très significatifs, sans parler de la musique, ironique. Le décor est également très révélateur. Tout y est impeccable, carré. Seules les tulipes jaunes achetées pour l’occasion, le livre sur Bacon ou Kokoschka, ou encore sur Mao, laissent entendre une laideur ou un caractère dictatorial sous-jacents … sans parler de la salle de bain, l’invisible, beaucoup moins « rangée » qui laisse entendre que ce qui est caché est beaucoup moins impeccable que ce qui est montré.

     

    Le décor new-yorkais aurait pu être celui d’un film de Woody Allen…sauf que les personnages sont tout sauf des personnages de Woody Allen, car si ce dernier souvent n’épargne pas non plus ses personnages, il a finalement toujours beaucoup d’empathie et de tendresse pour leurs failles et leurs faiblesses…tandis qu’ici tout n’est qu’amertume et cynisme, chacun n’agissant que sous un seul diktat : celui de l’égoïsme censé régir la vie de chacun.

     

    Les comédiens sont impeccables, la réalisation également brillante mais ces personnages détestables qui ne possèdent plus la plus petite lueur d’humanité sont « à vomir ». Ce film est un peu l’anti « Intouchables »… (et pourtant j’ai de nombreuses réserves sur ce dernier qui vient d’ailleurs de dépasser les 12 millions d’entrées). L’un et l’autre révèle deux visages contradictoires et finalement complémentaires de notre société : une société cynique qui se revendique comme telle mais qui, au fond, a surtout besoin d’espoir quitte à ce que cet espoir prenne un visage qui relève plus du conte et du fantasme que de la réalité, un visage presque enfantin…

     

    Je vous conseillerais donc plutôt de revoir « Répulsion », « Chinatown », « Tess » , « Le Pianiste » et « The Ghost Writer » même si les comédiens sont ici impeccables semblant prendre beaucoup de plaisir à ce jeu de massacres. Précisons enfin que l’appartement dans lequel se déroule l’action a été construit en studio à Bry-sur-Marne, en région parisienne mais donne l’illusion que cela se déroule à New York, un travail remarquable qui est l’œuvre chef-décorateur Dean Tavoularis cher à Coppola.

     

    Un carnage brillant et étouffant d’asphyxiante médiocrité mais trop (d’ailleurs totalement) dénué d’humanité sentencieusement décrétée comme uniquement dirigée par l’égoïsme et trop sinistrement cynique pour me plaire…ce qui ne remet nullement en cause le talent de Polanski, éclatant encore une fois, malgré l’unité de lieu et le caractère répulsif des personnages.

    Deux vidéos en bonus, un court-métrage de Roman Polanski projeté dans le cadre des prix Lumières 2011 dans lequel on voit déjà ses thèmes de prédilection...et son talent (bien que celui-ci lors de la projection l'ait qualité de "péché de jeunesse") et ma vidéo de celui-ci (vidéo de mauvaise qualité, j'en suis désolée) aux prix Lumières 2011, à la mairie de Paris, où il fut récompensé pour "The Ghost-Writer".


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  • Festival de Cannes 2012 - Compétition officielle - "Après la bataille" de Yousry Nasrallah -

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    Je poursuis mes présentations des films de la sélection officielle que j'attends le plus parmi lesquels "Après la bataille" ( titre inspiré de Victor Hugo?) de l'Egyptien Yousry Nasrallah. La palme d'or a souvent été attribuée à des films avec une forte résonance politique eu égard au retentissement international du festival. Par ailleurs, le président du jury de ce Festival de Cannes 2012 est un cinéaste engagé. Déjà deux bonnes raisons pour en faire un candidat sérieux à la palme d'or, le sujet de ce film étant le printemps égyptien mais se contenter de dire cela serait évidemment réducteur. Cannes est avant tout un festival de cinéma (et non politique) et, évidemment, rien n'est joué d'avance.

    Yousry Nasrallah, présent pour la 4ème fois à Cannes cette année, en 2011, avait filmé en vidéo les manifestants de la place Tahrir pendant le printemps arabe et avait ainsi participé au film collectif 18 jours (en séance spéciale).

    Nasrallah fut l'assistant de Youssef Chahine au début de sa carrière, et a coécrit avec lui Adieu Bonaparte et Alexandrie encore et toujours.

    En bonus, retrouvez ma critique de "Femmes du Caire" de Yousry Nasrallah.

    "Après la bataille" avec Mena Shalaby, Bassem Samra... - 2 h 06

    Synopsis:

    Mahmoud est l’un des «cavaliers de la place Tahrir» qui, le 2 février 2011, manipulés par les services du régime de Moubarak, chargent les jeunes révolutionnaires.
    Tabassé, humilié, sans travail, ostracisé dans son quartier qui jouxte les Pyramides, Mahmoud et sa famille perdent pied…
    C’est à ce moment qu’il fait la connaissance de Reem, une jeune égyptienne divorcée, moderne, laïque, qui travaille dans la publicité. Reem est militante révolutionnaire et vit dans les beaux quartiers. Leur rencontre transformera le cours de leurs vies…

    Films présentés à Cannes par Yousry Nasrallah

    2011 - TAMANTASHAR YOM (18 JOURS)- Séances spéciales Réalisation

    2004 - BAB EL CHAMS (LA PORTE DU SOLEIL)- Hors Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues

    1988 - SARIKAT SAYFEYA (VOLS D'ÉTÉ)- Section parallèle Réalisation

    Membre du Jury

    2005 - Courts métrages Cinéfondation - Membre

     

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    En mai dernier sortait « Femmes du Caire » de Yousry Nasrallah. Je l’avais alors manqué. Je viens de me rattraper grâce à sa sortie récente en DVD.

    Embarquement donc pour l’Egypte et plus précisément Le Caire où vivent Hebba et Karim, couple de journalistes à succès, jeunes, riches et beaux. Hebba anime ainsi un talk-show populaire et insolent. Sous la pression de son mari, dont la carrière est menacée par son émission, elle accepte de délaisser les sujets politiques pour se consacrer aux faits divers féminins…mais elle se retrouve rapidement en terrain miné.

    Dès le premier plan d’une caméra qui s’immisce avec fluidité dans l’appartement d’Hebba et Karim, la réalisation de Yousry Nasrallah capte notre attention par la beauté et la rigueur frappantes de sa composition visuelle et montre aussi toute l’intelligence de cette réalisation « signifiante », la caméra se glissant dans l’intérieur comme le film va le faire dans la vie des femmes du Caire, et comme Hebba va le faire avec ces dernières.

    La construction scénaristique est aussi habile que la réalisation puisque l’émission d’Hebba va nous permettre de voir trois histoires racontées en flashback, illustrant chacune différemment le climat de misogynie et de corruption qui règne au Caire où les femmes subissent un « voile de l’esprit », et sont constamment sous surveillance, privées d’autonomie.

    « Tout est politique » comme le faire dire Nasrallah à un de ses personnages. Et ce film, sans concessions, l’est indéniablement mais sans jamais oublier que le spectateur est là (aussi) pour se distraire, pour qu’on lui raconte une histoire. Le message n’en est que plus efficace lorsqu’il est aussi subtilement délivré, et ne peut que nous frapper en plein cœur.

    Une plongée dans la violence d’une société qui asphyxie celles qui ne souhaitent pas s’y soumettre, et se soumettre à ses règles du jeu traditionnalistes. « Femmes du Caire » est un film politique et populaire, tragique et sensuel, un plaidoyer pour la cause des femmes en quête d’émancipation en Egypte dont chaque histoire trace magnifiquement le portrait, sublimé par une très belle esthétique, dans la droite lignée du cinéma du grand Youssef Chahine. Un hymne féministe à la féminité et , au-delà, un très beau film servi par un scénario et une mise en abyme ingénieuse et des acteurs intenses! Je vous le recommande vivement.

    "Femmes du Caire" a été sélectionné aux festivals de Toronto et Venise.

    Retrouvez-moi en direct du Festival de Cannes du 16 au 28 mai sur http://www.inthemoodforcinema.com , http://inthemoodlemag.com et http://www.inthemoodforcannes.com et retrouvez alors mes critiques des films en compétition.

