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la graine et le mulet

  • Palmarès de la 21ème édition des European Film Awards: "Gomorra" de Matteo Garrone, grand vainqueur

    EFA.jpgHie soir, à Copenhague, avait lieu la 21ème édition des European Film Awards. En voici le palmarès ci-dessous.

    « Gomorra » de Matteo Garrone (Grand Prix du Festival de Cannes 2008) en repart grand vainqueur avec 5 récompenses (un film que je n’ai malheureusement pas encore vu).

    Deux films français ont également été récompensés : « Il y a longtemps que je t’aime » par le biais du prix de la meilleure actrice attribué à Kristin Scott Thomas et « La Graine et le Mulet » d’Abdellatif Kechiche qui a reçu le prix FIPRESCI de la critique. (C'est Josée Dayan qui va être contente: voir ici).

    "Hunger" (du prix Fassbinder: voilà qui devrait amuser Thierry Frémaux, cliquez ici pour lire mon article à ce sujet) et "Valse avec Bachir", deux films dont je vous ai également longuement parlé cette année, ont été également récompensés.

     PALMARES

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    Ci-dessus Matteo Garrone (Crédits photo: Rune Evensen/ScanPix)

    European Film Award du meilleur film : « Gomorra » de Matteo Garrone

    European Film Award du meilleur réalisateur : Matteo Garrone pour « Gomorra »

    European Film Award du meilleur acteur : Toni Servillo pour « Gomorra » et « Il Divo »

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    Ci-dessus: Toni Servillo (Crédits photos: Rune Evensen/ScanPix)

    European Film Award de la meilleure actrice : Kristin Scott Thomas pour « Il y a longtemps que je t’aime »

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    European Film Award du meilleur scénario : Gianni di Gregorio, Massimo Gaudioso, Matteo Garrone, Maurizio Braucci, Roberto Saviano, Ugo Chiti pour « Gomorra »

    European Film Award de la meilleure photographie :  Marco Onorato pour « Gomorra »

    European Film Award de la meilleure musique : Max Richter pour « Valse avec Bachir »

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    Prix d’excellence : « Katyn » ( Magdalena Biedrzycka)

    Prix Fassbinder de la Découverte Européenne : Steve Mc Queen pour « Hunger »

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    Ci-dessus: Steve Mc Queen (Crédits photo: Rune Evensen/ScanPix)

    Prix Arte du meilleur documentaire : Helena Trestikova (« René »)

    Prix UIP du meilleur court métrage : Darren Thornton (« Frankie »)

    Prix FIPRESCI de la critique : « La Graine et le Mulet » d’Abdellatif Kechiche

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    ci-dessus: Abdellatif Kechiche (Crédits photo: Rune Evensen/ScanPix)

    Prix du Public- Meilleur film : « Harry Potter et l’ordre du Phenix » (David Yates)

    Prix screen international de la contribution européenne au cinéma mondial : Kristian Levring,  Lars Von Trier, Soren Kragh-Jacobsen, Thomas Vinterberg

    Prix de la European Film Academy pour l’ensemble d’une œuvre : Judi Dench

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    Ci-dessus: Judi Dench (Crédits photo: Rune Evensen/ScanPix)

    SELECTION

    Prix du Public - Meilleur film

    [Rec] (Paco Plaza, Jaume Balaguero)

    Arn - The Knight Templar (Peter Flinth)

    Ben X (Nic Balthazar)

    Bienvenue chez les Ch'tis (Dany Boon)

    Ensemble, c'est tout (Claude Berri)

    Harry Potter et l'Ordre du Phénix (David Yates)

    Keinohrhasen (Til Schweiger)

    La Vague (Dennis Gansel)

    L'Orphelinat (Juan Antonio Bayona)

    Mongol (Sergei Bodrov)

    REVIENS-MOI (Joe Wright)

    Saturno Contro (Ferzan Ozpetek)

    Meilleur film

    Be Happy (Mike Leigh)

    Entre les murs (Laurent Cantet)

    Gomorra (Matteo Garrone)

    Il Divo (Paolo Sorrentino)

    L'Orphelinat (Juan Antonio Bayona)

    Valse avec Bachir (Ari Folman)

    Meilleur réalisateur

    Laurent Cantet (Entre les murs)

