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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 586

  • Nouvelle sélectionnée pour "Lire en fête au cinéma"

    Depuis 8 ans, à l'occasion de l'opération "Lire en fête" organisée par le Ministère de la Culture et de la Communication et en partenariat avec l'AFCAE (Association Française des Cinémas d'Art et d'Essai) est organisé un concours de nouvelles "Lire en fête au cinéma" sur le thème du cinéma . Un certain nombre de cinémas d'art et essai désignent les lauréats qui concourront au jury national.

    Déjà sélectionnée pour concourir au jury national avec ma nouvelle Pris au piège l'an passé, je le suis de nouveau cette année avec Scénario fatal, une nouvelle que j'adapte actuellement en scénario de long-métrage sous le titre d' Eternité fugace.

    A suivre...

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    Sandra.M

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  • Les films de la semaine


    Cette semaine "Mon festival du cinéma" vous recommande tout particulièrement Les noces funèbres de Tim Burton et  L'enfant des frères Dardenne. Pour le premier retrouvez ma critique dans mon compte-rendu du festival du film américain de Deauville 2005 et pour le second retrouvez ma critique dans mon compte-rendu du festival de Cannes 2005.

    Par ailleurs le Centre Wallonie Bruxelles à Paris projette actuellement l'intégrale Dardenne jusqu'au 25 octobre.

    Vous pouvez également toujours voter pour mon autre blog "In the mood for cinema" qui participe au concours du meilleur blog cinéma organisé par blogspirit et BNP Paribas .

    Sandra.M

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  • Compte-rendu du festival du film britannique de Dinard 2005 : par-delà les nuages…

    Les festivals se suivent et ne se ressemblent pas. Après Deauville en septembre, le mois d’octobre est celui du festival du film britannique de Dinard qui clôt d’ailleurs, magistralement même, la saison festivalière, la mienne en tout cas. L’affiche aurait dû me dissuader : un ciel menaçant semble peser sur Dinard et des oiseaux ressemblant étrangement à ceux du film éponyme d’Hitchcock sont apparemment prêts à se jeter sur moi … Je sais, ce n’est qu’une affiche mais les festivals abolissent la frontière entre fiction et réalité, si faible chez moi déjà. A se jeter sur moi donc disais-je, enfin écrivais-je. Bref, l’affiche aurait dû me dissuader mais à y regarder de plus près je perçois le ciel bleu derrière les nuages, une lumière incandescente qui perce l’obscurité. Ne pas s’arrêter à l’image visible de prime abord. Comme pour ce festival. Pour vous peut-être un petit festival mais si vous vous penchez sur son histoire déjà longue de 16 années, vous verrez que Dinard a reçu les plus grands cinéastes britanniques et pas seulement, en a révélé d’autres (un certain Christopher Nolan a ainsi été primé pour son film Following l’année où j’étais dans le jury) et surtout derrière son air un peu sombre vous découvrirez un festival d’une convivialité unique qui prend chaque année davantage d’ampleur, et qui peut aujourd’hui prétendre égaler, voire devancer, Cognac et Gérardmer. Et puis je me souviens de cette année 1999 où je faisais partie de son jury, de ces instants gravés à jamais dans ma mémoire, si étranges parfois eux aussi, à ces rencontres incroyables qui jalonnèrent ces 4 journées intemporelles, et notamment celle de notre formidable présidente Jane Birkin. Alors y retourner me fait toujours un peu l’effet d’une madeleine de Proust à laquelle il m’est décidément impossible de résister, dussé-je être menacée par les plus dangereux (fictifs certes mais dangereux quand même) des volatiles. Prenant mon courage à deux mains, je me dirigeai donc pour la 6ème fois vers la cité dinardaise et son charme ombrageux.

    Soirée d’ouverture

    Jeudi 6 octobre. Le soleil est au rendez-vous, n’en déplaise aux détracteurs de la Bretagne, les spectateurs aussi. Une agitation inaccoutumée, ou plutôt coutumière une fois par an, s’empare subrepticement de Dinard. C’est l’ouverture. 16ème du nom. Elle commence par les sifflements de festivaliers visiblement exaspérés. Il faut dire qu’une certaine et inhabituelle pagaille a régné à l’extérieur et seuls les plus malins ou les plus privilégiés ont réussi à entrer (vous choisissez dans quelle(s) catégorie(s) m’inclure).Nous nous attendions donc forcément à une salle comble…qui se révèle finalement à moitié vide alors que de nombreux festivaliers possédant pourtant le sésame y donnant accès sont restés à l’extérieur. Certains qui semblaient y aller en rechignant voient soudain leur intérêt s’accroître étrangement à l’idée que d’autres ne puissent pas entrer et sortent brusquement de leur apathie, franchir les portes semble soudain leur être devenu vital. Je doute fort que ces sifflements soient un signe de solidarité envers les refoulés, je pencherais plutôt pour une manifestation d’aigreur de ceux qui croient qu’un badge ou une invitation leur donne tous les droits, à commencer par celui de ne pas respecter le festival qui les accueille. Le festival pas encore déclaré ouvert, les festivaliers (certains) ont donc déjà perdu le sens des réalités et manifestent leur mécontentement avec une vindicative disproportion, comme si l’essentiel était là, être éphémèrement et vainement enorgueilli. Au moins, en redoutant mes oiseaux fictifs, je ne dérangeais personne. Tandis que l’adjointe au maire de la Culture ignore superbement les sifflements, Hussam Hindi, le directeur artistique du festival, renverse magnifiquement la situation en déclarant que les festivaliers de Dinard sont toujours aussi passionnés dans l’amour comme dans la détestation concluant par un grandiloquent et cinématographique« je vous aime » adressé à tous, et mettant ainsi fin aux revendications. Puis, l’acteur et désormais réalisateur Charles Dance(photo ci-contre), président du festival, est appelé sur scène, ainsi que Neil Jordan et Nicolas Roeg, à l’occasion d’un hommage pour le premier, d’une rencontre avec les festivaliers pour le second. Ensuite, les membres du jury sont appelés un à un par leur président Régis Wargnier, (habitué des jurys des festivals, et notamment de Deauville où il fut deux fois président de jurys et où il n’est pas rare de le croiser ): Aure Atika, Bérénice Béjo, Isabelle Carré, Simon Beaufroy, Samuel Le Bihan, John Lynch, Tom Novembre, Timothy Spall, et un cinéphile sélectionné sur concours(une lettre exprimant sa passion pour le cinéma britannique).

    Je voudrais arrêter là la course effrénée du temps, c’est le début du festival, un début de festival, c’est un avenir, de quatre jours en l’occurrence, empli de promesses de surprises cinématographiques, mais mes revendications, silencieuses celles-là, ne sont pas entendues et encore une fois la salle éclairée devient obscure pour mettre en lumière le premier film du festival Yes de Sally Potter, précédé d’un court-métrage Letters of service de Duncan Wellaway ayant obtenu le prix Kodak qui nous plonge dans le passé trouble d’un patient psychiatrique centenaire.

    Film d’ouverture

    Après le passé place au présent tourmenté, après le silence place à la musique des mots avec Yes de Sally Potter. Dans Yes Sally Potter nous raconte une histoire d’amour passionnée entre Elle, une scientifique Américaine dont le mari est un politicien qui la trompe allègrement, et Lui, un Libanais, chirurgien dans son pays qu’il a quitté pour s’exiler à Londres, une histoire dans laquelle les personnages sont confrontés aux conflits de notre génération : conflits politiques, sentimentaux ou religieux… Tout cela se déroule sous le regard ironique de la femme de ménage philosophe qui ramasse la saleté symptomatique du chagrin et des secrets que les protagonistes laissent derrière eux. Cette histoire les mènera de Londres à Belfast, de Beyrouth à La Havane. Yes est très certainement un OFNI (Objet Filmique Non Identifié) et les OFNI sont suffisamment rares pour être appréciés, malgré leur opacité, salutaire ici. La passion est bien souvent irrationnelle et par conséquent bien difficile à retranscrire au cinéma. Comment montrer l’indescriptible, l’incompréhensible parfois ? Sally Potter y parvient admirablement en donnant par ailleurs une portée universelle à ce Yes, (universalité que désigne également le titre du film) notamment en ne donnant pas de prénoms à ses deux personnages principaux qui restent Lui et Elle, emblèmes de l’Orient pour Lui et de l’Occident pour Elle, tous deux en quête d’amour et de vérité. La passion éclôt, vit, explose surtout, sous nos yeux, nos yeux qui, comme ceux de Sally Potter, ont aussi vu, effarés, les avions s’abattre sur les Twin Towers, une image inconcevable après laquelle rien ne peut plus être pareil. Après la passion, non plus, cela ne peut plus l’être. Ces deux « images » chocs, ces deux (ir)réalités s’entrechoquent. La réalité justement, les différences, le présent les rattrapent furieusement, et surtout la distance croissante entre l’Orient et l’Occident les sépare bientôt, inéluctablement...mais peut-être pas irrémédiablement. Une réalité sublimée par Sally Potter et son étrange univers, d’abord en recourant à des vers (pentamètres auxquels recourait également Shakespeare) pour les dialogues entre les deux amants, ce qui les fait raisonner comme une chanson enivrante et ce qui procure également un lyrisme singulier à ce film inclassable et pluriel. Elle sait aussi instaurer de l’ironie dans la gravité par le truchement du personnage de la femme de ménage et de son regard incisif. Un peu comme avec l’affiche du festival dont les nuages laissent entrevoir le soleil, le lyrisme masque la tragédie qui finit par éclater, le Yes cache « le néant qui n’existe pas ». Un poème filmique, polysémique aussi, déchirant dont on ressort légers avec l’envie de le relire. Un Yes si simple et si lourd de conséquences à la fois, qui peut faire basculer une existence, et qui j’espère fera basculer les spectateurs les plus récalcitrants. Une « chanson » que l’on fredonne encore longtemps après le générique de fin parce-qu’elle ne ressemble à aucune autre…

    Films en compétition

    Le premier film de la compétition auquel j’assiste s’intitule Gypo, réalisé par Jan Dunn. Helen est mariée à Paul depuis 25 ans. Sa vie est monotone et glaciale. Elle est désespérée, blessée et aspire au renouveau… Paul est au bord du gouffre, lassé de se retrouver dans l’engrenage de la pauvreté. Amer, hypocrite et sectaire, Paul redoute le changement plus que tout. Puis, Tasha, une réfugiée Rom de Tchéquie fait irruption dans leur vie. Elle est en attente de son passeport britannique, son passeport pour la liberté avant tout... Comme Sally Potter dans Yes, Jan Dunn nous parle elle aussi des conséquences d’une guerre si lointaine et si proche dont l’écho est bien entendu plus vibrant que jamais après les tragiques évènements londoniens de juillet.
    Ce film est rempli de bonnes intentions, c’est indéniable, dommage qu’elles soient aussi appuyées, qu’elles soient filmées et écrites de manière aussi scolaire : d’abord la forme tripartite, et les 3 lectures différentes du film par ses 3 personnages principaux, fausse originalité qui n’apporte pas grand-chose au récit. Ensuite le fond avec une histoire tellement dans l’air du temps que l’on doute de sa sincérité, que cela en devient une caricature du film social. N’est pas Leigh ou Loach qui veut. L’histoire se suit néanmoins avec plaisir malgré des couchers de soleil transitoires tellement répétitifs qu’ils en deviennent exaspérants. Soyons néanmoins indulgents pour un film réalisé en 12 jours dont nous ne pouvons par ailleurs nier l’excellente direction d’acteurs.