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  • Sean Penn au Festival de Cannes 2012

    sean.jpgLe (réjouissant) programme de ce 65ème de Cannes continue de s'étoffer avec, aujourd'hui, l'annonce de la venue de Sean Penn, grand acteur, président du jury du Festival de Cannes 2008 mais aussi homme engagé comme il l'a prouvé à plusieurs reprises, notamment lors de cette très émouvante projection de "The third wave" de Alyson Thompson à Cannes (retrouvez mon récit de cette projection mémorable, ici), l'année de sa présidence du jury.

    Retrouvez ci-dessous, en italique, le communiqué de presse du Festival à ce sujet et, en bas de cet article, en bonus, la critique d'un de mes coups de coeur du Festival de Cannes 2011, "This must be the place" de Paolo Sorrentino ainsi qu'une critique d' "Into the wild" de Sean Penn

    Le Festival de Cannes est heureux d’accueillir une soirée-collecte de fonds pour Haïti, « Carnaval in Cannes », présentée par Giorgio Armani, en soutien aux associations J/P HRO de Sean Penn, Artists for Peace and Justice de Paul Haggis et Happy Heart’s Fund de Petra Nemcova.

    Le 12 janvier 2010, la vie d’Haïti était bouleversée par un tremblement de terre d’une force jamais connue auparavant dans l’île. Des centaines de milliers de morts et de blessés : ce bilan catastrophique a suscité une émotion considérable à travers le monde. Quelques jours après le séisme, Sean Penn décide de se rendre sur place afin de venir rapidement en aide à la population haïtienne et fonde l’organisation, J/P Haitian Relief Organization (J/P HRO). Le réalisateur-scénariste canadien Paul Haggis, fondateur de l’association « Artists for Peace and Justice » et la mannequin engagée dans des causes humanitaires Petra Nemcova, fondatrice de l’association « Happy Hearts Fund » en 2006, sont également présents en Haïti à cette période. Aujourd’hui, tous les trois et leurs organisations jouent un rôle essentiel et central dans la reconstruction de la nation.


    Pour les aider à atteindre leurs objectifs et saluer leur inlassable engagement humanitaire, le Festival de Cannes accueille une grande soirée destinée à récolter des fonds. En prenant ce type d’initiative, après la soirée donnée en 1984 au profit de l’Institut Pasteur, lors de la projection de Il était une fois, l’Amérique de Sergio Leone, puis en 1996 la soirée au profit de la reconstruction de la Fenice, avec la projection des Affinités électives de Paolo et Vittorio Taviani, le Festival de Cannes est heureux de s’associer au combat de Sean Penn en faveur d’Haïti et de ses habitants.


    Cette soirée de gala, présentée par Giorgio Armani, se déroulera le vendredi 18 mai à l’Agora du Festival. Les fonds amassés profiteront aux trois organismes et les aideront à offrir des programmes de développement rapides et concrets.


    Un spectacle haïtien intitulé : « Carnaval in Cannes » présentera un concert de musique racine Ra Ra, créé avec le groupe RAM, populaire en Haïti et venu spécialement pour l’occasion. L’événement sera co-sponsorisé par Chopard.


    Sean Penn est très lié au Festival de Cannes où il a présenté plusieurs films en Compétition (dont celui qu’il a réalisé, The Pledge en 2001), au Certain Regard, et où il a été Président du Jury en 2008.


    « On dit, déclare Gilles Jacob, qu’un grand acteur est par essence égocentrique, qu’un grand metteur en scène se concentre sur son art. Sean Penn est tout cela. Ce qu’il fait, en plus, pour le peuple et la terre d’Haïti, ce don de soi, cette présence constante, ce travail – on peut dire de ses mains – tout cet engagement discret, humain et moral de bienfaiteur altruiste force le respect. »


    « Sean Penn est un ami de Cannes, déclare Thierry Frémaux, il est venu en compétition comme acteur et comme réalisateur, il a été Président du Jury en 2008. Mais ce n’est pas seulement pour cela que nous lui avons proposé de l’accueillir. Nous sommes très admiratifs du caractère permanent et durable de son engagement pour Haïti. Et nous sommes très heureux de nous associer à la façon dont lui, Paul Haggis et Petra Nemvoca veulent aussi rendre hommage aux haïtiens eux-mêmes. »


    «Je suis fier, déclare Giorgio Armani, d’être aux côtés de Sean Penn, un homme fait d’une étoffe très rare. J’ai d’abord aimé l’acteur, puis le réalisateur, et enfin l’ami. Maintenant, j’admire cet homme qui vient en aide aux plus démunis. C’est un honneur de m’associer à son engagement pour le peuple d’Haïti. Cet événement organisé dans le cadre du prestigieux Festival de Cannes est une étape importante de mon existence. »


    À propos de J/P Haitian Relief Organization (J/P HRO) :
    Fondée par Sean Penn, l’organisation J/P HRO débute ses travaux de reconstruction quelques heures seulement après le tremblement de terre en janvier 2010. Son objectif est d’aider la nation d’Haïti à se relever des décombres et de rendre l’avenir meilleur. J/P HRO se distingue en Haïti en particulier pour son travail visant à reloger et à fournir des services médicaux, des programmes d’éducation, d’enrichissement, ainsi que la construction de logements et le réaménagement de quartiers. L’objectif principal de l’organisation est d’aider les personnes sans logement à revenir dans des foyers durables et plus sûrs dans des quartiers revitalisés. J/P HRO emploie 1 200 personnes, dont plus de 97% d’Haïtiens. Pour en savoir plus : www.jphro.org

     



    À propos d’« Artists for Peace and Justice » (APJ) :
    « Artists for Peace and Justice » (APJ) est une organisation à but non lucratif, fondée par Paul Haggis et quelques amis en 2009, qui encourage la justice sociale et la paix et traite des questions de la pauvreté à travers le monde. L’objectif principal d’APJ est d’aider les enfants et leurs familles dans les communautés les plus pauvres en Haïti en soutenant des programmes axés sur l’éducation, la santé et la dignité à travers “The Academy for Peace and Justice”, première école secondaire libre à Port-au-Prince. 100% des dons publics versés à APJ sont directement destinés à ses programmes en Haïti. Pour en savoir plus: www.apjnow.org

    À propos d’« Happy Hearts Fund » (HHF) :
    Fondée par Petra Nemcova en 2006, « Happy Hearts Fund » est une fondation à but non lucratif vouée à la reconstruction des écoles et destinée à restaurer l’espoir et la chance dans la vie des enfants après une catastrophe naturelle. Après une période d’intervention d’urgence terminée, L’organisation concentre ses activités à la mise en place de pratiques durables pour assurer un impact sur la vie de chaque habitant. « Happy Hearts Fund » a travaillé dans 14 pays depuis sa création et est actuellement actif dans six pays, la Thaïlande, l’Indonésie, le Chili, le Pérou, le Mexique et Haïti. Sur la totalité, HHF a construit et reconstruit 57 écoles et jardins d’enfants et ses programmes ont bénéficié à plus de 34 412 enfants et 337 450 membres de la communauté. HHF a joué un rôle actif en Haïti depuis 2007, dans la construction d’écoles et de laboratoires informatiques.
    Pour en savoir plus : www.happyheartsfund.org

    Critique de "This must be the place de Paolo Sorrentino

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    Loin du tumulte cannois, j’ai décidé hier de retourner voir « This must be the place » de Paolo Sorrentino, reparti bredouille de la compétition en mai dernier, enfin presque puisqu’il a reçu le prix du jury œcuménique. Avec son premier film en Anglais, le cinéaste italien était ainsi pour la quatrième fois en compétition à Cannes, trois ans après avoir obtenu un prix du jury pour « Il divo ». Avec « Melancholia », « Minuit à Paris » et « The Artist », c’était un de mes coups de cœur de cette édition 2011 qui a souvent fasciné autant qu’il a agacé les festivaliers. Des réactions aussi extrêmes sont souvent signes d’un univers fort, ce que possède incontestablement Paolo Sorrentino.

