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  • Concours du meilleur blog sur le cinéma...dernier jour avant la fin des votes!!

    Depuis septembre, un autre blog complète « Mon festival du cinéma », il s’agit de « In the mood for cinéma » qui participe au concours du meilleur blog sur le cinéma, concours organisé par la BNP Paribas et qui s’achève le 30 novembre 2005. Il vous reste donc 1 journée pour voter  et laisser vos commentaires.

    "In the mood for cinéma" est pour l'instant 7ème sur plus de 570 sites participants. Après le 30 novembre, un jury de professionnels du cinéma départagera les candidats les mieux classés.

    En attendant, pour voter et laisser vos commentaires, rien de plus simple : rendez-vous sur « In the mood for cinéma », cliquez sur notez ce blog en haut de la page, et attribuez une note, cela ne vous prendra que 5 secondes… Vous serez bien entendu tenus informés des résultats du concours.

    Pour visualiser "In the mood for cinéma" et voter...ou non, cliquez ici.

    Sandra Mézière

    Lien permanent Imprimer Catégories : IN THE MOOD FOR NEWS (actualité cinématographique) Pin it! 0 commentaire
  • Cours publics d’interprétation de Jean-Laurent Cochet : quand le théâtre fait son cinéma (bis)

    Pour tous ceux que le théâtre fascine, titille, pour tous ceux dont il suscite la curiosité et/ou l’intérêt, pour tous ceux qui rêvent de fouler les planches (pas celles de Deauville pour une fois), pour tous ceux qui aimeraient se confronter au vertige jubilatoire de la scène sans jamais avoir osé, pour tous ceux qui rêvent de jongler avec les mots, pour tous ceux qui veulent se perfectionner dans cet art, probablement serez-vous ravis de savoir que Jean-Laurent Cochet qui a formé les plus grands comédiens (Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Isabelle Huppert, Richard Berry, Daniel Auteuil, Carole Bouquet…) redonne exceptionnellement une série de 10 cours publics. Ces cours ont lieu le lundi soir, pendant 2 heures, sur le plateau du théâtre de la Pépinière Opéra.

    En deux heures nous sommes immergés dans son travail et celui des comédiens. Quand un élève-comédien monte sur scène, la salle retient son souffle, silencieusement complice. Le maître Cochet scrute chaque froncement de sourcil, chaque inflexion de voix, chaque esquisse de geste. La salle observe et écoute religieusement.

     Quand l’élève a terminé, que ce soit Lucrèce Borgia, Louis 13, Les femmes savantes ou des textes contemporains, un autre spectacle commence. Jean-Laurent Cochet, tantôt admiratif, tantôt sceptique, tantôt réprobateur, mais toujours passionné, exalté même, livre, joue presque, ses commentaires, prétextes à de multiples anecdotes et citations dans lesquelles se côtoient Marie Belle, Gérard Philippe, Sarah Bernhardt et tant d’autres, nous emmenant avec lui dans l’histoire du théâtre et parfois nous relatant les débuts de ses prestigieux élèves.

     Pour ceux qui ont déjà pris des cours de théâtre ou ceux qui n’en ont jamais pris et en rêvent ou non, ils y (re)découvriront la rigueur de cet art et la passion qui anime nécessairement ceux qui l’exercent.

    Un spectacle aussi singulier que passionnant qui nous fait entrer dans ses coulisses et dont nous n’avons guère envie de ressortir au terme de ces deux heures, au minimum(!) Jean-Laurent Cochet étant aussi peu avare de ses commentaires que de son temps.  Pour notre plus grand plaisir de spectateurs.

    Un spectacle forcément unique puisque les élèves qui passent et les scènes jouées sont chaque semaine différents, et  un spectacle improvisé puisque Jean-Laurent Cochet ne sait pas à l’avance quels élèves joueront. Des « cours/spectacles » que je vous recommande vivement.

    Théâtre de la Pépinière Opéra-7 rue Louis Le Grand 75002 Paris-Métro Opéra-Du 3 octobre au 5 décembre 2005-Tous les lundis de 18H à 20H. Tarif unique : 10 euros. Réservation tous les jours de 11H à 18H au 0142614416

    Sandra Mézière

    Ci-dessus, l'affiche de "36 quai des Orfèvres" sur laquelle figurent Daniel Auteuil et Gérard Depardieu, deux anciens éminents élèves de Jean-Laurent Cochet.

    Attention:Les cours publics de Jean-Laurent Cochet sont prolongés jusqu'au 20 Mars 2006. Vous trouverez tous les renseignemets nécessaires sur le site officiel.

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  • « Backstage » d'Emmanuelle Bercot : la radiographie d’une vertigineuse dépendance

    Bien souvent, pour moi, un souvenir cinématographique est associé à un souvenir de (ma) réalité lors de mes multiples pérégrinations festivalières, d’autant plus avec Emmanuelle Bercot puisque son film Clément avait reçu le prix de la jeunesse 2001, l’année où j’allais pour la première fois au festival de Cannes sélectionnée parmi les 40 à Cannes de ce même prix de la jeunesse organisé par le Ministère de la jeunesse et des sports. Alors évidemment, je risque d’être soupçonnée de partialité en disant que ce film m’avait littéralement bouleversée, qu’il m’avait énormément marquée, notamment pour le traitement de cette histoire poignante ô combien délicate de l’amour d’un adolescent pour une femme d’âge plus mur. Une histoire intense dont chaque plan témoignait, transpirait de ferveur amoureuse. Une histoire de passion irrationnelle déjà. Je ne pouvais qu’être impatiente de découvrir Backstage, une autre histoire de passion irrationnelle, celle d’une jeune fan Lucie (Isild Le Besco) pour la chanteuse Lauren (Emmanuelle Seigner), deux univers si différents pourtant qui se rencontrent, se confrontent, lors d’une émission télévisée, où la seconde rend une visite surprise à la première. Rencontre suffocante. Emmanuelle Bercot la filme au plus près des corps, du visage tétanisé de Lucie, de la réaction glaciale de Lauren. Tout est dit déjà : Lucie qui recule saisie d’une terrifiante fascination devant cette apparition blanche, faussement virginale, Lauren qui l’enserre dans ses bras, à la fois gênée et jouant de la fascination qu’elle exerce, et puis ces caméras éblouissantes, impudiques, inévitables, miroir déformant et amplifiant. Emmanuelle Bercot assimile ici ce fanatisme fantasmagorique à une drogue, un besoin irrationnel, irraisonné, un besoin viscéral, physique même. La dépendance est d’ailleurs multiple puisque Lauren était elle-même dépendante de son ancien compagnon (interprété par l’auteur Samuel Benchetrit dont c’est ici le premier rôle au cinéma), et la fascination qu’elle exerce sur sa jeune fan n’est pas dénuée de perversité vengeresse dont elle se retrouvera bientôt victime. Encore une fois Emmanuelle Bercot montre à quel point elle sait filmer les moindres frémissements de la passion aussi irrationnelle soit-elle, en revanche l’univers musical n’échappe pas à la caricature, peut-être à dessein pour davantage analyser la relation entre la fan (aveuglée par son admiration) et l’idole (insupportable et –car- égarée par cette séparation avec son compagnon qui la vide de sa force créatrice). Dans le rôle de la fan, Isild Le Besco est encore une fois excellente dans cet aveuglement fanatique, ce vertige qui fait basculer son existence et sa raison. Dommage que la fin laisse un goût d’inachevé, probablement à l’image de la folie idolâtre de la jeune fan que rien ne pourra entraver et qui jamais ne s’achèvera non plus.A noter la présence de l’actrice/réalisatrice Noémie Lovsky, encore une fois impeccable cette fois dans un rôle d’assistante de la star intraitable.