    Matteo Garrone (Gomorra)

    Steve McQueen (II) (Hunger)

    Paolo Sorrentino (Il Divo)

    Andreas Dresen (Septième ciel)

    Ari Folman (Valse avec Bachir)

    Meilleur acteur

    Elmar Wepper (Cherry Blossoms)

    Thure Lindhardt, Mads Mikkelsen (Flame & Citron)

    Toni Servillo (Gomorra)

    Michael Fassbender (Hunger)

    Toni Servillo (Il Divo)

    Jürgen Vogel (La Vague)

    James McAvoy (REVIENS-MOI)

    Meilleure actrice

    Sally Hawkins (Be Happy)

    Kristin Scott Thomas (Il y a longtemps que je t'aime)

    Arta Dobroshi (Le Silence de Lorna)

    Hiam Abbass (Les Citronniers)

    Belen Rueda (L'Orphelinat)

    Ursula Werner (Septième ciel)

    Meilleur scénario

    Gomorra (Roberto Saviano, Maurizio Braucci, Ugo Chiti, Gianni Di Gregorio, Matteo Garrone, Massimo Gaudioso)

    Il Divo (Paolo Sorrentino)

    Les Citronniers (Suha Arraf, Eran Riklis)

    Valse avec Bachir (Ari Folman)

    Meilleure musique

    L'Orphelinat (Fernando Velázquez)

    Moscow, Belgium (Tuur Florizoone)

    REVIENS-MOI (Dario Marianelli)

    Valse avec Bachir (Max Richter)

    Meilleure photographie

    Gomorra (Marco Onorato)

    Il Divo (Luca Bigazzi)

    L'Orphelinat (Oscar Faura)

    Mongol (Rogier Stoffers, Sergei Trofimov)

    Prix d'Excellence

    Delta (Márton Ágh)

    Katyn (Magdalena Biedrzycka)

    La Nouvelle vie de Monsieur Horten (Petter Fladeby)

    Un conte de Noël (Laurence Briaud)

    Site officiel: http://www.europeanfilmacademy.org

  • Palmarès des César 2008 :l’hommage à la diversité culturelle

    8a5f72b996ab9a625e4e51897eb3e09c.jpgAprès un hommage à Michel Serrault (avec un extrait de « Garde à vue » de Claude Miller), à Jean-Claude Brialy (avec un extrait du film  « Les Innocents » de Téchiné), à Jean-Pierre Cassel (avec un extrait des « Jeux de l’amour » de Philippe de Broca), Jean Rochefort, président de cette édition 2008 esquissait quelques pas de danse suivis de son inimitable rire tonitruant, non sans évoquer, au passage, pudiquement et sans les nommer, les trois monstres sacrés précités disparus au cours de l’année passée, mais aussi Ingrid Betancourt, donnant le ton de cette cérémonie, à la fois légère et sérieuse, décalée et élégante, saupoudrée de l’humour caustique  et savoureux d’Antoine de Caunes, de sa dérision et de son auto-dérision ainsi que de celles du président de cérémonie,  qui n’ont malheureusement pas toujours réussi à dérider l’assistance.

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    Cette 33ème cérémonie a été une belle démonstration de la diversité générationnelle mais surtout culturelle française c0c565657842c5385fb8376a25b42a4c.jpgsur laquelle Jeanne Moreau a d’ailleurs insisté (remettant  ainsi comme un flambeau le César d’honneur  que son partenaire du « Temps qui reste » de François Ozon, Melvil Poupaud, lui a remis, à Céline Sciamma, réalisatrice de « Naissance des pieuvres » lui donnant pour mission de le transmettre l’année suivante à un autre réalisateur d’un premier film), récompensant ainsi autant le cinéma plutôt dit d’auteur  avec « La graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche qui a reçu 4 César dits majeurs-un film dont je vous ai longuement parlé, ici - et un cinéma plus "populaire" et académique avec « La Môme » d’Olivier Dahan (qui a reçu 5 César dont surtout des César dits techniques –meilleur son, meilleur costume, meilleur décor, meilleure photo- et, sans surprise, le César d’interprétation féminine pour Marion Cotillard).