     

    Sean Penn y interprète Cheyenne, 50 ans, une ancienne star du rock. Il vit de ses rentes à Dublin où il traine sa mélancolie et son ennui. La mort de son père avec qui il a coupé les ponts depuis des années le décide à partir pour New York. Là, il découvre que son père pourchassait un ancien criminel de guerre nazi, un bourreau d’Auschwitz qui l’avait humilié. Cheyenne va poursuivre la vengeance de son père et, pour l’accomplir, va traverser les Etats-Unis…

     

    En revoyant « This must be the place », j’ai pensé à l’écriture de Françoise Sagan. A sa fameuse petite musique des mots qui fait que, au-delà de l’histoire qu’elle nous raconte, le caractère jubilatoire de la forme happe notre attention et nous donne envie de dévorer notre lecture. C’est le cas aussi de la mise en scène de Sorrentino qui nous ensorcelle avec sa « petite musique » des images (des mots d’ailleurs aussi avec, en voix off, parfois le texte du père de Cheyenne). La comparaison n’est d’ailleurs pas aussi absurde, Cheyenne aurait ainsi pu dire telle la Cécile de « Bonjour tristesse » : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. »

     

    Cheyenne, c’est donc Sean Penn, allure gothique et dégingandée, dos courbé, démarche lente et irrésolue, voix traînante, visage maquillé à la Robert Smith et rire triste et improbable. Pour entrer dans le film, il faut évidemment adhérer à son personnage d’enfant capricieux sur les épaules duquel semblent peser tous les malheurs du monde (en tout cas ceux de son histoire et de l’Histoire, rien que ça). Contrairement à ce qu’il a déclaré récemment à propos d’un autre film (indice : ce film a obtenu la palme d’or), il semble vraiment savoir ce qu’il est venu faire là. Ses gestes, son regard, son phrasé : tout nous fait oublier l’acteur pour construire ce personnage de grand enfant innocent, malicieux, capricieux, ce chanteur de rock déchu, à la fois pathétique, touchant, ridicule, flamboyant, décalé. Face à lui, Jane (Frances McDormand), sa femme, aussi forte, présente, décidé qu’il est faible, absent, velléitaire. Leur couple est d’ailleurs symbolique de ce film tout en contradictions et judicieux décalages.

     

    "Paolo réalise des films rapides sur des gens lents et des films drôles sur des gens tristes", a déclaré Sean Penn lors du dernier Festival de Cannes. Sorrentino recourt en effet à la légèreté pour évoquer le poids de l’existence que Cheyenne semble porter, mais aussi le poids de la tragédie. Contradictions encore avec ce père absent et omniprésent. Entre ce personnage enfantin, sa fragilité apparente et sa terrible, et souvent irrésistible, lucidité (Au départ on se dit « Ce sera ça ma vie » puis « C’est ça la vie » déclare-t-il ainsi). Entre la gravité du sujet et la tendresse loufoque pour l’aborder. Entre les grands espaces américains et la mélancolie irlandaise. Entre le visage fardé et ce qu’il dissimule. Entre la mort omniprésente et la vie absente d’un Cheyenne qui s’ennuie. Contradictions entre la fantaisie parfois dérisoire et son objectif qui est tout sauf dérisoire. Entre l’inoffensivité apparente d’un homme et les crimes qu’il a commis.

     

    Sorrentino semble prendre autant de plaisir à sublimer cette Amérique que Cheyenne traverse qu’à en souligner les ridicules excès, entre les images d’Epinal de l’American dream, les paysages qui ressemblent à des peintures de Hopper avec ses motels, ses stations service, ses vastes étendues d’une beauté vertigineuse et ses excès (ou contradictions à nouveau) qu’il tourne en dérision : d’un armurier à la plus grande pistache du monde, en passant par une bouteille géante qui entrave sa route. Il nous en montre aussi la diversité des visages et des paysages comme un enfant curieux, celui qu’est encore Cheyenne, qui découvre Le Nouveau Monde, un nouveau monde, un enfant qui s’émerveille et croise des personnages (un Indien silencieux, une oie, un bison…) qui semblent tout droit sortie d’un conte. Les moments de fantaisie poétique sont encore sublimés par la musique comme dans cette scène avec cette chanson interprétée par David Byrne, le chanteur des Talking heads qui a composé la musique du film (pas une première puisqu’il a reçu l’Oscar de la meilleure musique pour la BO du Dernier Empereur de Bertolucci).

     

    « This must be the place », c’est un parcours initiatique: l’histoire d’un masque qui tombe, d’un enfant qui grandit, d’un homme qui se relève. D’un artiste enfantin qui devient un homme et fume sa première cigarette. Un film inclassable qui mélange habilement les genres, un road movie qui déroute et enchante, ou nous glace par sa lucidité. Un film envoûtant grâce à la musique de David Byrne, la virtuosité de la mise en scène de Sorrentino et de l’interprétation de Sean Penn qui nous plongent dans une atmosphère poétique, onirique et fantaisiste qui dissimule un visage grave et lucide. Un bel hommage à « Paris, Texas » de Wim Wenders, et à « Into the wild » de Sean Penn, aussi. Un personnage et un film qui vous restent dans la tête comme une petite musique. Celle des mots de Sagan. Ou une grande. Celle des Talkings Heads. « Il faut choisir, dans l'existence, un moment, un seul, où la peur disparaît » nous dit-on dans le film. Ce périple en fait partie. Un périple réjouissant et bouleversant, grave et léger, mélancolique et enchanteur, fardé et sincère. Qui donne envie de regarder la vérité derrière le masque. Celle de l’abjection (le bourreau nazi) ou de l’humanité (Cheyenne) qui se mettent à nu (au propre comme au figuré ici). Leur rencontre improbable donne ce grand film construit sur de brillants contrastes.

    Critique de "Into the wild" de Sean Penn

    f974babb100e87a39f2094f4bfe3ede1.jpgQuel voyage saisissant ! Quelle expérience envoûtante ! A la fois éprouvante et sublime. Je devrais commencer par le début avant d’en venir à mes impressions mais elles étaient tellement fortes que parmi toutes ces sensations puissantes et désordonnées suscitées par ce film, c’était ce qui prévalait, cette impression pas seulement d’avoir vu un film mais d’avoir effectué un voyage, un voyage en moi-même, et d’avoir vécu une véritable expérience sensorielle. Depuis que j’ai vu ce film, hier, il me semble penser à l’envers, du moins autrement, revenir moi aussi (plutôt, moi seulement, certains n’en reviennent pas) d’un voyage initiatique bouleversant.

     

    Mais revenons au début, au jeune Christopher McCandless, 22 ans, qui reçoit son diplôme et avec lui le passeport pour Harvard, pour une vie tracée, matérialiste, étouffante. Il décide alors de tout quitter : sa famille, sans lui laisser un seul mot d'explication, son argent, qu’il brûle, sa voiture, pour parcourir et ressentir la nature à pied, et même son nom pour se créer une autre identité. Et surtout sa vie d’avant. Une autre vie. Il va traverser les Etats-Unis, parcourir les champs de blé du Dakota, braver les flots agités du Colorado, croiser les communautés hippies de Californie, affronter le tumulte de sa conscience pour atteindre son but ultime : l’Alaska, se retrouver « into the wild » au milieu de ses vastes étendues grisantes, seul, en communion avec la nature.

     

    Dès les premières secondes la forme, qui attire d’abord notre attention, épouse intelligemment le fond. Des phrases défilent sur l’écran sur des paysages vertigineux, parce que ce sont les deux choses qui guident Christopher : l’envie de contempler la nature, de se retrouver, en harmonie avec elle et la littérature qui a d’ailleurs en partie suscité cette envie, cette vision du monde. Jack London. Léon Tolstoï. Et en entendant ces noms, je commence à me retrouver en territoires connues, déjà troublée par ce héros si différent et si semblable. Influencé par Henry David Thoreau aussi, connu pour ses réflexions sur une vie loin de la technologie…et pour la désobéissance civile.

     

    Puis avec une habileté déconcertante et fascinante Sean Penn mélange les temporalités ( instants de son enfance, sa vie en Alaska, seul dans un bus au milieu de paysages sidérants de beauté) et les rencontres marquantes de son périple, les points de vue (le sien, celui de sa sœur), les fonctions de la voix off (lecture, citations, impressions)brouillant nos repères pour en créer d’autres, trouver les siens, transgressant les codes habituels de la narration filmique, s’adressant même parfois à la caméra, à nous, nous prenant à témoin, nous interpellant, nous mettant face à notre propre quête. De bonheur. De liberté. Et surtout : de vérité.

