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Critique - LES FEUX DE LA RAMPE de Chaplin

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Le (remarquable) documentaire consacré à Chaplin (qui fait partie de la sélection Cannes Classics 2020), diffusé sur France 3 cette semaine me donne l'occasion de vous parler d'un de ses nombreux chefs-d'œuvre « Les feux de la rampe » qui est aussi son dernier film américain sorti en 1953 (accusé de communisme en pleine période maccarthyste, Chaplin va en effet ensuite fuir les Etats-Unis), écrit en 3 ans et tourné en 45 jours.
Il y interprète un vieil artiste de music hall déchu (Calvero) qui, un soir de l'été 1914, en rentrant ivre chez lui, sauve du suicide sa voisine, la jeune danseuse de ballet Thérèse Ambrouse, dite Terry (Claire Bloom). Il l'héberge chez lui, la soigne et surtout lui insuffle le goût de vivre et la force de danser... Tandis que sa carrière à lui décline, la jeune femme s'avance vers le triomphe et vers les feux de la rampe...
Même s'il réalisa encore deux films par la suite (« Un roi à New York » et « La comtesse de Hong Kong »), « Les feux de la rampe » aurait pu être le dernier film de Chaplin tant il résonne comme son testament artistique.
Le premier plan, un long travelling qui ressemble déjà à une danse nostalgique nous conduit jusqu'à la jeune femme, étendue inconsciente sur son lit, nous captivant d'emblée par sa fluidité et semble ainsi nous annoncer que la caméra va s'insinuer au plus profond des âmes. Les âmes des artistes surtout, mélancoliques, nostalgiques, aussi aptes à transmettre le bonheur qu'à se morfondre dans le malheur. L'âme de Calvero en particulier, un clown triste qui dissimule sa mélancolie avec beaucoup d'élégance mais qui, aussi, se démaquille sous nos yeux et montre son visage à nu à l'image de Chaplin dans ce film, le plus autobiographique de sa carrière. Le plus sombre aussi, celui où il nous fait davantage rire que pleurer, où ses tourments l'emportent sur le désir de faire rire et où le vagabond Charlot n'est
plus qu'un spectre lointain qu'évoque vaguement ce clown qui doit changer de nom pour pouvoir encore jouer en public, qui refait sans cesse le cauchemar de salles vides, et à qui une rencontre redonne un instant l'éclat de sa jeunesse mais qui symbolise aussi "l'éclat des feux de la rampe que doit quitter la vieillesse quand la jeunesse entre en scène », et le passage de la lumière à l'ombre. Un hommage aussi à tous les arts et artistes qui, lorsque les feux de la rampe, brusquement et impitoyablement ne les éclairent plus, s'éteignent dans l'ombre carnassière.
La caméra de Chaplin et les feux de la rampe caressent la danse éblouissante et aérienne de la jeune danseuse tandis que Calvero la regarde d'en haut, des coulisses, démiurge mort déjà. Celui sur qui les lumières de la scène s'éteignent, tandis qu'il reste abandonné et esseulé sur un banc, dans l'ombre, avec seulement son visage éclairé, à nu, sans les fards du clown devenu triste. Magnifique scène tellement évocatrice.
Tandis que Terry s'épanouit et triomphe dans la lumière (Claire Bloom sublime en Colombine, doublée dans les scènes de danse par Melissa Hayden, vedette du New York city ballet), Calvero s'éteint peu à peu dans l'ombre pour simplement renaître le temps d'une représentation, ultime adieu à la scène, puisant dans ses dernières forces pour revivre un instant et pour faire revivre le cinéma muet le temps d'une scène d'anthologie avec Buster Keaton. L'art au péril de la vie puisqu'il en mourra, en coulisses, là où Chaplin laissera Charlot comme si c'était son dernier acte. L'art aussi plus fort que la vie et la mort puisque tandis qu'il agonise Terry danse sous les feux de la rampe. L'artiste est mort. Vive l'artiste !
Avec ce film-testament artistique d'une tendre tristesse et lucidité, Chaplin nous livre l'âme et le visage à nu d'un artiste qui, tout en faisant ses adieux à son double Charlot, est au sommet de son art. Un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage lorsque le public, versatile, devient amnésique ou lorsque le talent se tarit. Un film d'une bouleversante beauté et nostalgie auquel la sublime musique (composée par Chaplin lui-même et qui reçut l'Oscar de la meilleure musique 20 ans plus tard) procure un charme poignant et envoûtant, et l'immortalité à un artiste à jamais sous les feux de la rampe de l'Histoire du cinéma. « La recherche du temps perdu de Charlie Chaplin » selon Bertolucci. Un temps sublimé par ces feux de la rampe qui, à jamais, éblouiront les cinéphiles et les cinéastes dont Chaplin a porté l'art au firmament.
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