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  • Le film incontournable de la semaine: "Le silence de Lorna" de Luc et Jean-Pierre Dardenne

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    "Le silence de Lorna" figurait parmi les films en compétition du 61ème Festival de Cannes où il a obtenu le prix du scénario. Retrouvez ma critique du film écrite lors du dernier Festival de Cannes (critique comparative avec "Two lovers" de James Gray vu le même jour, également en compétition, et qui sortira en salles en France le 5 novembre 2008), ci-dessous:
    A priori rien de commun entre ce film américain de James Gray (qui avait déjà présenté « The Yards » il y a 8 ans, et « La nuit nous appartient », son polar familial, sombrement poétique, en compétition officielle l’an passé et revenu bredouille, voir ma critique ici : http://inthemoodforcannes.hautetfort.com/archive/2008/02/... )    et ce film belge des frères Dardenne, déjà deux fois lauréats de la palme d’or (« Rosetta » en 1999 et « L’enfant » en 2005). Jugez plutôt à la lecture de ces deux pitchs :
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    L'équipe de "Two lovers" de James Gray en haut des marches.

    « Two lovers » : New York. Un homme hésite entre suivre son destin et épouser la femme que ses parents ont choisie pour lui, ou se rebeller et écouter ses sentiments pour sa nouvelle voisine, belle et volage, dont il est tombé éperdument amoureux.

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    L'équipe du "Silence de Lorna" sur les marches

    « Le silence de Lorna » : Pour devenir propriétaire d’un snack avec son amoureux Sokol, Lorna, jeune femme albanaise vivant en Belgique, est devenue la complice de la machination de Fabio, un homme du milieu. Fabio lui a organisé un faux mariage avec Claudy pour qu’elle obtienne la nationalité belge et épouse ensuite un mafieux russe prêt à payer beaucoup pour devenir belge. Pour que ce deuxième mariage se fasse rapidement, Fabio a prévu de tuer Claudy. Lorna gardera-t-elle le silence?

    Rien de commun et pourtant, et pourtant dans les deux cas, même si le contexte social et politique est différent (voir inexistant dans le premier cas) il s’agit de raison et de sentiments, d’être forts et fragiles. A priori rien de commun entre Lièges et New York et pourtant dans les deux cas on éprouve le même poids du silence. Et surtout dans les deux cas un amour dévastateur et irrépressible même si le sujet est explicite dans « Two lovers » et beaucoup plus implicite dans « Le silence de Lorna » où il s’agit surtout de montrer  les dangers que doivent affronter  les immigrés pour simplement vivre, trouver la voie du bonheur. Dans les deux cas, les protagonistes tombent amoureux de celui ou celle qu’ils ne devraient pas aimer. La comparaison s’arrête là.

     Le style réaliste  du « Silence de Lorna » (même si la caméra à l’épaule a été un peu abandonnée pour se fixer sur Lorna et la suivre, posément, à l’image de son sang froid et son inébranlable détermination) reste à l’opposé du style très classique de James Gray. L’intérêt du film de ce dernier provient davantage des personnages, de leurs contradictions, de leurs faiblesses, que du scénario très prévisible ou de la réalisation qui l’épouse…et pourtant, même si James Gray est plus doué pour le polar, il règne ici une tension palpable liée au désir qui s’empare du personnage principal magistralement interprété par Joaquin Phoenix avec son regard mélancolique, fiévreux, enfiévré de passion, ses gestes maladroits, son corps même qui semble  crouler sous le poids de son existence, sa gaucherie adolescente : un sérieux prétendant au prix d’interprétation !

    Ce dernier interprète le personnage attachant et vulnérable de Leonard Kraditor (à travers le regard duquel nous suivons l’histoire : il ne quitte jamais l’écran), un homme, atteint d'un trouble bipolaire (mais ce n'est pas là le sujet du film, juste là pour témoigner de sa fragilité) qui, après une traumatisante déception sentimentale, revient vivre dans sa famille et fait la rencontre de deux femmes : Michelle, sa nouvelle voisine incarnée par Gwyneth Paltrow, et Sandra, la fille d’amis de ses parents campée par l’actrice Vinessa Shaw. Entre ces deux femmes, le cœur de Leonard va balancer…

    Un amour obsessionnel, irrationnel, passionnel pour Michelle. Ces « Two lovers » comme le titre nous l’annonce et le revendique d’emblée ausculte  la complexité du sentiment amoureux, la difficulté d’aimer et de l’être en retour, mais il ausculte aussi les fragilités de trois êtres qui s’accrochent les uns aux autres, comme des enfants égarés dans un monde d’adultes qui n’acceptent pas les écorchés vifs. Michelle et Leonard ont, parfois, « l’impression d’être morts », de vivre sans se sentir exister, de ne pas trouver « la mélodie du bonheur ».