     

    Au travers de ces différentes étapes, nous le découvrons, ainsi que ce qui l’a conduit à effectuer ce périple au bout de lui-même en même temps que lui chemine vers la réconciliation avec lui-même, avec son passé, avec son avenir. En phase avec l’instant, l’essentiel, le nécessaire. Un instant éphémère et éternel. Carpe diem. Au péril de sa vie, au péril de ceux qui l’aiment. Mais c’est sa vérité. Paradoxale : égoïste et humaniste.

     

    Comme son protagoniste, la réalisation de Sean Penn est constamment au bord du précipice, à se faire peur, à nous faire peur mais jamais il ne tombe dans les écueils qu’il effleure parfois : celui d’un idéalisme aveugle et d’un manichéisme opposant la nature innocente et noble à la société pervertie. Non : la nature est parfois violente, meurtrière aussi, et sa liberté peut devenir étouffante, sa beauté peut devenir périlleuse. Et la mort d’un élan la plus grande tragédie d’une vie. De sa vie. La fin d’un élan, de liberté.

     

    « Into the wild » fait partie de ces rares films qui vous décontenancent et vous déconcertent d’abord, puis vous intriguent et vous ensorcellent ensuite progressivement, pour vous emmener vous aussi bien au-delà de l’écran, dans des contrées inconnues, des territoires inexplorées ou volontairement occultées, même en vous-même. Avec le protagoniste, nous éprouvons cette sensation de liberté absolue, enivrante. Ce désir de simplicité et d’essentiel, cette quête d’un idéal. D’un chemin particulier et singulier ( C’est une histoire vraie, Christopher McCandless a réellement existé, son histoire a inspiré « Voyage au bout de la solitude » du journaliste américain Jon Krakauer) Sean Penn écrit une histoire aux échos universels . Un chemin au bout de la passion, au bout de soi, pour se (re)trouver. Pour effacer les blessures de l’enfance. Et pour en retrouver la naïveté et l’innocence.

     

    2H27 pour vivre une renaissance. Enfance. Adolescence. Famille. Sagesse. Au fil de ses rencontres, magiques, vraies, il se reconstitue une famille. Chaque rencontre incarne un membre de sa famille, l’autre, celle du cœur : sa mère, son père, sa sœur. Sur chaque personnage Sean Penn porte un regard empli d’empathie, jamais condescendant à l’image de cette nature. A fleur de peau. Sauvage. Blessée. Ecorchée vive.

     

    La photographie du célèbre et talentueux Eric Gautier révèle la beauté et la somptuosité mélancolique de la nature comme elle révèle Christopher à lui-même, confrontant l’intime au grandiose. La bande originale poignante composée par Eddie Vedder du groupe « Pearl Jam » contribue à cette atmosphère sauvage et envoûtante, il a d’ailleurs obtenu le Golden Globe 2008 de la meilleure chanson. Et puis évidemment Emile Hirsch d’une ressemblance troublante avec Leonardo Di Caprio (Sean Penn avait d’ailleurs pensé à lui pour le rôle), par son jeu précis et réaliste, par sa capacité à incarner ce personnage à tel point qu’il semble vraiment exister, vibrer, vivre, mourir et renaître, sous nos yeux, est indissociable de la réussite de ce film.

     

    Avec ce quatrième long-métrage (après « The Indian Runner », « Crossing guard », « The pledge ») Sean Penn signe (il a aussi écrit le scénario) un film magistralement écrit, mis en scène (avec beaucoup de sensibilité, d’originalité et de sens) et mis en lumière, magistralement interprété, un road movie animé d’un souffle lyrique, un road movie tragique et lumineux, atypique et universel.

     

    Vous ne ressortirez ni indifférents, ni indemnes. Ce film va à l’essentiel, il vous bouscule et vous ensorcelle, il vous embarque bien au-delà de l’écran, dans sa quête d’absolu, de liberté, de bonheur. Un voyage aux confins du monde, de la nature, un voyage aux confins de l'être, de vous-même… Un film d’auteur. Un très grand film. D'un très grand auteur. Qui se termine sur des battements de cœur. Celui du héros qui renait. Au cœur de la vérité.

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DE CANNES 2012 Pin it! 0 commentaire
  • Brad Pitt au 65ème Festival de Cannes pour "Killing them softly": critiques de "Inglourious basterds" et "Babel"

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    (photos ci-dessous copyright inthemoodforcinema )

    Je vous le disais dans un article précèdent sur http://www.inthemoodforcannes.com : Brad Pitt sera de retour à Cannes pour "Killing them soflty" de Andrew Dominik (pour qui il avait déjà interprété l'inoubliable Jesse James) après avoir déjà (notamment) présenté sur la Croisette deux films inoubliables: "Babel" de Alejandro Gonzalez Inarritu et "Inglourious basterds" de Quentin Tarantino. En attendant de vous livrer ici ma critique de "Killing them softly", retour en critiques sur ces deux grands films.

     

    Critique de "Babel" d'Alejandro Gonzalez Inarritu

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    Ci-dessous ma critique publiée suite à la projection de ce film qui avait obtenu le prix de la mise en scène à Cannes, en 2006:

    En plein désert marocain, des enfants jouent avec un fusil que leur père vient d’acheter. Un coup de feu retentit et blesse une touriste américaine dans un bus qui passait sur la route, en contrebas. Les destins de cette femme (Cate Blanchett) et de son mari (Brad Pitt) dont le couple battait de l’aile, les destins des deux enfants responsables du coup de feu, le destin de la nourrice mexicaine des enfants du couple d’Américains, le destin d’une jeune Japonaise, en l’occurrence la fille de l’homme qui a donné le fusil à un Marocain qui l’a revendu au père des deux enfants : ces destins vont tous avoir une influence les uns sur les autres, des destins socialement et géographiquement si éloignés, mais si proches dans l’isolement et dans la douleur.

    Rares sont les films que je retourne voir, mais pour Babel vu au Festival de Cannes 2006 où il a obtenu le prix de la mise en scène et celui du jury œcuménique, c’était une vraie nécessité parce que Babel c’est plus qu’un film : une expérience. Ce film choral qui clôt le triptyque du cinéaste après Amours chiennes et 21 grammes fait partie de ces films après lesquels toute parole devient inutile et impossible, de ces films qui expriment tant dans un silence, dans un geste, qu’aucune parole ne pourrait mieux les résumer. De ces films qui vous hypnotisent et vous réveillent. De ces films qui vous aveuglent et vous éclairent. Donc le même choc, la même claque, le même bouleversement, quelques mois après, l’effervescence, la déraison et les excès cannois en moins. Malgré cela.

    Si la construction n’avait été qu’un vain exercice de style, qu’un prétexte à une démonstration stylistique ostentatoire, l’exercice aurait été alors particulièrement agaçant mais son intérêt provient justement du fait que cette construction ciselée illustre le propos du cinéaste, qu’elle traduit les vies fragmentées, l’incommunicabilité universelle.

    Le montage ne cherche pas à surprendre mais à appuyer le propos, à refléter un monde chaotique, brusque et impatient, des vies désorientées, des destins morcelés. En résulte un film riche, puissant où le spectateur est tenu en haleine du début à la fin, retenant son souffle, un souffle coupé par le basculement probable, soudain, du sublime dans la violence. Du sublime d’une danse à la violence d’un coup de feu. Du sublime d’une main sur une autre, de la blancheur d’un visage à la violence d’une balle perdue et d’une blessure rouge sang. Du sublime du silence et du calme à la violence du basculement dans le bruit, dans la fureur, dans la déraison.

     

    medium_P80601087315038.jpgUn film qui nous emmène sur trois continents sans jamais que notre attention ne soit relâchée, qui nous confronte à l’égoïsme, à notre égoïsme, qui nous jette notre aveuglement et notre surdité en pleine figure, ces figures et ces visages qu’il scrute et sublime d’ailleurs, qui nous jette notre indolence en pleine figure, aussi. Un instantané troublant et désorientant de notre époque troublée et désorientée. La scène de la discothèque est ainsi une des plus significatives, qui participe de cette expérience. La jeune Japonaise sourde et muette est aveuglée. Elle noie son désarroi dans ces lumières scintillantes, fascinantes et angoissantes. Des lumières aveuglantes: le paradoxe du monde, encore. Lumières qui nous englobent. Soudain aveuglés et sourds au monde qui nous entoure nous aussi.