    Vient ensuite la projection de Colour me Kubrick (Appelez-moi Kubrick), réalisé par Brian Cook, l’histoire vraie et rocambolesque d’un imposteur qui se fit passer pour le cinéaste Stanley Kubrick sur le tournage de son dernier film, Eyes Wide Shut, même s’il ignorait presque tout de son œuvre, et même s’il ne lui ressemblait pas du tout. Le réalisateur connaît d’autant mieux son sujet qu’il a travaillé pendant 30 ans avec Kubrick, le vrai, comme assistant réalisateur notamment. Là, à première vue, le film s’annonce ludique et original, malheureusement cette fois-ci mieux aurait valu rester à distance. D’abord, parce-que lorsque l’on découvre que John Malkovich interprète le rôle principal on se dit qu’il devait déjà bien avoir utilisé son talent schizophrénique avec Being John Malkovich et que cela aurait dû lui ôter tout désir de se faire passer pour Kubrick. Ensuite, parce-que lorsque l’on s’inspire d’une histoire vraie intrinsèquement originale le réalisateur doit redoubler d’inventivité pour que son film le soit sous sa propre impulsion…et ici l’inventivité fait malheureusement cruellement défaut. Nous avons davantage l’impression d’assister à des saynètes répétitives, certes parfois amusantes, sans lien ni enjeu qu’à une intrigue. Et puis, même si c’est un film dont le sujet tourne autour de Kubrick, il serait bien que les cinéastes cessent enfin de reprendre les musiques employés dans ses films comme un clin d’œil tellement usité qu’il devient un véritable panneau clignotant et qu’ils cessent de « paraphraser » l’ellipse la plus célèbre de l’Histoire du cinéma, celle de 2001, Odyssée de l’espace, comme c’est également le cas ici. Reste un agréable divertissement, un personnage, détestable et/ou fascinant, pitoyable aussi, à l’image de ses victimes dont la crédulité et l’aveuglement nous paraissent sidérants à l’image d’une société qui glorifie et qui s’incline devant une célébrité déifiée sans en distinguer les fondements et la qualité.


    Le film suivant s’intitule Festival et est réalisé par Annie Griffin. Il ne se déroule pas au mois d’octobre à Dinard comme nous aurions pu le croire ou le craindre mais au mois d’Août à Edimbourg. A cette époque, en effet, la population de la capitale historique écossaise se voit gonflée par des acteurs, des metteurs en scène, des artistes de rue, des comiques, des grands noms des médias et des spectateurs. C’est dans ce récit grinçant sur les espoirs, rêves et appréhensions découlant de ce festival de comédiens que les vies d’une douzaine de personnes se télescopent. Je suis bien placée pour savoir à quel point un festival est un film en lui-même, à quel point il recèle un potentiel dramatique, à quel point cela peut être aussi théâtral, plus même, que le spectacle lui-même, à quel point tout prend une importance démesurée, à quel point les comportements sont modifiés, les réactions exacerbées et les orgueils gonflés par les feux de la rampe ou leurs reflets, à quel point la réalité même semble pouvoir basculer dans la tragédie ou la comédie d’une seconde à l’autre...et d’autant plus que j’écris actuellement un scénario sur ce même sujet (avis aux producteurs, titre provisoire Eternité fugace …) Je suis donc probablement moins objective que jamais pour donner mon opinion sur ce film. Davantage qu’à son histoire, c’est sur la caractérisation de ses personnages que s’est concentrée Annie Griffin, elle-même artiste de one-woman show, à leurs fêlures, leurs petitesses, leurs angoisses, leurs folies, leurs excès, tous se trouvant réunis lors de la remise du prix final pour lequel ils concourent ou jugent. Un film qui mêle vivacité, humour, dérision, vulgarité parfois et qui a touché le jury par « l’humanité profonde de ses personnages », dommage peut-être que ces derniers ne soient qu’esquissés, et qu’ils manquent de profondeur, ce qui aurait donné une certaine densité à ce film qui a d’ailleurs plongé dans l’ennui grand nombre de festivaliers…

    Tel ne fut pas le cas de In my father’s den , coproduction britannique et néo-zélandaise de Brad Mc Gann, unanimement apprécié, et récompensé par le jury et par le public. Paul est un photographe de guerre désabusé. Il revient en Nouvelle-Zélande dans la région isolée de son enfance, à la mort de son père, et se retrouve ainsi confronté au passé qu’il avait tenté de fuir et d’enfouir 17 ans plus tôt… Le titre qui signifie « dans l’antre de mon père » nous plonge d’emblée dans une ambiance intrigante de silence et de secret, le secret d’une âme blessée comme celles des êtres qu’il immortalise dans des pays en guerre. Lui aussi est en guerre, contre ce passé qui menace de resurgir à tout instant et de balayer la face apparemment lisse du présent. Les indices sont distillés pour que nous reconstituions les évènements qui ont bouleversé ces destins, et ce qui débute comme un drame familial devient progressivement un polar palpitant. L’antre est ici à la fois le lieu du refuge et de l’ignominie et détient la clef du mystère, le secret du lien qui unit ces personnages aux destins entrelacés, mêlés par la tragédie et l’innommable, broyés aussi. Le récit n’est pas linéaire non par volonté de faire une démonstration didactique de virtuosité scénaristique mais en contraire pour complexifier intelligemment et enrichir le récit. Paradoxalement cela contribue même à sa limpidité. Chaque personnage a une double personnalité et un lien familial et sentimental ambigu vis-à-vis des autres et tous se révèlent bientôt être une pièce du puzzle de l’âme déchirée de Paul. Le rythme est particulièrement soutenu, la tension se fait de plus en plus angoissante jusqu’à la révélation finale paroxystique, une intense confrontation entre le passé et le présent. Le tout est servi par une photographie qui évolue au gré des transformations des personnages, des personnages aux caractères ciselés, et aux sentiments partagés judicieusement dépeints. Montage, photographie, direction d’acteurs, scénario, tout concourt à faire de ce film un petit bijou du cinéma britannique, un antre dans lequel je vous engage à vous réfugier...et vous risquer.

    Dans Opal dream de Peter Cattaneo le refuge est plus imaginaire, l’imaginaire d’une petite fille de 7 ans inséparable de ses amis fictifs Pobby et Dingan. Même si certains se moquent et si son frère a parfois honte de cette sœur fantasque, tout le monde se prête au jeu de son imagination débordante…mais un jour Pobby et Dingan disparaissent. Pour sa famille, c’est enfin l’occasion de passer à autrechose mais la mélancolie s’empare de la petite fille à un point tel que son frère part à la recherche de Pobby et Dingan, s’engouffrant ainsi dans son rêve et son imaginaire. Ce qui à la lecture du synopsis pourrait paraître mièvre se révèle à l’écran particulièrement prenant et poignant et surtout d’une portée universelle. De ce film se dégage en effet une magie qui relève autant des contes de l’enfance que des rêves engloutis ou persévérants des adultes. Les 4 membres de la famille ont tous un rêve, qu’il soit déchu, omnipotent, exaltant ou destructeur et surtout le rêve de la petite fille est tellement prégnant que nous-même finissons par croire en la réalité de ses personnages imaginaires, comme son père croit fermement qu’un jour il trouvera cette pierre d’opale. Opal dream est un hymne enchanteur à ces rêves que nous façonnons comme une pierre précieuse et qui façonnent notre existence, des rêves éternels en lesquels il suffit finalement de croire pour qu’ils accèdent au rang de réalité, celle des rêveurs en tout cas. Avec Opal dream Peter Cattaneo a signé une magnifique adaptation du roman de Ben Rice, une véritable pépite d’or incitatrice aux rêves les plus fous en laquelle l’incurable rêveuse que je suis a trouvé un formidable écho… Et puis qu’importe finalement que les rêves ne se réalisent pas, l’essentiel est peut-être d’y avoir cru, d’avoir osé y croire… Certains cyniques trouveront probablement ce film naïf, les autres seront certainement touchés par sa profonde humanité, par sa photographie flamboyante, et par ses jeunes comédiens incroyablement dirigés. Dommage que ce film n’ait pas figuré au palmarès. Gageons que Peter Cattaneo obtiendra avec ce film un succès aussi considérable que celui qu’il avait obtenu avec The Full Monty qui fut d’ailleurs présenté en avant-première à Dinard et récompensé du Hitchcock d’or 1997.

    Avec Stoned de Stephen Woolley, c’est dans un tout autre univers que nous sommes plongés : une chronique de la vie sordide et de la mort mystérieuse du cofondateur des Rolling Stones, Brian Jones (Leo Gregory), qui fut retrouvé mort au fond de sa piscine quelques jours à peine après avoir été évincé du groupe. Un film qui se veut « sexe, drogue et rock’n roll » et qui n’est malheureusement que cela, dans le fond en tout cas, la forme étant particulièrement conventionnelle et même convenue. Evidemment si nous comparons Stoned à une autre adaptation de la vie d’une rock star au cinéma, à savoir celle de Curt Cobain dans Last days de Gus Van Sant, le film de Stephen Woolley fait bien pâle figure. Blême figure même. Là où Van Sant témoignait d’un véritable point de vue de cinéaste (longs et silencieux plans séquences, personnages filmés de dos etc), Stephen Woolley se distingue par son effacement devant son sujet. S’appuyant notamment sur les déclarations d’une ex-petite amie du guitariste, Stephen Woolley accrédite la thèse selon laquelle Brian Jones ne serait pas mort accidentellement mais aurait été assassiné par une entrepreneur en bâtiment travaillant dans sa maison et qui fut autant le témoin, l’admirateur et aussi parfois la victime des excentricités de Brian Jones. On ne peut être que déçus de n’entendre aucune musique du groupe. Cela ne relevait d’ailleurs pas de problèmes de droits d’auteurs, comme l’a expliqué le réalisateur avant la projection mais d’un choix qui consistait à privilégier les musiques que Jones jouait auparavant ou qui l’inspiraient, insistant sur le fait qu’il s’agit d’un film sur un homme « stoned » et non sur les Stones. Etrange choix du cinéaste quand on voit avec quel acharnement il a essayé de donner à son image un grain suranné, façon sixties, et donc réaliste. Le dénouement est néanmoins plus intéressant, se regardant comme un polar se terminant par la mort d’un homme, mort auréolée de mystère qui, dans le parti pris (le seul) de Stephen Woolley n’en est finalement plus un.

