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  • Critique - THE FATHER de Florian Zeller

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    Il y a parfois des brûlures nécessaires pour nous rappeler la glaçante vanité de l’existence mais aussi pour nous rappeler de ne pas oublier l’essentiel : les sentiments, la fugacité du bonheur et de la mémoire, la fuite inexorable du temps qu’une montre ne suffit pas à retenir (ce n’est pas un hasard si c’est l’objet auquel s’accroche tant Anthony), la fragilité des êtres car il n’y a guère que sur un tableau (qui d’ailleurs finira aussi par disparaître) qu’une petite fille court sans jamais vieillir, sans jamais s’abîmer, sans jamais devoir mourir. « Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments » entend-on ainsi le personnage incarné Jean-Louis Trintignant dire en racontant une anecdote à son épouse, victime d’une attaque cérébrale, dans « Amour » d’Haneke, film dans lequel ces deux octogénaires sont enfermés dans leur appartement, unis pour un ultime face à face, une lente marche vers la déchéance puis la mort. Un « Impromptu » de Schubert accompagne cette marche funèbre. Dans « The Father », Anthony lui aussi a son appartement pour seul univers et la musique pour compagnie (« Norma » de Bellini, « Les Pêcheurs de perles » de Bizet). De l’autre côté de sa fenêtre, la vie s’écoule, immuable, rassurante, mais à l’intérieur de l’appartement, comme dans son cerveau, tout est mouvant, incertain, fragile, inquiétant. Un labyrinthe inextricable, vertigineux. Peu à peu le spectateur s’enfonce avec lui dans ce brouillard, plonge dans cette expérience angoissante. Les repères spatio-temporels se brouillent, les visages familiers deviennent interchangeables. Dans chaque instant du quotidien s’insinue une inquiétante étrangeté qui devient parfois une équation insoluble. Une mise en scène et en abyme de la folie qui tisse sa toile arachnéenne nous envahit et progressivement nous glace d’effroi.  Pour cela nul besoin d’artifices mais un scénario, brillant, de Christopher Hampton et Florian Zeller, qui nous fait expérimenter ce chaos intérieur. L’interprétation magistrale d’Anthony Hopkins y est aussi pour beaucoup, jouant de la confusion entre son personnage (qui s’appelle d’ailleurs, à dessein, Anthony) et l’homme vieillissant qui l’incarne. Comment ne pas être bouleversée quand « The Father » redevient un enfant inconsolable secoué de sanglots, réclamant que sa maman vienne le chercher, l’emmener loin de cette prison mentale et de cette habitation carcérale ? Quand je suis sortie de la salle, une chaleur, accablante, s’est abattue sur moi, ressentie comme une caresse, celle de la vie tangible et harmonieuse, une respiration après ce suffocant voyage intérieur, me rappelant cette phrase du film : « Et tant qu’il y a du soleil il faut en profiter car cela ne dure jamais. »  
    Une brûlure décidément nécessaire.  Pour mieux savourer la sérénité de ces feuilles qui bruissent, là, de l’autre côté de la fenêtre, avant ou après la tempête. Ou la beauté d’un Impromptu de Schubert.

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  • Critique - DRUNK de Thomas Vinterberg

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    « Le tact dans l'audace, c'est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin » selon Cocteau. Citation qui, en plus de celles si judicieusement choisies de Kierkegaard qui l’émaillent, pourrait aussi s’appliquer au SENSATIONnel « Drunk » de Vinterberg. J’emploie à dessein l’adjectif « sensationnel » car il s’agit réellement d’un film de sensations, d’envies, de désirs, de vibrations. Quelle meilleure façon de se griser à nouveau de cinéma qu'en choisissant un film qui parle d'ivresse et d’acceptation de la vanité de l’existence, un film qui est, aussi, une ode la vie ?

    Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Ce postulat de départ est pour Vinterberg le prétexte à une fable sur la futilité de l’existence qui, un jour ou l’autre, forcément, nous explose en pleine face lorsque les bleus à l’âme deviennent des plaies béantes, lorsque les échecs de la vie d’adulte, l’adieu aux rêves d’enfance et la monotonie des jours subitement nous terrassent. Martin, Tommy, Peter et Nikolaj sont enseignants, la quarantaine. Et leur vie ne ressemble pas à celle dont ils avaient rêvé. Mais, un jour, la vie s’insinue à nouveau. Pour cela, il aura fallu de quelques gouttes d’alcool (au début, bien plus ensuite). La musique redevient un vertige savoureux (Schubert, Chopin, Tchaïkovsky…). Elle fait à nouveau battre les cœurs, intensément. La vie cesse de n’être que devoirs. Elle devient sensations, audaces et défis. On oublie que le monde n’est pas tel qu’on l’imagine. Il s’auréole d’un étourdissement hypnotique. L’ivresse, plus que celle de l’alcool, est celle de la joie retrouvée, de la rage d’exister, du manque de confiance en soi comblé. L’existence est plus légère, soudain. La lumière caresse les visages.   La caméra virevolte, accélère, déraisonne, s’élance, s'emballe comme les cœurs qui battent à nouveau férocement et comme les corps, désinhibés. Mais comme dans « Festen », dès le début, on se doute que la fête finira mal. La musique se transforme alors bientôt en vacarme puis en silence. Et la vie soudain redevient telle qu’elle est et qu’une image la symbolise : un bateau brinquebalant, face au soleil éblouissant et qui, un jour, forcément sera englouti.

    Thomas Vinterberg ne tombe jamais dans les pièges du manichéisme ou du jugement moral. Cette fable brillante nous donne envie de saisir chaque étincelle de vie mais aussi d’accepter et même de revendiquer d’« oser perdre pied momentanément » parce que « Ne pas oser c'est se perdre soi-même ». Alors autant « s’accepter comme sujet faillible pour aimer les autres. »

    Vous quitterez alors la salle chancelants, étourdis, avec en tête cette scène finale grandiose, ce tourbillon de vie et de tourments, où le corps exulte et exalte la vie, le désir et la douleur entremêlés. Plus qu’un film, une expérience qui vous donnera envie de vous envoler vers la vie, de vous abandonner à elle, d’étreindre chaque seconde de cette chevauchée fantastique, périlleuse, violente, vaine mais sublime comme un air de Tchaïkovsky. Et en vous disant « What a life ! » (l’air du trio danois Scarlet Pleasure qui ne vous quittera plus non plus après avoir quitté la salle.)

    Le film a fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020. 

    « La jeunesse
    Un rêve
    L'amour
    Ce rêve »
    Kierkegaard 

     

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