    Le point de départ du film est donc le retentissement d'un coup de feu au Maroc, coup de feu déclenchant une série d'évènements qui ont des conséquences désastreuses ou salvatrices, selon les protagonistes impliqués. Peu à peu le puzzle se reconstitue brillamment, certaines vies se reconstruisent, d’autres sont détruites à jamais.

    Jamais il n’a été aussi matériellement facile de communiquer. Jamais la communication n’a été aussi compliquée, Jamais nous n’avons reçu autant d’informations et avons si mal su les décrypter. Jamais un film ne l’a aussi bien traduit. Chaque minute du film illustre cette incompréhension, parfois par un simple arrière plan, par une simple image qui se glisse dans une autre, par un regard qui répond à un autre, par une danse qui en rappelle une autre, du Japon au Mexique, l’une éloignant et l’autre rapprochant.

    Virtuosité des raccords aussi : un silence de la Japonaise muette qui répond à un cri de douleur de l’américaine, un ballon de volley qui rappelle une balle de fusil. Un monde qui se fait écho, qui crie, qui vocifère sa peur et sa violence et sa fébrilité, qui appelle à l’aide et qui ne s’entend pas comme la Japonaise n’entend plus, comme nous n’entendons plus à force que notre écoute soit tellement sollicitée, comme nous ne voyons plus à force que tant d’images nous soit transmises, sur un mode analogue, alors qu’elles sont si différentes. Des douleurs, des sons, des solitudes qui se font écho, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre. Et les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude.

    Véritable film gigogne, Babel nous montre un monde paranoïaque, paradoxalement plus ouvert sur l’extérieur fictivement si accessible et finalement plus égocentrique que jamais, monde paradoxalement mondialisé et individualiste. Le montage traduit magistralement cette angoisse, ces tremblements convulsifs d’un monde qui étouffe et balbutie, qui n’a jamais eu autant de moyens de s’exprimer et pour qui les mots deviennent vains. D’ailleurs chaque histoire s’achève par des gestes, des corps enlacés, touchés, touchés enfin. Touchés comme nous le sommes. Les mots n’ont plus aucun sens, les mots de ces langues différentes. Selon la Bible, Babel fut ainsi une célèbre tour construite par une humanité unie pour atteindre le paradis. Cette entreprise provoqua la colère de Dieu, qui pour les séparer, fit parler à chacun des hommes impliqués une langue différente, mettant ainsi fin au projet et répandant sur la Terre un peuple désorienté et incapable de communiquer.

     

    medium_P80601161052655.jpgC’est aussi un film de contrastes. Contrastes entre douleur et grâce, ou plutôt la grâce puis si subitement la douleur, puis la grâce à nouveau, parfois. Un coup de feu retentit et tout bascule. Le coup de feu du début ou celui en pleine liesse du mariage. Grâce si éphémère, si fragile, comme celle de l’innocence de ces enfants qu’ils soient japonais, américains, marocains, ou mexicains. Contrastes entre le rouge des vêtements de la femme mexicaine et les couleurs ocres du désert. Contrastes entres les lignes verticales de Tokyo et l’horizontalité du désert. Contrastes entre un jeu d’enfants et ses conséquences dramatiques. Contraste entre le corps dénudé et la ville habillée de lumière. Contraste entre le désert et la ville. Contrastes de la solitude dans le désert et de la foule de Tokyo. Contrastes de la foule et de la solitude dans la foule. Contrastes entre « toutes les télévisions [qui] en parlent » et ces cris qui s’évanouissent dans le désert. Contrastes d’un côté et de l’autre de la frontière. Contrastes d’un monde qui s’ouvre à la communication et se ferme à l’autre. Contrastes d’un monde surinformé mais incompréhensible, contrastes d’un monde qui voit sans regarder, qui interprète sans savoir ou comment, par le prisme du regard d’un monde apeuré, un jeu d’enfants devient l’acte terroriste de fondamentalistes ou comment ils estiment savoir de là-bas ce qu’ils ne comprennent pas ici.

    medium_P80601693016905.jpgMais toutes ces dissociations et ces contrastes ne sont finalement là que pour mieux rapprocher. Contrastes de ces hommes qui parlent des langues différentes mais se comprennent d’un geste, d’une photo échangée (même si un billet méprisant, méprisable les séparera, à nouveau). Contrastes de ces êtres soudainement plongés dans la solitude qui leur permet finalement de se retrouver. Mais surtout, surtout, malgré les langues : la même violence, la même solitude, la même incommunicabilité, la même fébrilité, le même rouge et la même blancheur, la même magnificence et menace de la nuit au-dessus des villes, la même innocence meurtrie, le même sentiment d’oppression dans la foule et dans le désert.

    Loin d’être une démonstration stylistique, malgré sa virtuosité scénaristique et de mise en scène Babel est donc un édifice magistral tout entier au service d’un propos qui parvient à nous transmettre l’émotion que ses personnages réapprennent. Notons que malgré la pluralité de lieux, de langues, d'acteurs (professionnels mais souvent aussi non professionnels), par le talent de son metteur en scène, Babel ne perd jamais sa cohérence qui surgit, flagrante, bouleversante, évidente, au dénouement.

    La mise en scène est volontairement déstructurée pour refléter ce monde qu'il met en scène, un monde qui s'égare, medium_P80601398560603.jpget qui, au moindre geste , à la moindre seconde, au moindre soupçon, peut basculer dans la violence irraisonnée, un monde qui n'a jamais communiqué aussi vite et mal, un monde que l'on prend en pleine face, fascinés et horrifiés à la fois, un monde brillamment ausculté, décrit, par des cris et des silences aussi ; un monde qui nous aveugle, nous assourdit, un monde de différences si semblables, un monde d’après 11 septembre.

     

    Babel est un film douloureux et clairvoyant, intense, empreint de la fébrilité du monde qu’il parcourt et dépeint de sa lumière blafarde puis rougeoyante puis nocturne. Un film magnifique et éprouvant dont la mise en scène vertigineuse nous emporte dans sa frénésie d’images, de sons, de violences, de jugements hâtifs, et nous laisse avec ses silences, dans le silence d’un monde si bruyant. Le silence après le bruit, malgré le bruit, le silence de l’harmonie retrouvée, l’harmonie éphémère car il suffirait qu’un coup de feu retentisse pour que tout bascule, à nouveau. La beauté et la douleur pareillement indicibles. Babel, tour de beauté et de douleur. Le silence avant les applaudissements, retentissants, mérités. Si le propre de l’Art c’est de refléter son époque et de l’éclairer, aussi sombre soit-elle, alors Babel est un chef d’œuvre. Une expérience dont on ne peut ressortir indemne ! Mais silencieux, forcément.

    CRITIQUE D'"INGLOURIOUS BASTERDS" DE QUENTIN TARANTINO

     

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    Pitch : Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l’exécution de sa famille tombée entre les mains du colonel nazi Hans Landa ( Christoph Waltz). Shosanna (Mélanie Laurent) s’échappe de justesse et s’enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d’une salle de cinéma. Quelque part, ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives particulièrement sanglantes contre les nazis. « Les bâtards », nom sous lequel leurs ennemis vont apprendre à les connaître, se joignent à l’actrice allemande et agent secret Bridget von Hammersmark (Diane Krüger) pour tenter d’éliminer les dignitaires du troisième Reich. Leurs destins vont se jouer à l’entrer du cinéma où Shosanna est décidée à mettre à exécution une vengeance très personnelle.

    De ce film, très attendu et seul film américain de cette compétition officielle 2009 du Festival de Cannes, avant de l'y découvrir, je n’avais pas lu le pitch, tout juste vu la bande-annonce qui me faisait craindre une grandiloquence maladroite, un humour douteux, voire indécent sur un sujet délicat. Je redoutais, je pensais même détester ce film et ne m’attendais donc pas à ce que la première séquence (le film est divisé en 5 chapitres qui correspondent aux parcours de 5 personnages) me scotche littéralement à l’écran dès la première seconde, à ne plus pouvoir m’en détacher jusqu’à la dernière ligne du générique.

    L’un des premiers plans nous montre une hache dans un univers bucolique que la caméra de Tarantino caresse, effleure, esquisse et esquive : finalement ce simple plan pourrait résumer le ton de ce film, où la menace plane constamment, où le décalage est permanent, où toujours le spectateur est sur le qui-vive, la hache pouvant à chaque instant venir briser la sérénité. Cette première séquence dont nous ne savons jamais si nous devons en rire, ou en frissonner de plaisir (parce qu’elle est jubilatoire à l’image de tout ce film, une première séquence au sujet de laquelle je ne vous en dirai pas plus pour maintenir le suspense et la tension incroyables qui y règne) ou de peur, est sans nul doute une des plus réussies qu’il m’ait été donné de voir au cinéma.