    Séance spéciale

    Cette année le festival a décidé de projeter en séance spéciale, Palais royal de Valérie Lemercier, une coproduction franco-britannique dont une partie se déroule d’ailleurs en Angleterre, telles sont en tout cas les raisons invoquées pour la projection du film dans le cadre du festival. Après tout une comédie est plutôt appréciable dans une sinistre actualité que la majorité des films reflète d’ailleurs. A voir la présentation du film par sa réalisatrice Valérie Lemercier, visiblement au comble de l’angoisse, je commence à douter du caractère comique de son film. L’histoire est celle d’Armelle (Valérie Lemercier), orthophoniste peu dégourdie, mariée à Arnaud (Lambert Wilson), jeune frimeur et frère cadet du roi André et de la reine Eugénia (Catherine Deneuve). A la mort accidentelle du roi, contre toute attente, le couple va devoir lui succéder et remplacer Alban, le fils aîné, dans ses obligations royales. Le ressort de la comédie est là : une personne ordinaire placée dans une situation extraordinaire mais étrangement ce sont les scènes qui précèdent cette situation extraordinaire qui prêtent davantage à détendre les zygomatiques, les miennes en tout cas, pourtant de bonne composition, après être restées figées lors des précédentes projections. La seule véritable surprise provient de Lambert Wilson, qui se moque de lui-même avec un plaisir tel que nous ne pouvons que le partager. Sa liaison avec le personnage interprété par Mathilde Seigner (la femme de son meilleur ami, ô que c’est original…) est bientôt laissé de côté (dommage d’ailleurs car sa trop courte apparition démontre encore une fois le ressort comique de son jeu) pour que le film ne se concentre ensuite que sur le personnage d’Armelle et le film devient alors « la revanche d’une brune au palais royal », ou « Frénégonde malgré elle » ou « Colour me Diana ». Valérie Lemercier semble en effet prendre ici autant de plaisir à s’embellir qu’elle en avait eu à s’enlaidir dans sa précédente réalisation Le derrière. On finit même par se demander si ce n’est pas le principal objectif du film, si elle n’a pas davantage cherché à se faire plaisir qu’à faire plaisir aux spectateurs, et leurs zygomatiques donc. Dommage que le rythme et le résultat final soient aussi inégaux… Singulier et rare choix de commencer et terminer une comédie par un enterrement, conclusion amère d’une critique acerbe ou qui se voudrait telle, des limites et ambivalences de la charité(charity business) dont les rapports avec l’intérêt personnel et lucratif sont aujourd’hui si souvent flous. Finalement peut-être Palais Royal vise-t-il davantage la critique ironique, voire cynique, que la comédie. Cet objectif là est davantage atteint et tant pis pour mes zygomatiques…

    Carte Blanche à Régis Wargnier

    Chaque année, le festival donne carte blanche à un réalisateur, cette année le président du jury, Régis Wargnier, qui a apporté dans ses bagages deux de ses films dont le dernier Man to man que je n’avais pas eu l’occasion de voir lors de sortie. Inconditionnelle de ce réalisateur, je ne pouvais pas manquer la projection malgré l’heure tardive et l’exiguïté de la salle dans laquelle il était projeté.
    1870. Le docteur Jamie Dodd (Joseph Fiennes) est fou de joie : il vient enfin de réussir à capturer deux pygmées. Il les amène en Ecosse avec l’aide d’Elena Van den Ende (Krisin Scott Thomas), une aventurière qui vend des animaux sauvages aux zoos d’Europe. Dodd et ses collègues anthropologues sont persuadés d’avoir trouvé le fameux chaînon manquant : découverte qui pourra les rendre célèbres…Mais Jamie est bien décidé à prouver que ce sont des êtres humains à part entière et non des animaux à exhiber dans des zoos.
    Régis Wargnier aime mêler drames intimes et fresques historiques, et ce Man to man s’inscrit parfaitement dans sa filmographie précédente même s’il se rapproche peut-être finalement davantage de Je suis le seigneur du château (film d’ailleurs judicieusement oppressant que je recommande à tous ceux qui le taxeraient de classicisme) que d’Indochine. On retrouve néanmoins ici son goût pour les paysages grandioses, en l’occurrence ceux de l’Afrique et de l’Ecosse, néanmoins ici filmés avec davantage de réalisme, l’âpreté du sujet et des caractères des personnages principaux ne se prêtant pas à des fantaisies photographiques. Les deux jeunes pygmées sont enfermés dans une cage comme le décor tout entier le suggère, suffocant, que ce soit par son enfermement ou sa démesure. Dans ce cadre évoluent Elena Van Ende, fière, altière, versatile (peut-être trop, son comportement changeant tellement souvent que ce personnage reste insaisissable) et Jamie Dodd qui rapidement découvre l’absurdité de ses théories et se fait l’avocat passionné des deux jeunes pygmées. La passion, là encore, certainement le caractère commun de tous ses films, Régis Wargnier aimant disséquer les tourments ou l’exaltation qu’elle suscite, l’exaltation en l’occurrence, qui imprègne tout le film d’une force épique portée par le souffle d’une belle gravité pour cette œuvre pédagogique et historique, humaniste aussi, prenant toujours la distance nécessaire pour ne pas tomber dans le pathos qui aurait desservi le sujet. Nous attendons le prochain film avec impatience, en l'occurrence une adaptation d'un roman de Fred Vargas !

    Clôture et palmarès

    Voila, j’ai désespérément tenté de freiner l’irréfragable écoulement du temps, l’heure du palmarès est finalement arrivée. Cette année le festival s’est à nouveau distinguée par sa convivialité, la quantité de films projetés dans un (trop) petit laps de temps (même si le festival a cette année ouvert une nouvelle salle Hitchcock la bien nommée) et l’accessibilité des professionnels invités, je vous invite donc vivement à le découvrir l’année prochaine… En plus des films commentés ci-dessus le festival proposait également de nombreuses avant-premières, des hommages, une compétition de courts-métrages…malheureusement 4 journées sont trop courtes pour pouvoir assister à tout, je vous renvoie donc au site officiel du festival du film britannique pour obtenir davantage d’informations sur les films que vous ne trouverez pas commentés ici.

    Après quelques interventions ubuesques des divers remettants, et notamment celle d’un exploitant qui semblait tout droit sorti du film Festival d’Annie Griffin, avec le professionnalisme qui le caractérise, Régis Wargnier a énoncé les noms des lauréats explicitant les choix  du jury avec enthousiasme et…sans aide scripturale, ce qui est assez rare pour être souligné !

    Le palmarès de la 16ème édition

    -Le Grand prix du Festival, le Hitchcock d’or,
    le prix du meilleur Directeur de la Photo, le Prix Kodak limited
    décernés par le jury ont été attribué à
    In my father’s Den de Brad McGann.

    -Le prix du meilleur scénario, le Trophée Grand Marnier,
    décerné par le jury, a été attribué à
    Festival d’Annie Griffin.

    -Le prix Première du public a été attribué à
    In my father’s Den de Brad McGann.

    -Le prix Entente Cordiale du British Council a été attribué à
    X-Mass de Scott Flockhart.

    -Le prix Cinécinécourt de CinéCinéma a été attribué à
    Du soleil en hiver de Samuel Collardey.

    Les films projetés au festival du film britannique de Dinard 2005 vus et recommandés par « Mon festival du cinéma » :
    -In my father’s Den de Brad McGann
    -Opal dream de Peter Cattaneo
    -Yes de Sally Potter
    -Man to man de Régis Wargnier

    Pour débattre du festival du film britannique n’hésitez pas à participer au forum ou à laisser vos commentaires ci-dessous.

    Par ailleurs, vous pouvez toujours voter pour "Mon festival du cinéma" qui participe au concours du "meilleur blog cinéma". Ce concours proposé par HautetFort implique néanmoins de créer un nouveau blog avec Blogspirit, par conséquent pour voter rendez-vous sur le blog suivant : In the mood for cinema dont le contenu est similaire à celui de "Mon festival du cinéma"  puis cliquez sur "Notez ce blog" en haut de la page d'accueil. Cela ne vous prendra que 5 secondes!  "Mon festival du cinéma" comptabilise aujourd'hui plus de 6000 visites par mois.  Il ne dépend que de vous qu'il prenne encore davantage d'ampleur...

    En attendant de prochains festivals, ce site continuera à être enrichie de critiques de films et d’évènements cinématographiques divers. La semaine prochaine retrouvez d’ores et déjà mon compte-rendu de la rencontre avec les frères Dardenne qui aura lieu lundi prochain…

    En attendant le récit de mes prochaines pérégrinations cinématographiques vos commentaires restent les bienvenus…

    ©Sandra Mézière

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DU FILM BRITANNIQUE DE DINARD 2005 Pin it! 0 commentaire
  • "Mon festival du cinéma", invité privilégié au festival du film britannique de Dinard

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    Après le festival  du film de Paris, le festival de Cannes,  le festival du film romantique de Cabourg,  le festival du film asiatique de Deauville, le festival du film américain de Deauville..., "Mon festival du cinéma" va vous permettre de suivre l'intégralité du festival du film britannique de Dinard qui se déroulera du 6 au 9 octobre, puisque, après avoir notamment été membre de son jury de professionnels en 1999 dont la présidente était alors Mme Jane Birkin, cette année j'y serai de nouveau pour la 6ème année consécutive et vous en relaterai notamment la compétition, la soirée de gala, l'ouverture et la clôture...

    En attendant retrouvez toutes les informations concernant ce festival sur le site officiel du festival du film britannique de Dinard avec notamment la grille du programme désormais en ligne.

    N'hésitez pas à donner votre avis sur ce festival dans la rubrique commentaires de ce blog ci-dessous ou sur mon forum sur lequel une rubrique est  d'ores et déjà consacrée au festival de Dinard.

    Par ailleurs, vous pouvez voter pour "Mon festival du cinéma" qui participe au concours du "meilleur blog cinéma". Ce concours proposé par HautetFort implique néanmoins de créer un nouveau blog avec Blogspirit, par conséquent pour voter rendez-vous sur le blog suivant : In the mood for cinema dont le contenu est similaire à celui de "Mon festival du cinéma"  puis cliquez sur "Notez ce blog" en haut de la page d'accueil. Cela ne vous prendra que 5 secondes!  "Mon festival du cinéma" comptabilise aujourd'hui plus de 6000 visites par mois.  Il ne dépend que de vous qu'il prenne encore davantage d'ampleur...

    A très bientôt sur ces pages pour un compte-rendu détaillé du 16ème festival du film britannique de Dinard avec comme d'habitude de nombreuses anecdotes sur les coulisses du festival!

     (photo en haut: jury 1999 du festival du film britannique de Dinard, au Grand Hôtel:Mark Addy, Tom Hollander, Daniel Prévot, Julian Barnes, le fondateur du festival Thierry de la Fournière, Maurice Bernart, Samuel Picquet, Etienne Daho, Michèle Laroque, Jane Birkin...et moi)

    Sandra Mézière

    Lien permanent Imprimer Catégories : FESTIVAL DU FILM BRITANNIQUE DE DINARD 2005 Pin it! 2 commentaires
  • Le film "fascinant" de la semaine: "Entre ses mains"d'Anne Fontaine

    Fascination. Voilà probablement le terme qui définirait le mieux le dernier film d’Anne Fontaine. Celle qu’exerce sur Claire (Isabelle Carré), assureur, Laurent, le singulier vétérinaire (Benoît Poelvoorde), venu déclarer un sinistre. Celle qu’exerce sur le spectateur ce film troublant et son duo d’acteurs étonnants. C’est bientôt Noël, c’est à Lille et un tueur en séries sévit depuis quelques jours. Leur rencontre se déroule a priori dans un cadre anodin mais peu à peu la quotidienneté va laisser la place à l’étrangeté d’une relation magnifiquement tragique…

    Progressivement, la caméra vacille et bascule avec Claire dans l’inéluctable, l’inénarrable. Progressivement elle va se retrouver aussi fragile qu’un animal blessé entre ses mains. Des mains qui soignent. Des mains qui tuent peut-être. Des mains qui hypnotisent. Poelvoorde incarne ici ce fauve face à son animalité, ce prédateur de femmes, qui comme les lions qu’il soigne fascinent et effraient. Telle est aussi Claire, (parfaite Isabelle Carré) fascinée et effrayée, blonde hitchcockienne dans l’obscurité tentatrice et menaçante, tentée et menacée. Guidée par une irrépressible attirance pour cet homme meurtri, peut-être meurtrier. Cet homme qui ne cherche pas le bonheur. Juste l’instant. Comme celui de leurs mains qui se frôlent ; de leurs silences et leurs fêlures qui les rapprochent, hors de leur tragique ou quotidienne réalité. Encore une fois Anne Fontaine explore l’irrationalité du désir avec subtilité et avec un salutaire anticonformisme. Benoît Poelvoorde, bouleversant, bouleversé, sidérant, exprime avec nuance l’ambivalence de ce personnage qui tue et donne à Claire le sentiment d’être vivante, qui devrait nous répugner et dont nous comprenons pourtant, (grâce au jeu des deux comédiens et grâce une subtile mise en scène centrée sur les silences et les regards) l’irrépressible sentiment qu’il inspire à Claire qui se met à chanter, à danser. A exister. Anne Fontaine dissèque brillamment chaque frémissement, chaque tremblement dans cette tranquille ville de Province soudainement en proie à la violence comme la tranquille Claire est en proie (la proie aussi) à celle de ses désirs. Les regards hésitants, égarés, déstabilisants, déstabilisés, de Poelvoorde, expriment une pluralité de possibles, l’impensable surtout. L’amour impossible est ici en effet amour impensable. Un film effroyablement envoûtant, dérangeant. Captivant. Fascinant, définitivement.

