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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 588

  • Vendredi 13, troisième jour de festival de Cannes


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    Deux ans après sa palme d'or pour"Elephant" Gus Van Sant revient sur la Croisette. Cette projection cannoise étant déjà précèdée de rumeurs concernant un éventuel prix d'interprétation pour Michael Pitt, bien que munis des deux précieux sésames que sont l'accréditation et l'invitation, les festivaliers se pressent et se bousculent à l'accès aux marches faisant fi de la politesse, le regard rivé sur la tapis rouge au cas où il disparaîtrait mystérieusement juste avant que leurs pas ne le foulent où au cas où il se déroberait sous leurs pieds. Je regarde tous ces visages crispés et concentrés comme si leur vie en dépendait et je m'amuse de l'incongruité de leurs réactions...mais le soleil est toujours aussi étincelant, le palais attend toujours de nous accueillir et leur attitude, si dérisoire, ne parvient donc pas à entâcher ma bonne humeur. Je me laisse donc porter par la foule essayant de ne pas perdre le billet rouge tant convoité. Quelques minutes plus tard, je me retrouve sans la salle. La lumière s'éteint. Le bruissements d'impatience de la salle. Puis, le logo du festival qu'un nombre incalculable de flashs immortalise. "Last days" commence. L'histoire d'une fin pourtant, d'une ultime errance rythmée par des soliloques incompréhensibles qui s'apparentent à des onomatopées. Ces derniers jours sont ceux de Kurt Cobain dont Van Sant s'est très librement inspiré. Ce sont donc les derniers jours d'un homme fantômatique, déjà dans un autre monde, déjà ailleurs. Déambulations désenchantées d'un ange déchu aux portes des ténèbres dont l'imminence de la fin procure un poids démesuré à chaque sensation élémentaire, sensations presque animales. Gus Van Sant clôt admirablement sa trilogie ("Elephant" et" Gerry" en sont les deux premiers éléments, tous trois étant inspirés de "faits divers" )sans concession au classicisme ou au mélodrame démonstratif, avec ce style si singulier qui le caractérise (personnages filmés de dos, longs plans séquences, son amplifié, récit destructuré). Là où "Elephant"' m'avait subjuguée, étant sortie de la projection cannoise avec la presque certitude qu'il obtiendrait la palme d'or (eu égard autant à son sujet qu'à son traitement si novateur), là où Gerry m'avait fascinée je dois avouer que "Last days" m'a quelque peu déçue probablement en raison de l'immense attente suscitée par l'envoûtement provoqué par les deux précèdents films. Van Sant n'en démontre pas moins à nouveau son immense talent captant toujours par sa mise en scène si personnelle et si reconnaissable, l'essentiel, l'essence, dans le potentiellement anodin et faisant de chacun de ses films une déroutante expérience pour le spectateur.

    Le second film en compétition de la journée "Where the truth lies" d'Atom Egoyan, se situe aux antipodes même si la réalisation et le scénario restent très maîtrisés, lorgnant parfois du côté d'un style à la Scorcese, il demeure néanmoins de facture assez classique et malgré la présence dans la salle de Colin Firth et Kevin Bacon les festivaliers lui réservent un accueil très mitigé, ce qui en langage cannois signifie environ 3 minutes rituelles d'applaudissements de politesse.

    Déjà mon attention se porte donc sur le programme du lendemain avec le très attendu "Caché" d'Haneke que je brûle d'impatience de découvrir et dont il vous faudra attendre demain pour lire le commentaire...

    Sandra.M, en direct du palais des festivals de Cannes.

    photo Sandra.M: à l'intérieur du palais, ascenseur pour le septième art.

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  • Deuxième jour du festival de Cannes(jeudi 12)

