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  • Avant-première: "Still life" de Jia Zhang Ke ou à la recherche du temps perdu...

    medium_Still.JPGDès l’admirable plan séquence du début,  ensorcelés et emportés déjà par une mélodieuse complainte, nous sommes immergés dans le cadre paradoxal du barrage des 3 Gorges situé dans une région montagneuse du cœur de la Chine :  cadre fascinant et apocalyptique, sublime et chaotique. En 1996, les autorités chinoises ont en effet entrepris la construction du plus grand barrage hydroélectrique du monde. De nombreux villages ont été sacrifiés pour rendre possible ce projet.

    Là, dans la ville de Fengjie nous suivons le nonchalant, morne et taciturne  San Ming courbé par le poids du passé  et des années, parti à la recherche du temps perdu. Il voyage en effet à bord du ferry The World (du nom du précèdent film du réalisateur, référence loin d’être anodine, témoignage d’une filiation évidente entre les deux films)  pour retrouver son ex-femme et sa fille qu’il n’a pas vues depuis 16 ans.

    Pendant ce temps Shen Hong, dans la même ville cherche son mari  qu’elle n’a pas vu depuis deux ans. Leurs déambulations mélancoliques se succèdent puis alternent et se croisent le temps d’un plan  dans un univers tantôt désespérant tantôt d’une beauté indicible mis en valeur par des panoramiques étourdissants.  

    Tandis que les ouvriers oeuvrent à la déconstruction, de part et d’autre de la rivière, ces  deux personnages essaient de reconstruire leur passé, d’accomplir leur quête identitaire au milieu des déplacements de population et des destructions de villages. Engloutis comme le passé de ses habitants.

    Ce film présenté en dernière minute dans la catégorie film surprise de la 63ème Mostra de Venise a obtenu le lion d’or et a ainsi succédé à Brokeback  Mountain.

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    The World  était le premier film du réalisateur à être autorisé par le gouvernement chinois. Jusqu’ici ils étaient diffusés illégalement sur le territoire, dans des cafés ou des universités. Dans  The World Jia Zhang Ke traitait déjà du spectacle triomphant de la mondialisation et de l’urbanisation accélérée que subit la Chine.

    A l’étranger, ses films étaient même présentés dans des festivals comme Cannes en 2002 avec Plaisirs inconnus. Son parcours témoigne avant tout de son indépendance et de sa liberté artistique.

    Ancien élève de l’école des Beaux-Arts de sa province, il étudie le cinéma à l’Académie du film de Pékin, avant de fonder sa structure de production le Youth Experimental Film Group. Son œuvre entend révéler la réalité de la Chine contemporaine.

    En 2006, Jia Zhang-Ke réalise Dong, un documentaire autour de la construction du barrage des Trois Gorges à travers les peintures de son ami, le peintre Liu Xiaodong, présenté dans la section Horizons lors de la 63e Mostra de Venise.

     

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    Entre brumes et pluies, d’emblée, le décor nous ensorcelle et nous envoûte. Qu’il présente la nature, morte ou resplendissante, ou la destruction Jia Zhang Ke met en scène des plans d’une beauté sidérante. Le décor est dévasté comme ceux qui l’habitent. La lenteur et la langueur reflètent la nostalgie des personnages et le temps d’une caresse de ventilateur, la grâce surgit de la torpeur dans cet univers âpre.

    Jia Zhang Ke se fait peintre des corps, en réalisant une véritable esthétisation de ceux-ci mais aussi de la réalité et si son tableau est apocalyptique, il n’en est pas moins envoûtant. Le film est d’ailleurs inspiré de peintures, celles du peintre Liu Xiaodong qui a peint le barrage des 3 Gorges à plusieurs reprises dont Jia Zhang Ke avoue s’être inspiré.

    Ces personnages sont « encore en vie » malgré la dureté de leurs existences et le poids des années, du silence, des non dits. C’est un cinéma à l’image de la vie, l’ennui est entrecoupé d’instants de beauté fulgurante et fugace.

     Still life, malgré son aspect et son inspiration documentaires n’en est pas moins un film éminemment cinématographique : par l’importance accordée au hors champ (comme ces marins qui mangent leur bol de nouilles tandis que San Ming leur parle, hors champ), par des plans séquences langoureux et impressionnants, et puis  par des références cinématographiques notamment au néoréalisme et  à Rossellini et Rome, ville ouverte ou à John Woo avec cet enfant qui imite Chow Yun Fat ou encore celui qui regarde le Syndicat du crime de John Woo

    C’est un film polysémique qui, comme dans The World, nous parle des rapports entre tradition et modernité comme  avec cet enfant qui chante des musiques sentimentales surannées ou ces portables qui jouent des musiques sentimentales ou ces comédiens en costumes traditionnelles qui s’amusent avec leurs portables.