    Sandra.M

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE(2004 à 2007) Pin it! 3 commentaires
  • Compte-rendu du festival du film américain de Deauville 2005: la quête (vaine?) de l'instant magique...

    Le tapis rouge maintes fois foulé a été rangé, les Planches se sont brusquement vidés des festivaliers qui les arpentaient continuellement, inlassablement, le grand Ecran qui diffusait les arrivées à l’extérieur du CID, parfois involontairement burlesques, a disparu, les affiches de films ont été pliées, les flashs se sont éteints, le soleil même s’est brusquement éclipsé… comme si tout cela n’avait été qu’un songe. Le festival menace de s’évanouir dans les brumes de mes souvenirs où il subsiste encore, là seulement. Evanoui comme un rêve. Un rêve dans lequel on ne rêve que de replonger, fouillant dans sa mémoire jusqu’à la nausée pour en  retrouver la saveur indicible, les sensations indescriptibles pourtant, les souvenirs épars, les instants magiques. Comme à l’issue d’un rêve il ne me reste que des bribes de souvenirs donc, des images parfois floues ou imprécises, l’essentiel en tout cas, la nostalgie aussi, malgré tout. Et les instants magiques alors ? Ce sont bien souvent eux que l’on poursuit inlassablement dans un festival, ce qui le singularise, le différencie d’une simple projection dans une salle obscure, désespérément obscure. Des instants magiques, inénarrables, incroyables même : depuis 12 ans ce festival m’en a procuré une multitude à ne plus savoir qu’en faire, à rêver éternellement. Cette année le festival les a distribués avec parcimonie, ils n’en avaient donc que plus de valeur. Inestimable. D’un festival on se réveille endoloris après cette griserie éphémère et non moins intense.  Soif insatiable d’une septième art euphorisant. Soif insatiable d’instants magiques, encore. Et puis la douce sensation que cela durera éternellement, que les journées s’écouleront invariablement au rythme des projections, des soirées, des promenades revigorantes sur les Planches, des débats interminables sur les films projetés, pourtant la réalité reprend son cours. Restent les souvenirs, images inaltérables.

    Flash back. Jeudi 1er septembre

     Une certaine fébrilité s’empare de Deauville dont la sérénité mélancolique se mue peu à peu en une joyeuse effervescence. A la table d’à côté, un célèbre acteur de théâtre dîne en famille. J’observe que ses mains effectuent le  geste machinal caractéristique de l’homme politique qu’il a récemment et brillamment incarné dans Le promeneur du champ de Mars de Guédiguian. J’aimerais aussi lui parler de Ionesco qu’il a majestueusement servi au théâtre dans Le roi se meurt,  Ionesco élevé par la cousine de mon grand-père, dont l’évocation a bercé mon enfance, Ionesco que j’aurais tant aimé connaître mais je m’égare, je m’égare toujours : revenons à Deauville, à Michel Bouquet que j’ai laissé tranquillement dîner, au festival dont l’imminence de l’ouverture me procure une bonne humeur  inébranlable.

    Vendredi 2 septembre

      Devant le CID et devant le Normandy et le Royal, les badauds commencent à s’agglutiner, pour voir, entrevoir, y être, le dire, le faire savoir, pour demander des autographes et parfois le nom de leurs signataires ensuite. Les festivaliers, quant à eux, sont enjoués, encore, c’est normal c’est le début du festival, les prémisses de dix journées pendant lesquels ils auront bien le temps de tout critiquer, de feindre d’être blasés. Le soir venu arrive la cérémonie d’ouverture. Présenté par l’impayable Laurent Weil, elle débute par un hommage à Waguih Takla, l’irremplaçable présentateur et traducteur du festival qui donnait à chaque conférence de presse un ton si particulier, qui contribuait à l’atmosphère si conviviale de ce festival. Avec lui le festival a perdu beaucoup et un peu de sa personnalité. Ton affecté et visage de circonstance de Laurent Weil puis « the show must go on », évidemment. Avec la cérémonie d’ouverture c’est l’éternel discours des fondateurs du festival : André Halimi et Lionel Chouchan. 31 ème discours même. Les membres du jury, un jury uniquement français sont présentés (leur président Alain Corneau, Dominique Blanc, Romane Bohringer, Rachida Brakni, Brigitte Roüan, EnkiBilal, Christophe, Dominik Moll , Melvil Poupaud) et en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis  le festival est déclaré ouvert. Puis, c’est l’heure du film d’ouverture Matador de Richard Shepard dont le titre nous promet un spectacle haletant, un face-à-face palpitant avec la mort, malheureusement un bon titre ne suffit pas, fut-il allégorique. Dans ce film qui mêle comédie et polar et se déroule essentiellement au Mexique, Richard Shepard nous conte la rencontre a priori incongrue entre un tueur à gage cynique et alcoolique (Pierce Brosnan) et un homme d’affaire timide et maladroit (Greg Kinnear). Ce film de genre et ce genre de film se doit d’être particulièrement bien écrit pour que le cocktail soit efficace. Le contre-emploi ne sied pas forcément à Bond /Brosnan malgré les efforts certains déployés par celui-ci pour être laid, drôle, pathétique. Reste le courage de la parodie et quelques scènes pour dérider les spectateurs, encore peu exigeants en ce début de festival.

    Samedi 3 septembre

    La conférence de presse de Matador   (photo de Pierce Brosnan en conférence de presse ci-contre,© Sandra.M ) par laquelle je commence la journée aurait d’ailleurs été aussi pathétiquement ennuyeuse et convenue (évocation de sa société de production « Irish dream time » par Pierce Brosnan, société créée avec Beau Saint-Clair, l’évocation de l’ambiance forcément incroyable du tournage, Pierce Brosnan acceptant tout d’après le réalisateur et trouvant parfois des idées et les tournant deux heures plus tard etc), avec sa traditionnelle question sur James Bond et la non moins traditionnelle réponse de son ancien interprète (ancien donc et apparemment définitivement ancien…malgré une réponse teintée d’amertume et l’évocation de ces « 10 années magnifiques de [sa] vie »), si une ultime question concernant son avis sur la tragédie de La Nouvelle Orléans et sur l’attitude du gouvernement n’avait enfin suscité un second bruissement d’intérêt de la salle (le premier ayant été suscité par la question précitée si vous n’avez pas suivi). Je m’attends à une réponse laconique voire subtilement évasive mais la réponse de Pierce Brosnan ne laisse pas de place au doute, il évoque « un gouvernement honteux » qui aura « des comptes à rendre ». La salle applaudit, applaudissements dont les journalistes sont généralement avares en conférence. Premier instant magique ? Instant sincère, instant vrai du moins.

    Puis, je vais me promener sur les Planches, mon rituel quotidien dont j’ignore encore s’il est kantien (comprendront ceux qui sont allés voir le film de Karin Albou La petite Jérusalem  évoqué ci-dessous) dont je ne me lasse pas du spectacle. Le festival se trouve là aussi. Le président de l’Assemblée Nationale faisant son jogging matinal  y croise des revenants de la télé réalité se croyant indispensables au spectacle, croyant l’exhibition de leur désoeuvrement nécessaire au bon déroulement du festival.

    La projection suivante est celle de Broken Flowers de Jim Jarmush que j’avais déjà vu à Cannes, qui figure d’ailleurs certainement parmi les meilleurs films du festival de Deauville, et pas forcément parmi ceux du festival de Cannes (voir ma critique dans la rubrique « Festival de Cannes 2005 »), cela vous laisse entrevoir le hiatus qui subsiste encore et peut-être plus que jamais entre les deux festivals.

    Le soir, le festival a décidé de rendre hommage à Robert Towne, prolifique et talentueux scénariste, ayant notamment réalisé Tequila Sunrise et  signé les scénarii de La firme, Mission impossible  (1 et 2), ou ayant encore collaboré à l’écriture du Parrain. C’est avec Chinatown qu’il obtiendra l’Oscar du meilleur scénario en 1975. Roman Polanski était donc particulièrement indiqué pour venir lui rendre hommage, étrange hommage d’ailleurs qui consiste à conter une anecdote sur le chien de Robert Towne, qui laisse ledit Robert Towne et le public quelque peu perplexes, voire embarrassés, face à un Roman Polanski inhabituellement enthousiaste.

     A cet hommage succède la projection de  The Ice harvest de Harold Ramis, encore un film hybride, mélange de comédie et de film policier, dont son réalisateur est friand ayant déjà réalisé Mafia Blues présenté en avant-première à Deauville en 1999. Dans celui-ci il nous raconte une histoire aux rebondissements improbables dont John Cusack, Billy Bob Thornton et Connie Nielsen interprètent les personnages principaux, respectivement un avocat sans scrupules et son associé qui viennent de dérober deux millions de dollars au roi de la Pègre de Kansas City. Le premier espère quitter la ville avec Renata la gérante du club de strip-tease local...  Ce film semble être l’emblème d’une Amérique qui  hésite entre le rire et les larmes, l’ironie ou le désespoir. A son image, son cinéma même ne veut pas choisir. Un film classique (trop) au scénario confus et inégal qui contraste avec l’hommage déjanté de Roman Polanski à Robert Towne.

    Dimanche 4 septembre

    Depuis 3 ans, le festival a également la bonne idée de présenter des documentaires « Les docs de l’oncle Sam ». Malgré le soleil qui incite plutôt à déambuler sur les Planches et à ne pas déroger à mon rituel kantien, en cinéphile imperturbable que je suis, je me décide donc courageusement pour  Grizzly man de W.Herzog qui retrace le portrait de Timothy Treadwell qui a vécu régulièrement au milieu des redoutables grizzlys sauvages d’Alaska par lesquels lui et sa compagne seront finalement dévorés, dénouement symbolique d’une nature impitoyable que personne ne peut maîtriser ou dompter. Tout au long du documentaire on s’interroge constamment sur les réelles motivations de Timothy : agit-il pour le plaisir de se mettre en scène ou est-il un fervent défenseur de la cause animale ?  La première thèse pourrait être renforcée par son désir premier d’être acteur mais sa fascination, son aveugle fascination même, semble particulièrement sincère. Je ne peux m’empêcher d’être fascinée moi aussi, agacée cependant également,  par cette sorte de « Matador » pacifique qui côtoie constamment le danger avec une désinvolture apparente. Une passionnante et terrifiante expérience, des étincelles de l’instant magique.