    Le premier rendez-vous de ce jeudi 12 a eu lieu salle Bunuel avec "Belle de jour"...enfin Catherine Deneuve...Salle Bunuel la bien nommée donc. La petitesse de la salle procure toujours à ces rencontres avec des cinéastes ou acteurs un ton de confidence. Cette fois le confesseur a pris les traits de Frédéric Mitterrand. Agnès Varda, membre du jury, tente de se faufiler discrètement dans la salle. Peine perdue. Dans la file d'attente des spectateurs la remarquent. Ainsi glane-t-elle autant de compliments que d'applaudissements impromptus. Puis, Gilles Jacob prononce son discours comme il en réserve un à chaque personnalité du septième art ainsi invitée...le terme discours est d'ailleurs quelque peu incorrect celui-ci s'apparentant davantage à une déclaration d'amour à l'actrice. Catherine Deneuve écoute sagement esquissant de temps à autre un sourire, mi-amusée, mi-flattée ou peut-être simplement ailleurs, indifférente à des compliments maintes fois réitérés ou inquiète à la perspective d'être ainsi pour la énième fois observée, détaillée, scrutée et aléatoirement critiquée sur les outrages éventuels des ans qui l'ont pourtant épargnée. Gilles Jacob emporté par la passion révèle qu'il considère que les jurés avaient gaspillé le prix d'interprétation l'année où il ne l'avait pas remis à Catherine Deneuve pour" Le lieu du crime" de Téchiné. En guise de consolation mais surtout d'hommage du festival de Cannes, il remet donc une palme d'honneur d'interprétation à celle qu'il qualifie de "Katharine Hepburn à la française". La salle applaudit timidement. En guise de préambule elle précise qu'elle ne donnera pas de leçon, contrairement à l'intitulé de la rencontre "leçon d'actrice". Après les compliments maintes fois réitérés viennent donc les questions maintes fois réitérées: ses débuts, Françoise Dorléac, François Truffaut... A sa demande défilent quelques extraits de films dans lesquels elle n'a pas joué : "Une femme qui s'affiche" de Cukor, "Le vent de la nuit" de P.Garel, "To be or not to be" de Lubitsch...mais le vrai film n'est pas réellement sur l'écran. Quand la lumière s'éteint pour laisser place à un extrait, Catherine Deneuve, apparemment fébrile, demande à voix basse si elle peut fumer. Son micro la trahit. La salle tressaille. Un léger soubresaut d'imprévu. Dans le clair obscur alors que les images défilent sur l'écran, sa silhouette, cigarette à la main, rappelle furtivement celle des actrices des films noirs. La lumière se rallume. Elle cite Bergman, Kazan aussi beaucoup. Avec l'obscurité,l'imprévu s'est éclipsé.

    Il est temps de prendre le "dernier métro" ou plutôt le prochain escalator où les festivaliers, forcément affairés , affluent, direction le grand théâtre Lumière et le premier film en compétition de la journée: "Bashing" (harcèlement) de Masahiro. Le film n'est projeté qu'une seule fois l'après-midi. En général cela relève d'une volonté de créer l'évènement ou révèle le caractère anodin du film par cette unique projection distingué (caractère anodin qui certes n'est jamais prévisible et demeure subjectif). Je penche plutôt pour la seconde solution. Cette impression est confirmée par un public plutôt clairsemé. Le sujet davantage que son traitement aurait-il incité les organisateurs à le sélectionner? En effet, il s'agit de l'ostracisme subi par une jeune japonaise de retour dans son pays après avoir été prise en otage en Irak. Alors qu'en France nos otages deviennent des héros nationaux (comme le rappellent d'ailleurs les photos de nos deux otages en Irak qui ornent la façade du palais des festivals), emblême de notre si chère liberté bafouée, au Japon c'est celui de la honte d'avoir autant mobilisé l'attention internationale. Le réalisateur la suit pas à pas dans son isolement progressif. Elle est comme enfermée, prise en otage peut-être encore plus que là-bas où elle ne songe d'ailleurs qu'à retourner. Au Japon, elle est constamment humiliée, sa famille aussi. Elle suffoque, elle étouffe et nous avec elle grâce à une mise en scène sobre mais non moins efficace et grâce au jeu nuancé de sa jeune interprète dont le sourire apparaîtra comme sa véritable libération, sourire suscité à la perspective de retrouver les enfants irakiens.

    Plus que jamais le festival affirme sa volonté d'être une "fenêtre ouverte sur le monde" un monde tourmenté, puisque le deuxième film en compétition de la journée "Kilomètre zéro" de H.Saleem se déroule...en février 1988 en pleine guerre Iran-Irak. Le cinéaste nous emmène dans un périlleux périple à travers le pays en compagnie d'un Kurde et d'un Arabe avec sur le toit de leur voiture, le cercueil d'un martyr enveloppé dans le drapeau irakien. Bien sûr tout cela prend une résonance très contemporaine d'autant plus que la statue de Saddam Hussein ne cesse de traverser l'écran. Le propos est intéressant, la photographie et les longs plans fixes(qui permettent aux personnages d'évoluer dans le cadre-filmique et territorial- qui leur est désigné, imposé) réussis mais le mélange du burlesque avec un sujet sérieux donne un résultat assez hasardeux et altère quelque peu la résonance du discours...

