Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Avant-première: "Still life" de Jia Zhang Ke ou à la recherche du temps perdu...

medium_Still.JPGDès l’admirable plan séquence du début,  ensorcelés et emportés déjà par une mélodieuse complainte, nous sommes immergés dans le cadre paradoxal du barrage des 3 Gorges situé dans une région montagneuse du cœur de la Chine :  cadre fascinant et apocalyptique, sublime et chaotique. En 1996, les autorités chinoises ont en effet entrepris la construction du plus grand barrage hydroélectrique du monde. De nombreux villages ont été sacrifiés pour rendre possible ce projet.

Là, dans la ville de Fengjie nous suivons le nonchalant, morne et taciturne  San Ming courbé par le poids du passé  et des années, parti à la recherche du temps perdu. Il voyage en effet à bord du ferry The World (du nom du précèdent film du réalisateur, référence loin d’être anodine, témoignage d’une filiation évidente entre les deux films)  pour retrouver son ex-femme et sa fille qu’il n’a pas vues depuis 16 ans.

Pendant ce temps Shen Hong, dans la même ville cherche son mari  qu’elle n’a pas vu depuis deux ans. Leurs déambulations mélancoliques se succèdent puis alternent et se croisent le temps d’un plan  dans un univers tantôt désespérant tantôt d’une beauté indicible mis en valeur par des panoramiques étourdissants.  

Tandis que les ouvriers oeuvrent à la déconstruction, de part et d’autre de la rivière, ces  deux personnages essaient de reconstruire leur passé, d’accomplir leur quête identitaire au milieu des déplacements de population et des destructions de villages. Engloutis comme le passé de ses habitants.

Ce film présenté en dernière minute dans la catégorie film surprise de la 63ème Mostra de Venise a obtenu le lion d’or et a ainsi succédé à Brokeback  Mountain.

                           -------------------------------------------------------------------------

The World  était le premier film du réalisateur à être autorisé par le gouvernement chinois. Jusqu’ici ils étaient diffusés illégalement sur le territoire, dans des cafés ou des universités. Dans  The World Jia Zhang Ke traitait déjà du spectacle triomphant de la mondialisation et de l’urbanisation accélérée que subit la Chine.

A l’étranger, ses films étaient même présentés dans des festivals comme Cannes en 2002 avec Plaisirs inconnus. Son parcours témoigne avant tout de son indépendance et de sa liberté artistique.

Ancien élève de l’école des Beaux-Arts de sa province, il étudie le cinéma à l’Académie du film de Pékin, avant de fonder sa structure de production le Youth Experimental Film Group. Son œuvre entend révéler la réalité de la Chine contemporaine.

En 2006, Jia Zhang-Ke réalise Dong, un documentaire autour de la construction du barrage des Trois Gorges à travers les peintures de son ami, le peintre Liu Xiaodong, présenté dans la section Horizons lors de la 63e Mostra de Venise.

 

                                 --------------------------------------------------------------

                         

Entre brumes et pluies, d’emblée, le décor nous ensorcelle et nous envoûte. Qu’il présente la nature, morte ou resplendissante, ou la destruction Jia Zhang Ke met en scène des plans d’une beauté sidérante. Le décor est dévasté comme ceux qui l’habitent. La lenteur et la langueur reflètent la nostalgie des personnages et le temps d’une caresse de ventilateur, la grâce surgit de la torpeur dans cet univers âpre.

Jia Zhang Ke se fait peintre des corps, en réalisant une véritable esthétisation de ceux-ci mais aussi de la réalité et si son tableau est apocalyptique, il n’en est pas moins envoûtant. Le film est d’ailleurs inspiré de peintures, celles du peintre Liu Xiaodong qui a peint le barrage des 3 Gorges à plusieurs reprises dont Jia Zhang Ke avoue s’être inspiré.

Ces personnages sont « encore en vie » malgré la dureté de leurs existences et le poids des années, du silence, des non dits. C’est un cinéma à l’image de la vie, l’ennui est entrecoupé d’instants de beauté fulgurante et fugace.

 Still life, malgré son aspect et son inspiration documentaires n’en est pas moins un film éminemment cinématographique : par l’importance accordée au hors champ (comme ces marins qui mangent leur bol de nouilles tandis que San Ming leur parle, hors champ), par des plans séquences langoureux et impressionnants, et puis  par des références cinématographiques notamment au néoréalisme et  à Rossellini et Rome, ville ouverte ou à John Woo avec cet enfant qui imite Chow Yun Fat ou encore celui qui regarde le Syndicat du crime de John Woo

C’est un film polysémique qui, comme dans The World, nous parle des rapports entre tradition et modernité comme  avec cet enfant qui chante des musiques sentimentales surannées ou ces portables qui jouent des musiques sentimentales ou ces comédiens en costumes traditionnelles qui s’amusent avec leurs portables.