    La journée s’achève par la projection de  Kiss kiss, bang bang de Shane Black dont c’est le premier long-métrage en tant que réalisateur. Robert Downey Jr y interprète un voleur en fuite qui se retrouve accidentellement au milieu d’un casting de polar hollywoodien. Pour préparer son rôle il fait équipe avec un détective privé (Val Kilmer) et une comédienne en herbe (Michelle Monaghan). Ils se retrouveront finalement impliqués dans une réelle affaire de meurtre. Troisième « comédie policière » ou « polar comique » du festival ou censé l’être comme vous préférez. Certes, Shane Black s’amuse allègrement à détourner les règles et les archétypes du film noir, certes le trio d’acteurs est particulièrement efficace, mais voilà une bonne idée, voire une idée originale, ne suffisent pas toujours. A trop vouloir « ne pas dire comme les autres », on finit par ne plus rien dire. Un film qui ravira peut-être les amateurs du genre qui auront plaisir à être déroutés, mais qui pourrait bien ennuyer fermement les autres…

    Après cette nouvelle déception, je me console en songeant que le lendemain débute la compétition en général davantage synonyme d’audace et de vraie originalité et non d’originalité singée.

    Lundi 5 septembre

     Début de la compétition donc. L’atmosphère est différente: l’enjeu est important pour ces réalisateurs qui présentent bien souvent leurs premiers films. Tel est d’ailleurs le cas du premier film de la compétition,  Crash  (Collision) réalisé par Paul Haggis, auteur du dernier film de Clint Eastwood  Million dollar baby. Avant d’être celle des véhicules de ses protagonistes, cette collision est d’abord celle de destins qui s’entremêlent, s’entrechoquent : une femme au foyer et son mari procureur, deux inspecteurs de police, un réalisateur de télévision et sa femme, un serrurier mexicain, un voleur de voitures, une nouvelle recrue de la police, un couple de coréens.  En 36 heures, tous ces destins vont basculer. Vers l’ombre ou la lumière. L’effroi souvent, avant. A priori leur seul point commun est de vivre à Los Angeles, d’être confrontés à la même incommunicabilité, à la même angoisse dans cette ville tentaculaire, cité des Anges aux allures diaboliques. Le film choral est un genre périlleux, son scénario se doit donc d’être particulièrement ciselé pour que ce soit une réussite et « Crash » en est une, indéniablement, magistralement. Tous ces destins se croisent, se mêlent, se frôlent, se heurtent, se fracassent sans que cela ne semble improbable ou artificiel grâce à la virtuosité de la mise en scène et du scénario. Dès les premières secondes du film, le spectateur se retrouve plongé dans l’obscurité menaçante et impersonnelle d’une Los Angeles effrayée plus qu’effrayante ou effrayante parce-qu’effrayée, dans un crash qui fait exploser les limites que chacun s’était fixé, les vitres symboliques de ces véhiculent qui les isolent, les enferment dans leur monde dont ils ne veulent surtout pas sortir. Frénésie de bruits, d’images, de nationalités, de lumières scintillantes et aveuglantes, regards perdus, angoissés, menaçants : dès les premières secondes la tension est palpable. Los Angeles : ville affolée, cosmopolite, paranoïaque,  en proie aux préjugés, ville emblématique des tensions exacerbées par l’après 11 septembre.  La collision est ici celle de l’étrangeté qui s’immisce dans chaque existence, qui conduit chaque personnage à quitter sa bulle protectrice, parfois ses préjugés, un heurt impromptu dont aucun ne peut ressortir indemne. Cette collision est celle d’univers qui n’auraient jamais dû se croiser et est aussi engendrée par la collision de ces univers qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Collision entre les principes et leur application, les préjugés et leurs dérives. Cette collision est intelligemment mise en scène, parfois soulignée par une « collision musicale » : leitmotiv, musique dissonante etc. L’intelligence réside aussi dans la caractérisation des personnages, a priori manichéens, se révélant finalement beaucoup plus ambigus, humains donc, que ce qu’ils auraient pu paraître de prime abord (au premier rang desquels Matt Dillon qui interprète d’une manière époustouflante un personnage de policier a priori foncièrement antipathique), beaucoup plus ambigus que ce qu’ils sont trop souvent dans le cinéma américain, un cinéma parfois trop consensuel. Lors de la conférence de presse Paul Haggis déclare avoir été lui-même victime d’un car-jacking à L.A et s’être vu braqué un revolver sur la tempe, évènement déterminant pour le début de l’écriture du scénario, d’où peut-être cette impression de réalisme malgré les nombreux effets stylistiques auxquels il recourt. Chacun des personnages de « Crash » est à la frontière du gouffre, des larmes, du « crash », d’une inéluctable et fatale collision. En résulte un film bouleversant, poétique aussi, comme ces face-à-face se faisant étrangement écho du père avec sa petite fille, ou du policier sauvant la vie à celle qu’il avait humiliée. Sans tomber dans le pathos, cette scène reste judicieusement elliptique  et non moins intense. C’est encore un film intelligemment provocateur qui débusque les faux-semblants, l’absurdité de la peur irrationnelle de l’autre. Je ne vous en dis pas davantage pour qu’avec vous aussi la magie opère, pour que vous vous laissiez happer par les couloirs labyrinthiques et non moins limpides de ce film mosaïque et de ses hasards et coïncidences. Dans une société où l’on catégorise, classifie, range les individus à la vitesse de la lumière ou d’un simple regard, ce film devient salutaire. Peut-être pourrait-on reprocher à Paul Haggis des ralentis superflus mais son film n’en reste pas moins fascinant, fascination et poésie que ne suscitaient et ne possédaient pas les deux films desquels on peut rapprocher Crash : Magnolia  de Paul Anderson et Short cuts de Robert Altman. Il vous heurtera très certainement, un choc nécessaire … L’instant magique du festival, très certainement.

    Le film suivant de la compétition ( The ballad of Jack and Rose  de Rebecca Miller, fille du célèbre dramaturge)  évoque aussi des heurts. La confrontation est ici d’abord celle de Rose avec la maîtresse de son père, Jack, avec lequel elle vivait éloignée du monde sur une île déserte jusqu’à ce que celui-ci fasse venir cette dernière et sa famille. Jack, ancien membre d’une communauté hippie est un être épris d’idéaux, Rose exprime la violence des idéaux de l’adolescence. Les deux s’entrechoquent aussi. Film troublant sur une période troublée. Les situations basculent néanmoins brusquement (trop), les réactions sont excessives (trop)…même si elles sont révélatrices de cette époque de l’adolescence à fleur de peau, de ses tourments, ses excès. Le film oscille constamment entre innocence et amour interdit. Rebecca Miller semble hésiter entre classicisme et transgression. Reste un film inégal et hésitant, troublant aussi, l’implicite admirablement filmé, le portrait d’une relation père/fille en demi-teinte intense et ambiguë, et la magistrale interprétation de Daniel Day Lewis en père aux dernières lueurs de sa vie, troublé par sa fille, elle, bouleversée par les dernières lueurs de l’enfance…

      When will I be loved  est ensuite précédé d’un hommage à son réalisateur James Toback auteur de  Mélodie pour un tueur dont Jacques Audiard s’est inspiré pour  De battre mon cœur s’est arrêté. Après avoir célébré pendant des années les monstres sacrés du cinéma américain, cette année Deauville a décidé de mettre à l’honneur un cinéma plus confidentiel. Dans When will I be loved,  Vera (Neve Campbell) partage sa vie avec Ford, un jeune escroc qui utilise les femmes afin de devenir riche et célèbre. Il pense faire fortune le jour où il rencontre le comte Tommaso Lupo, un vieillissant milliardaire italien. Ce dernier est prêt à débourser 100000 dollars afin de passer une nuit avec Vera. Un remake de proposition indécente, vous dîtes-vous certainement ? Non, non, attention, le film se veut indépendant, moderne, post-moderne même. Oui mais voilà à trop vouloir transgresser et se démarquer on finit par digresser inutilement… Le personnage de Neve Campbell qui y joue « de l’amour et du hasard » davantage qu’elle ne se demande « When will I be loved » y est néanmoins ambigu et machiavélique à souhait. Pour cela et cela seulement…

    La soirée s’achève par le dernier film de Lasse  Hallström  An unfinished life, lequel était déjà venu présenter L’œuvre de Dieu, la part du diable à Deauville, en 1999. On y retrouve la même photographie soignée, on y trouve encore un générique alléchant : Morgan Freeman, Robert Redford, Jennifer Lopez. « An unfinished life » n’est malheureusement qu’un film très classique qui se veut être une belle et démonstrative illustration du pardon : si le meilleur ami (Morgan Freeman) de Einar (Robert Redford) pardonne à un ours de l’avoir estropié, ayant lui-même pardonné à Einar de ne pas l’avoir secouru pour cause d’état éthylique, Einar peut bien pardonner à sa belle fille (Jennifer Lopez) d’avoir causé l’accident qui a engendré la mort de son fils… !?! Simple, voire simpliste et surtout moralisateur. Ajoutez à cela le « jeu »totalement inexpressif de Jennifer Lopez, et ne reste qu’une belle carte postale du Wyoming dans lequel s’époumonent et soliloquent deux monstres sacrés du cinéma qui s’y sont inexplicablement égarés…

    Mardi 6 septembre.

    La journée débute par le 3ème film de la compétition The Brick  de Rian Johson. Deauville et ses films indépendants affectionnent le thème de l’adolescence,  la radiographie de ses errements et ses dérives. Si  The Brick  met également en scène des adolescents, cela relève avant tout de la volonté de son réalisateur, selon ses propres termes de « dépoussiérer les conventions d’un genre ». « J’ai voulu faire une detective story en revisitant les codes du genre de manière inédite en prenant à contre-pied les règles établies ». Dans The Brick  un lycéen solitaire et taciturne part à la recherche des assassins de son ancienne petite amie. Sur fond de trafic de drogue Rian Johnson nous entraîne dans un étrange univers où les adolescents singent les adultes, où une sympathique petite bourgade de Californie ferait frémir le Chicago d’Al Capone. En véritable et redoutable justicier, il part en quête de la clef du mystère, en l’espèce une mystérieuse brique de drogue, un cheminement prétexte à des rencontres avec des personnages inquiétants et bigarrés, aux frontières du fantastique empruntant autant à Murnau qu’au film noir américain. Ce film qui a reçu le prix spécial du jury à Sundance a le mérite d’être inclassable...