    A suivre ces prochains jours la critique des films d'Egoyan et de Van Sant, vus hier et de "Caché" d'Haneke et "Election" de Johnnie To que je verrai ce soir dans le célèbrissime Grand Théâtre Lumière, là où la salle vibre plus qu'ailleurs à la mesure des enjeux... et tous les autres films en compétition mais aussi mes impressions sur cette 58ème édition, mes premiers pronostics, l'ambiance du festival...
    A suivre également le récit des premières soirées du festival.

    Pour un autre regard sur le festival, je vous renvoie à un site internet très intéressant, celui du site du cinéma libre.

    Sandra.M, en direct de Cannes.

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  • Ouverture du festival de Cannes

    medium_cannes2.jpgL'effervescence. L'euphorie même pour certains. L'impression que le temps a suspendu son vol. D'une année sur l'autre, on oublie puis on se retrouve à nouveau emporté par ce délectable tourbillon cannois et par sa folie à la réputation nullement usurpée. Tourbillon de cynisme aussi mais celui-là on l'occulte bien vite...Une fois les marches les plus célèbres du monde foulées on se retrouve dans cet antre du septième art, au coeur du cinéma qui y bat plus vite, plus fort. Tonitruant même.L'atmosphère est électrique. En quelques minutes un cinéaste peut être porté au pinacle ou mis au ban du cénacle, parfois les deux en même temps ou alternativement: la "profession" est versatile, excessive aussi. Applaudissements ou sifflets:à l'issue de chaque projection on retient son souffle. Les réactions sont le plus souvent exacerbées et il est de bon ton d'avoir un avis tranché. L'indifférence est rare, voire méprisable pour les initiés qui vous toisent du regard. Alors si tout cela ne change jamais d'une année sur l'autre, si ce voyage immobile à travers les cinématographies du monde entier est toujours aussi passionnant, les étapes qui le jalonnent en sont chaque fois différentes. "Il faut regarder toute la vie avec des yeux d'enfant" disait Matisse. Chaque film aussi. Accepter de se laisser envoûter, bousculer, dérouter...avec un regard semblable à celui de Kusturica observant, admiratif, l'acrobate du cirque du soleil lors de la cérémonie d'ouverture. Espérons, gageons même, que le festival sera à l'image de cet instant.: onirique et magique(périlleux pour les équipes de films aussi parfois!)et espérons que les festivaliers seront, grâce aux films de la sélection, à l'image du président de cette 58 ème édition: émerveillés encore et toujours n'oubliant jamais, comme son film éponyme, que "la vie est un miracle" et que le cinéma peut parfois en être un aussi...si les yeux d'enfant ne se noircissent pas de cynisme.

    Espérons encore que ce sera un festival haletant à l'image du film qui a ouvert le bal...Haletant, oui, il l'était indéniablement, dans les deux sens du terme: ce souffle inquiétant qui rythme l'histoire (bande son très réussie) et ce sombre mystère qui tient le spectateur en haleine. Comme dans son premier film "Harry un ami qui vous veut du bien" Dominik Moll distille des éléments qui obscurcissent progressivement le récit: évènements anodins qui sonnent délibérément faux...avec une justesse déconcertante si bien que le glissement (le dérapage même), au propre comme au figuré, semble inéluctable. Glissement du normal vers l'étrange. Lemming c'est en effet l'étrangeté qui s'immisce dans la quotidienneté. Plus que le nom de l'animal, Lemming est ainsi celui de cette étrangeté que son intrusion accompagne, suscite , métaphorise. Avec son agonie c'est la normalité qui reprend son souffle. Entre son apparition et cette agonie le spectateur emprunte avec angoisse et fascination ce labyrinthe perfide dans les obscurs recoins de l'inconscient. Comme la petite caméra qu'Alain Getty (L.Lucas)utilise et guide, Dominik Moll nous emmène là où nous n'aurions pas forcément eu l'idée d'aller manipulant ainsi notre regard avec habileté. Par cette mise en abyme du voyeurisme auquel nous cédons par mimétisme il nous entraîne sur la voie de Lynch, De Palma, Hitchcock, de brillantes références judicieusement utilisées grâce aussi à un quatuor irréprochable interprétant une mélodie délicieusement dissonante aux frontières du fantastique avec notamment la cinglante Alice (Charlotte Rampling) d'une absence omniprésente. Des prix d'interprétation en perspective? Lucas, Rampling, Gainsbourg? A suivre...
    A suivre également ces prochains jours le récit de la leçon d'actrice de Catherine Deneuve à laquelle j'ai assisté hier, également tous les films en compétition avec notamment ce jeudi 11 le film de Gus Van Sant très attendu... Ces articles ne seront peut-être pas quotidiennement mis à jour mais chaque journée sera finalement résumée... Rendez-vous bientôt sur ces pages pour en savoir plus! N'hésitez pas à y revenir régulièrement!
    Des photos viendront également agrémenter le récit mais pour cela il faudra attendre la fin du festival.
    Viva il cinema!
    Sandra.M