    Jia Zhang Ke ausculte subtilement les contradictions de son pays en pleine mutation. Le barrage des 3 Gorges, c’est la Chine en concentré, la Chine d’hier avec ces immeubles que l’on détruit, la Chine intemporelle avec ses décors majestueux, pluvieux et embrumés et la Chine de demain. La Chine écartelée entre son passé et son présent comme le sont les deux personnages principaux dans leur errance. Les ruines qui contrastent avec le barrage scintillant allumé par les promoteurs comme un gadget symbolisent cette Chine clinquante, en voie de libéralisme à défaut d’être réellement sur la voie de la liberté.

    Jia Zhang Ke a ainsi voulu signer une œuvre ouvertement politique avec « le sentiment d’exil permanent des ouvriers, tous plus ou moins au chômage, tous plus ou moins sans domicile fixe », « les ouvriers détruisent ce qu’ils ont peut-être eux-mêmes construits ».

    Un plan nous montre une collection d’horloges et de montres. Comme le cinéma. Dans une sorte de mise en abyme, il immortalise doublement le temps qui passe. C’est donc aussi un film sur le temps. Celui de la Chine d’hier et d’aujourd’hui. Celui de ces deux ou seize années écoulées. Ce n’est pas pour rien que Jia Zhang Ke a étudié les Beaux-Arts et la peinture classique. Il dit lui-même avoir choisi le cinéma « parce qu’il permet de saisir et de montrer le temps qui passe ». C’est l’idée bouddhiste qui  « si le destin est écrit, le chemin importe d’autant plus ».

    Comme dans J’attends quelqu’un dont je vous parlais il y a quelques jours , ici aussi on prend le temps (ce n'est d'ailleurs pas leur seul point commun comme évoqué plus haut). De s’ennuyer. Un ennui nécessaire et salutaire. Pour se dire qu’on est « encore en vie » ou pour déceler la beauté derrière et malgré la destruction car Still life (=Encore en vie )  est un film de contrastes et paradoxes judicieux : à l’image de son titre, il sont  encore en vie malgré les années, malgré la destruction, malgré tout. Prendre le temps de voir aussi : l’histoire devant l’Histoire et l’Histoire derrière l’Histoire, les plans de Jia Zhang Ke mettant souvent l’intime au premier plan et le gigantisme (des constructions ou déconstructions) au second plan.

    C’est aussi un hommage à la culture chinoise du double, des opposés yin et yang, entre féminin et masculin, intérieur et extérieur, construction-destruction et nature, formes sombres et claires, le tout séparé par la rivière, frontière emblématique de ce film intelligemment dichotomique.

    C’est un film en équilibre et équilibré à l’image de son magnifique plan final du funambule suspendu entre deux immeubles. Parce que, ce qu’il faut souligner c’est que ce film plaira forcément à ceux qui ont aimé The World mais qu’il pourra aussi plaire à ceux qui ne l’ont pas aimé, notamment par son aspect surréaliste, ses plans imaginaires qui instillent de la légèreté et un décalage salutaire comme ce plan de l’immeuble qui s’écroule ou ces plans poétiques de ces couples qui dansent sur une passerelle aérienne contrebalançant la dureté des paroles échangées ou la douleur du silence, l’impossibilité de trouver les mots.

    Enfin il faut souligner la non performance et le talent éclatant de ses acteurs principaux Han Sanming et Zhao Thao qui ont d’ailleurs joué dans presque tous les films de Jia Zhang Ke. C’est en effet leur quatrième collaboration commune.

    Je vous invite donc à partir dans cette errance poétique à la recherche du temps perdu au rythme d'une complainte nostalgique et mélancolique…

    Sandra.M

    Lien permanent Imprimer Catégories : CRITIQUES DES FILMS A L'AFFICHE(2004 à 2007) Pin it! 5 commentaires
  • D’un festival à l’autre : Festival de Cannes et Festival du Film Romantique de Cabourg 2007

    medium_afficge.JPGAprès le Festival de Cannes au sujet duquel vous pouvez trouver toutes les informations medium_cabourg1.JPGnécessaires, la programmation de la sélection officielle et des sections parallèles, et de nombreuses informations inédites, sur mon nouveau blog,  « In the mood for Cannes » entièrement consacré aux 60 ans du Festival , « In the mood for cinema » sera également au Festival du Film Romantique de Cabourg du 14 au 17 Juin 2007.