Jia Zhang Ke ausculte subtilement les contradictions de son pays en pleine mutation. Le barrage des 3 Gorges, c’est la Chine en concentré, la Chine d’hier avec ces immeubles que l’on détruit, la Chine intemporelle avec ses décors majestueux, pluvieux et embrumés et la Chine de demain. La Chine écartelée entre son passé et son présent comme le sont les deux personnages principaux dans leur errance. Les ruines qui contrastent avec le barrage scintillant allumé par les promoteurs comme un gadget symbolisent cette Chine clinquante, en voie de libéralisme à défaut d’être réellement sur la voie de la liberté.

Jia Zhang Ke a ainsi voulu signer une œuvre ouvertement politique avec « le sentiment d’exil permanent des ouvriers, tous plus ou moins au chômage, tous plus ou moins sans domicile fixe », « les ouvriers détruisent ce qu’ils ont peut-être eux-mêmes construits ».

Un plan nous montre une collection d’horloges et de montres. Comme le cinéma. Dans une sorte de mise en abyme, il immortalise doublement le temps qui passe. C’est donc aussi un film sur le temps. Celui de la Chine d’hier et d’aujourd’hui. Celui de ces deux ou seize années écoulées. Ce n’est pas pour rien que Jia Zhang Ke a étudié les Beaux-Arts et la peinture classique. Il dit lui-même avoir choisi le cinéma « parce qu’il permet de saisir et de montrer le temps qui passe ». C’est l’idée bouddhiste qui  « si le destin est écrit, le chemin importe d’autant plus ».

Comme dans J’attends quelqu’un dont je vous parlais il y a quelques jours , ici aussi on prend le temps (ce n'est d'ailleurs pas leur seul point commun comme évoqué plus haut). De s’ennuyer. Un ennui nécessaire et salutaire. Pour se dire qu’on est « encore en vie » ou pour déceler la beauté derrière et malgré la destruction car Still life (=Encore en vie )  est un film de contrastes et paradoxes judicieux : à l’image de son titre, il sont  encore en vie malgré les années, malgré la destruction, malgré tout. Prendre le temps de voir aussi : l’histoire devant l’Histoire et l’Histoire derrière l’Histoire, les plans de Jia Zhang Ke mettant souvent l’intime au premier plan et le gigantisme (des constructions ou déconstructions) au second plan.

C’est aussi un hommage à la culture chinoise du double, des opposés yin et yang, entre féminin et masculin, intérieur et extérieur, construction-destruction et nature, formes sombres et claires, le tout séparé par la rivière, frontière emblématique de ce film intelligemment dichotomique.

C’est un film en équilibre et équilibré à l’image de son magnifique plan final du funambule suspendu entre deux immeubles. Parce que, ce qu’il faut souligner c’est que ce film plaira forcément à ceux qui ont aimé The World mais qu’il pourra aussi plaire à ceux qui ne l’ont pas aimé, notamment par son aspect surréaliste, ses plans imaginaires qui instillent de la légèreté et un décalage salutaire comme ce plan de l’immeuble qui s’écroule ou ces plans poétiques de ces couples qui dansent sur une passerelle aérienne contrebalançant la dureté des paroles échangées ou la douleur du silence, l’impossibilité de trouver les mots.

Enfin il faut souligner la non performance et le talent éclatant de ses acteurs principaux Han Sanming et Zhao Thao qui ont d’ailleurs joué dans presque tous les films de Jia Zhang Ke. C’est en effet leur quatrième collaboration commune.

Je vous invite donc à partir dans cette errance poétique à la recherche du temps perdu au rythme d'une complainte nostalgique et mélancolique…

Sandra.M

Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE(2004 à 2007) Pin it! 5 commentaires

Commentaires

  • J'avais vu "The world", j'avais adoré.

    Je l'attends celui-là.. en attendant je cueille un peu de muguet !

    Bon ce soir ya Tancrède sur Arte et là c'est décidé, je l'empêche de monter dans ce foutu train, sinon je vais encore pleurer et être traumatisée pendant trois semaines.

  • @ la traumatisée: C'est mieux que "The world" . Le surréalisme et la poésie en plus ici.