    Profitant de sa présence opportune en Europe où il y tourne actuellement la très secrète adaptation du Da Vinci Code,  le festival a décidé d’honorer Ron Howard, réalisateur notamment d' Apollo 13, Un homme d’exception  ... La tâche incombe au producteur Irwin Winkler avant que Ron Howard, dans un discours interminable, ne le remercie, ainsi que Deauville, les autorités, et semble-t-il toutes les personnes ayant croisé sa route. Y succèdent des extraits des films de Ron Howard avec en « exclusivité mondiale » la très efficace bande annonce du « Da Vinci Code »…Puis après une standing ovation avortée et spontanément…recommandée par la présentatrice c’est l’heure de l’avant-première de son dernier film  Cinderella man , littéralement « l’homme Cendrillon », en français titré « De l’ombre à la lumière ». C’est en effet  un véritable conte de fées, l’itinéraire d’un autre « homme d’exception » inspiré de l’histoire vraie du boxeur Jim Braddock (Russell Crowe). La carrière prometteuse de celui-ci est en effet brusquement interrompue par une blessure. Un malheur n’arrivant jamais seul, nous sommes en 1929, c’est la crise économique et Braddock , contraint d’accepter les tâches les plus ingrates pour nourrir sa famille, sombre dans la misère. Evidemment si cela s’achevait là, cela ne serait pas un « Cinderella man », ce ne serait pas un conte de fées, ce ne serait pas un film de Ron Howard, l’American Dream virerait inhabituellement au cauchemar. Mais un jour son agent lui décroche un ultime combat. Jim ayant la rage au cœur et une famille à nourrir, forcément, l’obscurité cède peu à peu la place à la lumière. Evidemment l’intérêt du film ne réside pas là, le titre ayant désamorcé tout suspense quant au dénouement…et les spectateurs avertis que nous sommes savent que la déchéance n’est dépeinte que pour exacerber la jubilation de la réussite, et valoriser l’American Dream, encore, toujours. L’intérêt réside plutôt dans les combats de boxe , filmés de telle manière que Ron Howard nous entraîne dans la subjectivité de son héros, son universel combat pour la survie et la dignité créant alors l’empathie puis la sympathie du spectateur qu’il soit ou non, amateur de boxe. Evidemment ce film n’est pas vraiment un coup de poing dans un cinéma qui a déjà filmé la boxe sous toutes les coutures, comme le démontre l’hommage rendu par ce 31ème festival aux films la célébrant. Le cinéma américain aime tout particulièrement filmer et glorifier ces histoires de revanche sur la vie, de combativité humaine et sportive comme Goal à la fin du festival (voir plus bas) ou le poignant  La légende de Seabiscuit  de Gary Ross présenté au festival de Deauville en 2003. Cinderella man vient de connaître un échec retentissant  Outre-Atlantique: à une période où l’Amérique est plus fébrile, et fragile que jamais, probablement les histoires à la Capra proclamant que la « vie est belle »paraissent-elles incongrues, voire indécentes. Ron Howard se déclare ainsi « attiré par les histoires qui célèbrent les petits instants de grâce humaine » voulant « capturer » ces instants et les insérer dans ces histoires »...

    La grâce (l’instant magique donc) est davantage présente et bouleversante quand on ne l’attend pas, quand elle n’est pas (télé)commandée, c’est donc probablement pourquoi elle surgit davantage du film suivant :  Everything is illuminated , premier film de Liev Screiber qui nous entraîne sur les traces de Jonhatan (étonnant Elijah Wood) qui se rend en Ukraine pour retrouver la femme qui sauva son grand-père durant l’invasion nazie. Le cinéma compte de grands films sur le devoir de mémoire…oui, peut-être mais ces films n’en demeurent pas moins nécessaires et périlleux. Nuit et brouillard de Resnais, Shoah de Lanzmann, La liste de Schindler de Spielberg, La vie est belle  de Benigni…des films si différents et non moins nécessaires. La mémoire et le souvenir sont volatiles, les pérenniser est un des plus beaux combats. Un combat en douceur, implicite, sans emphase, sans grandiloquence, une narration limpide…et d’autant plus efficace. Un film non dénué d’humour et poignant entre couleurs froides et chatoyantes, entre passé obscur et présent illuminé par sa révélation, entre oubli et culpabilité fatale.

    Mercredi 7 septembre 

     Forty shades of blue  d'Ira Sachs est le cinquième film de la compétition et il arrive auréolé du prix du jury à Sundance. C’est avant tout le portrait de Laura, une jeune femme russe, vivant à Memphis avec son mari, Alan, célèbre producteur de musique et leur fils de 3 ans. Leur vie confortable mais teintée de solitude, est un jour troublée par l’arrivée du premier fils d’Alan, Michael, du même âge que Laura…Il est de ces films qui vous entraînent, vous charment, vous envahissent, sans que vous sachiez très bien pourquoi. « Forty shades of blue » est de ceux-là. Chaque minute du film, sa musique, son montage, ses couleurs bleutées et crépusculaires portent l’empreinte de la solitude et témoignent de l’enfermement de son héroïne. Les silences pesants, les regards qui disent, mentent, taisent, constituent un véritable dialogue que certains jugeront trop elliptique mais qui ravira les amateurs d’implicite qui préfèrent les  nuances (=shade) du bleu au manichéisme du noir et blanc.

    Avec Reefer madness d’Andy Fickman , deuxième film en compétition de la journée, en revanche l’implicite n’a pas sa place. Du silence implicite on passe de la musique explicite puisque d’une comédie musicale il s’agit, une comédie musicale sur les effets et les méfaits de la marijuana. Cette fois la dérision et l’extravagance sont au programme : Jésus chantant et surgissant avec un micro d’or pour faire fuir Satan etc. Ce qui est surprenant et ludique au début devient rapidement agaçant lorsque le scénario n’est pas à la hauteur des moyens déployés. Une farce qui aurait été amusante si elle ne s’était pas contentée d’auto satisfaction… Andy Fickman devra se souvenir que les plaisanteries les plus courtes sont souvent les meilleures… Reconnaissons-lui au moins le mérite de s’être attelé à un genre délaissé et d’avoir momentanément éclipsé la morosité ambiante.

    La projection du soir c’est Elisabethtown  de Cameron Crowe (Rencontres à Elisabethtown), aucun festivalier ne peut l’ignorer. Depuis deux jours, des pancartes sont affichées partout dans le CID indiquant que tout téléphone portable sera confisqué, ordre du distributeur dudit film craignant le piratage. Le téléphone portable étant un peu un deuxième cerveau pour beaucoup (ou un premier, c’est selon), des menaces de rébellion planent sur le CID, toute projection débutant déjà par les sifflement de spectateurs mécontents se voyant interdire l’utilisation de leur appareil photo dans l’enceinte du CID pendant tout le festival. Ce film est annoncé comme le meilleur du festival. Au souvenir de Jerry Maguire et de Vanilla sky, je reste dubitative mais le festivalier étant un être sans préjugés, (surtout le festivalier ayant précédemment vu et retenu la leçon de « Crash ») je me rends à Elisabethtown avec bienveillance, les neurones dubitatifs en sommeil. Rarement un film m’aura pourtant paru aussi interminable et insipide (probablement parce-que je n’avais pas encore vu « Bea season » projeté le lendemain…) Cela commençait pourtant plutôt bien : Drew (Orlando Bloom) a créé une chaussure de sport dont le lancement imminent pourrait bien être l’échec du siècle. A trois jours de la médiatisation de son échec, Drew apprend que son père vient de mourir et qu’il doit se rendre à Elisabethtown dans le Kentucky afin de régler les détails des funérailles. En chemin, il rencontre Claire (Kirsten Dunst), une hôtesse enjouée, dont rien ne semble pouvoir entamer l’optimisme… Kirsten Dunst venue présenter le film avec son réalisateur Cameron Crowe à Deauville paraissant aussi enjouée que son personnage, je m’attends donc à passer un bon moment, d’autant plus que ledit Cameron (euh Crowe... pas Diaz comme le suggérèrent mes voisins dans la salle) exprima son désir d’aller à l’encontre des films glorifiant l’American Dream. Si la rencontre entre ces deux personnages antagonistes  promet d’abord d’être intéressante, voire explosive, le film sombre bientôt dans la mièvrerie,( tout  enjeu disparaissant une fois les deux personnages réunis aux premières minutes d'un film qui en compte 132) et le spectateur dans le sommeil, notamment un célèbre écrivain, d'ailleurs plus célèbre qu'écrivain somnolant sur le siège d'à côté.  Dommage car une réelle alchimie existe entre les deux acteurs, le dialogue amoureux au téléphone et le voyage avec l’urne funéraire auraient pu être amusants et inventifs … Et puis M. Cameron (Crowe, donc pas Diaz), pourquoi avoir cédé à la happy end et plonger dans l’American Dream contre lequel vous disiez vouloir aller, sa fameuse chaussure de sport devenant un succès planétaire ? Je ne vous engage pas vraiment à vous rendre à Elisabethtown… vous voilà prévenus !
     

    Jeudi 8 septembre 

    Dans Pretty persuasion de Marcos Siega, septième film de la compétition, Kimberly Joyce, brillante adolescente de Beverly Hills à la fois manipulatrice, extrêmement drôle, foncièrement cruelle et naturellement sexy, ne recule devant rien pour devenir célèbre. Elle convainc ses deux meilleures amies de témoigner contre leur professeur… La critique des Etats-Unis se voudrait acerbe, les réflexions cinglantes, l’humour décapant mais à trop vouloir montrer ses intentions on finit par les rendre caduques et surtout American Beauty était déjà passé par là… Le machiavélisme de l’héroïne est tellement caricatural qu’elle en deviendrait presque sympathique. Le réalisateur qui signe ici son premier long-métrage a beaucoup travaillé pour la télévision, probablement est-ce la raison pour laquelle Pretty persuasion ressemble davantage à une série pour les adolescents  qu’à un long-métrage…Le film n’est néanmoins pas totalement inintéressant, sauvé par quelques répliques très actuelles, et politiquement incorrectes et par le jeu de Evan Rachel Wood, déjà remarquée dans le très réussi Thirteen présenté à Deauville en compétition, en 2003.

    Avec Keane de Lodge Kerrigan, produit par Steven Soderbergh, l’autre film de la compétition de la journée, c’est un autre univers dans lequel nous nous trouvons immergés, par lequel nous sommes inexorablement saisis. Le regard de Keane semble accroché au nôtre, à la caméra,  et semble s’en emparer comme d’une bouée de sauvetage, et ne plus pouvoir s’en détacher, ou bien l’inverse nous sentant les témoins impuissants de sa douleur indicible. William (Damian Lexis) est un père qui tente d’accepter l’inacceptable, la disparition de son enfant de six ans, six mois plus tôt, à New York. Il se retrouve face à ses démons, ses remords, ses angoisses, la vacuité de son existence. La caméra à l’épaule de Lodge Kerigan ne le quitte pas une seconde, la tension (et l’attention) est constante. Elle cherche et vacille avec lui, égaré dans New York, indifférente à sa détresse. A tout moment il menace de sombrer dans l’inéluctable, l’irréversible. Puis, il se lie d’amitié avec une mère célibataire et sa petite fille. Son regard hagard, désoeuvré y trouve un réconfort, un miroir rassurant, ou un exutoire, on ne sait pas trop. Kerrigan ne veut pas que l’on sache. Le doute plane constamment, son regard devient le nôtre, nous épousons son point de vue, entraînés dans son malaise incessant , avec lui au bord du gouffre, suffoquant, implorant, soliloquant. Qu’importe la réalité. Peu importe qu’il s’agisse de la folie simplement ou de la folie  du désarroi,  c’est un film criant de vérité, vociférant sa vérité, sa douleur inextinguible. Une errance bouleversante,  brillamment portée par Damian Lewis.