    Je vous invite d’ores et déjà à visiter le site officiel du Festival du Film Romantique de Cabourg et à lire mon compte-rendu de l’édition 2005.

    Je vous invite aussi à partir « Sur la route du cinéma » , le site d'une éminente blogueuse cinéphile qui vous relatera également le Festival du Film Romantique de  Cabourg...mais chut: je crois qu'elle y sera incognito.

    Sandra.M

  • "J'attends quelqu'un" de Jérôme Bonnell

    medium_j_attends.JPGLe meilleur film français de ce début d’année n’est probablement pas celui qui fut le plus attendu. L’intérêt ne réside pas tant dans le résultat de l’attente que dans les savoureuses palpitations de  celle-ci. C’est le bonheur du possible plutôt que celui de la certitude. Le bonheur toujours possible. Comme le laissent entendre les plans de la fin. C’est ça : attendre quelque chose ou quelqu’un. La possibilité du bonheur. Même utopique.

    Un patron de café, une institutrice, un jeune homme qui revient, et son secret avec lui…Louis (Jean-Pierre Daroussin), Agnès (Emmanuelle Devos), Stéphane et les autres. Les choses de la vie. La vie de tous les jours. Avec ses instants de grâce qui surgissent du quotidien comme ce film en compte tant. Avec ses moments de sursis dans la monotonie routinière de leurs existences, dans la douceur de vivre d’une ville de province comme il y en a tant, avec ces solitudes qui se frôlent et se croiseront...peut-être.

    Dès le premier plan, nous les accompagnons dans leur attente et surtout pas dans l’ennui. Ils attendent. Nous attendons tous quelque chose. Un autre. Un ailleurs. Là où d’autres proclament, Jérôme Bonnell insinue. Là où d’autres démontrent ou montrent avec ostentation, il propose. Alors il nous propose la solitude au milieu des autres, flagrante et invisible. La solitude : leur force et leur fragilité. Une mélodie du silence. Eux, leur enfer c’est l’absence des autres. Ou leur présence absente. Ils sont enfermés, derrière les barreaux que les habitudes ont forgés.

    Moments de grâce disais-je : la rencontre entre Agnès et Stéphane. Scène sublime. Tout est dit. En silence. Ou par des mots anodins pour dissimuler l’émotion loin de l’être. Les regards, les gestes, les frôlements qui trahissent. C’est ennuyeux diront certains.  Le miroir captivant et frémissant de la réalité plutôt. Moment de grâce : des pas de danse sur du Stevie Wonder en présence des autres. Légèreté. Seul à nouveau, la musique continue, la danse s’arrête. Gravité.

    La réussite de ce film qui mêle habilement gravité et légèreté résulte aussi de la mélancolie qui affleure constamment et nous emporte dans sa douce  et envoûtante mélodie. Légèreté parce que le personnage hypocondriaque d’Eric Caravaca instille une dose mesurée de burlesque qui dédramatise. Tous ces personnages, avec leurs failles et leurs secrets, échappent à la caricature.

    Bonnell a laissé la grandiloquence et l’emphase au placard, mais chaque instant est d’une véracité palpitante même dans l’ennui, l’ennui nécessaire, le temps de penser, celui de l’existence, le temps d’attendre. En quête des autres. D’eux-mêmes. Et forcément un écho à nos propres interrogations. De nous-mêmes, aussi, donc.

    Bonnell fait preuve d’un talent scénaristique mais surtout de mise en scène, il nous laisse déambuler entre ses plans séquences, patienter pour en connaître le sens, savourer les silences, il responsabilise le spectateur. Ca change et ça fait du bien. Ce spectateur dont peut-être on serait surpris de savoir qu’il lit L’Education Sentimentale comme ses amis le sont de découvrir que Louis le lit. Lui aussi est spectateur. Sous-estimé. Mal estimé.

     Exquises esquisses de la solitude. De leur éducation sentimentale. Bonell est un peintre des âmes. Vivement sa prochaine fresque.