    Par des gestes, des regards, des paroles esquissés ou éludés, James Gray  dépeint de manière subtile la maladresse touchante d’un amour vain mais surtout la cruauté cinglante de l’amour sans retour qui emprisonne (encore un plan derrière des barreaux, en l’occurrence de Gwyneth Paltrow, décidément le cinéma et ceux qu’il dépeint a cette année soif de liberté et d’évasion, décidément le monde n’a jamais été aussi ouvert et carcéral), exalte et détruit.

    James Gray a délibérément choisi une réalisation élégamment discrète et maîtrisée et un scénario pudiques (ou lisses, c’est selon). Même si le dénouement est relativement prévisible, le regard de Joaquin Phoenix est suffisamment intense pour ne pas nous lâcher jusqu’à la dernière seconde, nous y émouvoir même, malgré tout.  James Gray n’a pas non plus délaissé son sujet fétiche, à savoir la famille qui symbolise la force et la fragilité de chacun des personnages (Leonard cherche à s’émanciper, Michelle est victime de la folie de son père).

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    Ci-dessus, image de "Two lovers" de James Gray

    Un film d’une tendre cruauté.

    Quant aux frères Dardenne, encore une fois ils s’imposent comme des directeurs d’acteurs exceptionnels (un prix d’interprétation de nouveau à la clef, cette fois pour Arta Dobroshi ?  Ce n’est pas si improbable…) et, forts de leur expérience du documentaire, recréent une réalité si forte et crédible avec des êtres blessés par la vie dont les souffrances se heurtent, se rencontrent, s’aimantent.

    Réaliste, humaniste, social sans être revendicatif mais au contraire nous plongeant dans l’intimité des personnages, ce « Silence de Lorna » est plus parlant que n’importe quel discours politique. Même si ce 6ème long-métrage des deux frères n’a pas la force de « Rosetta » et « L’enfant », il dépeint magnifiquement une douloureuse histoire d’amour entre des être au bord du gouffre, sur le fil, une histoire d’amour qui ne dit pas et ne peut dire son nom et qui n’en est que plus poignante. (cette définition pourrait d’ailleurs aussi s’appliquer aux personnages du film de James Gray).

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    Image du "Silence de Lorna" des frères Dardenne

     Les Dardenne restent les meilleurs cinéastes de l’instant, à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde : un thriller intime. Ce qualificatif pourrait d’ailleurs aussi s’appliquer à « Two lovers ». Deux films d’une vertigineuse sensibilité à l’image des sentiments qui s’emparent des personnages principaux, et de l’émotion qui s’empare du spectateur (de moi en tout cas). Irrépressiblement. Magnifiquement.

  • "Star Wars: The Clone Wars": avant-première au Grand Rex

    Les vidéos de cette avant-première sont désormais en ligne, le texte de l'article qui figurait initialement sur ces pages et qui a disparu suite à une malencontreuse erreur de manipulation, reviendra prochainement...

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    Lien permanent Imprimer Catégories : AVANT-PREMIERES Pin it! 3 commentaires
  • Le programme du 34ème Festival du Cinéma Américain de Deauville 2008 - 5 au 14 septembre 2008- (avec le complément de programmation du 20 août)

    affichedeauville2008.jpg34. 1975. 1995. 2007. 55000. 35. 15. 11. 5… : ces nombres ne sont pas les numéros du loto d’une contrée lointaine mégalomaniaque mais les nombres et dates clefs du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2008, créé en 1975 et qui aura lieu cette année pour la 34ème année consécutive.