    Avec Bee season, de Scott McGehee et David Siegel l’avant-première du soir, notre tension (et attention là aussi) retombent franchement. Eliza Naumann, onze ans, vient d’une famille bourgeoise instable. Son père, Saul, un professeur d’Université, lui préfère son frère, et sa mère, Miriam, une scientifique, absorbée par sa carrière. Lorsqu’elle s’inscrit à un tournoi d’orthographe, sa famille est persuadée de son échec mais, à leur grande surprise, elle gagne. Son nouveau talent lui ouvre de nouvelles portes et les sollicitations se font de plus en plus nombreuses.  Sur fond de quête mystique de chacun de ses membres, les deux réalisateurs traitent de la cellule familiale non sans une certaine maladresse. On s’oriente d’abord vers les atermoiements d’un enfant surdoué, ce qui aurait pu être intéressant…puis les égarements de sa mère qui culpabilisent à la mort de ses parents. Enfin, les réalisateurs semblent se focaliser sur  la perfection apparente de chacun qui finit par éclater et révéler les fêlures d’une existence apparemment irréprochable. L’Homme est  fragile, n’est pas infaillible,  et ne peut être heureux que s’il l’accepte s’évertuent à nous démontrer les deux réalisateurs (il fallait bien être deux pour cela et faire appel au couple Gere/Binoche) non sans nous avoir infligé d’interminables concours d’orthographes. Pourtant annoncée, Juliette Binoche n’a pas fait le déplacement à Deauville, bien qu’également à l’affiche de « Mary » d’Abel Ferrara, présenté le lendemain…Dommage que Scott McGehee et David Siegel n’aient pas su davantage mettre à profit leurs talents de réalisateurs qu’ils avaient démontré dans The deep end  présenté à Deauville en 2001, et que ce « thriller mystique » n’ait choisi ni l’un ni l’autre pour finalement n’appartenir à aucun genre...à moins que ce ne soit celui des films de concours d’orthographe, par ses réalisateurs initié.

    Mon esprit virevolte déjà et mes jambes le suivent bientôt pour guider ma petite personne vers le restaurant l’Etrier de l’hôtel Royal, toute entière invitée au dîner du prix littéraire cette année remis au toujours sémillant Budd Schulberg, malgré ses 91 ans. Ce dernier a notamment écrit le scénario oscarisé de Sur les quais d’Elia Kazan en 1955, et son premier roman Qu’est-ce qui fait courir Sammy  reste considéré comme son chef d’œuvre. Après le traditionnel discours de remerciement succédant à celui d’un des membres du jury du prix littéraire, Frédéric Beigbeder, notre joyeux et fier trio peut enfin se délecter de mets succulents autant que de la parcimonieuse et non moins tonitruante conversation de ses voisins de table.

    Vendredi 9 septembre
    L’avant-dernier film en compétition du festival  On the outs de Lori Silverbush et de Michael Skolnik se déroule dans un quartier de Jersey City où se croisent les destins de trois adolescentes. Dans un univers qui broie leur identité, parfois leur dignité, elles tenteront de passer à l’âge adulte. Avec elles le spectateur s’enfonce avec effroi dans un tunnel qui paraît inextricable, un cercle vicieux dont l’issue paraît impossible, pourtant au dénouement de cet âpre parcours initiatique pour l’une d’elles se trouvera la lumière. Les deux réalisateurs filment leurs destins croisés et le cadre dans lequel elles évoluent avec une précision presque documentaire. Certaines scènes sont bouleversantes, et si d’autres peuvent paraître plus artificielles, l’intérêt demeure constant  pour ces trois personnages blessés,  désorientés, brillamment portés par les trois comédiennes et une équipe de film enthousiaste que nous avons eu beaucoup de plaisir à croiser pendant tout le festival à Deauville.

    Le festival s’est écoulé à une vitesse fulgurante et arrive déjà le dernier film en compétition Edmond de Stuart Gordon, tiré d’une pièce de David Mamet, brillante référence pour un film qui ne l’est malheureusement pas autant, également malgré la présence de William H. Macy dont l’interprétation avait déjà beaucoup marqué les festivaliers dans Lady chance, présenté en compétition, en 2003, à Deauville. S’il interprète ici aussi un personnage à la dérive, ses motivations sont beaucoup moins crédibles tant ses actions sont caricaturales. Après avoir consulté une voyante, Edmond Burke (William H.Macy donc), un cadre supérieur policé et marié, réalise qu’il a toujours mené une vie banale et monotone. Sous le choc de cette révélation, il décide de quitter l’ennui rassurant de son foyer pour les bas-fonds de la ville… Aucun cliché ne nous est épargné et une noirceur qui se voudrait humoristique les rend encore plus pathétiques et vains. Son revirement est tellement brusque et excessif que bien vite notre attention s’en détache. Dommage, le sujet, éminemment cinématographique, était intéressant. La distanciation du spectateur est aussi importante que son implication l’était dans Keane. La différence s’appelle peut-être la modestie ou le talent… Stuart Gordon, spécialisé dans le cinéma horrifique pense visiblement que la terreur est forcément synonyme d’hémoglobine. Probablement parce-qu’il n’a jamais croisé le regard de Keane qui hantera pourtant le spectateur bien longtemps après la projection, bien plus que les scènes sanguinolentes d’Edmond.

    Avec Moi, toi et tous les autres , son premier long-métrage, c’est  un tout autre univers que nous invite à découvrir l’actrice, scénariste, réalisatrice, Miranda July, et déjà tout simplement à « un univers » qui la caractérise d’emblée, qui ne ressemble à aucun autre.  Elle y interprète (filme et scénarise aussi donc) Christine Jesperson, une jeune artiste touchante et spontanée, qui mélange dans son quotidien, art et réalité. Richard Swersey, vendeur de chaussures, père de deux garçons et tout juste redevenu célibataire, est prêt à tenter de nouvelles expériences. Mais quand Christine entre sur la  pointe des pieds dans sa vie, il panique… Dès les premières images, nous sommes envoûtés par ce monde qu’elle retrace, qui est le nôtre et pas tout à fait, plutôt le nôtre vu par le prisme de son singulier regard. La difficulté de communiquer est là encore au centre de l’histoire. Les moyens de communiquer n’ont jamais été aussi rapides et nombreux et pourtant la communication s’avère plus difficile que jamais avec ces « tous les autres » plus proches et plus lointains qu’ils ne l’ont jamais été, le paradoxe d’une mondialisation qui enferme plus qu’elle n’ouvre au monde et aux autres, un paradoxe que mettent en lumière et en images nombre de films de cette 31ème édition, un des maux de ce 21ème siècle et de ses balbutiements. A une célérité déconcertante tout peut alors basculer dans l’interdit ou la poésie, et Miranda July n’oublie ni l’un, ni l’autre. L’art contemporain auquel s’est adonnée la réalisatrice et que pratique son personnage principal imprègne également fortement le film et lui procure cet aspect iconoclaste, celui d’une œuvre lunaire et riche, à la fois poétique et réaliste, en tout cas attrayante du début à la fin, nous hypnotisant comme un œuvre d’art moderne, aux contours et au signifié flous dont on ne demande qu’à percer le délicieux mystère… Entre l’art et la réalité, pourquoi faudrait-il choisir ? Pourquoi ne pas faire de sa vie un art ? Le plus beau des défis, certainement. Ce film a obtenu la caméra d’or et le grand prix de la semaine de la critique à Cannes. J’attends avec impatience son deuxième film, le prochain voyage dans son univers esquissé, si  intelligemment dépeint.

    La magie ne s’estompe pas avec la séance suivante puisqu’elle est précédée d’un  hommage au charismatique Forest Whitaker. Après avoir joué dans une dizaine de films ( Good morning VietnamBird, Prêt-à-porter, The crying game,  Ghost dog, Panic room, etc), il est passé à la réalisation en 1995, sa dernière  et troisième réalisation « Des étoiles plein les yeux »datant de 2004. Forest Whitaker est visiblement particulièrement ému de l’hommage que lui rend le festival, malgré un discours qui semble ne pas avoir été écrit par son lecteur, Alain Corneau, celui-ci ne devant initialement pas rendre cet hommage. L’émotion de Forest Whitaker n’en demeure pas moins prégnante. Forest Whitaker lui répond en déclarant faire ce métier pour « les instants magiques » comme ceux-là. Lui aussi. Réminiscence d’autres instants magiques : les larmes d’Al Pacino, l’émotion de Morgan Freeman, l’enthousiasme de Johnny Depp, les facéties de Robin Williams, la prestance de Clint Eastwood, la grâce de Lauren Bacall…et tant d’autres encore que j’ai vu défiler et s’émouvoir sue cette scène du CID. Mais revenons au présent à Forest Whitaker, je vous l’avais dit, je m’égare toujours !  Cet hommage n’est pas la seule raison de la présence de Forest Whitaker, puisqu’il est également présent à Deauville pour présenter Mary d’Abel Ferrara dans lequel il tient un des rôles principaux. 

    Abel Ferrara, après Venise, est visiblement très heureux de venir présenter son dernier film à Deauville, et ne tarit pas d’éloges sur Forest Whitaker et Juliette Binoche qui, pour lui « demeurera toujours Marie-Madeleine ». Elle y incarne en effet Marie Palesti, une actrice, qui incarne elle-même Marie Madeleine pour le cinéma et qui reste illuminée par ce personnage. Tony Childress (Matthew Modine), réalisateur joue Jésus Christ dans son propre film. Ted Younger (Forest Whitaker), célèbre journaliste, anime une émission télévisée sur la foi. Entre fascinations et quêtes spirituelles, le destin les réunira… Trois destins, trois lieux (New York, Jérusalem, et Rome) qui s’entrecroisent et s’entrelacent par une mise en abyme et par leurs questionnements. Questionnements artistiques, mystiques, existentialistes : ceux d’un cinéaste intraitable qui ressemble étrangement à Ferrara, ceux d’une actrice imprégnée du biblique personnage qu’elle a interprété, ceux d’un journaliste face aux conséquences de sa vie chaotique. C’est leur conscience et ses doutes qui réunit  ou sépare ces trois destins. La rédemption est au bout du chemin de croix jalonné d’images fortes, entre série B et trouvailles auteuristes. Le monde de  Ferrara ne ressemble à aucun autre, en tout cas il nous aura emmené dans celui de Mary avec passion, ferveur même. Le voyage vaut la peine pour peu qu’on accepte de se laisser guider par sa caméra frénétique, ses personnages qui nous font intensément face, surtout Forest Whitaker, en homme face à sa conscience tourmentée…

    Samedi 10 septembre
    Cette année le film ayant reçu le prix Michel d’Ornano habituellement projeté dans la salle du  Casino, a les honneurs de la prestigieuse salle du CID. Des films aussi divers que Le bleu des villes, Les jolies choses, Filles perdues, cheveux gras, ont obtenu cette distinction destinée à récompenser le premiers scénarios français portés à l’écran.  Cette année le prix est décerné à La petite Jérusalem  de Karin Albou. Ayant déjà vu ce film présenté au dernier festival du film romantique de Cabourg, j’y retourne néanmoins avec plaisir. La petite Jérusalem est un quartier de Sarcelles, en banlieue parisienne où de nombreux juifs ont émigré. Laura (Fanny Valette), 18 ans, est tiraillée entre  son éducation religieuse  et ses études de philosophie qui la passionnent et lui offrent une autre vision du monde. Alors que sa sœur Mathilde (Elsa Zylberstein) tente de redonner vie à son couple, Laura succombe à ses premières émotions amoureuses. Karin Albou « esquive », avec la même subtilité que le film éponyme, ce qui aurait pu être une caricature sur la banlieue, nous livrant un film au discours et aux questionnements identitaires et philosophiques universels. Le titre renvoie autant à la judéité qu’à la féminité, au fond les deux sources d’atermoiement du personnage principal. Est-on libre en enfreignant la loi ou en la respectant ? Loi du désir ou loi religieuse ? Loi philosophique ou Torah ?  Laura oscille entre l’un et l’autre, entre ses désirs et la raison, sa liberté et la loi, le choix de sa propre loi ou l’obéissance à la loi -religieuse- pour finalement trouver le chemin de sa propre liberté. Je vous laisse découvrir l’itinéraire tortueux et passionnant, passionné aussi, qu’elle aura emprunté pour y parvenir.  Karin Albou nous fait cheminer dans sa conscience fiévreuse, sans jamais juger, nous laissant parfois choisir, douter avec elle, nous renvoyant habilement et constamment à nos propres questionnements. Un film sur le doute amoureux, philosophique, religieux qui n’en laisse planer aucun quant au talent de sa réalisatrice et de son interprète principale. Les dialogues sont aussi bien écrits que les silences, admirablement filmés, plongés dans une obscurité métaphorique. Un film intense sur la liberté. Libre. Mon coup de cœur du festival…du film américain, aussi français soit-il. 