    Chaque séquence au premier rang desquelles la première donc recèle d’ailleurs cette même ironie tragique et ce suspense hitchcockien, le tout avec des plans d’une beauté, d’une inventivité sidérantes, des plans qui sont ceux d’un grand cinéaste mais aussi d’un vrai cinéphile (je vous laisse notamment découvrir ce plan magnifique qui est un hommage à « La Prisonnière du désert » de John Ford, décidément -cf mon article précèdent- ) et d’un amoureux transi du cinéma. Rien que la multitude de références cinématographiques mériterait une deuxième vision tant l’admiration et la surprise lors de la première empêchent de toutes les distinguer.

    Oui, parce que « Inglourious Basterds » est aussi un western. « Inglourious Basterds » appartient en réalité à plusieurs genres… et à aucun : western, film de guerre, tragédie antique, fable, farce, comédie, film spaghetti aussi. En fait un film de Quentin Tarantino . (« Inglourious Basterds » est inspiré d’un film italien réalisé par Enzo G.Castellari). Un genre, un univers qui n’appartiennent qu’à lui seul et auxquels il parvient à nous faire adhérer, quels qu’en soient les excès, même celui de réécrire l’Histoire, même celui de se proclamer chef d’œuvre avec une audace et une effronterie incroyables. Cela commence ainsi comme un conte (« il était une fois »), se termine comme une farce.

    Avec quelle facilité il semble passer d’un ton à l’autre, nous faire passer d’une émotion à une autre, comme dans cette scène entre Mélanie Laurent et Daniel Brühl, dans la cabine de projection, une scène qui, en quelques secondes, impose un souffle tragique poignant, époustouflant, d’un rouge éblouissant. Une scène digne d’une tragédie antique.

    Il y a du Hitchcock dans ce film mais aussi du Chaplin pour le côté burlesque et poétique et du Sergio Leone pour la magnificence des plans, et pour cet humour ravageur, voire du Melville aussi pour la réalisation, Melville à qui un autre cinéaste (Johnnie To) de cette compétition 2009 se référait d’ailleurs. Voilà, en un endroit tenu secret, Tarantino, après les avoir fait kidnapper et fait croire à leurs disparitions au monde entier, a réuni Chaplin, Leone, et Hitchcock et même Melville et Ford, que l’on croyait morts depuis si longtemps et leur a fait réaliser ce film qui mêle avec brio poésie et sauvagerie, humour et tragédie.

    Et puis, il y a en effet le cinéma. Le cinéma auquel ce film est un hommage permanent, une déclaration d’amour passionnée, un hymne vibrant à tel point que c’est le cinéma qui, ici, va sauver le monde, réécrire la page la plus tragique de l’Histoire, mais Tarantino peut bien se permettre : on pardonne tout au talent lorsqu’il est aussi flagrant. Plus qu’un hommage au cinéma c’est même une leçon de cinéma, même dans les dialogues : « J’ai toujours préféré Linder à Chaplin. Si ce n’est que Linder n’a jamais fait un film aussi bon que « Le Kid ». Le grand moment de la poursuite du « Kid ». Superbe . » Le cinéma qui ravage, qui submerge, qui éblouit, qui enflamme (au propre comme au figuré, ici). Comment ne pas aimer un film dont l’art sort vainqueur, dans lequel l’art vainc la guerre, dans lequel le cinéma sauve le monde ?

    Comment ne pas non plus évoquer les acteurs : Mélanie Laurent, Brad Pitt, Diane Krüger, Christoph Waltz, Daniel Brühl y sont magistraux, leur jeu trouble et troublant procure à toutes les scènes et à tous les dialogues (particulièrement réussis) un double sens, jouant en permanence avec le spectateur et son attente. Mélanie Laurent qui a ici le rôle principal excelle dans ce genre, de même que Daniel Brühl et Brad Pitt qui, depuis « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », le chef d’œuvre d’Andrew Dominik ne cesse de prendre de l’épaisseur et nous surprendre.

    Que dire de la BO incroyable qui, comme toujours chez Tarantino, apporte un supplément de folie, d’âme, de poésie, de lyrisme et nous achève…

    Quentin Tarantino avec ce septième long-métrage a signé un film audacieux, brillant, insolent, tragique, comique, lyrique, exaltant, décalé, fascinant, irrésistible, cynique, ludique, jubilatoire, dantesque, magistral. Une leçon et une déclaration d’amour fou et d’un fou magnifique, au cinéma. Ce n’est pas que du cinéma d’ailleurs : c’est un opéra baroque et rock. C’est une chevauchée fantastique. C’est un ouragan d’émotions. C’est une explosion visuelle et un ravissement permanent et qui font passer ces 2H40 pour une seconde !

    « Inglourious Basters » était le film le plus attendu de ce festival 2009. A juste titre. Rappelons enfin que Christop Waltz remporta le prix d'interprétation.

     

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  • Critique - "Les Amours imaginaires" de Xavier Dolan et présentation de "Laurence Anyways (Un Certain Regard - Cannes 2012)

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    Je continue mes présentations des films de ce Festival de Cannes 2012 avec "Laurence Anyways", le troisième film du cinéaste Xavier Dolan après "J'ai tué ma mère" et "Les amours imaginaires", également son troisième film sélectionné à Cannes (après la Quinzaine des Réalisateurs pour le premier, et déjà Un Certain Regard pour le deuxième). Tourné au Québec, ce film met en scène Melvil Poupaud (un habitué de la sélection Un Certain Regard) et Nathalie Baye. Egalement au casting : Monia Chokri et Suzanne Clément.
     

    Synopsis: En 1989, Laurence Alia célèbre son 30e anniversaire au restaurant en compagnie de Fred, sa petite copine. Quand il lui révèle son projet le plus secret, le plus brûlant, celui de devenir une femme, leur monde bascule. Après une retraite légitime en famille pour réfléchir, Fred accepte d'accompagner Laurence tout au long de cette métamorphose. En janvier 1990, celui-ci se présente au Cégep où il enseigne la littérature habillé en femme. Une nouvelle vie commence, qui semble débuter dans la tolérance et la simplicité.

    En bonus, retrouvez ma critique du deuxième film de Xavier Dolan "Les amours imaginaires", un film que je vous recommande plus que vivement.

     
    Découvrez cette excellente interview de Xavier Dolan par touscoprod:
     
     

     

    Critique "Les Amours imaginaires" : une grisante fantasmagorie

     

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    Après son arrivée explosive dans le monde du 7ème art avec « J’ai tué ma mère », film qu’il avait réalisé à 17 ans, présenté l’an passé à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs où il avait obtenu trois prix, film que j’avais ignominieusement manqué, la rencontre de ces amours imaginaires (présenté à Cannes cette année dans la section « Un Certain Regard ») était donc aussi pour moi celle avec l’univers de Xavier Dolan.

    Francis (Xavier Dolan) et Marie (Monia Chokri) sont tous deux amis et épris du même jeune homme rencontré lors d’une soirée, Nicolas (Niels Schneider), et tous les deux bien déterminés à le conquérir, analysant, interprétant, scrutant obsessionnellement le moindre geste ou comportement de leur (obscur) objet du désir.

    Dès les premiers plans se dégage de ce film un charme irrésistible et surtout un ton, un style qui font souffler un vent d’air frais et revigorant sur le cinéma actuel. Xavier Dolan est un vrai cinéphile et son film regorge de références cinématographiques (entre les ralentis langoureux et poétiques à la Wong Kar Waï, les couleurs chatoyantes et la fantaisie jubilatoire à la Almodovar, les plans de dos à la Gus Van Sant, les références à la Nouvelle Vague, au « Mépris » de Godard, un trio à la « Jules et Jim » de Truffaut ou encore des confessions face caméra qui rappellent Woody Allen) mais aussi picturales (Boticelli, Michel Ange) ou littéraire (Musset…).