    Quoiqu’il arrive pour moi, fin août début septembre est synonyme de Festival du Cinéma Américain de Deauville auquel j’assiste depuis 15 ans avec toujours le même enthousiasme, la même soif de découvertes cinématographiques, la même envie insatiable de visionner et découvrir aussi bien des films indépendants que des blockbusters puisque là se trouve l’originalité de ce festival , dans cette diversité de sa programmation, et surtout avec le souhait accru de vous faire partager ma passion pour ce festival et mes pérégrinations cinéphiliques puisque vous pourrez suivre le Festival en direct sur mon blog « In the mood for Deauville », de l’ouverture à la clôture du festival, un blog sur lequel vous pouvez d’ailleurs d’ores et déjà trouver le programme détaillé, et bientôt des critiques et articles en direct à l’image de ce que j’ai réalisé pour le Festival de Cannes sur « In the mood for Cannes » (blog lauréat du concours de blogs du Festival de Cannes 2008).

    Alors certes le générique du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2008 sera moins prestigieux et spectaculaire que celui du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2007, exceptionnel (avec notamment Casey Affleck et Brad Pitt pour le chef d’œuvre de 2007 « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » d’Andrew Dominik, avec Matt Damon pour le trépidant « La vengeance dans la peau », avec George Clooney pour « Michael Clayton », avec Michael Douglas etc) mais la programmation 2008 reste néanmoins dense et diversifiée avec un générique plutôt alléchant. Sont ainsi notamment attendus : John Malkovich, Angelina Jolie, Spike Lee, Ed Harris , Uma Thurman, Helen Hunt, Pierce Brosnan, Renée Zellweger, Viggo Mortensen, Kevin Spacey, Laura Dern, Juliette Binoche, Carole Bouquet

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    Photo ci-dessus, inthemoodforcinema.com , Pierce Brosnan lors du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2005

    mamma mia affiche.jpgLe festival débutera en beauté et en chansons avec la comédie musicale de Phyllida Lloyd « Mamma mia ! », avec Meryl Streep et Pierce Brosnan, deux habitués du Festival qui devraient de nouveau être là cette année pour ce film basé sur des chansons du groupe Abba, un film tourné en Grèce où il caracole actuellement en tête du box-office. 

    Parmi les temps forts du festival, figurent, depuis 1977, les hommages cette année décernés au réalisateur, scénariste, producteur, comédien Spike Lee, à la comédienne Parker Posey, au comédien, réalisateur, producteur, scénariste Ed Harris et au réalisateur Mitchell Leisen.

    Autre temps fort que j’essaie de ne jamais manquer : la compétition de films indépendants créée en 1995 et qui a couronné des films singuliers et des cinéastes talentueux comme « Sunday » de Jonathan Nossiter (1997), « Dans la peau de John Malkovich » de Spike Jonze (1999), « Girlfight » de Karyn Kusama (2000), « Collision » de Paul Haggis (2005), « Little miss sunshine » de Jonathan Dayton et Valérie Faris (2006)…

    Cette année le jury présidé par Carole Bouquet (et composé de : Edouard Baer, Ronit Elkabetz, Pierre Jolivet, Cédric Kahn, Bouli Lanners, Cristian Mungiu, Leonor Silvera, Dean Tavoularis)  devra départager 11 films dont 5 premiers films pour remettre son Grand Prix et son Prix du Jury.

    Le jury Révélation Cartier  récompensant un des films de la compétition officielle pour ses qualités novatrices sera présidé par Zoe Cassavetes et composé de Léa Drucker, Diastème, Jalil Lespert et Ara Starck . (Complément de programmation du 20 août)

    Une nouvelle section nommée grand angle sera consacrée à une personnalité du cinéma américain afin de mettre en avant son travail particulier, cette année Charles Burnett. (Complément de programmation du 20 août)

    L'échange.jpg35 longs métrages inédits ont été sélectionnés à ce jour avec, parmi ceux-ci, ce qui a fait la renommée de ce festival : les  Premières parmi lesquelles « L’échange », le dernier film de Clint Eastwood avec Angelina Jolie présenté en compétition au dernier Festival de Cannes mais aussi « Appaloosa » de Ed Harris, « Coup de foudre à Rhode Island » de Peter Hedges avec notamment Juliette Binoche, « Hellboy 2 » de Guillermo del Toro,  « Lakeview Terrace » de Neil La Bute avec Samuel Lee Jackson, « Miracle à Santa Anna » de Spike Lee etc.