    Evidemment le questionnement philosophique est beaucoup moins sollicité dans Goal, naissance d’un prodige de Danny Cannon, premier volet d’une trilogie sur le football qui devrait s’achever à la coupe du monde de 2006. D’ailleurs, ce n’est pas non plus ce que à quoi je m’attends, plutôt à l’équivalent footballistique de Cinderella man, où le sport n’est qu’un prétexte à l’éloge de la combativité, de la revanche sur le destin (notre héros est asthmatique), du dépassement de soi-même et donc  à des scènes d’identification auxquelles ce sport me semble se prêter plus encore que la boxe. Le prodige en question s’appelle Santiago Munez, qui, à 10 ans, passe la frontière mexicaine, pour aller vivre aux Etats-Unis en rêvant de devenir un joueur de foot. Plus tard repéré par un ancien footballeur, il part pour l’Angleterre. Pour être engagé dans l’un des clubs les plus prestigieux du monde, il va devoir prouver qu’il a le talent et le cran nécessaire. Dommage que Goal   aille un peu trop rapidement droit au but (je sais c’est facile, moi aussi, je cède parfois à la facilité…) et ressemble davantage à une compilation de clins d’œil  et de clichés sur ce sport: publicité pour Adidas, le joueur qui tombe dans les pièges de la célébrité et de la vie facile mais qui miraculeusement rentre dans « le droit chemin », la hargne du héros (dont ) car son père est apparemment indifférent à sa réussite, et même indifférent tout court, les passages éclair de Beckham et Zidane pour rappeler l’attention des amateurs de foot et des autres au cas où elle aurait été distraite. Et surtout les scènes de match d’un sport pourtant tellement « cinégénique » manquent d’emphase, d’ivresse et de grandeur. Subsiste un sympathique divertissement qui, bien que très prévisible, est porté par le regard d’un jeune comédien qui accroche celui de la caméra… Allez gageons que le deuxième opus nous contera sa descente aux enfers et le troisième son retour miraculeux et la victoire de son équipe à la coupe du monde…

    L’imagination et l’originalité sont davantage au rendez-vous dans le film d’animation de Mike Johnson et Tim Burton, Les noces funèbres de Tim Burton. Forcément se dit-on avec le nom du maître de la fantaisie au générique. Au XIXème siècle, dans un petit village d’Europe de l’Est, Victor (dont le mimétisme est d’ailleurs frappant avec celui qui lui prête sa voix : Johnny Depp), un jeune homme, découvre le monde de l’au-delà après avoir épousé, sans le vouloir, le cadavre d’une mystérieuse mariée. Pendant son voyage, sa promise, Victoria, l’attend désespérément  dans le monde des vivants. Bien que la vie au Royaume des Morts s’avère beaucoup plus colorée et joyeuse que sa véritable existence, Victor apprend que rien au monde, pas même la mort, ne pourra briser son amour pour sa femme. Evidemment ces noces funèbres résonnent comme un écho à L’Etrange noël de M .Jack. Comme toujours, dans un univers a priori obscure, Burton sait créer une atmosphère lumineuse, poétique, onirique, enchanteresse et enchantée, foisonnante de trouvailles fantaisistes, réveillant notre âme d’enfant qui ne demande qu’à croire que « pas même la mort ne les sépare » ou que le monde des morts est plus joyeux que celui des vivants. Dans ses bas-fonds, Gorki n’aurait osé imaginer une telle poésie. L’oxymore du titre porte tout le film de son beau et romanesque paradoxe. Ce conte hybride, fantastique, musicale, poétique, drôle aussi vous emmènera bien plus loin, bien plus haut, que dans l’au-delà : il vous fera retrouver vos rêves d’enfant, un pouvoir magique dont seul Tim Burton semble détenir le secret et qu’il manifeste une fois encore. Remarquablement. Pour le plus grand plaisir des petits et des grands ayant ainsi retrouvé leurs regards d’enfant…émerveillés.

    Après cette belle parenthèse onirique, je me replonge dans mon étrange réalité et me dirige vers la soirée « Goal !» organisée par le distributeur du film Buena Vista International. Acteurs, boxeur, mannequin, présentateur (singulier à dessein,…cette année Deauville a oublié de se mettre sur son 31) s’y côtoient dans un mélange de cacophonie et d’indifférence. Je me souviens de l’ambiance électrique qui régnait dans ce même endroit, deux ans auparavant, pour la sortie du film d’animation Nemo et cette soirée-ci semble n’en être qu’une pâle copie. Qu’importe semble-t-il, c’est une des rares soirées de ce festival, il faut apparemment y voir et y être vu, faire semblant de ne rien voir et de ne pas vouloir être vu, et plus encore de s’amuser. Comme c’est toujours mieux en face, forcément, et qu’une autre soirée nous nargue de sa musique et de ses néons, je quitte la soirée Goal  pour la soirée Chevignon, dans la fameuse villa où se déroulaient les soirées quotidiennes du festival, lorsque le festival ou plutôt ses sponsors en organisaient encore quotidiennement.  J’y repense avec nostalgie puis j’y termine la soirée, une de ces soirées étranges où les visages et les attitudes prennent des reflets changeants et lunatiques, où la fiction vue précédemment semble avoir été plus réaliste que cette réalité ayant soudain franchi les frontières du fantastique. Des destins s’y croisent ou s’y retrouvent ou s’y perdent, aussi. Tandis que tous ces visages hagards se déchaînent sur la piste, que le mien les imite à la perfection, je songe au film de Miranda July, à son « moi, toi et tous les autres » ici magistralement illustré, tout en me disant, que je dois bien être la seule à cette heure tardive, sur ce rythme frénétique et répétitif, à songer au film de Miranda July. Débris de verres et cigarettes jonchent le sol : voilà qui heurterait le regard de Tim Burton et qui n’aurait pas lieu d’être dans son univers aseptisé. D’ailleurs, peut-être n'aurait-il pas tout à fait tort… 5 heures du matin. 5 heures du matin déjà et enfin. Au terme d’une soirée insolite, je quitte la villa et mes souvenirs qui m’assaillent et le présent qui menace de les ternir puis j’arpente les rues fantomatiques de Deauville, humant l’air vivifiant de la mer et profitant de son silence salvateur.

    Sandra Mézière

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  • Suite et fin du compte-rendu du festival du film américain de Deauville 2005

    Dimanche 11 septembre. Cérémonie de clôture .
    11 septembre tragiquement célèbre, tragiquement inoubliable. 4 ans déjà. Puis, le présent reprend ses droits : discours des deux créateurs du festival, 31ème, à nouveau. L’un, André Halimi, insiste sur la tragédie de la Nouvelle Orléans et réitère ses paroles de solidarité. L’autre, Lionel Chouchan, insiste sur la quinzaine de premiers films projetés cette année, répondant ainsi implicitement aux reproches quant au manque de têtes d’affiche de ce festival. Cette année, le festival a préféré miser sur les talents de demain plutôt que de mettre à l’honneur ceux d’hier et d’aujourd’hui… Peut-être n’a-t-il d’ailleurs pas vraiment eu le choix, les équipes de films privilégiant plus que jamais le festival de la cité des Doges et ne faisant plus le détour par Deauville. Puis, après le court discours du président du jury, Alain Corneau, qui se déclare satisfait du niveau de la sélection et des films que lui et son jury ont eu à juger, vient l’heure tant attendue du palmarès, un palmarès entièrement conforme à mes attentes bien que le jury ait, semble-t-il, été très divisé. A noter : la fin de la compétition des courts-métrages qui étaient d’ailleurs bien souvent de qualité malgré un public clairsemé… Encore une bonne idée que le festival a malheureusement abandonnée, espérons-le temporairement.

    PALMARES :

    Grand Prix :
    Collision de Paul Haggis
    Prix du Jury :
    Ex æquo, On the outs de Lori Silverbush et Michael Skolnik
    et Keane de Lodge Kerrigan
    Prix du scénario :
    Transamerica de Duncan Tucker
    Prix du magazine Première :
    Reefer madness de Andy Fickman
    Prix de la critique internationale :
    Keane de Lodge Kerrigan
    Coup de cœur Canal Plus du Doc de l’Oncle Sam :
    Enron: The smartest guys in the room de Alex Gibney
    Prix littéraire :
    Budd Schulberg pour l’ensemble de son œuvre
    Prix Michel d’Ornano :
    La petite Jérusalem de Karin Albou

    Je revois ensuite avec plaisir Crash : depuis 2 ans le festival a en effet remplacé la traditionnelle avant-première de la clôture par la projection du Grand Prix. Puis, je me dirige vers le Salon des Ambassadeurs du Casino de Deauville où se déroule le dîner de clôture: heure attendue (dîner, hum…) et redoutée (de clôture). Comme un générique de fin, les protagonistes se retrouvent après le dénouement pour le salut final : jurys, journalistes, équipes de films, organisateurs…et moi ! Quelques conversations et quelques plats plus tard, une heure du matin : il est temps de rentrer, déjà, de revenir à la réalité, d’admettre que le 31ème festival de Deauville est terminé. L’heure de faire ses bagages, de ranger ses souvenirs. Surtout ne pas les effacer, ne pas les galvauder, ne pas tous les vulgariser, et reprendre la plume pour de nouvelles aventures, fictives celles-là, en attendant le récit d’un prochain festival… Espérons que d’ici l’an prochain le festival de Deauville aura retrouvé son prestige, ses fastes, son effervescence…sans se départir de sa convivialité.
    Et l’instant magique me demanderez-vous ? Les prémisses d’une autre histoire, fictive aussi peut-être…


    Bien sûr il m’était impossible de voir tous les films projetés. Pour d’autres regards sur le festival et des films que je n’ai pas vus, je vous renvoie à quelques sites internet incontournables :

    Le site non officiel du festival du film américain de Deauville
    Ideaentertainment (une autre idée du divertissement)
    Criticsonline (le site du cinéma libre)
    Cine zoom (le cinéma par ceux qui y vont)
    Le site officiel du festival du film américain de Deauville 2005 (sur lequel est notamment référencé mon site sur les 30 ans du festival.)
    Mon site sur le festival de Deauville 2005

    Les films projetés au festival de Deauville 2005 recommandés par « Mon festival du cinéma » :
    La petite Jérusalem de Karin Albou
    Crash de Paul Haggis
    Keane de Lodge Kerrigan
    Everything is illuminated de Liev Schreiber
    Les noces funèbres de Tim Burton de Mike Johnson et Tim Burton
    Grizzly man de Werner Herzog
    Moi, toi et tous les autres de Miranda July
    Broken Flowers de Jim Jarmush
    Forty shades of blue d’Ira Sachs

    Pour débattre ou donner votre point de vue sur le festival ou vos réactions à ce compte-rendu : postez un commentaire ci-dessous ou bien rendez-vous sur le forum de « Mon festival du cinéma ».

    ©Sandra Mézière

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