    Que de brillantes références me direz-vous. Tout cela aurait pu donner un film présomptueux mais Xavier Dolan, d’une part, a su assimiler toutes ces références pour créer son propre univers et d’autre part, y apporter une légèreté masquant savamment la mélancolie sous-jacente (que ne faut-il pas avoir souffert en amour pour faire preuve d’une telle maturité et clairvoyance à seulement 21 ans!), que ce soit par les dialogues, légèrement précieux, souvent hilarants, toujours caustiques ou le jeu des comédiens (à commencer par lui-même mais surtout celui de Monia Chokri absolument irrésistible).

    La caméra de Xavier Dolan est au plus près des visages, ignorant le plus souvent le cadre spatial à l’image de cet amour obsédant qui rend Marie et Francis aveugles au monde qui les entoure. La mise en scène non seulement épouse le propos du film mais devient un élément scénaristique : puisque Marie et Francis se « font des films » (l’un se prenant pour James Dean, l’autre pour Audrey Hepburn), et sont enivrés par leur fantasmagorie amoureuse, par ce destructeur et grisant vertige de l’idéalisation amoureuse, le film en devient lui-même un vertige fantasmatique. Cette soirée aux images syncopées rappelle ce vertige à la fois grisant et déstabilisant, ce manège qui rend si floue la frontière entre enchantement et désenchantement, rêve et illusion. Marie et Francis sont amoureux d’une chimère, d’une image, d’un idéal, d’une illusion, de l’amour même qui prend ici les traits d’un bellâtre ambigu aux allures de Dieu Grec. L’histoire de notre trio est entrecoupée de « témoignages » face caméra de style documentaire de victimes d’illusions amoureuses, là aussi irrésistibles.

    Xavier Dolan a aussi en commun avec quelques uns des plus brillants réalisateurs auxquels il se réfère une bande originale particulièrement soignée, à l’image du film, mêlant modernité, et titres plus anciens, et musique classique : de Dalida qui reprend « Bang Bang » à Indochine jusqu’à « The Knife », « Fever Ray », « Vive la fête » en passant par Bach qui rappelle mélodieusement la douleur de ces irrépressibles et irrationnels élans amoureux, de ces amours qui rongent et enragent.

    Xavier Dolan est un véritable chef d’orchestre qui mêle les couleurs, les références les arts, un prodige du cinéma (à la fois monteur, scénariste, producteur, acteur, s’occupant aussi des costumes) faisant à la fois preuve de l’inventivité et de l’audace de sa jeunesse mais aussi d’une étonnante maturité. Déclaration d’amour au cinéma, déclaration de désespoir d’un amoureux désillusionné sous des allures de fable burlesque et hilarante, « Les amours imaginaires » est un film mélancoliquement caustique.

    Xavier Dolan signe là une fantasmagorie pop, poétique sur la cristallisation amoureuse, sur ces illusions exaltantes et destructrices, sublimes et pathétiques un film enivrant et entêtant comme un amour imaginaire… sans les effets secondaires. A prescrire donc et à très haute dose !

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  • "Amour" de Michael Haneke (compétition officielle du Festival de Cannes 2012) et critique du "Ruban blanc" (palme d'or 2009)

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    © Les Films du Losange

    Certains s'offusqueront certainement à nouveau du fait que les mêmes, souvent, sont sélectionnés à Cannes mais comment ne pas sélectionner un film d'un auteur tel que Michael Haneke? Après le grand prix du jury en 2001 (pour "La Pianiste"), le prix de la mise en scène en 2005 (pour "Caché") et la palme d'or en 2009 (pour "Le Ruban blanc" -voir ma critique ci-dessous-), il ne fait aucun doute que Michael Haneke peut encore nous surprendre dans ce film qui signe le grand retour de Jean-Louis Trintignant (qui, en 1966, avait déjà eu les honneurs du festival puisque "Un homme et une femme" de Claude Lelouch avait remporté la palme d'or, un film auquel succéderont 8 autres films en compétition dans lesquels il joue également) qui aura pour partenaire l'inoubliable actrice de "Hiroshima mon amour" d'Alain Resnais (lui aussi en compétition cette année) Emmanuelle Riva.

    Synopsis : Georges et Anne sont octogénaires, ce sont des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite.
    Leur fille, également musicienne, vit à l'étranger avec sa famille.
    Un jour, Anne est victime d'un accident.
    L'amour qui unit ce couple va être mis à rude épreuve.

    Avec : Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert

    Sortie en salles : le 24 octobre 2012

     

    Films présentés à Cannes par Michael Haneke

    • 2009 - DAS WEISSE BAND (LE RUBAN BLANC)- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 2005 - CACHÉ- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 2003 - LE TEMPS DU LOUP- Hors Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 2001 - LA PIANISTE- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 2000 - CODE INCONNU- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 1997 - FUNNY GAMES- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 1994 - 71 FRAGMENTE EINER CHRONOLOGIE DES ZUFALLS (71 FRAGMENTS D'UNE CHRONOLOGIE DU HASARD)- Section parallèle Réalisation
    • 1992 - BENNY'S VIDEO- Section parallèle Réalisation
    • 1989 - DER 7 KONTINENT (LE SEPTIÈME CONTINENT)- Section parallèle Réalisation

    Le Palmarès de Michael Haneke à Cannes

    • 2009 - Palme d'Or - DAS WEISSE BAND (LE RUBAN BLANC) - Long métrage
    • 2005 - Prix de la mise en scène - CACHÉ - Long métrage
    • 2001 - Grand Prix - LA PIANISTE - Long métrage

    CRITIQUE DU "RUBAN BLANC" DE MICHAEL HANEKE

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    Photo: inthemoodforcannes.com (clôture du Festival de Cannes 2009)

    En raison de l’inimitié ou de la potentielle rancœur subsistant entre Isabelle Huppert et Quentin Tarantino suite à leurs dissensions lors du casting d’ « Inglourious Basterds » et du lien particulier qui unit cette dernière à Haneke ( « La Pianiste » du même Haneke lui a valu un prix d’interprétation cannois), je supposai que « Le ruban blanc » devait être un chef d’œuvre tel que ce prix mettait la présidente du jury 2009 hors du moindre soupçon d’avoir favorisé le réalisateur autrichien, pour des raisons autres que cinématographiques.

    Alors, « un ruban blanc » est-il ce chef d’œuvre irréfutable faisant de cette palme d’or une évidence ?

     

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    Haneke est aussi outrancier dans l’austérité que Tarantino l’est dans la flamboyance. Leurs cinémas sont à leurs images, extrêmes. Alors difficile de comparer deux films aussi diamétralement opposés même si pour moi l’audace, l’inventivité, la cinéphilie de Tarantino le plaçaient au-dessus du reste de cette sélection 2009. Audace, inventivité, cinéphilie : des termes qui peuvent néanmoins tout autant s’appliquer à Haneke même si pour moi « Caché » (pour lequel il avait reçu un prix de la mise en scène en 2005) méritait davantage cette palme d’or (et celui-ci un Grand Prix) qui, à défaut d’être une évidence, se justifie et se comprend aisément.

     

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    Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un instituteur raconte l’histoire d’étranges incidents qui surviennent dans la petite communauté protestante formée par les élèves et leurs familles. Peu à peu, d’autres accidents surviennent et prennent l’allure d’un rituel primitif.

    Quel qu’en soit l’enjeu et aussi âpre soit-elle, Haneke a le don de créer une atmosphère quasi hypnotique, et de vous y plonger. L’admiration pour la perfection formelle l’emporte toujours sur le rejet de l’âpreté, sur cette froideur qui devrait pourtant nous tenir à distance, mais qui aiguise notre intérêt, notre curiosité. La somptuosité glaciale et glaçante de la réalisation, la perfection du cadre et des longs plans fixes où rien n’est laissé au hasard sont aussi paralysants que l’inhumanité qui émane des personnages qui y évoluent.

    Derrière ce noir et blanc, ces images d’une pureté étrangement parfaite, à l’image de ces chérubins blonds symboles d’innocence et de pureté (que symbolise aussi le ruban blanc qu’on leur force à porter) se dissimulent la brutalité et la cruauté.

    L’image se fige à l’exemple de cet ordre social archaïquement hiérarchisé, et de cette éducation rigoriste et puritaine dont les moyens sont plus cruels que les maux qu’elle est destinée prévenir et qui va provoquer des maux plus brutaux encore que ceux qu’elle voulait éviter. La violence, au lieu d’être réprimé, s’immisce insidieusement pour finalement imposer son impitoyable loi. Cette violence, thème cher à Haneke, est toujours hors champ, « cachée », et encore plus effrayante et retentissante.