    Sandra Mézière



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  • Le petit Lieutenant (de Xavier Beauvois)…est trop allé au cinéma

    A l’image de ce petit lieutenant (Jalil Lespert) lorsqu’il entre à la 2ème division de police judiciaire et dont Xavier Beauvois trace le portrait, c’est avec enthousiasme que je suis entrée dans la salle de cinéma. C’est donc avec la même stupeur que lui que je me suis retrouvée plongée dans cet univers âpre, filmé sans démagogie ni complaisance. Le contraste n’en était que plus saisissant. Quelques minutes à peine après le début du film, après la parade en uniforme, impeccable, rectiligne, mécanique, institutionnelle, la réalité reprend ses droits, imparfaite, chaotique car humaine et donc faillible, aussi.

    Les failles sont d’abord celles de Caroline Vaudieu, (Nathalie Baye) qui revient dans ce service qu’elle avait abandonnée trois ans auparavant, pour cause d’alcoolisme. Peu à peu des liens vont se tisser entre cette femme qui a perdu son enfant et ce jeune homme à l’enthousiasme juvénile. Xavier Beauvois aime et connaît le cinéma et cela se voit, se montre même, un peu trop. A dessein nous l’avons compris. Son petit lieutenant et ses collègues sont en effet imprégnés par le cinéma comme nous le (dé)montrent les affiches qui décorent les murs du commissariat , une affiche différente à chaque fois ou presque : le convoyeur, Seven, Il était une fois en Amérique, les 400 coups, Podium. A croire que les policiers de la PJ ont raté leur vocation d’exploitants. Derrière le petit lieutenant, on reconnaît même une photo du Clan des Siciliens. Tout cela pour insister sur ce que le Petit Lieutenant dira lui-même, c’est à cause des films qu’il a voulu faire ce métier, pour conduire avec un gyrophare et se sentir invulnérable aussi apparemment. Seulement voilà, la réalité, c’est tout sauf du cinéma aseptisé et manichéen, c’est tout sauf cet idéal magnifié par le prisme d’un grand écran qui mythifie ceux qu’ils immortalisent. La réalité (la mortalité même) ne se divise pas en deux, non, elle se dissèque comme ce corps entre les mains du médecin légiste dont un son déchirant nous fait comprendre le terrible labeur, et nous poursuivra longtemps. Le bruit déchirant de la confrontation à la réalité.

    Réalité, réalisme : leitmotiv de ce film qui semble même emprunter à Depardon l’effroyable réalité de Faits divers. Beauvois fait même tourné un vrai SDF et s’est longuement documenté avant de réaliser son film, ce qui contribue à lui donner cet aspect documentaire. Ici les (anti) héros meurent, pleurent, faillissent. Depardon beaucoup plus que 36, quai des Orfèvres donc, dont ce film est presque le contraire, dans son recours à la musique notamment, celle-ci étant aussi omniprésente, voire omnisciente dans l’un, qu’elle est absente dans l’autre. L’alcool aussi, est aussi omniscient que l’était la musique dans le film précédemment évoquée. Peut-être trop. Pour nous faire comprendre les fêlures, les failles, encore, la réalité avec laquelle il faut composer.

    Malgré cet aspect didactique quelque peu agaçant, Le petit Lieutenant n’en reste pas moins un constat, une radiographie d’une implacable lucidité dans laquelle Nathalie Baye excelle, son regard ou l’inflexion de sa voix laissant entrevoir en une fraction de seconde les brisures de son existence derrière cette force de façade. D’ailleurs, encore une fois, c’est surtout à ces fêlures que s’est intéressé Beauvois , bien loin des films policiers initiateurs de la vocation du petit Lieutenant. Ce petit Lieutenant c’est Jalil Laspert qui n’a pas fini de nous démontrer l’infinitude des nuances de ses ressources humaines depuis le film éponyme. Bref, un film d’une poignante âpreté, parfois un peu trop didactique, un didactisme que la composition incroyable de ses interprètes principaux (N.Baye, J.Lespert mais également R.Zem) nous fait finalement occulter.

    Sandra Mézière

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  • Amadeus: quand le théâtre fait son cinéma

    Amadeus De Peter Shaffer
    - Adaptation : Pol Quentin - Mise en scène : Stéphane Hillel
    Avec Jean Piat, Lorànt Deutsch, Marie-Julie Baup, Urbain Cancelier, Manuel Bonnet, Jacques Fontanel, Olivier Pajot, Julien Girbig, Benoît Guillon, Mlik Issolah, Sébastien Lalanne