    Sandra.M

  • Compte-rendu du Festival du Film Asiatique de Deauville 2007

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    Printemps, été, automne, hiver et printemps. Deauville s’est parée des couleurs d’un film de Kim Ki Duk pour cette medium_asiab11.JPGmedium_asiab15.JPG9ème édition. Des couleurs lunatiques, mélancoliques et poétiques. Des couleurs qui nous emportent dans leur tourbillon coloré. Des couleurs qui, en quelques jours, d’une image à l’autre, d’un épais et mystérieux brouillard à une neige sublimement impromptue et fugace à un soleil étincelant et éblouissant nous font passer d’une saison et d’un sentiment à l’autre. Comme au cinéma. Fantaisiste, elle aussi. Deauville s’est en effet mise au diapason avec le cinéma qu’elle honore. Deauville n’a pas fini de me surprendre et m’envoûter. Le Ccnéma asiatique non plus. Mais le cinéma asiatique ne se résume pas au Coréen Kim Ki Duk d’ailleurs absent de cette édition même si le cinéma coréen… du Sud (évidemment, le cinéma Coréen du Nord existe-t-il d’ailleurs ? Aurait-il la possibilité d’exister ?) a été prédominant dans cette sélection avec 16 films sur 47.

    En foulant les Planches pour la énième fois, je me remémore les instants marquants de ce festival.                                                                     

    Mes coups de coeur

    medium_asiab4.JPG-Le film d’ouverture d’abord. Le mariage de Tuya de Wang Quan’an  qui a obtenu l’ours d’or de la 57ème Berlinale.

    Au cœur de la Mongolie Chinoise, Tuya se bat pour faire vivre ses deux enfants et son mari, blessé lors d’un accident, et pour s’occuper de sa centaine de moutons. Afin de résoudre ses problèmes, elle décide de divorcer et de trouver un nouvel époux à la seule condition que celui-ci accepte de subvenir aux besoins de toute sa famille, dont son premier mari. L’objectif du réalisateur était avant tout de témoigner d’une réalité sociale avant qu’elle ne disparaisse, celle de la vie des bergers de Mongolie intérieure menacée par l’expansion industrielle.  Ce film ne se réduit néanmoins pas à un témoignage, c’est bien plus que cela : à la peinture de la dureté de leur existence s’oppose la beauté fulgurante des paysages, des medium_asiab50.JPGvisages, sublimés par l’acuité du regard du réalisateur. C’est aussi le portrait émouvant d’une femme qui se bat pour (sur)vivre dans un milieu aride et en parallèle c’est le portrait d’un pays que le film met magnifiquement en lumière, dans les deux sens du terme. De longs plans fixes soulignent ces contrastes et immergent ainsi le spectateur dans cette réalité si lointaine terriblement belle et bouleversante, au rythme de leurs journées laborieuses, dont l’observation pour le spectateur est lénifiante, parfois, mais surtout jamais ennuyeuse. L’émotion contenue pendant le film surgira au dénouement : le jour du mariage, deux enfants se battent à l’extérieur de la yourte  où se déroule la cérémonie, les deux maris, le nouveau et l’ancien, aussi, à l’intérieur. Ils se révèlent, enfin. Infantiles. Amoureux aussi pour l’ancien mari qui semblait jusque là indifférent. Le film s’achève sur les larmes et le regard de Tuya qui contient toute la tristesse d’une vie passée et à venir à laquelle elle avait cru l’espace d’un instant pouvoir échapper. Un film à la fois drôle (aussi) et poignant servi par des acteurs magnifiques dont il faut souligner qu’ils sont tous des amateurs à l’exception de Yu Nan qui interprète Tuya.

    medium_vieux_jardin.JPGMon deuxième coup de cœur du Festival :  Le vieux jardin de  Im Sang-soo qui était déjà venu à medium_jardin.JPGDeauville pour Une femme coréenne qui avait obtenu le lotus d’or du meilleur Film au Festival du Film Asiatique en 2004 et dont The President’s last bang  avait fait sensation au Festival de Cannes, où il était sélectionné dans le cadre de la quinzaine des réalisateurs.  Mai 1980. Lors d’une manifestation réprimée par l’armée, Hyun-woo un jeune militant socialiste trouve refuge dans la montagne auprès de Yoon-hee, une jeune enseignante. Après avoir vécu une histoire d’amour avec elle, Hyun woo retourne à ses activités politiques, la laissant seule. Arrêté puis incarcéré, il sort de prison dix-sept ans plus tard et se souvient... Si ce film n’a rien de révolutionnaire contrairement à son sujet, les combats qu’il met en scène n’en demeurent pas moins particulièrement cinématographiques : celui de l’Histoire et de l’histoire, celui de l’amour et des idéaux politiques, celui d’un homme avec l’Etat et finalement celui d’un homme avec lui-même. Choix cornélien entre l’amour et la politique. Le vieux jardin est une ode à la liberté avec en arrière-plan les changements politiques et sociaux de la Corée. Ce film aurait aussi pu s’intituler une femme coréenne puisque c’est aussi le portrait d’une femme qui meurt d’un cancer, c’est donc enfin un mélodrame qui s’assume comme tel…Ce vieux jardin mérite donc qu’on en arpente les allées certes déjà parcourues depuis longtemps mais néanmoins plaisantes à (re) découvrir.