    affiche nuits américaines 2008.jpgLe Public Système Cinema, toujours en collaboration avec la Cinémathèque Française, a par ailleurs eu la bonne idée de reconduire les Nuits Américaines initiées en 2007, des classiques du septième art programmés 10 jours sur 10,  24H sur 24 et classés en 5 thématiques : la science-fiction, le film noir, la comédie, le mélodrame et la comédie musicale. Vous pourrez ainsi notamment revoir « Elle et lui » de Leo MacCarey, « Bienvenue à Gattaca » d’Andrew Niccol, « Le Mécano de la Général » de Buster Keaton, « Certains l’aiment chaud » de Billy Wilder, « Casablanca »  de Michael Curtiz ou encore « Sur la route de Madison » de Clint Eastwood et beaucoup d’autres chefs d’œuvre du cinéma américain que je vous recommande évidemment. A cette liste s’ajouteront « Les introuvables de Deauville », projetés chaque jour à 11h et parmi lesquels « Lettre d’une inconnue » de Max Ophuls ou encore « Le secret derrière la Csablanca.jpgporte » de Fritz Lang. Un pass de 10 euros exclusivement dédié aux Nuits Américaines sera ainsi édité.

    Comme chaque année, depuis 2003, vous pourrez également découvrir de passionnants, parfois édifiants, documentaires présentés dans la section « Les Docs de l’Oncle Sam », cette année au nombre de 7.  

    livre forestier.jpgLe prix Michel d’Ornano qui récompense un premier film français sera cette année décerné à Jean-Stéphane Sauvaire pour « Johnny Mad Dog », et le prix littéraire sera attribué à François Forestier pour « Marilyn et JFK ».

    Enfin, le festival s’achèvera par la cérémonie du palmarès le 14 septembre puis par le film de clôture, cette année « Then she found  me » de et avec Helen Hunt, avec également Colin Firth, Bette Midler, Matthew Broderick etc.

     Une édition 2008 qui a de quoi réjouir autant les cinéphiles les plus avertis que les amateurs de cinéma de divertissement…

     Alors le Festival 2008 fera-t-il mieux que 2007 avec ses 55000 spectateurs et ses 200000 visiteurs ? En tout cas la licorne qui figure sur l’affiche 2008 et qui semble survoler une mer troublante et mystérieuse, toujours aux couleurs de la bannière étoilée, accompagnée de ses étoiles intrépides sous un soleil insolent, nous laisse présager une édition then she found me2.jpgautant propice aux rêves qu’à la singularité que ce festival sait si bien concilier.

    farelly cartier 003.JPG Une édition que vous pourrez donc suivre sur « In the mood for Deauville », du 5 au 14 septembre prochain.

      Le pass public permanent coûte 145 euros (séances du soir sur cartes d'accès uniquement). Il existe également des badges journaliers. Pour connaître toutes les modalités d’accréditation, public et professionnel, je vous renvoie à cet article ou au site officiel du Festival.

    Un complément de programmation a été apporté ce 20 août avec notamment la composition du jury Révélation mais aussi une nouvelle section( Grand Angle), de nouveaux "Docs de l'Oncle Sam" et de nouvelles avant-premières, retrouvez-les en détails sur "In the mood for Deauville" : http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com

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     Quelques liens pour en savoir plus sur le Festival du Cinéma Américain de Deauville :

     -Le site internet officiel du Festival du Cinéma Américain de Deauville

    -Le site de l’office de tourisme de Deauville

    -Mon compte-rendu du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2005

    -Mon compte-rendu du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2006

    -Mon compte-rendu du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2007

    -Le blog « In the mood for Deauville » pour suivre en direct le Festival du Cinéma Américain de Deauville 2008 (conférences de presse, Premières, compétition etc), pour voir le programme détaillé et toutes les informations pratiques pour venir et assister au Festival, ainsi qu’une cinquantaine de liens internet concernant le festival...