    Dans la Vienne de François-Joseph II, le compositeur Salieri (Jean Piat) jouit de la faveur de l'Empereur. Il est en effet compositeur de la Cour et de quelques années l’aîné de Mozart (Lorant Deutsch), cet enfant prodige qui parcourt l’Europe, l’Europe qui bruisse des rumeurs de son génie. Quand l’enfant prodige, le Viennois de Salzbourg, arrive à Vienne, tout bascule pour l’italien Salieri. Oui, tout bascule et surtout sa raison et sa loyauté dévoyées par son irrépressible jalousie. Compositeur reconnu, il envie violemment le jeune homme dont le génie concentre bientôt toute l’attention de la ville.
    De prime abord sceptique devant cet homme si enfantin, grossier et frivole, rapidement l’évidence s’impose à lui. Le génie de Mozart est flagrant et indéniable. Sidérant. Salieri brûle d’une jalousie si dévorante qu’il conduit à sa perte celui dont mieux que quiconque il connaît l’incomparable talent. A travers lui (Amadeus) c’est Dieu qu’il provoque pour lui avoir infligé le spectacle de ce génie qui lui renvoie l’image insupportable de sa propre médiocrité.
    Cette pièce est une adaptation de la pièce de Peter Schaffer dont a été tiré le film de Milos Forman. Il faudrait oublier le film. Difficile, pourtant tant la mise en scène est cinématographique, construite en forme de flash-backs illustrés par des tableaux, de transparences fantomatiques allégoriques de cet homme au crépuscule de son existence qui livre sa terrible confession. Ce sont aussi des gros plans sur la main du génie éclairé, des contre-plongées sur lui, de dos, dans un mimétisme confondant et saisissant. Ce sont aussi des arrêts sur image, images presque picturales, avec la voix off de Salieri.
    Amadeus cultive judicieusement les contrastes. Entre théâtre et cinéma, donc. Entre ombre et lumière par conséquent et aussi, dans les deux sens du terme. Dualisme que Mozart a tellement, de sa musique, immortalisé. C’est aussi une comédie tragique, une farce dramatique dont nous sommes les témoins impuissants, constamment interpellés par une mise en scène dont nous sommes partie intégrante, tableaux entre classicisme et baroque, adaptations visuelles du bouillonnement artistique du Siècle des Lumières. Témoins de cet impitoyable duel, celui de la médiocrité contre le génie, du succès contre le talent, de la fourberie contre la sincérité.
    Alors que le succès de Salieri atteint son paroxysme Mozart meurt dans le dénuement, laissant pourtant derrière lui une œuvre sublime et immortelle, alors que Salieri meurt à jamais avec la terrible conscience de sa médiocrité que le talent de Mozart a fait surgir comme un châtiment divin. Le talent de Mozart relève du miracle, pour Salieri il est l’instrument de Dieu, ce Dieu qu’il va défier de son ignominieux dessein.
    Jean Piat interprète ce personnage quasi shakespearien avec un panache et une énergie remarquables, nous livrant des monologues qui nous projettent (dans) les tréfonds de son âme éventrée. Cette fois, c’est nous qui construisons notre propre film. Les images sont inutiles. Les paroles ainsi animées par cet homme rempli de haine désespérée les appellent et les font surgir de notre imagination. Jean Piat est un monstre sacré du théâtre, c’est une évidence que de le souligner. Un autre duel se joue pourtant sous nos yeux, celui qui l’oppose à Lorant Deutsch. Un duel dont ils sortent tous deux vainqueurs. On aurait pu craindre que son accent de titi parisien ne fasse de cet Amadeus une caricature, pourtant dès les premières minutes nous ne voyons plus que le génie facétieux au rire tonitruant et si singulier qui de l’exubérance à la folie, de la comédie à la tragédie donne vie à cet Amadeus. Sans la moindre fausse note. Le ton est juste. Le rythme est précis. Le débit est d’une impressionnante maîtrise. Un crescendo qui nous fait retenir notre souffle, jusqu’au silence, jusqu’à la musique, à nouveau, à jamais, celle qui le dépasse et dépasse sa mort. Il s’empare de la scène comme la mise en scène s’empare de la salle. Il donne corps, cynisme, enfantillages, voix, folie, mort à cet Amadeus captivant. Il lui donne vie tout simplement.
    Cette pièce se déroule au 18ème siècle, et même si Mozart est mort à 35 ans dans le dénuement laissant un Requiem inachevé, même si Salieri a également existé, elle ne relate nullement la vérité historique. Elle n’en demeure pas moins intemporelle. Elle pourrait se dérouler de nos jours où le succès est si souvent le masque éblouissant et fascinant de la médiocrité. Là est peut-être l’immortalité de Salieri, celle de sa médiocrité.
    Dernier "plan" : Salieri, seul, face à nous, face à sa conscience tourmentée, face à sa cruelle lucidité. Rideau. La lumière se rallume. Etais-je au cinéma ou au théâtre ? Je ne sais plus très bien. Ailleurs en tout cas. Les applaudissements fusent, amplement mérités, musique harmonieuse, tonitruante comme le rire de Mozart-Deutsch, d’une mélancolie exaltante comme une « flûte enchantée ». On aimerait qu’ils continuent à nous bercer, nous laisser ailleurs encore un peu, comme la musique et les mots que nous venons d’entendre.
    Les comédiens ont l’air exténué. Par ces 2 H 45 en scène, forcément un peu. Par des rangs trop clairsemés, aussi peut-être (mais après tout c’est présage d’immortalité, nous le savons désormais). Par ces spectateurs qui, alors que les comédiens saluent sur scène, prennent déjà la direction de la sortie, songeant peut-être déjà au vestiaire, à la voiture à récupérer, au métro à prendre, à la réalité qu’ils n’ont jamais quittée, à la médiocrité qui ne connaît jamais de répit. Peut-être aussi...

    La pièce est jouée jusqu’à fin novembre pour 60 représentations exceptionnelles.
    A 20H30 du mardi au samedi, à 15H30 le dimanche, au théâtre de Paris, 15 rue Blanche -9ème- Renseignements : 01-48-74-25-37 ou 08-92-70-77-05
    8 nominations aux Molière 2005

    N'oubliez pas que, pendant 15 jours encore, vous pouvez voter quotidiennement pour mon autre blog "In the mood for cinéma" qui participe toujours au concours du meilleur blog sur le cinéma.

    Sandra Mézière

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  • Le classique de la semaine: "L'armée des ombres" de Jean-Pierre Melville

    L'armée des ombres de Jean-Pierre Melville inaugure aujourd'hui une nouvelle rubrique, celle que je consacrerai désormais aux classiques du septième art que je souhaite vous faire (re)découvrir. Il s'agira d'une analyse d'un classique sorti en DVD (en l'espèce DVD Studio Canal).

    Si vous ne souhaitez pas connaître la fin, je vous déconseille évidemment de lire l'article ci-dessous.

    Vous pouvez par ailleurs voter pour ce film qui figure dans mon sondage des plus grands films de l'Histoire du cinéma. (voir rubrique "sondages cinématographiques" ci-contre)

    Du même réalisateur je vous recommande également notamment Le Samouraï et Le cercle rouge.

     L'armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969) , d'après le roman de Joseph Kessel de l'Académie Française, avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Simone Signoret, Paul Crauchet, Claude Mann, Christian Barbier, Serge Reggiani/ Musique: Eric Demarsan/ Directeur de la photographie: Pierre Lhomme/ Décors: Théobald Meurisse.