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  • Le festival de Cannes 2005 en direct sur ce blog : J-2 !

    medium_cannes2005_500.jpgLe programme du festival avec la compétition officielle, la sélection Un certain regard etc est en ligne sur Le site officiel. Je vous y renvoie… en attendant de vous faire un récit personnalisé de ces 12 jours de festival, de la compétition officielle comme des sélections parallèles, des longs-métrages comme des courts-métrages, de la vie cannoise diurne comme de la vie nocturne , de son effervescence et de sa folie, des bruissements et des murmures captivants du palais des festivals comme du brouhaha exaspérant de la Croisette, des rumeurs incessantes et des humeurs de cette ville lunatique et parfois grégaire, parfois à contre-courant aussi, de l’adrénaline de la montée des marches comme de celle des réactions contrastées, à la fois excessives et (donc ?) dérisoires qui ponctuent chaque film en compétition, bref de vous le faire vivre en direct au rythme de 24 images par seconde...ou, à défaut, en très léger différé. Si possible, j’essaierai néanmoins de vous faire un compte-rendu au jour le jour. La sélection me paraît d’ores et déjà alléchante et j’ai d'autant plus hâte de voir quels seront les choix du brillant Emir Kusturica qui nous avait à nouveau éblouis l’an passé avec « La vie est un miracle » et dont je ne doute pas qu’il sera un formidable président qui saura mettre en lumière un cinéma inventif et audacieux.
    En attendant, vous pouvez disserter sur ce festival dans la rubrique commentaires ou sur Mon forum.
    Viva il cinema !
    Sandra.M

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  • "Lutétia" de Pierre Assouline: un huis-clos passionnant

    medium_2070771466.jpgLes premières critiques du prix du livre de société dont je suis membre sont parues aujourd’hui dans DS, fortement amputées comme vous le constaterez si vous comparez avec leur version intégrale figurant sur ce blog.
    Je vous livre ci-dessous mes impressions sur « Lutétia » de Pierre Assouline, également en compétition.