    Le vieux jardin sortira sur les écrans français le 11 Avril 2007

    medium_deau79.JPG Mon troisième coup de cœur de ce Festival est le dernier film de Park Chan-Wook présenté en avant-première au titre aussi étrange que pourtant peu prometteur Je suis un cyborg.  De celui que le directeur du Festival surnomme le « Spielberg coréen »,  nous pouvions néanmoins nous attendre à une belle surprise au souvenir  de son célèbre « Old boy », deuxième film de sa trilogie sur la vengeance auquel Quentin Tarantino et son jury avaient remis le prix spécial au Festival de Cannes 2004. Il avait également remporté le Grand Prix à Deauville, en 2001, avec Joint security Area. Cette année c’est donc pour un hommage et la présentation de son dernier film que Park Chan-Wook était invité au festival. Dans un asile, Youg-goon est une jeune fille  persuadée d’être un robot. Elle ne s’alimente donc que de piles. Elle est prise sous l’aile de Park Il-Soon, un autre pensionnaire, qui s’approprie l’identité et la folie des autres pensionnaires. Il va tenter de la ramener vers le réel, son réel… Une histoire d’amour va se nouer entre ces deux êtres étranges qui nous embarquent medium_deau80.JPGdans leur vision du monde, celui de la folie mais aussi d’une belle naïveté. Ce film qui a reçu le prix du film le plus innovant au dernier Festival de Berlin est une œuvre singulière et indéfinissable, une comédie romantique atypique et déjantée qui ne nous laisse pas une seconde de répit. C’est l’enfant de la rencontre entre Spielberg et Jeunet, Amélie Poulain et A.I .  Un voyage au bout de la folie et de l’imagination savoureusement fantasque de Park Chan-Wook qui prouve que l’hommage que lui a rendu Benoît Jacquot et tout son jury était amplement mérité. Poétique et fantaisiste, visuellement et scénaristiquement inventif et audacieux, Je suis un cyborg est un film à l’humour noir où le romantisme affleure.  Un film qui mêle astucieusement ralentis, accélérés, split screens, qui décontenance autant par le fond que par la forme. LE film de ce festival à voir et revoir.

    La plupart des films de la compétition officielle étaient eux aussi particulièrement inventifs même si beaucoup plus consensuels que le film de Park Chan-Wook d’ailleurs difficilement égalable dans ce domaine. Parmi ceux-ci les plus remarquables :

    Route 225 de Nakamura Yoshihiro. En préambule, le réalisateur explique que ce film a divisé le Japon à cause de son medium_asiab14.JPGaspect fantastique qui a perturbé beaucoup de spectateurs. Probablement ont-ils été perturbé parce que le fantastique ne provient pas vraiment de ce que nous voyons à l’écran mais de la vision qu’en ont les deux protagonistes. Il nous renvoie ainsi à des peurs enfouis et enfantines qui révèlent des peurs plus profondes : celles de la disparition et de la fin de l’enfance et de la fin de l’insouciance. Les deux protagonistes se retrouvent en effet dans un univers en apparence parfaitement similaire à leur quotidien qui est pourtant celui d’un univers parallèle auquel ils ne peuvent échapper.   La mère de Eriko, une jeune fille de 15 ans, lui demande ainsi d’aller chercher son jeune frère Daigo à la sortie de l’école. Mais quand ils rentrent  leur décor habituel a changé, la mer a remplacé les lotissements. Puis, lorsqu’ils parviennent enfin à rentrer chez eux, la maison est vide. La nuit passe et leurs parents ne reviennent toujours pas. Bien que déboussolée, Eriko décide de faire comme si de rien n’était. Des changements  s’insinuent peu à peu dans leur vie quotidienne : un bouquet de fleurs change de couleurs etc. 225 c’est la route que les deux enfants empruntent pour rentrer chez eux.  15, c’est la racine carrée de 225.  15 c’est l’âge de Eriko, celui de tous les changements. L’âge au carrefour. De sa vie. Le deuil de l’enfance. Route 225 est une fable ludique, intrigante, parfois inquiétante  sur des sujets qui le sont moins : le deuil (de l’enfance donc et pas seulement), le refus de grandir.  Un film qui capte notre attention du début à la fin, qui nous interroge et nous donne envie de refaire le chemin à l’envers : celui-là et un autre…