    Synopsis d’un scénario ciselé

    Octobre 1942. " Ingénieur distingué des Ponts et Chaussées, soupçonné de pensée gaulliste, semblant jouir d’une certaine influence ", Philippe Gerbier (Lino VENTURA) est interné dans un camp français puis transféré au quartier général de la Gestapo de l’hôtel Majestic à Paris. Il s’en évade en tuant une sentinelle et en sacrifiant l’autre homme arrêté. A Marseille, il est chargé avec Félix (Paul CRAUCHET) et Le Bison (Christian BARBIER) d’exécuter Doinot, qui les a trahis. Jean-François (Jean-Pierre CASSEL), un ancien ami de régiment de Félix, entre dans le réseau et réussit sa première mission : livrer un poste émetteur à Mathilde (Simone SIGNORET), membre du réseau de Paris. Il en profite pour rendre visite à son frère, Luc Jardie, grand bourgeois rêveur dont il ignore qu’il est le chef de son réseau de résistance. Gerbier, qui se cache à Lyon sous le nom de Roussel, organise l’embarquement de huit personnes à bord d’un sous-marin pour l’Angleterre ; parmi eux, Luc Jardie (Paul MEURISSE). Pendant ce temps, Félix, arrêté par la Gestapo lyonnaise, est torturé. Mathilde, grâce à un astucieux stratagème, réussit à s’introduire, avec Le Bison et Le Masque (Claude MANN), dans le Q.G. de la Gestapo. Hélas, il est trop tard : Félix est mourant. Jean-François, qui s’était fait arrêter volontairement pour prévenir Félix, est lui aussi torturé. Son sacrifice est inutile : Félix est déclaré intransportable. Jean-François se suicidera sans que personne ne sache ce qu’il est réellement devenu. Gerbier, arrêté au cours d’une rafle, est condamné à mort. Mathilde réussira à le sauver in extremis. Alors qu’il se fait se cachant dans une cabane, Jardie lui annonce l’arrestation de Mathilde ; elle avait commis la faute de garder sur elle la photo de sa fille qu’elle adorait, malgré les conseils de Gerbier qui lui avait demandé de la détruire ; aussi les Allemands en font-ils un moyen de pression. Prétendant reprendre des contacts, Mathilde est relâchée. Jardie démontre qu’il n’y a qu’une seule solution (la tuer)et va même jusqu’à prouver que c’est elle-même qui le demande. Dans une rue proche de l’Étoile, là où le film avait commencé, elle s’effondrera sous les balles du Bison. Ni Jardie, ni Gerbier, ni Le Bison, ni Le Masque ne verront la fin de la guerre...

    Par la minutie du scénario et la rigueur du découpage, L’armée des ombres est un film qui pourrait être considéré comme résolument classique, néanmoins la singularité de traitement de son thème principal et la singularité de traitement formel du temps notamment, nous amèneront à nuancer cette impression et à voir dans quelle mesure le film de Melville est loin d’être consensuel, à l’image des réactions contrastées, parfois même virulentes, qu’il suscita.

    Genèse d’ un film singulièrement instructif

    L’armée des ombres est le onzième film de Melville et le troisième film qu’il consacre à la période de l’Occupation, une période qu’il connaissait bien pour l’avoir vécue dans la Résistance, s’étant engagé à Londres aux côtés du Général De Gaulle . Le premier de ces films fut Le silence de la mer en 1949 adapté du roman de Vercors paru dans la clandestinité, et dans lequel le refus d’un vieil homme et de sa nièce d’adresser la parole à un officier allemand logeant dans leur maison incarnait déjà l’esprit de résistance. Le second fut Léon Morin, prêtre, en 1961, qui était le récit de la fascination d’une veuve pour un jeune prêtre et qui était également situé au cours de cette période trouble. Enfin, l’armée des ombres sortit en 1969. Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Kessel publié en 1943, date depuis laquelle Melville n’avait cessé de rêver de son adaptation. Les souvenirs personnels liés à son passé d’agent de liaison constituent l’autre source d’inspiration comme peut le souligner la phrase d’exergue du film empruntée à Courteline : « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus...vous êtes une jeunesse lointaine. » Il est d’autant plus significatif que ce film soit signé Jean-Pierre Melville que ce nom est celui qu’il avait choisi pour entrer dans la Résistance alors qu’il s’appelait encore Jean-Pierre Grumbach. Melville est ainsi son patronyme de clandestin emprunté à l’auteur de Moby Dick qu’il admirait. Il passa ainsi en Grande-Bretagne en 1942 et participa au débarquement en France et en Italie. Il dira ainsi « dans ce film j’ai montré pour la première fois des choses que j’ai vues, que j’ai vécues. Toutefois ma vérité est, bien entendu, subjective et ne correspond certainement pas à la vérité réelle. D’un récit sublime, merveilleux documentaire sur la Résistance (L’armée des ombres de Joseph Kessel) j’ai fait une rêverie rétrospective ; un pèlerinage nostalgique à une époque qui a marqué profondément ma génération. » Il dira encore : « je l’ai porté en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C’est un morceau de ma mémoire, de ma chair. »