    En recevant son César d’honneur des mains de Fanny Ardant, et après l’avoir remerciée avec son enthousiasme et son exubérance habituels, Roberto Benigni rappelait que les Français ont inventé le cinéma, la « parole lumineuse », et rappelait notre devoir de « faire le plus grand cinéma du monde ». Il a dédié son César à Bergman et Antonioni disparus cette année et a réclamé une minute de silence en leur honneur, le silence réclamé par le bavard Roberto Benigni étant d’autant plus précieux…

    Jeanne Moreau a donc souligné la nécessité de la diversité culturelle et son amour du cinéma, « doux et amer, à l’image de la vie », et qui « nous entraîne bien loin de nous », elle a aussi insisté sur la baisse des subventions aux festivals, des aides aux salles de cinéma, et sur leur nécessité.

     L’éclectisme étant un des maîtres mots de cette cérémonie, c’est Michel Houellebecq qui, après quelques propos difficilement audibles et acerbes  sur les adaptations de ses propres romans,  a remis le César de la meilleure adaptation à « Persépolis ».

    L’émotion en retenue et élégance, comme à la cérémonie de clôture du Festival de Cannes 2007, est venue d’Alain Delon, et de son hommage à Romy Schneider, comme à Cannes, aussi,  Alain Delon qui a également remis le César d’interprétation féminine à Marion Cotillard saluant son talent tout en lui disant  malicieusement « s’y connaître en actrices ».

    C’est donc de nouveau Abdellatif Kechiche qui a reçu le César du meilleur film et du meilleur réalisateur et du meilleur scénario original pour « La graine et le mulet », des César qu’il avait déjà obtenus pour « L’esquive » en 2005. Hafsia Herzi a également obtenu le très mérité César du meilleur espoir féminin pour le même film (un César que Sara Forestier avait également obtenu pour « L’Esquive »). Abdellatif Kechiche a souligné le « sentiment de légitimité » que lui procuraient ces César, pour « un cinéma qui se risque à sa propre liberté ». Il a également remercié Claude Berri (tradition des César…), producteur de « La graine et le mulet » selon qui aucun metteur en scène n’a égalé Abdellatif Kechiche depuis Pialat.

     Je regrette que le sublime film de Claude Miller « Un secret » n’ait obtenu qu’un seul César, celui du meilleur second rôle féminin pour Julie Depardieu, laquelle avait déjà été récompensée du César du meilleur espoir et du meilleur second rôle en 2004.

    6d0876d6e1716a87065157f11bf57d3b.jpgSans surprise, Mathieu Amalric a reçu le César d’interprétation masculine face à des acteurs de nombreuses fois nommés et toujours repartis bredouille : Vincent Lindon, Jean-Pierre Marielle notamment. « Le scaphandre et le papillon » de Julian Schnabel a également été récompensé du César du meilleur montage.

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    Le remarquable documentaire de Barbet Schroeder dont je vous avais longuement parlé lors du dernier Festival de Cannes où il était présenté dans la section «Un Certain Regard, « L’avocat de la terreur » a été récompensé du César du meilleur documentaire. Barbet Schroeder a remercié celui qui l’appelle son « cher ennemi », Me Jacques Vergès « acteur et victime » de son film.

    43750051f2c043c29ece6ab11a34d30a.jpgDans un français impeccable, Florian Henckel Von Donnersmarck a remercié l’Académie pour son César du meilleur film étranger pour « La vie des autres » évoquant ses références françaises : Truffaut, Balzac, Racine, Molière, évoquant aussi son acteur principal « Ulrich Mühe » décédé depuis, affirmant que les bonnes critiques françaises l’ont apaisé.

    Le César du meilleur acteur dans un second rôle a été attribué à Sami Bouajila pour son rôle dans « Les Témoins » de Téchiné, Sami Bouajila déjà récompensé du prix d’interprétation à Cannes pour son rôle dans « Indigènes » de Rachid Bouchareb.

    C’est Laurent Stocker qui a obtenu le César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans « Ensemble c’est tout » (…de Claude Berri) face aux prometteurs Nicolas Cazalé, Grégoire Leprince-Ringuet, Johan Libéreau et Jocelyn Quivrin.

    Le César du meilleur premier film est revenu  à un film d’animation « Persépolis » et enfin celui  de la meilleure d51affd8492b4f149b62c43f5afbdfe6.jpgmusique aux « Chansons d’amour », seul César obtenu par le film de Christophe Honoré.