    Depuis ce palace de la rive gauche dont il narre l’histoire de 1938 à 1945 par le prisme du regard du détective chargé de l’hôtel et de la sécurité de ses clients, on voit, on imagine, on ressent la montée des périls et on assiste avec effroi au glissement du monde vers la tragédie, vers l’innommable, vers l’irrationnel. Assouline a choisi délibérément le seul palace de la Rive Gauche, antre de l’intelligentsia, qui vit l’Histoire dont il fit partie intégrante se dérouler sous ses yeux. Avec lui tantôt horrifiés, tantôt fascinés nous parcourons les couloirs du Lutétia et découvrons les secrets qu’il recèle, les destins qui s’y croisent et qui basculent parfois. Par une sorte d’empathie et grâce au talent de son auteur, le lecteur a l’impression de ressentir la même impuissance que le protagoniste qui, confiné dans ce lieu, voit le monde dériver vers l’inéluctable tragédie. Avec lui nous voyons avec horreur l’Abwehr, le contre-espionnage allemand, prendre possession des lieux, transformer le symbole d’insouciance en celui de l’Occupation. Assouline aurait pu se contenter d’écrire un livre d’Histoire ou un roman mais toute la richesse et la singularité de ce livre résident dans le judicieux mélange des deux sans jamais que cela n’alourdisse le récit ou n’entrave le plaisir du lecteur. Le Lutétia devient un microcosme de la société française, cristallise les angoisses que connaît alors le monde terrassé par le joug nazi. Assouline nous transporte avec lui dans ce lieu, à cette époque troublée par ce roman à la démesure de son sujet, traité sans emphase grandiloquente mais avec pudeur. De surcroît, il a su créer un personnage nuancé, ambigu, qui aime les Allemands et l’Allemagne tout en haïssant les nazis. Il évite ainsi l’écueil du manichéisme, de la complaisance aussi. A l’image du Lutétia, tantôt lâche, tantôt courageux, aveugle puis lucide, le protagoniste oscille entre passivité coupable (puisque le Lutétia hébergea le contre-espionnage allemand) et engagement dans la Résistance presque malgré lui (le Lutétia hébergea les déportés alors appelés « rapatriés » après la Libération )Le Lutétia est ainsi un personnage à part entière d’ailleurs personnifié puisque chacun l’appelle Lutétia, emblème vivant et immortel, symbole d’occupation puis de libération, d’insouciance puis de tragédie, de liberté puis d’enfermement. Assouline esquisse une véritable Comédie humaine n’oubliant ni l’héroïsme, ni les petitesses que cette époque a engendrés. Le protagoniste est aussi épris de la comtesse Clary qu’il connaît depuis l’enfance et qu’il y croise fréquemment. Cette histoire d’amour ajoute un souffle épique et romanesque et enrichit encore le récit. L’histoire et l’Histoire se mêlent donc astucieusement : la guerre 14, le scandale Stavisky, l’Occupation, la déportation, la Résistance ont jalonné le parcours du protagoniste qui verra la guerre commencer puis se terminer, qui assistera à des actes de lâcheté et d’héroïsme, qui aimera, haïra, résistera…sans jamais quitter l’hôtel Lutétia. Nous y croisons Matisse, Joyce et son secrétaire Samuel Beckett ou encore André Gide ou Albert Cohen dont nous apprenons qu’il y écrivit le sublime Belle du Seigneur. Les illustres clients de ce lieu mythique qui jalonnent le récit en accroissent l’intérêt. Le Lutétia devient alors le cadre d’un huis clos tel un théâtre dans lequel se déroule une tragédie qui le dépasse, mais qu’il symbolise aussi. Assouline retranscrit avec minutie l’atmosphère de ce majestueux édifice qui sombre avec les heures noires de l’Histoire puis renaît avec la Libération. Il parvient à nous émouvoir et nous bouleverser et là où d’autres n’auraient réussi qu’un ouvrage historique didactique de plus, Assouline a signé un roman historique passionnant, édifiant, un livre hybride sur les méandres du destin et de l’Histoire.
    Désormais quand je passe devant le somptueux édifice, je songe à toutes ces histoires qu’il a vu naître puis mourir, à ces destins dont il a assisté, impuissant, au basculement et je ne peux m’empêcher moi aussi de l’appeler à mon tour Lutétia en me prenant à rêver qu’une réponse murmurée provienne de l’imposante personnalité du Boulevard Raspail, témoin impassible de l'Histoire, qui me livrerait alors ses douloureux secrets…
    Sandra.M

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  • Le coup de cœur du mois : « Locataires » ludique et mélancolique errance de Kim Ki Duk.

    medium_18413160.jpgN’ayant pas eu le temps de voir ce film au festival du film asiatique de Deauville, ma curiosité était d’ores et déjà suscitée par le nom du prolifique et éclectique Kim Ki Duk gardant encore un souvenir émerveillé de sa symphonie picturale : « printemps, été, automne, hiver et printemps ». J’étais aussi intriguée par le silence évocateur de ceux qui avaient eu la chance de le voir.