    Ce ruban blanc c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc.

    Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres.

    La forme démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

    Que dire de l’interprétation ? Elle est aussi irréprochable. Les enfants jouent avec une innocence qui semble tellement naturelle que l’horreur qu’ils recèlent en devient plus terrifiante encore.

    Avec une froideur et un ascétisme inflexibles, avec une précision quasi clinique, avec une cruauté tranchante et des dialogues cinglants, avec une maîtrise formelle fascinante, Haneke poursuit son examen de la violence en décortiquant ici les racines du nazisme, par une démonstration implacable et saisissante. Une œuvre inclassable malgré ses accents bergmaniens.

    Un film à voir absolument. L'oeuvre austère, cruelle, dérangeante, convaincante, impressionnante d'un grand metteur en scène.

     

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  • Présentation de "Like someone in love" de Abbas Kiarostami et critique de "Copie conforme" de Abbas Kiarostami

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    Jusqu'à l'ouverture du festival, le 16 mai, je vous présenterai régulièrement des films au programme de cette édition 2012 du Festival de Cannes et en particulier les que j'attends tout particulièrement. Je commence avec "Like someone in love" de l'Iranien Abbas Kiarostami, peut-être celui que j'attends le plus (avec trois autres films dont je vous parlerai les jours prochains), une envie de découvrir ce film accrue par cette bande-annonce.

    En bonus, à la fin de cette note, vous retrouverez ma critique de "Copie conforme", film en compétition à Cannes, en 2010 , et pour lequel Juliette Binoche avait reçu le prix d'interprétation (amplement mérité!).

    Kiarostami est parti tourner "Like someone in love" au Japon. Ce sera la 5ème sélection du cinéaste en compétition, à Cannes. Il avait même obtenu la palme d'or en 1997 pour "Le goût de la cerise" (Nanni Moretti faisait partie du jury cette année-là!).

    Synopsis: De nos jours dans une grande ville du Japon. Un vieil universitaire très érudit, garant des traditions ; une jeune et séduisante étudiante, qui doit vendre ses charmes pour payer ses études ; un jeune homme jaloux, dont la violence ne demande qu’à exploser : entre ces trois-là, se nouent en une journée des relations inattendues, qui changeront leurs vies à jamais.

    Avec, Ryo Kase, Denden, Rin Takanashi, Tadashi Okuno

    Films présentés à Cannes

    • 2010 - COPIE CONFORME- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 2007 - CHACUN SON CINÉMA- Hors Compétition Réalisation
    • 2007 - MAN OF CINEMA: PIERRE RISSIENT (HOMME DE CINEMA : PIERRE RISSIENT)- Cannes Classics Images, Interprète
    • 2004 - 10 ON TEN- Un Certain Regard Réalisation
    • 2004 - FIVE- Hors Compétition Réalisation
    • 2003 - TALAYE SORGH (SANG ET OR)- Un Certain Regard Scénario & Dialogues
    • 2002 - TEN- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues
    • 2001 - A.B.C AFRICA- Hors Compétition Réalisation, Montage
    • 1997 - TA'M E GUILASS (LE GOÛT DE LA CERISE)- En Compétition Réalisation, Montage
    • 1994 - ZIRE DARAKHTAN ZEYTON (AU TRAVERS DES OLIVIERS)- En Compétition Réalisation, Scénario & Dialogues, Montage
    • 1992 - ZENDEGI EDAME DARAD (ET LA VIE CONTINUE)- Un Certain Regard Réalisation, Scénario & Dialogues, Montage

    Le Palmarès

    • 1997 - Palme d'Or - TA'M E GUILASS (LE GOÛT DE LA CERISE) - Long métrage

    Membre du Jury

    • 2005 - Caméra d’Or - Président
    • 2002 - Courts métrages Cinéfondation - Membre
    • 1993 - Sélection officielle - Membre

    Critique de "Copie conforme" de Abbas Kiarostami

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    La sélection de ce film a suscité quelques remous avant même son annonce officielle en raison de la présence de Juliette Binoche au casting également sur l'affiche officielle du 63ème Festival de Cannes parce que ce serait susceptible sans doute d'influer sur le vote du jury. Vaine polémique (mais Cannes aime, aussi, les polémiques surtout quand elles sont vaines) à laquelle son jeu magistral est une cinglante réponse.

     

    « Copie conforme » est le premier film du cinéaste iranien tourné hors de ses frontières, un film qu'il a écrit pour Juliette Binoche.

     

    Face à James (William Shimell), un écrivain quinquagénaire anglo-saxon qui donne en Italie, à l'occasion de la sortie de son dernier livre, une conférence ayant pour thème les relations étroites entre l'original et la copie dans l'art elle est une jeune femme d'origine française, galeriste qu'il rencontre. Ils partent ensemble pour quelques heures à San Gimignano, petit village près de Florence. Comment distinguer l'original de la copie, la réalité de la fiction ? Ils nous donnent ainsi d'abord l'impression de se rencontrer puis d'être en couple depuis 15 ans.

     

    Selon James, lors de sa conférence, une bonne copie peut valoir un original et tout le film semble en être une illustration. James et la jeune femme semblent jouer à « copier » un couple même si la réponse ne nous est jamais donnée clairement. Peut-être est-elle folle ? Peut-être entre-t-elle dans son jeu ? Peut-être se connaissent-ils réellement depuis 15 ans ? Ce doute constitue un plaisir constant pour le spectateur qui devient alors une sorte d'enquêteur cherchant dans une phrase, une expression une explication. Il n'y en aura pas réellement et c'est finalement tant mieux.

     

    Ainsi Kiarostami responsabilise le spectateur. A lui de construire son propre film. Les personnages regardent souvent face caméra en guise de miroir, comme s'ils se miraient dans les yeux du spectateur pour connaître leur réelle identité. « Copie conforme » est donc un film de questionnements plus que de réponses et c'est justement ce qui le rend si ludique, unique, jubilatoire. Le jeu si riche et habité de Juliette Binoche, lumineuse et sensuelle, peut ainsi se prêter à plusieurs interprétations.

     

    Un film qui nous déroute, un film de contrastes et contradictions, un film complexe derrière une apparente simplicité. A l'image de l'art évoqué dans le film dont l'interprétation dépend du regard de chacun, le film est l'illustration pratique de la théorie énoncée par le personnage de James. De magnifiques et longs plans-séquences, des dialogues brillants, une mise en scène d'une redoutable précision achèvent de faire de ce film en apparence si simple une riche réflexion sur l'art et sur l'amour.

     

    William Shimell (chanteur d'opéra dont c'est le premier rôle) et Juliette Binoche excellent et sont aussi pour beaucoup dans cette réussite. Un film sur la réflexivité de l'art qui donne à réfléchir. Un dernier plan délicieusement énigmatique et polysémique qui signe le début ou le renouveau ou la fin d'une histoire plurielle. Un très grand film à voir absolument. Un vrai coup de cœur.

     

    « Copie conforme » est le 9ème film présenté à Cannes par Kiarostami qui a par ailleurs été membre du jury longs métrages en 1993, du jury de la Cinéfondation en 2002 et Président du jury de la Caméra d'Or en 2005. Enfin, il a remporté la Palme d'Or en 1997 pour "Le goût de la cerise."

     

    Juliette Binoche raconte ainsi sa rencontre avec Kiatostami: "Je suis partie en Iran rencontrer Abbas (je l'avais croisé à Cannes, à l'Unesco, chez Jean-Claude Carrière). Il m'a dit "Viens à Téhéran !". Je l'ai cru, j'y suis allée, deux fois. Un soir il m'a raconté l'histoire que nous avons tourné ensemble cet été, il m'a raconté chaque détail, le soutien-gorge, le restaurant, l'hôtel, bref, il m'a dit que c'était une histoire qui lui était arrivée. A la fin, après avoir parlé pendant 45 minutes dans un anglais impeccable, il m'a demandé : "Tu me crois ?". Je lui ai dit : "Oui". Il m'a dit : "Ce n'est pas vrai !". Je suis partie d'un éclat de rire qui lui a donné envie de faire ce film, je crois !", explique-t-elle.

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