    Une image inédite de la Résistance : une Résistance démythifiée

    Même si, de son propre aveu, Melville n’a pas cherché à effectuer une reconstitution réaliste mais plutôt « une rêverie rétrospective, un pèlerinage nostalgique à une époque qui a pourtant marqué ma génération » , ces ombres rappellent fortement celles de personnages ayant réellement existé. Melville s’est en effet inspiré de parcours de résistants. Luc Jardie rappelle ainsi Jean Moulin, aussi bien dans son apparence vestimentaire que dans quelques détails sur sa vie qui parsèment le film. La vie de Lucie Aubrac a également inspiré le récit. Les personnages de L’armée des ombres sont à l’opposé des héros romantiques que symbolisent en général les Résistants. Ils sont d’abord guidés par l’intérêt collectif même si parfois il leur arrive de succomber à des intérêts individuels remettant en cause leurs objectifs, notamment Mathilde dont la fille est menacée même si le doute plane jusqu’à la fin du film quant aux éventuelles dénonciations auxquelles elle se serait adonnées. L’armée des ombres est ainsi autant un film sur la Résistance que sur les contradictions humaines, plus exactement les contradictions entre les intérêts individuels et l’intérêt collectif, contradictions exacerbées dans ces conditions extrêmes. Alors que les films d’après guerre étaient unanimes pour faire l’éloge inconditionnel de la Résistance et par conséquent unanimement manichéens, Melville se refuse à toute complaisance et se refuse à l’héroïsation de ces résistants qu’il ne présente pas comme des hommes exceptionnels mais comme des hommes ordinaires plongés dans l’exceptionnel. Loin d’assimiler chaque acte de ses personnages à des exploits il en scrute la banalité tragique et parfois même l’inéluctable lâcheté ou les petitesses qu’elle engendre. La séquence au Majestic en fournit un exemple flagrant. Pour se sauver d’une mort certaine Gerbier sacrifie un autre détenu, probablement un résistant comme lui, en lui demandant de courir pour détourner l’attention. Ce geste est précédé d’une suite de regards entre les deux hommes dans un silence pesant en cet instant décisif. Le vol du temps est suspendu, l’instant n’en paraît que plus crucial, la peur des personnages n’en est que plus prégnante. L’horloge est ainsi ostensiblement montrée deux fois, un de leurs « geôliers » baille à plusieurs reprises. Les deux prisonniers sont filmés en champ, contre-champ, l’autre résistant a le visage dans l’ombre préfigurant sa mort si bien qu’il est à peine perceptible tandis que celui de Gerbier est clairement visible. La caméra les scrute, les contourne, les domine. Melville ne glorifie donc pas la Résistance mais en offre une radiographie minutieuse, contrairement à des films comme Paris brûle-t-il ou La bataille du rail dans lesquels les résistants sont irréprochables et passent leur temps à accomplir des exploits. La lecture du dossier de Gerbier arrêté semble être une sorte de prologue puisque, dans le dossier en question, son attitude est qualifiée de « distante », distance avec laquelle Melville nous enjoigne de regarder ces évènements historiques, paradoxalement voir le général, le global, en nous montrant des actions précises. Il ne la décrit pas avec emphase et avec une admiration aveuglée mais il recrée avec un certain réalisme le travail dans l’ombre, des résistants. Plutôt que de situer son film par rapport à des faits historiques, il le centre sur les personnages, leur dévouement, leurs trahisons, leurs peurs, leurs erreurs. Il nous décrit des hommes et des femmes plongés dans des situations hors du commun, mais pas des mythes déshumanisés. Si Melville évite l’écueil du manichéisme et de la glorification, il évite aussi celui du mélodrame, raison pour laquelle les deux frères Jardie pourtant tous deux résistants ignorent tout de leurs activités respectives, ce qui nous épargne une éventuelle séquence larmoyante inadéquate dans cet univers de murmures et d’ombres silencieuses et évanescentes. Melville le dira ainsi lui-même « J’ai voulu éviter le mélodrame, ça vous manque ? ». Cette ignorance de leurs situations respectives est aussi le témoignage que dans cet univers toute fraternité est impossible. Ainsi lorsque Félix sent une main sur son épaule, il s’empresse d’empoigner son revolver, ne pouvant plus croire ou penser d’emblée à un geste de fraternité mais se croyant forcément l’objet d’une agression de l’ennemi. Les résistants sont donc ici loin d’être irréprochables et un parallèle est même parfois implicitement établi avec ceux qu’ils combattent. Ainsi, lorsque les résistants conduisent le jeune homme qui les a trahis au lieu de son exécution ce dernier croise le regard d’une jeune fille, regard exprimant de la pitié, celle-ci croyant certainement à une arrestation , façon d’assimiler leurs méthodes à celles de l’ennemi. L’assassinat du traître donne ensuite lieu à une séquence magistrale. Cette scène lourde de non dits et d’angoisses de part et d’autre se déroule dans une pièce qui rappelle la chambre ascétique et austère du Samouraï et donc qui insinue ainsi que leurs méthodes franchissent les frontières de la loi. Tout est fait pour que sa mort suscite notre compassion et notamment l’indécision interminable de ces défenseurs de la liberté (indécision quant au moyen à employer pour procéder au meurtre) qui doivent en l’espèce devenir des assassins. Il est jeune, ne tente pas de se débattre et ne tente pas de se sauver, et on ne nous renseigne pas sur la faute qu’il a commise et tout concourt dans la mise en scène à ce que nous croyions que Félix, qui vient l’arrêter, soit un policier. La compassion suscitée chez le spectateur atteint son paroxysme lorsque, alors que le « traître » n’avait pas prononcé une parole, sa mort s’ensuit de l’écoulement de larmes sur ses joues. On est alors plus que jamais plongés dans un univers de contradictions où il faut employer les méthodes de l’ennemi pour en combattre l’action. La Gestapo et les Résistants sont en effet obligés de recourir aux mêmes méthodes, à savoir des enlèvements et des exécutions sans jugements. La séquence au cours de laquelle Félix est arrêtée et torturée fait ainsi écho à celle où lui-même avait dû tuer le jeune traître. Loin d’être toutes utiles, héroïques et récompensées leurs actions sont ici parfois viles, silencieuses, et inutiles. Ainsi, Jean-François se sacrifie inutilement pour Félix qui sera lui-même torturé. Il y a bien un but à tous ces actes (la Libération de la France) mais il semble démesurément lointain alors que chaque petite action paraît être payée d’un prix exorbitant. Tout est devenu irrationnel et le titre du livre de Jardie que Gerbier feuillette dans sa cachette « Essai sur la logique et de la théorie de la science » semble venir cyniquement en contrepoint, parce-que tout est alors justement irrationnel, « illogique ». Gerbier lui-même, protagoniste de l’histoire, ne survit qu’au prix d’une humiliation qui ébranle la confiance en lui-même. Il courra sous les balles de l’ennemi alors qu’il s’était promis de rester impassible. Ses amis ont compté sur sa faiblesse en lui lançant une corde à l’endroit jusqu’auquel ils avaient prévu qu’il courrait. Même un résistant doit trahir son courage pour continuer de servir sa cause. Même Jardie à qui Gerbier voue une immense admiration sera présent dans la voiture qui les conduira jusqu’à Mathilde pour la tuer, ce qui fera dire à Gerbier « Vous dans cette voiture de tueurs, il n’y a donc plus rien de sacré dans ce monde. » A la fin aucun d’entre eux ne survivra… même si Gerbier sauvera sa conscience cette fois mort en ne courrant pas. On nous précise même les atroces souffrances de certains, ainsi Le Bison est « décapité à la hache ». Jardie, quant à lui, est mort en ne donnant qu’un nom « le sien ». L’héroïsme est alors celui de l’ombre et du silence. Melville nous montre donc la Résistance dans son effroyable banalité, dans sa terrifiante humanité, sans fards, sans artifices dramaturgiques ou mélodramatiques, sans grandiloquence élogieuse, par le truchement d’un film qui a une allure de tragédie. C’est le quotidien d’hommes et femmes qui risquent leur vie pour des exploits minuscules comme transporter un poste de radio, à l’image de Jean-François dont ce sera la première action de résistance et qui déjà risquera deux fois d’être arrêté. Melville démythifie la Résistance en nous montrant des hommes qui non seulement doivent abattre des traîtres mais qui doivent également constamment se battre avec eux-mêmes, leurs doutes, leurs peurs, leurs lâchetés. Il filme des êtres qui mènent un combat collectif mais qui sont irrémédiablement seuls. La musique entêtante et angoissante, et les couleurs d’un froid cinglant du film renforcent cette impression. Pas plus que la résistance n’y est dépeinte comme constamment héroïque et irréprochable, la France n’est dépeinte unanimement au service de sa Libération. Melville montre ainsi l’engagement de fait de l’administration française dans la répression contre les juifs (camp d’internement en zone Sud géré par l’administration et la gendarmerie française qui remettent Philippe Gerbier à la Gestapo ou encore en montrant l’action de la milice, notamment lors d’un contrôle d’un restaurant de Lyon qui amène à l’arrestation de Gerbier. Soulignons néanmoins que d’un autre côté Melville montre également la France qui venait en aide aux résistants : le coiffeur, le douanier complice, les fermiers qui hébergent les aviateurs alliés en attente de départ pour Londres, le châtelain qui utilise ses terres pour faire atterrir les alliés.