    Le Pensionnat de Songyos Sugmakanan : à 12 ans, Ton est forcé par son père de quitter la maison familiale pour aller au pensionnat. Il n’a qu’un seul ami avec qui il joue de temps en temps derrière l’école, là où il y avait auparavant une piscine, là où un élève s’est paraît-il noyé.  Le Pensionnat présente plusieurs points communs avec le film précèdent : l’enfance, une disparition étrange, l’intrusion du fantastique. Là où « Route 225 » laissait judicieusement le soin au spectateur de se créer sa propre explication Le Pensionnat apporte une solution ouvertement fantastique, annihilant ainsi l’effet d’un suspense pourtant efficace. Ce qui s’annonçait comme un film sur la cruauté enfantine se révèle finalement être un film assez sirupeux sur le pardon. A voir néanmoins pour son atmosphère inquiétante et ses jeunes comédiens exemplaires.

    Dans Teeth of love de Zhuang Yuxin, Qian Yehong, une jeune femme originaire de Pékin, va connaître les mutations importantes de la Chine durant la période allant de 1977 à 1987. Pendant ces dix années, elle aura également trois histoires d’amour. Ces trois histoires d’amour ont la particularité d’être reliées dans la mémoire de Qian Yehong par la douleur qui en ravive le souvenir. Trois histoires d’amour impossibles dépeintes avec en arrière-plan l’Histoire de la Chine. Quand l’Histoire est douloureuse, l’histoire individuelle le devient aussi forcément. Un film sensible, moins conventionnel qu’il n’y paraît qui emprunte des chemins détournés pour critiquer implicitement la rigidité du régime mais aussi au premier degré le beau portrait d’une femme chinoise (oui, encore un portrait de femme !) à travers trois histoires d’amour impossibles, trois époques de sa vie.

    Getting home de Zhang Yang : Zhao et Liu deux collègues de travail et amis de longue date, sont en train de s’enivrer lorsque Liu meurt soudainement. Voulant honorer la promesse qu’il avait faite à son ami, Zhao décide de parcourir des milliers de kilomètres à travers la Chine afin de ramener le corps du défunt dans sa ville natale. Un road movie chinois à la réalisation inégale mais dont le personnage chaplinesque nous entraîne avec plaisir dans ses mésaventures burlesques…

    medium_asiab49.JPGFamily Ties de Kim Tae-yong : Mira, une femme célibataire, qui tient un snack bar, tombe des nues lorsque réapparaît son jeune frère dont elle n’avait plus eu de nouvelles depuis 5 ans. De surcroît, il est accompagné de sa femme qui a 20 ans de plus que lui… Même si ce film au sujet assez classique ne perd jamais notre intérêt grâce à des personnages plutôt attachants, son originalité se trouve plutôt dans sa construction en forme de puzzle dont l’explication finale et ironique apparaît au dénouement et modifie notre regard sur ce film qui entrelace trois histoires dont le lien n’apparaît que dans les dernières minutes.

    medium_asiab100.JPGPalmarès : Le  lotus du meilleur film a été attribué à Syndromes and a century  du Thaïlandais  Apichatong Weerasethakul.  La première partie du film s’intéresse à une femme médecin et se situe dans un environnement rappelant  celui dans lequel le cinéaste est né et a grandi. La deuxième partie s’intéresse à un homme, médecin lui aussi, et se déroule dans un environnement plus proche du monde dans lequel nous vivons.  Deux médecins. Deux visions d’un même pays. L’un évolue dans un univers glacial et aseptisé, l’autre voit pousser des orchidées rares. Syndromes and a century est un film aux limites de l’expérimental basé sur un jeu d’oppositions : entre couleurs et blancheur aveuglante et inquiétante. Malgré ses accents lynchiens, Syndromes and a century nous égare sans nous envoûter, amorçant des intrigues qui n’aboutissent pas, usant de la métaphore et des plans fixes à outrance. Syndromes and a century est une critique de la modernisation et un hymne à la nature dont les objectifs sont affichés avec trop d’évidence pour avoir une réelle portée. Dommage…

    medium_king.JPGLe lotus du jury a été attribué à King and the clown de Lee Jun-Ik : Dynastie Chosun vers 1500. Jang-Seng et Gong-Gil sont arrêtés après avoir joué une pièce satirique prenant pour cible le roi. Conduits de force au palais royal, ils proposent au roi de jouer la pièce devant lui et d’être libérés s’ils arrivent à le faire rire.