    Sandra.M

  • « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon (suite et fin : critique du film)

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    Après un mois de pérégrinations passionnantes, bien que non cinématographiques, n’ayant vu pendant cette période que « Certains l’aiment chaud » de Billy Wilder,  de surcroit par hasard, dans un endroit improbable dans une langue qui l’était tout autant, (et donc le plaisir de revoir ce classique ainsi en a été décuplé, forcément) c’est avec une vraie soif d’émotions cinématographiques que je suis rentrée et que je me suis précipitée pour aller voir « Le premier jour du reste de ta vie » de Rémi Bezançon, notamment pour les raisons énoncées dans ma précédente note (dans laquelle vous pouvez également retrouver la bande annonce du film) mais aussi parce que ce titre me paraissait tout à fait à propos et en accord avec mes impressions en ce retour de vacances qui me semble en effet être le premier jour du reste de ma vie : tellement prometteur, avec cette sensation grisante que « tout peut changer aujourd’hui ».

     Tout change aussi pour les cinq personnages principaux de Rémi Bezançon puisque sur une période de 12 années, il nous raconte une journée essentielle pour chacun d’entre eux, une journée après laquelle rien ne sera tout à fait pareil. Cette famille se nomme Duval. Un nom banal, courant plutôt, à l’image de l’universalité des évènements vécus par chacun des membres de cette famille mais qui, appréhendés par chacun d’eux, paraissent extraordinaires, plus douloureux ou marquants. Il y a le père d’abord, Robert Duval (comme l’acteur mais avec un seul l), interprété par Jacques Gamblin, ici exceptionnel, et toujours avec cette grâce lunaire, flegmatique, et faussement désinvolte, qui cherche la reconnaissance de son père (Roger Dumas) ou même, à défaut, un regard. Il y a la mère (Zabou Breitman) qui vit à travers ses enfants et décide de reprendre ses études (d’arts plastiques) pour vivre un peu autrement, pour vivre une seconde jeunesse aussi. Et puis il y a les trois enfants : l’aîné Albert (Pio Marmaï), faussement sûr de lui, protecteur envers son frère Raphaël (Marc-André Grondin), romantique et velléitaire attendant plus que sa voie le trouve que la cherchant réellement, et surtout envers sa sœur, la cadette, Fleur (Déborah François), en pleine « crise » grunge et d’adolescence.

     5 personnages. 5 membres d’une même famille. 5 journées déterminantes. 12 ans. Ce film aurait pu se réduire à un concept, un pitch séduisant, ou rassurant pour les diffuseurs (qui n’aiment rien tant qu’être rassurés). C’est pourtant bien plus que cela. C’est un ton tout d’abord qui mêle astucieusement tendre ironie et drame et qui s’impose dès la première scène, la première journée : la mort décidée du « jeune » chien de 18 ans et le départ de l’aîné, au grand désarroi, plus ou moins avoué, du reste de la famille. Un pan de vie et d’enfance qui se détache, s’envole, violemment. Un début drôle et mélancolique ou plutôt d’une drôle de mélancolie. Un début qui déjà nous séduit, nous plonge dans l’intimité, les tourments de cette famille que nous n’aurons plus envie de lâcher jusqu’à la dernière seconde, la première du reste de notre vie.

     Ce ton si particulier résulte tout d’abord du jeu des acteurs et probablement de leur direction : comme si ceux-ci n’étaient jamais dupes du fait que tout cela c’est juste la vie, ou que c’est juste du cinéma, ce qui a pour effet de dédramatiser, un peu, mais surtout pas de créer une distance avec nos propres émotions,  peut-être simplement de les relativiser. Grâce à ce mélange habile, de gravité et d’ironie, qui caractérise chacun des personnages, des situations et des dialogues,  nous sommes donc constamment en empathie. Rémi Bezançon ne néglige personne : premiers et seconds rôles. Cette famille semble vraiment exister avec une incroyable alchimie, certes parfois explosive : de la révélation Pio Marmaï à Marc-André Grondin d’une justesse sidérante, tout comme Déborah François si différente du rôle et de son interprétation si marquante de « L’enfant » des frères Dardenne qui l’avait révélée. Roger Dumas dans le rôle du père irascible et exigeant et du grand-père touchant est également parfait. Ou encore Aymeric Cormerais dans le rôle d’un fan de Jim Morrison suffisant et couard et donc pathétique aux antipodes de ce qu’est réellement son interprète (prix d’interprétation à Cabourg pour le court-métrage de Romuald Beugnon « Béa ») dont, je l’espère, ce rôle, ( j’en témoigne : vraiment de composition), lui  permettra d’obtenir un premier rôle à la hauteur de la diversité de son jeu et talent.