    La mise en scène d’un film noir : le Résistant, emblême paroxystique de la solitude du (anti)héros melvillien.

    C’est donc un univers sombre, cruel, sordide qui nous est dépeint et qui n’est pas sans rappeler l’univers de gangsters que Melville s’attache habituellement à filmer que ce soit dans le Doulos, le Samouraï ou Le deuxième souffle etc. On songe ainsi à la phrase d’exergue du Samouraï : « il n’y a pas pire solitude que celle du tigre ». Les hommes de la résistance sont là aussi plongés dans ce « cercle rouge », ce « cercle de la mort où les hommes ont la chance de tous se retrouver un jour ». Tant de similitudes avec ce cinéma policier qu’il affectionnait tant firent dirent à certains qu’il réalisait un « film de gangsters sous couverture historique » … à moins que ses « films de gangsters » n’aient été à l’inverse le moyen d’évoquer cette idée de clandestinité qu’il avait connu sous la Résistance. Dans ses précédents films, Melville se serait donc abrité derrière des intrigues policières comme il s’abritait derrière ses indéfectibles lunettes, pour éviter de raconter ce qui lui était le plus intime. L’armée des ombres se distingue certes par son sujet des films « de gangsters » de Melville mais dans son traitement, il se rapproche davantage du film noir que du film de guerre. On retrouve en effet les thèmes chers au cinéaste : la fidélité à la parole donnée, les codes qui régissent les individus vivant en communauté et les mêmes acteurs jouent dans ses deux « catégories » de films, encore faudrait-il y voir deux catégories distinctes et nous allons voir que les points communs foisonnent. Ainsi Paul Meurisse et Lino Ventura étaient déjà à l’affiche du Deuxième souffle et Serge Reggiani avait interprété un rôle dans le Doulos. Par ailleurs, les poursuites rappellent celles entre policiers et truands. Ainsi certaines scènes de L’armée des ombres, sorties de leur contexte pourraient très bien figurer dans un film policier notamment lorsque Félix est arrêté dans une rue tranquille puis encadré et entraîné brutalement par deux hommes surgis de nulle part vers une voiture qui démarre en trombe. La chambre où le traître est exécuté rappelle ainsi celle de Jeff Costello/Delon dans Le Samouraï. Leur allure vestimentaire rappelle également celle des gangsters, notamment le chapeau qu’arbore la plupart du temps les Résistants du film et qui renvoie au fameux chapeau de Jeff Costello dans Le Samouraï. Gangsters et Résistants sont obsédés par le secret et les uns et les autres ont bien souvent une double vie. Les personnages vivent ici aussi dans la clandestinité afin de pouvoir réaliser leur objectif qui est de libérer la France tout comme ils vivent en clandestinité quand ils sont dans l’illégalité. Enfin les protagonistes de ces deux types de films sont également soumis à la solitude, à l’angoisse, au danger. Les Résistants ne sont pas ici des jeunes aventuriers intrépides comme on l’a souvent vu au cinéma. Melville casse délibérément cette image. Il montre des combattants de l’ombre dans leur quotidien. Ils se cachent, fuient, attendent dans un silence quasi absolu. On les voit douter des leurs convictions et parfois poussés par la peur à trahir, trahison qui engendre une exécution par la suite. On retrouve également l’influence du cinéma américain de ce cinéaste qui était un grand admirateur de Wyler. Melville rend même explicitement hommage au cinéma américain en reprenant le son du Coup de l’escalier dans la scène de l’ambulance où Mathilde vient sauver Félix. Ce son saccadé, haché, semble faire écho aux battements de cœur des Résistants que nous imaginons derrière leur impassibilité de façade. Ils martèlent aussi le temps qui passe et l’étirement des secondes dont chacune d’entre elles peut être décisive ou fatale. Tout comme le montrera ensuite Louis Malle avec le controversé Lacombe Lucien, la frontière entre le traître et le héros, l’homme de loi et le hors la loi, est bien fragile, surtout à cette époque troublée au cours de laquelle Melville nous montre ainsi qu’elle devait parfois être franchie, ainsi le nécessitait le passage de la lumière à l’ombre pour ensuite revenir à une autre lumière, celle de la Libération.

    La forme au service du fond : des ombres et des silences au service d’une armée secrète

     Du film émane une lancinante mélancolie. L’esthétique est en effet ici au service de la suggestion plutôt que de la démonstration ostentatoire, le son au service du murmure qui sied au secret de l’action alors qu’une musique démonstrative aurait été au service de l’action tonitruante. Le temps semble s’étirer jusqu’au malaise autant pour le spectateur que pour les personnages comme dans la scène de l’assassinat du traître où le spectateur est en empathie avec lui de même qu’il est en empathie avec celui que Gerbier sacrifiera pour s’enfuir du Majestic. La musique de Eric Demarsan, parfois dissonante, renforce cette impression de noirceur, d’harmonie impossible.