  • Fidèle spectateur du Cercle, je tenais à vous féliciter pour votre brillante prestation.
    Vous avez parlé avec beaucoup de conviction d'un film difficile. Et vous avez bien réagi aux réactions pour le moins mitigées de vos collègues -) qui n'ont quand même pas trop eu la dent dure avec vous !!

    Je suis un grand accro de cette émission que je regarde depuis Dakar où je vis ... et où j'accumule un grand retard sur l'actualité cinématographique et festivalière
    Je suis :
    - scotché par la culture cinéphile de Michèle Haas,
    - mort de rire chaque fois que Marie Sauvion ouvre la bouche,
    - d'accord avec 100 % de ce que dit Xavier Leherpeur,
    - énervé par le côté réac de Eric Neuhoff même si il a très souvent raison.

    Face à ces grands pros, vous avez excellé :
    - vous avez eu l'air spontanée alors même que votre critique était très préparée
    - vous ne vous êtes pas laissé désarçonner par les critiques de votre critique
    - ce que vous avez dit de Brown Bunny était parfait (je trouve comme XL qu'on a trop parlé de la dernière scène, de l'hyper-ego de Vincent Gallo et pas assez de la merveilleuse histoire d'amour que ce film retrace)
    - ... et votre petite robe noire était à craquer

    Revenez vite !!

  • Lu à propos de ce film, dans l'un de tes commentaires de l'article sur "Le Cercle" : "j'espère que quelques irréductibles iront quand même le voir." "Irréductibles" ? Tu veux dire, comme les Gaulois du petit village "qui résiste encore et toujours à l'envahisseur" ?
    O.K. Je relève le défi. J'ai donc bu une gorgée de potion magique, puis je suis allé voir "Still Life". Mieux, comme le cinéma organisait une rétrospective de films asiatiques sortis ces dernières années, parmi lesquels - heureux hasard -"The World", j'ai pris une seconde gorgée de potion et j'ai fait le doublé. Bilan de ce voyage en Orient ?
    Des monuments qu'on élève, des maisons qu'on détruit, des individus qu'on écrase; un gigantisme destructeur; des téléphones portables qui n'en finissent pas de sonner pour dire la solitude et la mélancolie des êtres; un monde factice où tout se monnaye et qui peut se réduire à la taille d'un billet de banque; des dettes qu'on ne finit jamais de rembourser; des travaux toujours plus durs et dangereux pour payer les dettes; des accidents du travail plus ou moins voulus, des suicides accidentels; des histoires d'amour passées qu'on ne parvient pas à oublier, des histoires d'amour présentes qu'on ne parvient pas à vivre...
    Bref, ce n'est pas gai , mais passionnant. Lequel des 2 films ai-je préféré ? Je ne sais pas. Je me suis un peu perdu dans le premier avec tous ces personnages, le deuxième est plus clair, mais j'ai bien aimé le premier aussi. En tous cas ton conseil était bon. Merci à toi.
    Cela dit, voir 2 Jia Zhang-Ke coup sur coup, c'est une perf, cela mérite bien une récompense. Alors Falbala, j'ai droit à une bise ?

  • @ cinéphile dakarois: Merci beaucoup pour vos commentaires réconfortants! J'avoue que je n'ai pas regardé l'émission donc j'y suis particulièrement sensible. J'avoue aussi que l'exercice m'a beaucoup amusée. J'ignorais que l'émission pouvait être suivie hors de nos frontières...mais je suis contente de l'apprendre. C'est vrai que je m'attendais à ce que mes "collègues" soient plus enthousiastes, ce film ayant été assez bien reçu par la critique en général. Je partage votre avis sur les chroniqueurs. N'hésitez pas à revenir sur ce blog et à laisser vos commentaires. Je suis ravie que des cinéphiles le découvrent grâce à l'émission et de surcroît depuis le Sénégal! Pouvez-vous voir des films français là-bas?

    @ Astérix (en Chinoisie): "The world" est intéressant mais je trouve que la poésie apporte quand même un plus à "Still life". Contente de voir qu'Astérix le Schtroumpf figure parmi les irréductibles et de lui avoir donné envie d'aller voir ce film. J'avoue que deux Jia Zhang Ke à la suite c'est un peu rude...cela mérite donc...les félicitations du jury (oui, je suis modestement un jury à moi toute seule). J'espère qu'il y a au moins un avertissement dans la salle" attention, risque de somnolence"... ce qui n'enlève rien à tout ce que j'ai dit précédemment sur le film... mais c'est vrai que c'est un rythme particulier pour les non initiés à cette langueur, pour ne pas dire lenteur.

Les commentaires sont fermés.