    Résumer ce film ne ferait qu’en dénaturer immodestement l’originalité tout comme donner la parole à ses personnages aurait amoindri l’intensité et la beauté de leur relation. Alors en vous transmettant quelques bribes d’éléments j’espère vous donner envie de courir dans les salles obscures et d’accompagner ces Locataires dans leur errance langoureuse et mélancolique. Kim Ki Duk invente en effet un univers (à moins que ce ne soit les personnages qui l’inventent, une réalisation parfaitement maîtrisée entretenant délibérément l’ambiguïté) où les paroles sont superflues, inutiles, vaines puisque les deux personnages principaux n’échangent pas un mot. Ils n’ont d’ailleurs pas besoin de dire pour exprimer, pour ressentir l’étrange et immédiate harmonie qui les unit, un peu comme la musique transcrivait les sentiments dans le sublime « In the mood for love » de Wong Kar Waï sans nécessiter le moindre dialogue. La parole n’est ici que source de maux et d’hypocrisie. Le décor (réel protagoniste du récit ?) agit comme un symbole (espaces vides symbolisant la solitude des personnages mais aussi symbole de l’image que souhaitent donner d’eux-mêmes les propriétaires) mais aussi une cristallisation puis une réminiscence de l’histoire d’amour, comme un lien entre ces deux âmes solitaires et blessées. Lien intense et (car) indicible. L’humour, comme la violence d’ailleurs, est judicieusement distillé et apporte un aspect ludique, voire fantaisiste. Kim Ki Duk n’oublie pas non plus d’égratigner la société coréenne : corruption de la police etc.
    Cette balade poétique et surréaliste nous emmène et nous déconcerte. La frontière entre rêve et réalité (y) est parfois si étanche…alors si vous ne craignez pas de la franchir laissez-vous dériver en suivant ces Locataires et leur réjouissante et onirique errance. « Locataires » est de ces films dont vous sortez le cœur léger, ignorant la pluie et la foule, encore délicieusement endoloris, encore dans le monde dans lequel ils vous aura transportés et dont seul un silence évocateur, oui effectivement, pourra approcher l’intensité comme unique réponse aux interrogations des non initiés dont, je l’espère, vous ne ferez bientôt plus partie !
    Ce film a reçu le Lion d’Argent, prix de la mise en scène Venise 2004.
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  • « Sans elle », premier long-métrage très prometteur réalisé par Anna de Palma. Sortie : le 11 Mai 2005.

    Johnny Vieira (Aurélien Wiik) a 20 ans et ne peut vivre sans sa jumelle Fanfan (Bérénice Béjo) avec laquelle il entretient une relation fusionnelle qui oppresse cette dernière. Tandis que Johnny rentre en France, Fanfan choisit de rester au Portugal, pays d’origine de leurs parents, où ils étaient venus en vacances. Entre un père qui prépare sa retraite portugaise, une mère qui refuse de quitter la France, et sa sœur dont il vit la séparation comme une trahison, Johnny est écartelé et désespéré. Sa passion pour la musique et son désespoir le rapprochent de Léonard (Jocelyn Quivrin), meneur d’un groupuscule fasciste, avec qui sa sœur a eu une aventure…

    Anna de Palma signe ici un premier long-métrage dont chaque plan nous fait ressentir la douleur de la séparation éprouvée par le personnage principal : dans ses dérives, ses colères, sa violence, ses illusions. L’absente est présente dans chacun de ses actes dont la violence crie son désarroi. La réalisatrice nous dresse avec minutie le portrait de cet anti-héros en perte de repères et en parallèle, le reflet plus ou moins implicite dans un miroir brisé : le portrait de sa jumelle et de leur histoire fusionnelle. La gémellité et la séparation de ces deux entités indissociables est métaphorique de leurs vies dichotomiques : entre France et Portugal, entre deux pays donc, entre deux cultures, entre deux parents qui se séparent, entre deux identités encore. La dangereuse dérive fasciste du protagoniste annihile la tentation de l’héroïser et exacerbe le côté sombre, renforçant ainsi son ambiguïté, avec une volonté affichée de la réalisatrice d’éviter tout manichéisme. Le visage encore singulièrement enfantin de Johnny , le jeu nuancé d’Aurélien Wiik contribuent également largement à cette ambivalence. Un film intense qui aurait peut-être mérité un dénouement moins didactique qui était de toute façon induit par le récit qui le rendait (ou du moins qui en rendait l’excès) inéluctable… Un film néanmoins salutairement amoral à l’image de la passion qu’il retranscrit, un film courageux, sensible, au montage intelligemment allégorique… et très prometteur à l’image de ses jeunes interprètes qui, comme la réalisatrice, amorcent certainement une longue et brillante carrière. Gageons-le et souhaitons leur….

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