    Une mise en scène épurée au service d’une atmosphère claustrophobique

    La claustrophobie psychique des personnages se reflète dans les lieux de l’action et est renforcée d’une part par le silence, le secret qui entoure cette action et d’autre part par les « couleurs », terme d’ailleurs inadéquat puisqu’elles sont ici proches du noir et blanc et de l’obscurité. Le film est en effet auréolé d’une lumière bleutée, grisonnante, froide, lumière de la nuit, des rues éteintes, de ces ombres condamnées à la clandestinité pour agir. Ainsi, lors de la scène du meurtre du traître, ils sont enfermés dans une petite pièce obscure, fermée par une porte aux vitraux colorés, comme si elle symbolisait cet extérieur vivant et lumineux qui leur est désormais inaccessible. Ils sont condamnés à l’ombre. Les personnages sont souvent pris au piège. Ainsi quand Gerbier ne doit pas se cacher, il est le plus souvent prisonnier. Les personnages sont constamment confrontés à leurs propres angoisses et peu nombreux sont les Français hors de leur « cercle rouge », de leur armée du moins, qui s’y immiscent pour leur venir en aide : la famille de fermiers, les châtelains ou d’autres qui , comme le barbier interprété par Serge Reggiani, préfèrent ignorer leur action même s’ils les aident ponctuellement. L’armée des ombres se démarque ainsi des films qui montrent une majorité de Français soutenant une Résistance invariablement héroïque. Par ailleurs le temps est constamment distendu renvoyant le spectateur à ses propres angoisses. Tavernier ira même jusqu’à dire qu’il stylise autant que Bresson dans Le condamné à mort s’est échappé. Dès le premier plan on éprouve cette sensation d’étirement du temps. La place est d’abord vide puis on entend les bruits de bottes hors champ puis on distingue les soldats allemands qui arrivent vers nous. C’est un plan fixe. Puis vient le générique mais le décor est alors gris et il pleut abondamment. L’atmosphère, sombre, pluvieuse, est déjà plantée. Le récit lui-même est claustrophobique, enfermé sur lui-même et semble sans issue. Ainsi, en effet, le film commence par une trahison et par le meurtre de celui qui a donné un résistant et il s’achève par l’exécution « nécessaire » de Mathilde par ses propres compagnons. Le film commence à l’arc de triomphe et s’achève à l’arc de triomphe. Par ailleurs les deux indices temporels sont ceux du début, le 20 octobre 1942 et de la fin, le 23 février 1943, un peu moins d’une année qui enferme le récit et les personnages dans leurs tragiques destins. Un sentiment oppressant se dégage du film et pas même les panneaux de la fin ne viendront le démentir puisqu’ils nous annoncent la mort de tous les protagonistes, le plus souvent torturés et exécutés. Ils nous renvoient ainsi au défilé militaire du début et ce qui s’est passé entre les deux semble n’y avoir rien changé, ce qui exacerbe encore l’horreur vaine des actes commis.

    L’implicite et le silence au service de la polysémie

    La grande force de ce film réside dans ses silences, ses non dits qui engendrent des scènes judicieusement polysémiques. Cet implicite concerne tout d’abord la violence. Alors que Claude Berri dans Lucie Aubrac n’avait pu s’empêcher de montrer la torture elle n’est ici que suggérée, notamment par le visage tuméfié de Félix ou encore de Jean-François lorsqu’ils sont arrêtés par la Gestapo. Le film est à l’image de la première scène qui nous désigne d’abord les Champs Elysées déserts. Du hors champ provient ensuite le son de pas cadencés, qui entrent progressivement dans le champ sous la forme d’une colonne de soldats allemands. Cette scène se répètera plusieurs fois d’une certaine manière : là où les personnages se taisent, les images et le son hors champ disent. Ainsi en est-il dans cette scène magnifique om Gerbier s’échappe du Majestic et se réfugie chez un barbier interprété par Serge Reggiani. Après un long travelling qui accompagne sa fuite, tandis que des bruits de hurlements et de cris fusent à l’extérieur, Gerbier se fait raser la barbe et aperçoit le portrait de Pétain. Les deux hommes ne s’adressent pas la parole mais la tension est à son comble. Son rasage terminé, Gerbier tend un billet au barbier qui lui répond qu’il va descendre à l’étage inférieur pour aller chercher de la monnaie. Gerbier lui dit que cela n’est pas la peine. Le barbier descend quand même et lui rapporte un manteau. Dans un film résolument manichéen il serait descendu pour téléphoner et le dénoncer. Ici, il lui a sauvé la vie. Tout aussi significatif est le silence entre Gerbier et Mathilde et de leurs mains qui se tiennent furtivement après que cette dernière l’ait aidé à s’évader et à échapper à une mort certaine. Même les gestes d’affection s’effectuent dans l’ombre et dans le silence. L’ambiguïté culmine à la fin du film. Arrêtée par la Gestapo, Mathilde ressort au bout de deux jours, saine et sauve. On ignore si elle a parlé. Ses amis de la Résistance seront contraints de l’abattre. Les apercevant elle ne fuit pas. Son regard exprime un questionnement, une terreur indicible, une supplique : le doute plane. Lors du tournage Melville lui-même aurait laissé toute liberté à Simone Signoret dans l’interprétation de la scène. Jardie après avoir dit « Nous allons tuer Mathilde parce-qu’elle nous en prie » avouera à Gerbier « ce n’est qu’une hypothèse. » Le meurtre de Mathilde évoque d’ailleurs le degré de cynisme que les circonstances leur ont fait atteindre. Seul Le Bison, alors le plus proche de la criminalité, est horrifié par cette décision déclarant « Je tuerai tous les types que vous voulez, mais pas elle ». Cette scène met ainsi en exergue la déshumanisation de ceux qui agissent pour défendre l’humanité et qui dont dû franchir pour y arriver les frontières qu’ils voulaient rétablir. La scène est d’autant plus significative que c’est Luc Jardie, surnommé par son frère « Saint-Luc », qui le persuade de la nécessité de son exécution.