    Ce film est l’adaptation d’une comédie musicale coréenne et a connu un succès sans précèdent en Corée. Si la mise en scène est, il est vrai, assez fastueuse, l’intérêt ne réside pas tant dans ce qui nous est montré que dans ce qu’il dénonce. C’est bien connu : on ne parle jamais aussi bien d’aujourd’hui qu’en parlant d’hier. C’est une farce dramatique qui à l’image de son titre oscille et passe brusquement de la comédie à la tragédie. Comme les « clowns » qu’il met en scène, le réalisateur pratique un jeu de masques pour ridiculiser les régimes dictatoriaux en plaçant au centre de son intrigue un roi aussi cruel et violent que ridicule. Evidemment on songe à la Corée du Nord. On peut déplorer quelques longueurs mais la fin justifie les moyens. Pour le roi…et pour le réalisateur.

    Le lotus de la critique internationale a été attribuée à Ad lib night de Lee Yoon-ki : Trois hommes persuadent une jeune fille vivant à Séoul de les accompagner à la campagne où elle doit se faire passer pour la fille d’un homme qui doit bientôt mourir et dont la dernière volonté est de revoir sa fille qu’il n’a pas vue depuis des années. Certains plans sont d’un réel esthétisme, dommage que le mystère qui plane autour de l’identité de la jeune fille  (est-elle finalement la fille du mourant ?) soit finalement et aussi maladroitement levé et que certaines scènes de la famille éplorées littéralement grotesques nuisent à ce film qui comprend néanmoins de beaux moments de cinéma  en hommage à la Nouvelle Vague.

    Le prix Action Asia a été attribué à :  Dog Bite Dog de Soi Cheang

    medium_asiab51.JPGDe nouveau, ce Festival du Film Asiatique nous a apporté d’agréables surprises avec des medium_PICT0223.JPGfilms particulièrement novateurs autant dans le fond que dans la forme prouvant une nouvelle fois l’inventivité et le modernisme du cinéma asiatique. La proximité du Festival de Cannes (le Festival du Film Asiatique de Deauville se déroule habituellement plutôt début mars) a probablement empêché que certains films, ayant préféré la Croisette aux Planches, y soient projetés. Vous pourrez en trouver un résumé complet sur mon nouveau blog entièrement consacré au Festival de Cannes 2007 : In the mood for Cannes.

    Liens :

    Compte-rendu du Festival du Film Asiatique 2005

    Compte-rendu du Festival du Film Asiatique 2006

    Site Officiel du Festival du Film Asiatique de Deauville 2007

    medium_deau78.2.JPGFestivals à suivre  prochainement sur In the mood for cinema : le Festival de Cannes (et sur In the mood for Cannes), le Festival du Film Romantique de Cabourg, le Festival du Cinéma Américain de Deauville (création prochaine d’un nouveau blog pour l’occasion « In the mood for Deauville 2007 »).

    Sandra.M

  • J-17: la Culture dans le débat présidentiel, rencontre avec 8 candidats à Sciences-po

    medium_PICT0214.2.JPG Certes, ce blog est avant tout cinématographique et est apolitique et le restera (même si la politique et la campagne présidentielle me passionnent et même si j’ai des convictions mais ce blog n’est pas le lieu pour les exprimer). Il n’empêche que… dans 17 jours s’esquissera le  visage de notre futur(e) président(e) parmi ceux de nos deux futur(e)s président(e)s potentiel(le)s.  Personne ne peut l’ignorer alors que les enjeux ont rarement été aussi importants et que l’incertitude quant au résultat et quant aux candidat(e)s présent(e)s au second tour demeurent, plus que jamais.

    Aujourd’hui j’étais invitée à sciences-po Paris pour la rencontre organisée en partenariat avec le magazine Elle avec 8 des 12 candidats (dans l’ordre chronologique d’apparition : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou, Olivier Besancenot, José Bové, Marie-Georges Buffet, Dominique Voynet, Jean-Marie Le Pen) qui se sont succédés dans le célèbre amphithéâtre Boutmy particulièrement rempli et animé, des candidats interrogés par Laurence Ferrari et les personnes  sélectionnées pour poser des questions, en présence de personnalités des arts et des médias dont certaines ont également interrogé ou interpellé les candidats.

