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  • Cannes 2017 - Critique de SOMEWHERE de Sofia Coppola (en attendant LES PROIES)

    proies

    Parmi les films attendus de ce 70ème Festival de Cannes figure ainsi celui de Sofia Coppola (en compétition officielle), « Les Proies » (The Beguiled), une adaptation du roman de Thomas Cullinan, avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Elle Fanning et Kirsten Dunst. En attendant de le découvrir sur la Croisette, je vous propose ma critique de SOMEWHERE de Sofia Coppola.

    Critique de SOMEWHERE de Sofia Coppola

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     Quatrième long-métrage de la cinéaste après « Virgin suicides », « Lost in translation » et « Marie-Antoinette », « Somewhere » a reçu le Lion d’or du Festival de Venise « à l’unanimité » selon le président du jury Quentin Tarantino, malgré l’accueil mitigé que le film avait reçu à la Mostra mais Quentin Tarantino (que certains ont accusé de favoritisme, ce dernier ayant été le compagnon de Sofia Coppola) n’en est pas à sa première remise de prix controversée, on se souvient ainsi de la controverse suite à la palme d’or que le jury cannois qu’il présidait avait attribuée à Michael Moore pour « Fahrenheit 9/11 », en 2004.

    Le synopsis de « Somewhere » n’est pas sans rappeler celui de « Lost in translation » :  Johnny Marco (Stephen Dorff), acteur de son état, promène sa lassitude désenchantée dans les couloirs du Château Marmont, célèbre hôtel (réel) de Los Angeles fréquenté par le tout Hollywood, jusqu’au jour où arrive Cléo (Elle Fanning), sa fille de 11 ans.  Avec elle, il va enfin se réveiller et révéler, et cesser de tourner en rond pour retrouver le « droit chemin ».

    La première scène  nous montre ainsi une voiture (la Ferrari rutilante de l’acteur dont on se demande parfois si le film n’en est pas le spot publicitaire même si, certes, elle n’est pas sans symboles, notamment  de son luxueux enfermement ) qui tourne en rond sur un circuit, à l’image de Johnny dans les couloirs du Château Marmont, et de sa vie qui ne semble aller nulle part, et n’être qu’une errance dans les couloirs de l’hôtel où il croise notamment Benicio Del Toro, Aurélien Wiik et Alden Ehrenreich (dont je vous laisse retrouver les très courtes apparitions) mais surtout des silhouettes lascives, fantomatiques et désincarnées quand il n’en ramène pas dans sa chambre, semble-t-il sa seule occupation. Lorsque la gracile, solaire et sage Cléo débarque, il porte un regard nouveau sur ce qui l’entoure, ou même tout simplement il porte un regard, enfin.

     Ce regard c’est celui de la cinéaste, habituée des lieux, gentiment ironique : sur la télévision italienne et ses personnages hauts en couleurs, les conférences de presse aux questions consternantes (dont les questions et la perplexité de l’acteur n’ont pas été sans me rappeler celle-ci, notamment, mais aussi bien d’autres), la promotion contrainte et souvent absurde.

     Le cinéma de Sofia Coppola, d’ailleurs qu’il se passe au XVIIIème ou en 2010, semble compiler les effets de mode : musicaux (hier Air, aujourd’hui Phoenix, avec la musique de son compagnon Thomas Mars), géographiques (l’hôtel Château Marmont de Los Angeles) ou visuels ( trèèès longs plans fixes ou plans séquences).

    Le problème c’est qu’à force d’être « à la mode », Sofia Coppola nous donne l’impression de regarder la couverture glacée d’un magazine (à moins que ce ne soit délibéré que nous ne voyions rien comme Johnny aveugle à ce qui l’entoure). Le Château Marmont est un lieu décadent nous dit-elle, mais son regard semble s’arrêter à l’apparence, à cette première page sans jamais en franchir réellement le seuil. A l’image du premier plan et de son protagoniste, le cinéma de Sofia Coppola semble par ailleurs tourner en rond : le cadre, les personnages, la fin rappellent ceux de « Lost in translation » (notamment avec ses paroles inaudibles),  et on retrouve ses thématiques récurrentes : personnages esseulés, en transition, célébrité.

     Là où « Lost in translation » était avant tout centré sur le scénario (recevant un Oscar, mérité, pour celui-ci), « Somewhere » ressemble davantage à un exercice de style imprégné de cinéma d’auteur français  et de Nouvelle Vague(jusqu’au prénom Cléo, probablement en référence à Varda) ou de cinéastes américains comme Gus Van Sant, mais je ne vois toujours pas ce que ce film a de plus qu’un grand nombre de films indépendants américains (notamment ceux projetés en compétition dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville, au moins aussi bons) et donc ce qui justifie son prix à la Mostra.

    Finalement ce film est à l’image de sa réalisatrice qui dégage un charme discret et dont on ne sait si on la trouve charmante à force qu’on nous ait rabâché qu’elle l’était ou si elle l’est réellement. J’avoue n’avoir toujours pas réussi à trancher, et à savoir si son film lui aussi est juste une image ou si il a une réelle consistance. Ou s’il n’est qu’un masque comme celui que Johnny est contraint de porter (au propre comme au figuré). Cela me rappelle d’ailleurs cette anecdote significative, Sofia Coppola passagère connue et anonyme dans un bus et que j’étais la seule à remarquer, témoignant du fait qu’on ne la remarque comme une icône de mode que parce que les magazines nous la désignent comme telle, et je me demande ainsi si ce n’est pas à l’image de son cinéma qui serait « remarquable » car « à la mode ». En tout cas, et pour mon plus grand plaisir, n'a-t-elle pas cédé à une mode: celle des films avec dialogues (quand il y en a) et rythme effrénés pour vous empêcher de réflèchir (ce qui, en général, serait fortement nuisible aux films en question).