    La réception du film : un film sujet à polémique

    La polémique résulte de deux aspects presque antinomiques : la fidélité de Melville au Général de Gaulle et la vision contrastée et humanisée, démythifiée, de la résistance, le deuxième aspect atténuant en effet le premier. Dans l’Express du 15 septembre 1969, Claude Veillot dira ainsi « Melville réveille ses ombres », ombres d’une époque pas si lointaine qui , aujourd’hui encore hantent le cinéma et même la télévision au regard des nombreux films consacrés à ce sujet, notamment à Jean Moulin. Tout d’abord le film remporta un vif succès auprès du public. Tourné en extérieur en France et aux studios de Boulogne, de janvier à mars 1969, il fut présenté pour la première fois à Paris le 12 septembre 1969. Sorti en septembre 1969, il totalisa ainsi 1401822 spectateurs, notamment 338535 à Paris. Les critiques, quant à eux, reprochèrent à Melville, son indéfectible fidélité au Général de Gaulle qui incarnait certes la Résistance française mais à l’époque davantage encore celui qui était au pouvoir lors des évènements de Mai 1968. Un film en rupture avec l’image de la Résistance dans le cinéma Français et avec les simplifications manichéennes d’après guerre. René Clément fut l’un des premiers à évoquer la Résistance avec La bataille du rail (1946) consacré à la lutte des cheminots contre l’occupant, le Père tranquille (1946) qui raconte la vie d’un quinquagénaire tranquille en réalité chef d’un réseau de la Résistance et Les Maudits( 1947). Avant lui Un ami viendra ce soir de Raymond Bernard en 1945 et Jéricho d’Henri Calef la même année avaient déjà montré les Français comme unanimement engagés contre la guerre. Les films qui succédèrent à ceux-ci empruntèrent la même optique d’idéalisation montrant une France unanimement engagée contre l’occupant, une image flatteuse et héroïque. Avec L’armée des ombres Melville apporte une note discordante sur la Résistance et plus largement sur l’attitude des Français pendant la guerre, un film qui s’éloigne des images et des simplifications unanimement manichéennes d’après-guerre, même si trois ans auparavant avec La ligne de démarcation Chabrol avait déjà ouvert la voie. Il trouve ensuite un écho avec Le chagrin et la pitié d’Ophuls en 1971. Le cinéma évolue et derrière le masque du Résistant irréprochable apparaissent bientôt luttes internes, délateurs et marché noir. Uranus de Claude Berri, en 1990, et son aspect grandguignolesque noircit encore le tableau ne faisant pas preuve de la même nuance que Melville. Louis Malle avec Lacombe Lucien raconte l’histoire d’un jeune paysan qui cherche à entrer dans la Résistance et qui, n’y parvenant pas, rejoint les miliciens qui traquent les militants. Ainsi en 1974 Michel Foucault dans un entretien accordé aux Cahiers du cinéma de juillet août 1974 disait à propos de Lacombe Lucien et Le chagrin et la pitié « Quand on voit ces films, on apprend ce dont on doit se souvenir. Ne croyez pas tout ce qu’on vous a raconté autrefois. Il n’y a pas de héros. » Il faudra attendre Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré en 1982 pour que la comédie ose s’emparer du sujet...même si on se souvient du grinçant La traversée de Paris de Claude Autant-Lara en 1943 qui évoquait le marché noir et la passivité collective. A la suite de Melville apparaît donc un cinéma à l’image de la réalité, moins dichotomique et idyllique que ce qu’on aimerait y voir.

    Le gaullisme : sujet dichotomique et délicat dans cette période d’après 68

     Comme le souligneront notamment les Cahiers du cinéma d’octobre 1969, pour beaucoup de critiques L’armée des ombres est alors l’image de « la résistance telle que vue et jouée par les gaullistes, et le premier et plus bel exemple cinématographique de l’Art gaulliste, fond et forme. » ou encore « une résistance digne, compassée, pisse-froid, de bon ton et bonne conduite où l’on finit par tuer mais « proprement » et la mort dans l’âme, un combat noble pour les nobles, une cause non seulement « sacrée » mais un Dieu (épisode de Londres où De Gaulle « apparaît aux compagnons) etc ». Même si le personnage de Luc Jardie renvoie implicitement à Jean Moulin le seul à être explicitement évoqué est en effet le général De Gaulle même si son nom n’est jamais cité. Le nom de De Gaulle évoque alors davantage celui qui a démissionné le 28 avril 1969 qu’un symbole de la Résistance. De Gaulle apparaît d’abord dans l’embrasure d’une porte, ce qui permet furtivement de le reconnaître puis on le voit en amorce et on devine une stature imposante en voyant le regard de Luc Jardie se dirigeant vers le hors champ, en hauteur, vers « le ciel » (pour filer la métaphore des Cahiers) de celui qui lui remet une médaille. Cette scène a d’ailleurs fait beaucoup rire le public à sa sortie. On peut d’ailleurs encore y voir une référence au cinéma américain qui avait pour habitude de mettre en scène des personnages historiques pour donner un poids historique à ses films. On assiste donc à une critique divisée entre ceux pour qui il s’agit d’un film « d’une simple dignité » comme Jean de Baroncelli le 16 septembre 1969 ou ceux pour qui, comme Marcel Martin dans Les lettres françaises, il s’agit d’un « échec complet ». Dans Le Figaro Louis Chauvet le qualifia de « description interminable du superflu au détriment de l’essentiel ». Peut-être est-ce d’ailleurs au contraire ce qui fait l’intérêt du film, nous montrer les détails au service du général, la banalité au service de l’héroïsme. En tout cas, il est indéniable comme le souligna Etienne Fuzelier dans L’Education que ce film « aurait été impossible tout de suite après la guerre ». Celui qui se définissait comme un « bourgeois artiste » a donc signé un film à son image : singulier, mystérieux, ombrageux qui comme tout grand film n’aura pas laissé ses contemporains indifférents.

    Pour reprendre l’expression employée par Renoir dans French Cancan, le film de Melville, en apportant un éclairage différent à l’Histoire a encore une fois montré « le rôle social des illusionnistes » …

    Vous pouvez par ailleurs toujours voter  quotidiennement pour mon autre blog "In the mood for cinéma" qui participe toujours au concours du meilleur blog sur le cinéma. Jusqu'au 30 novembre 2005.

    Sandra Mézière

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  • Rencontre-débat avec Alain Cavalier le mardi 29 novembre

    medium_camera_subjective.jpgChaque mois, les étudiants du Master 2 professionnel cinéma (scénario, réalisation, production) de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne organisent des rencontres-débats avec des personnalités du septième art, autour d'un même thème, à savoir "les films à petit budget: contraintes ou libertés de création".

     Le premier invité de ces rencontres sera Alain Cavalier, le mardi 29 novembre, de 19H à 21H. (voir renseignements pratiques sur l'affiche ci-dessus)

    D'autres invités sont d'ores et déjà annoncés  notamment Claude Miller et Pierre Chevalier  le 6 décembre mais également Claude Chabrol, Gaspard Noé, Edouard Baer... Plus d'informations prochainement.

    Par ailleurs, vous pouvez retrouver ma critique du Filmeur dans la rubrique "Critiques des films à l'affiche".

    Sandra Mézière

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