     Ce ton provient ensuite de la structure à la fois complexe et fluide, elliptique et dense qui fait danser, s’entrecroiser les évènements et les regards sur ceux-ci avec une habileté remarquable de chef d’orchestre attribuant à chacun une partition d’égale importance. Rémi Bezançon a par ailleurs eu la judicieuse idée de synchroniser le fond et la forme : la forme cinématographique s’alignant ainsi sur le point de vue de celui qui voit « sa journée » : la journée de Fleur est ainsi tournée caméra à l’épaule à l’image de la jeune fille, fougueuse, égarée, désordonnée, celle du père de manière plus frontale.  Rémi Bezançon jongle avec le hors champ et l’ellipse avec beaucoup de tact et de sobriété.

     Chacune des journées est par ailleurs imprégnée de l’époque à laquelle elle se déroule : par des références musicales, cinématographiques, télévisuelles. La bande originale, particulièrement réussie, a ainsi été composée par Sinclair mais est aussi parsemée de morceaux de Bowie, The Divine Comedy, Janis Joplin, Lou Reed et évidemment Etienne Daho avec cette magnifique chanson à laquelle Rémi Bezançon a emprunté son titre pour celui de son film.

     Evidemment, si je voulais mettre un bémol à cette harmonie d’éloges, je dirais que le scénario est cousu de quelques fils blancs, parsemé de quelques personnages caricaturaux mais je pense que ce sont ici d’ailleurs davantage des convenances et des stéréotypes volontairement écrits destinés à créer une universalité et une empathie avec le spectateur que des erreurs ayant échappé à son scénariste.  Sans doute aussi est-ce trop court et aurions-nous parfois aimé en savoir davantage, peut-être pour le simple plaisir de rester un peu plus avec cette famille, et de voir ses dessiner un peu mieux la vie de certains de ses membres, creuser leurs fêlures, donner un peu moins l’impression qu’ils se sortent toujours de toutes les situations, que tout est toujours bien qui finit bien, mais au fond le titre nous avait prévenus, et cet optimisme final est bien mérité après la lucidité ironique de ce qui précède.

     « Cette famille c’est la vôtre » nous dit l’affiche. Pas vraiment pourtant. Mais justement c’est là tout la richesse et l’ingéniosité de ce film : faire que, alors que cette famille ne ressemble hypothétiquement pas du tout à la mienne ou à la vôtre, nous nous reconnaissions dans un instant, un regard, un déchirement, une émotion, des pudeurs ou des non-dits, ou même un étrange hasard, qu’il nous fasse passer des rires aux larmes avec une famille qui n’est pas la nôtre mais des émotions qui sont les nôtres : les errements de l’existence, la tendresse ou la complicité ou l’incompréhension d’un sentiment filial, la déchirure d’un deuil (d’un être ou de l’enfance), ou encore ces instants d’une beauté redoutable où bonheur et horreur indicibles semblent se narguer (cf scène du mariage) et témoigner de toute l’ironie , parfois d’une cruauté sans bornes, de l’existence. 

     Avec ce deuxième long métrage après « Ma vie en l’air », Rémi Bezançon a signé un film qui a le charme ensorcelant de ces films de famille en super 8 que l’on revoit avec nostalgie et par lequel il débute, il est empreint de la nostalgie douce et amère, irremplaçable, délicieuse et douloureuse de l’enfance et de la mélancolie violente et magnifique, drôle et tendre de l’existence. Ce sont encore et aussi cinq regards sur le temps qui passe impitoyablement et que chacun tente de retenir, évidemment en vain. « Le premier jour du reste de ta vie » ne fait pas partie de cette pléthore de films d’été oubliés à peine terminés mais au contraire de ceux qui vous laissent une trace, profonde.

     Un film qui exhale l’inestimable parfum de l’enfance et la beauté cruelle de l’existence. Un film qui vous donne envie de rester debout, pour « rechercher un peu de magie », beaucoup même. « Rester debout mais à quel prix ? ». A tout prix. Même de la mélancolie et de la nostalgie, si salvatrices aussi. Alors, si vous voulez qu’il soit agréable, à n’en pas douter, vous savez désormais à quoi passer le premier jour du reste de votre vie…

     Sandra.M