    Si je ne peux évoquer le fond, en revanche, je ne m’interdis pas de vous parler de la forme. Alors que les programmes de chacun sont désormais connus dans leurs grandes lignes, le moindre geste a priori ou autrement anodin devient crucial.

    Etrange film de la réalité (historique ?) qui s’est déroulé sous mes yeux, attentifs, parfois éberlués, incrédules, intrigués, mais toujours intéressés devant ce film  tour à tour passionnant, sidérant, voire inquiétant. Un moment fort, riche d’enseignements où les gestes en disaient si longs. Précipités, esquissés, péremptoires, si contrôlés. Après une campagne commencée il y a (trop) longtemps, la fatigue se fait sentir. Et donc… de ces gestes qui échappent aussi, qui révèlent tant. Qui trahissent enfin.  Un(e)tel(le) tape dans son micro avec un étrange geste satisfait après chacune de ses interventions. Un(e) tel(le) commande autoritairement un verre d’eau. Un(e)tel(le) déplace une table. Un(e)tel(le) s’éponge constamment. Un(e)tel(le) triture nerveusement ses doigts et ses pieds. Un(e)tel(le) ne s’adresse qu’à la présentatrice et jamais au public. Un(e)tel(le) refuse de s’asseoir. Un(e) tel(le) crie plus qu’il(ou elle) ne parle. Un(e)tel(le) demande à ce que chaque question soit posée une seconde fois tendant l’oreille en émettant d’inquiétantes grimaces et onomatopées. Sans parler des fautes de français et des lapsus. Huit discours néanmoins. Huit visions du monde et de l'avenir de la France.  Huit moments forts. Presque 8 heures de "débats". Quelques gestes en commun. Evidemment, des thèmes en commun surtout quand d’autres sont communément éludés aussi. Il serait trop facile d’incriminer les candidats, ce sont aussi et surtout les journalistes qui en  décident. Cette journée l’a prouvé ; quand les bonnes questions sont posées, les réponses et parfois plus leur absence en disent si long.  Il y aurait tant et tellement plus à dire sur le fond...mais, je vous l’ai dit, ce n’est pas le lieu.

    Bravo à Sara Forestier pour son intervention impromptue qui ne concernait pas la culture mais n’en a pas moins été pertinente (Ah non, je n’en dirai pas davantage, j’ai dit que je n’évoquais pas le fond).

    Et puis cette dernière intervention… ces dernières minutes tellement incroyables et insensées d’un candidat qui perd totalement son sang froid. Plus que jamais le 21 Avril m’a alors paru être une aberration incompréhensible. Je me suis dit qu’avec de telles images et paroles le risque était écarté…encore faut-il que les images, les silences (si significatifs) et les paroles soient retransmis, commentés, que les gestes, là vraiment symptomatiques, soient soulignés…mais c’est une autre histoire qu’il ne m’appartient plus de raconter, plus ici du moins.  Ajout du 6 Avril 2007: Une image en remplace une autre et l'élude avant qu'elle n'ait eu le temps (ou qu'on ne lui ait donné le temps) d'exister. Normalement ses propos ignominieux, ses gestes significativement outranciers, ses consternantes absences de réponses à des questions essentielles auraient dû faire le tour des médias. Si peu. Montrer est si facile. Démontrer serait si intéressant. C'est vrai : il y avait juste une petite dizaine de caméras. Tellement et plus que jamais informés. Finalement si mal informés. Une image en a remplacé une autre. J'espère  juste que le 22 Avril ne ressemblera pas au 21.

    Je devais initialement poser une question sur la culture thème semble-t-il anecdotique et absent des émissions télévisées ( de même d’ailleurs que la politique internationale !) et j’aurais aimé savoir s’il l’était aussi des programmes, mais le temps imparti ayant forcément été inférieur au nombre de personnes sélectionnés pour poser des questions, je n’ai pas pu la poser, néanmoins ravie d’avoir assisté à cette journée si instructive, de débats passionnés, et de réactions souvent passionnelles.

    Donc si le sujet vous intéresse, je vous invite à consulter le site consacré à la Culture dans l’élection présidentielle sur lequel vous pourrez lire les programmes des différents candidats sur ce sujet :  http://www.2007culture.org/ /

    Je reviens prochainement à des sujets pleinement cinématographiques !

    Sandra.M