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Jacques Dutronc

  • Le deuxième souffle : Alain Corneau insuffle un « nouveau » souffle au cinéma policier

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    Le deuxième souffle. De vie. De liberté. Celui de Gustave Minda (dit Gu), interprété par Daniel Auteuil, condamné à la prison à vie pour grand banditisme, qui parvient à s’évader. Traqué par la police, il prévoit de s’enfuir à l’étranger avec Manouche (Monica Bellucci) la femme qu’il l’aime, qui l’aime. Pour financer leur départ, il accepte de participer à un braquage, normalement le dernier…

    Quel défi de réaliser une nouvelle adaptation du roman de José Giovanni, quarante et un an après celle de Jean-Pierre Melville, le maître du polar à la française. Quel défi pour Daniel Auteuil, Michel Blanc, Monica Bellucci, Eric Cantona, Jacques Dutronc de succéder à Lino Ventura, Paul Meurisse, Christine Fabréga, Michel Constantin, Pierre Zimmer…

    La comparaison est inéluctable. Dès le début Alain Corneau impose un nouveau style, se distingue de la première adaptation : par l’utilisation du ralenti, par le recours aux couleurs vives, magnétiques, poétiques, hypnotiques, fascinantes. Dès le début aussi, Alain Corneau nous replonge dans les codes des polars des années 60 : code d’honneur, borsalinos, silhouettes inimitables et gémellaires de flics et voyous, gueules « d’atmosphère »  jouant et se déjouant à la fois de la nostalgie des  films de ces années-là.

     D’abord on tâtonne, on peine à entrer dans cet univers théâtral, théâtralisé, coloré, grandiloquent, connu et inconnu, égarés entre nos repères du cinéma d’hier et ceux du cinéma d’aujourd’hui et, pourtant, peu à peu on se fond dans cet univers hybride et étrange : cet univers de rouge et vert clinquant, cet univers où chaque acteur judicieusement choisi incarne magnifiquement une typologie de personnage du film noir (Jacques Dutronc, le dandy, d’une sobriété et justesse irréprochables,  Nicolas Duvauchelle, le petit truand arrogant d’une insolence parfaitement dosée, Gilbert Melki, le tenancier à la gâchette facile et à la respectabilité douteuse etc) cet univers où Jean-Pierre Melville rencontre John Woo, Johnnie To et Wong Kar Waï (sublime photographie d’inspiration asiatique d’Yves Angelo), en embarquant Tarantino au passage, en chorégraphiant et stylisant  la violence. Un mélange détonant. De cinéma d’hier et d’aujourd’hui. De codes classiques (narratifs, de choix des acteurs, que Corneau avait d’ailleurs porté à leur paroxysme dans le très melvillien « Police python 357 ») et d’une esthétique moderne. Des codes du film noir, français et américain, des années 60 et ceux du film policier asiatique des années 2000.

     Il n’y a pas vraiment de suspense, le souffle est ici tragique et on sait qu’il n’en restera que de la poussière. Non, l’intérêt se situe ailleurs.  Dans la fragilité qui affleure de l’inspecteur Blot, interprété par Michel Blanc dont l’interprétation bluffante et nuancée rappelle celle de l’acteur dans "Monsieur Hire", qui nous fait aussi penser à Bourvil dans « Le cercle rouge », qui dans un plan séquence du début d’emblée s’impose et impose un personnage. Magistralement. Dans la droiture morale de Gu, Daniel Auteuil à la fois nous fait oublier Ventura et nous le rappelle dans un mimétisme physique sidérant.

     Entre Pigalle en vert et rouge et Marseille en couleur ocre on se laisse peu à peu embarquer dans ce deuxième souffle, ces personnages s’humanisent malgré l’inhumanité de leurs actes, et nous prenons fait et cause pour Gu, aussi fascinés que celui qui le traque, par cet homme obsédé et guidé par son sens sacré de l’honneur.

    Alors oui, parfois on ne comprend pas ce que disent Monica Bellucci, l’incontournable femme fatale du film noir (une actrice comme Emmanuelle Béart n’aurait-elle pas mieux convenu ?) ou Eric Cantona (qui disparaît d’ailleurs mystérieusement du scénario dans la seconde partie du film). Alors oui, on repense au chef d’œuvre de Melville, si hiératique, si implicite, là où celui de Corneau est si bavard au point parfois de ne pas sonner juste… mais voilà la nostalgie du cinéma d’hier qu’il nous rappelle malgré tout l’emporte finalement, surtout qu’Alain Corneau donne en même temps un nouveau souffle, lyrique, au roman noir de  José Giovanni, lui insufflant  aussi de la poésie, de la modernité, sa modernité.

     Avec "Gangsters" et "36 Quai des Orfèvres" Olivier Marshall avait inventé le polar français des années 2000,  Alain Corneau, lui, a le courage et l’audace cinématographique de lui donner un deuxième souffle, stylisé, déroutant mais progressivement envoûtant, en s’inspirant de son premier : celui, inégalable, du cinéma français des années 60 et 70.

     Avec cet exercice de style surprenant et néanmoins réussi, Alain Corneau prouve une  nouvelle fois l’étendue de sa palette dans de nombreux genres ( de « Tous les matins du monde » à « Stupeur et tremblements », de « La menace » à « Fort Saganne », en passant par « Le choix des armes ») mais surtout dans le genre dans lequel il excelle, le cinéma policier, un genre dont le cinéma français  qui l’a pourtant porté au plus haut est malheureusement avare et dans lequel il est désormais mal à l’aise, sans doute impressionné par son prestigieux passé, et maladroit. Merci M.Corneau pour cette madeleine de Proust. Savoureuse... quoiqu’on en dise.

    Sandra.M