    Demain aura lieu la cérémonie des Oscars où le cinéma français pourrait bien de nouveau être à l’honneur non seulement avec les nominations de « La Môme » mais aussi celle du « Mozart des pickpockets» de Philippe Pollet-Villard, César du meilleur court-métrage également nommé aux Oscars. A suivre…

    Récapitulatif :

    Meilleur film : « La graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche

    Meilleur réalisateur : Abdellatif Kechiche

    Meilleure actrice : Marion Cotillard pour « La Môme »

    Meilleur acteur :Mathieu Amalric pour « Le scaphandre et le papillon »

    Meilleur second rôle féminin : « Julie Depardieu » pour « Un secret »

    Meilleure musique : « Les chansons d’amour »

    Meilleur photo : « La Môme »

    Meilleur son : « La Môme »

    Meilleurs costumes : « La Môme »

    Meilleur décor : « La Môme »

    Meilleur premier film : « Persépolis » de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi

    Meilleure adaptation : « Persépolis »

    Meilleur film étranger : « La vie des autres » de Florian Henckel von Donnersmarck

    Meilleur documentaire : « L’avocat de la terreur » de Barbet Schroeder

    Meilleur montage : « Le scaphandre et le papillon »

    Meilleur second rôle masculin : Sami Bouajila (« Les Témoins »)

    Meilleur espoir masculin : Laurent Stocker pour « Ensemble c’est tout »

    Meilleur scénario original : « La graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche

    Meilleur court-métrage : Le Mozart des pickpockets » de Philippe Pollet Villard

    César d’honneur : Jeanne Moreau et Roberto Benigni

    César d’honneur posthume : Romy Schneider

    Sandra.M

  • "La graine et le mulet" ou "Un baiser s'il vous plaît" : d'un Marivaux à l'autre

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    Pour certains, ce week end fut synonyme de frénésie d’achats, pour moi il fut synonyme de frénésie cinématographique. Loin des bousculades, des empoignades, des regards et des pas harassés. On ne va pas impunément dans certains cinémas. Certains sont des lieux de bien être, de recueillement presque. Si le Dieu cinéma existait son lieu de culte s’appellerait Arlequin ou Saint-Germain des Prés, là où les spectateurs ont les yeux qui brillent avant même que la séance ne commence, là on ne monte pas mais où on descend dans la salle , lieux mystérieux, salles obscures qui nous éclairent  sur le monde vers lesquelles on se fraie lentement un chemin en chuchotant respectueusement. C’est donc à l’Arlequin que j’ai vu « Un baiser s’il vous plait » et au Saint-Germain des Prés que j’ai vu «  La graine et le mulet » (ils sont toujours à l’affiche dans ces deux salles.)  Premier point commun : l’un et l’autre sont projetés dans des salles art et essai. Pas le seul d’ailleurs même si au premier abord il semblerait s’agir de films aussi différents que possibles.

    L’un, d’Emmanuel Mouret, « Un baiser s’il vous plait », commence par la rencontre fortuite de Gabriel (Michael Cohen) et Emilie (Julie Gayet). Emilie est parisienne en déplacement à Nantes, ils ne se reverront probablement jamais, tous deux ont des compagnons. Gabriel veut embrasser Emilie. Emilie hésite et pour qu’il comprenne son hésitation, elle lui en raconte la raison, l’histoire d’une femme mariée (Virginie Ledoyen) et du meilleur ami de celle-ci (Emmanuel Mouret) et les conséquences d’un baiser…

    L’autre, d’Abdellatif Kechiche, "La graine et le mulet" qui se déroule sur le port de Sète, nous conte l’histoire de Beiji, soixante et un an, père de cinq enfants, divorcé, licencié d’un chantier naval, qui, avec l’aide de sa belle-fille, Rym, une adolescente, décide de créer sa propre affaire : un restaurant sur un vieux bateau délabré. Le rêve qui va souder une famille. Le rêve d’une vie meilleure. Le rêve qu’il veut laisser à ses enfants.

