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Eva Mendes

  • Critique de « Last night » de Massy Tadjedin avec Guillaume Canet, Keira Knightley, Sam Worthington, Eva Mendes…

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    C’est désormais devenu une mode, le jour de la Saint-Valentin, les distributeurs se croient obligés de sortir des comédies romantiques. Cette année, il y a donc eu le pire avec « Sex friends »(qui ne vaut même pas la peine que je lui consacre une critique, n’oublions pas que le but premier de ce blog était de partager mes coups de cœur et pérégrinations festivalières même si j’y déroge de temps à autre) qui bat le record d’alignement de clichés (la femme moderne a peur de s’engager sauf pour un gentil beau-encore que concernant Ashton Kutcher ce soit très relatif- gosse aux synapses déconnectées ), de vocabulaire en-dessous de la ceinture pour se donner air politiquement incorrect (alors que le film est tout le contraire) et moderne (mais c’est juste vulgaire)… et qui surtout ne m’a pas fait rire une seule seconde et plongée dans un profond ennui sans parler de la prestation d’Ashton Kutcher qui se contente de montrer ses dents qu’il bien blanches et bien alignées quand il est joyeux et de ne pas sourire dans le cas contraire (mais il a une nette préférence pour la première expression), bref qui a deux expressions à son actif. Mais qu’est-ce que Natalie Portman est allée faire dans cette galère ? Sans doute éprouvait-elle un besoin de légèreté après le magnifique mais sombre « Black swan »…

    Mais je digresse, je digresse et je ne suis pas là pour vous parler de « Sex friends » dont vous pourrez très bien vous passer, vous l’aurez compris, mais des comédies romantiques réussies également sorties cette semaine  comme « Les femmes du 6ème étage » dont je vous ai déjà parlé ici (encore que son appartenance à cette catégorie soit discutable) , et surtout de « Last night » de Massy Tadjedin  (dont l’appartenance à cette catégorie sera d’ailleurs sans doute pour d’autres également discutable).

    « Last night » met en scène 36 heures de la vie de quatre personnes : Joanna (Keira Knightley) et Michael (Sam Worthington) qui vivent à New York, apparemment amoureux et heureux, même si Joanna soupçonne Michael d’être fortement attiré par sa collègue de travail Laura (Eva Mendes). Cela tombe mal, c’est justement avec cette collègue de travail qu’il part à Philadelphie. Pendant ce temps, Joanna recroise Alex (Guillaume Canet), l’autre grand amour de sa vie. Joanna et Michael, pendant ces 36 heures, en même temps, et chacun de leur côté vont devoir faire des choix cruciaux. Vont-ils résister à la tentation ou rester fidèles?  Passionnant et éternel duel entre la raison et les sentiments.

    Résumée ainsi, l’intrigue semble banale mais le regard que pose Massy Tadjedin, d’une sensibilité indéniable, lui apporte sa force et son originalité. Dès les premières secondes se dégage de ce film un charme indéfinissable grâce auquel l’histoire se déroule avec une belle fluidité et pour laquelle notre intérêt va crescendo. La bonne idée est en effet d’avoir mis ces deux histoires en parallèles et de les mettre en scène comme un thriller. L’enjeu n’est pas de savoir si le coupable se fera arrêter mais si l’innocence va se transformer en culpabilité. Grâce à un montage judicieux qui contrebalance l’aspect théâtral du sujet, la tension et l’attention du spectateur vibrent à l’unisson et s’accroissent jusqu’au dénouement.  Ces 36 heures feront-elles basculer leurs existences ? Un mot, un geste peuvent tout changer, faire basculer une vie heureuse mais peut-être aussi routinière.

    Du « couple » formé par Guillaume Canet et Keira Knightley se dégage une incontestable alchimie. Massy Tadjedin semble d’ailleurs avoir plus de tendresse pour eux que pour le personnage de Sam Worthington qui manque cruellement de personnalité mais finalement rend d’autant plus triste ce qu’éprouve pour lui le personnage d’Eva Mendes, moins sensuelle et plus fragile qu’à l’accoutumée. Un Australien, une Anglaise, une Française, une Cubaine, un joyeux melting pot qui contribue aussi à la richesse de ce premier film. A signaler également : Griffin Dunne impeccable dans le rôle de l’ami éditeur.

    Avec un regard acéré, pudique, sensible, Massy Tadjedin filme les gestes synonymes de trouble, d’hésitation, d’attirance et les regards complices, fuyants, émus dont nous sommes les discrets et attentifs témoins, le souffle suspendu, presque gênés d’être là. Elle ne juge pas mais nous laisse juges : où commence l’infidélité ? Peut-être elle être simplement morale ?

    Massy Tadjedin signe là un premier film réellement prometteur, raffiné, élégant (grâce à la photo de Peter Deming et à  New York, inépuisable écrin des films romantiques), un vrai suspense sentimental. Une histoire simple au charme ensorcelant grâce à ses comédiens au premier rang desquels Keira Knightley, pétri de doutes artistiques et amoureux, et Guillaume Canet, au sourire enjôleur et au jeu en demi-teinte, grâce au scénario mais aussi grâce à la musique de Clint Mansell discrètement présente.  Une réalisatrice à suivre et un premier film que je vous recommande sans réserves qui n’est pas sans rappeler un autre cinéaste qui a, lui aussi, majestueusement filmé  New York et des atermoiements amoureux: un certain James Gray.

  • "La nuit nous appartient" de James Gray

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    La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes.  Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits  s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien  concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène...) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…

    Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?)  a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000)  qui se déroule à New York, à la fin des années 80,  la police en est un personnage à part entière.  C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille :  Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout,  et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile,  vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue  oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première  en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.

    Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé,  considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le  décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire...)

    Les bons et les méchants.  L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen  me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé,  va évoluer,  va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène  qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.

     « La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité :  fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.

     Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

     C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas  partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…

    Pour une critique vraiment détaillée et approfondie de ce film, je vous recommande la lecture du blog « Boulevard du cinéma ».

    Sandra.M