    Bien sûr ces deux films ont aussi en commun la singularité de leurs titres, dans les deux cas ce autour de quoi tourne tout le film : le baiser d’un côté, la graine et le mulet, de l’autre. Mais pas seulement. Ce titre et ce qu’il désigne sont alors l’objet d’un suspense inattendu et incongru dans les deux cas. Ces deux films ont encore en commun d’avoir été présentés en compétition officielle du dernier Festival de Venise. Celui d’Abdellatif Kechiche est reparti avec trois récompenses : le prix de la critique internationale, le prix Marcello Mastroianni pour Hafsia Herzi (ô combien mérité), prix qui récompense un jeune talent, et le prix spécial du jury ex-aequo avec « I’m not there » de Tod Haynes. « La faute à Voltaire » d’Abdellatif Kechiche avait d’ailleurs déjà obtenu le lion d’or de la meilleure première œuvre au Festival de Venise 2000.

     « Un baiser s’il vous plaît » et « La graine et le mulet » ou plutôt Abdellatif Kechiche et Emmanuel Mouret ont également Marivaux en commun : l’un, l’a brillamment utilisé et remis en scène, dans « l’Esquive », l’autre nous parle de marivaudages, des jeux de l’amour et du hasard, de petits jeux a priori sans conséquences dans « Un baiser s’il vous plaît ». Mais leur principal point commun c’est la façon dont ils nous convainquent, nous envoûtent même, progressivement, (ce ne sont pas des univers dans lesquels on rentre immédiatement mais qui captivent peu à peu et subrepticement notre attention, sans recourir à des méthodes, non, mais avec un univers qui leur est propre) irréversiblement, pour aboutir l’un et l’autre à une fin mémorable. C’est tellement important le dénouement, la dernière note, le goût qui restera sur nos lèvres et dans nos yeux avides de spectateurs parfois exigeants… Que serait « Lost in translation » sans sa fin énigmatique ? Je repense aussi à un téléfilm récent, l’adaptation de « Guerre et paix » de Tolstoï, plutôt réussie d’ailleurs, mais dont les deux dernières minutes gâchaient les heures qui avaient précédées, plutôt réjouissantes, un insert qui indiquait de manière pour le moins déplacée « tout est bien qui finit bien ». Comme si le spectateur n’était pas capable de supporter une fin en demi-teinte, comme si le spectateur ne pouvait survivre sans happy end, comme si les spectateurs étaient des enfants qu’il fallait bercer d’illusions. J’ai rarement vu idée aussi ridicule et surtout aussi insultante pour le spectateur.

    Deux fins mémorables donc, deux fins que je ne vous raconterai donc pas mais qui justifient évidemment à elles seules d’aller voir ces deux films. Deux films à contre-courant du cynisme ambiant, du formatage ambiant, deux films qui donnent le temps au temps, le temps de dire (même très vite, même de manière très différente, très écrite pour l’un, très parlée pour l’autre, mais non moins travaillée et efficace), le temps de les écouter, le temps de laisser l’émotion s’installer, et non de la proclamer, l’ordonner. La semaine dernière, lors d’un séminaire sur le scénario, Olivier Lorelle (scénariste césarisé d’Indigènes) disait « il y a d’un côté les salles vides de sens et de l’autre les salles vides de spectateurs ». Eh bien non, la salle du Saint-Germain était pleine et la séance d’après aussi. Le public a besoin de sens, le public n’a pas toujours envie qu’on lui dicte ses émotions. Et le bouche à oreille ne s’y trompe pas.

    Ces deux films ont aussi en commun une direction d’acteurs remarquable. Et évidemment surtout celle d’Abdellatif Kechiche. Un modèle du genre. Epoustouflant. A tel point qu’on se sent presque gênés, voyeurs, oubliant qu’il ne s’agit pas d’un documentaire mais d’une fiction tant la vérité semble jaillir de chaque scène, de chaque parole, de chaque regard que la caméra semble surprendre et non précéder. Les scènes de repas sont saisissantes, la caméra guette le moindre signe de faiblesse, de doute, de tristesse qui passent, presque invisibles, dans la cohue et dans les mouvements frénétiques, et non moins judicieux, de la caméra qui scrute  et sculpte chaque visage. Tout le talent est dans le presque, dans la nuance, dans le non-dit, dans ce qui est suggéré. Ce brouhaha contraste avec les silences du personnage de Slimane dont le visage buriné, triste et noble trimballe avec lui une vie d’émotions et suscite la nôtre. Ami et collègue de chantier du père du cinéaste, Slimane (Habib Boufares) comme souvent chez Abdellatif Kechiche,  n’est pas un comédien professionnel mais non moins exceptionnel et bouleversant. A l’inverse Emmanuel Mouret a choisi uniquement des comédiens professionnels.

    Tous deux ont cependant encore cela en commun : leur style imprègne le fond et la forme, très rohmerien ou même truffaldien pour Emmanuel Mouret (dont le personnage maladroit est une sorte de mélange d’Antoine Doinel et Pierre Richard), Abdellatif Kechiche,lui, même si son cinéma ne ressemble à aucun autre, lorgne plutôt du côté de Pialat. Forme vivante et frénétique chez Abdellatif Kechiche. Théâtralisée, ludique et burlesque, chez Emmanuel Mouret. Mais au fond, chez l’un comme chez l’autre la preuve d’une grande liberté.  La mise en abyme structurée, les décors aseptisés sur lesquels plane l’ombre de Schubert (je ne résiste jamais à Schubert…) sont aussi éloignés que possible de ceux du film d’Abdellatif Kechiche imprégné de documentaire dans le fond comme dans la forme. Et pourtant dans les deux cas on se laisse embarquer. L’un et l’autre nous parlent du destin. D’actes a priori insignifiants et anodins qui peuvent devenir cruciaux.  L’un et l’autre nous donnent envie de saisir chaque seconde, d’embrasser, de désirer même la vie : un désir de vie dont les deux fins sont emblématiques.

    Abdellatif Kechiche signe un hymne à la solidarité, nous parle du droit à la différence, sans revendiquer (on aurait pu craindre, au regard des premières minutes, d’ailleurs très réussies, un discours militant sur la précarité de l’emploi mais non Abdellatif Kechiche est trop intelligent et doué pour tomber dans la revendication ostentatoire), non, mais comme on nous conterait une comptine sauf que celle-là ne nous endort pas mais nous maintient éveillés, nous réveille aussi, si bien que les 2H30 dont on pense au début qu’elles seront interminables paraissent trop courtes tant nous aurions aimé rester avec ces personnages attachants, palpitants de vie.

    « La graine et le mulet » est un film énergique et fiévreux, solaire et sombre, étourdissant de vie à l’image de sa jeune interprète principale qui, notamment dans un plan séquence où elle tente de convaincre sa mère ( de quoi, je vous laisse découvrir) fait passer une multitude d’émotions avec un brio déconcertant et rarement vu au cinéma. De même que le duo singulier qu’elle forme avec Slimane donne lieu à des scènes toujours bouleversantes, Slimane, tellement touchant, qui se raccroche à son regard notamment lors de leurs démarches administratives face à des banquiers, fonctionnaires…, plus vrais que nature. Il faudrait parler de tant d’autres scènes encore où le rire et les larmes, la lâcheté et le courage se confondent, où la tristesse et la drôlerie affleurent.

    Aucun personnage n’est négligé mais existe. Abdellatif Kechiche n’a pas son pareil pour,  dans un geste esquissé, traduire la vanité ou l’humanité, le ridicule ou le sublime : la comédie humaine.

     Ce n’est pas un film militant mais un film vivant. C’est juste et tellement la vie. Un tourbillon de vie qui m’a bouleversée, qui ne vous laissera pas indemne, qui ne peut vous laisser indemne, qui vous bouscule et vous emmène dans sa danse échevelée.  Et puis cette fin, cette fin, danse de mort et danse de vie qui s’enlacent et se répondent magnifiquement et tragiquement, fin sensuelle et terrible, belle et douloureuse, troublante et poignante, inoubliable : SUBLIME. Le grand film d’un très grand directeur d’acteurs. A ne manquer sous aucun prétexte !

     Et si vous aussi avez envie d’une frénésie de cinéma, plutôt que d’achats, allez voir ensuite « Un baiser s’il vous plait » dont l’exquise fin vous laissera un goût délicieux et vous fera quitter la salle un peu « lost in translation » tant Emmanuel Mouret parle une langue bien à lui, presque étrangère, en tout cas singulière…  Cette semaine vous n’aurez donc aucune excuse pour ne pas plonger « in the mood for cinema » !

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    Sandra.M