    « Somewhere », à la fois très dépouillé et stylisé (qualité et défaut d’un premier film dont il a les accents), n’est donc néanmoins pas dénué de charme ou de grâce (par exemple le temps d’un survol en hélicoptère où Johnny prend la mesure de la beauté du monde, en tout cas de son monde, d’une danse aérienne sur la glace, ou d’une caméra qui s’éloigne lentement, prenant du recul comme Johnny va le faire progressivement), et son ironie désenchantée est plutôt réjouissante. La photographie langoureuse d’Harris Savides (notamment chef opérateur de « Gerry », "Elephant", "Whatever works", "The Game", ou « The Yards »), les plans lancinants souvent intelligemment métaphoriques retiennent notre attention et, malgré la lenteur, ne laissent jamais l’ennui s’installer mais nous permettent au contraire de nous laisser porter par l’atmosphère du Château Marmont et, comme Johnny d’en éprouver les facéties étouffantes. Stephen Dorff est parfaitement crédible en acteur débraillé, lucide, blasé et passif que tout le monde trouve en pleine forme, et la jeune Elle Fanning dégage une grâce, une maturité et une justesse rares qui illuminent le film et promettent une jolie carrière. Ils forment un duo tendre et attachant, crédible.

     Malgré cela, ce « Somewhere » certes indéniablement plein de charme, m’a laissée sur ma faim, et je m’interroge encore pour savoir si cette longue route droite mène réellement quelque part et si, plus encore qu’intimiste, ce film n’en est pas démesurément personnel, voire narcissique, pour oublier d’être ce qu’est tout grand, voire tout bon film, et ce qu’étaient à mon sens les excellents « Lost in translation » et « Marie-Antoinette » : universels.

  • Ma critique de CAFE SOCIETY de Woody Allen sur le site de Canal + (film d'ouverture du Festival de Cannes 2016, bientôt sur Canal +)

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    Comme chaque mois désormais, vous pourrez retrouver une de mes critiques sur le site de Canal +. Ce mois-ci, j'ai choisi le film d'ouverture du 69ème Festival de Cannes en attendant le 70ème en direct duquel vous pourrez me suivre dès le 16 Mai. Retrouvez ma critique de "Café Society" sur le site officiel de Canal plus en cliquant ici.

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    Quelle judicieuse idée du Festival de Cannes l’an passé que d’avoir à nouveau sélectionné comme film d’ouverture un long-métrage de Woody Allen (après « Hollywood ending » en 2002 et « Minuit à Paris » en 2011), promesse toujours de tendre ironie, de causticité mélancolique mais aussi en l’occurrence de villes baignées de lumière. Comme un écho à l’affiche de la 69ème édition du festival, incandescente, solaire, ouvrant sur de nouveaux horizons (image tirée du « Mépris » de Godard) et sur cette ascension solitaire, teintée de langueur et de mélancolie comme une parabole de celle des 24 marches les plus célèbres au monde. Un film d’ouverture comme une mise en abyme puisque le plus grand festival de cinéma au monde s’ouvrait sur un film qui mettait en scène le monde du cinéma…

    Ce nouveau film de Woody Allen nous emmène ainsi à New York, dans les années 30. Entre des parents conflictuels et un frère gangster (qualifié de « colérique » alors qu’il a une fâcheuse tendance à régler les problèmes par le meurtre ou l’art de l’euphémisme acerbe signé Woody Allen), Bobby Dorfman (Jesse Eisenberg) a le sentiment d'étouffer.  Il décide donc de tenter sa chance à Hollywood où son oncle Phil (Steve Carell), puissant agent de stars, après l’avoir fait patienter trois semaines, trouve finalement le temps de le recevoir et de l'engager comme coursier. À Hollywood, Bobby tombe immédiatement sous le charme de la secrétaire de Phil, Vonnie, (Kristen Stewart) à qui ce dernier à donner pour mission de lui faire découvrir la ville. Malheureusement, Vonnie n'est pas libre et lui dit être éprise d’un mystérieux journaliste. Il doit alors se contenter de son amitié et de promenades dans la ville.  Jusqu'au jour où elle lui annonce que son petit ami vient de rompre. Soudain, l'horizon semble s'éclaircir pour Bobby mais nous sommes dans un film de Woody Allen et l’ironie tragique de l’existence finit toujours par s’en mêler…

    Un film de Woody Allen comporte des incontournables, ce qui rend ses films singuliers et jubilatoires. La virtuosité de ses scènes d’ouverture qui vous embarquent en quelques mots, notes et images, vous immergent d’emblée dans un univers et brossent des personnages avec une habileté époustouflante : ici les années 30 dans une somptueuse villa et dans le faste tonitruant d’Hollywood, le tout porté par une musique jazzy et la voix off de Woody Allen.  Des dialogues cinglants et réjouissants qui suscitent un rire teinté de désenchantement : il excelle ici à nouveau dans l’exercice. Des personnages qui sont comme les doubles du cinéaste : Jesse Eisenberg en l’occurrence qui emprunte son phrasé, sa démarche, sa gestuelle sans le singer, avec une maestria indéniable.  Des personnages brillamment dessinés : quelle belle galerie de portraits à nouveau avec parfois des personnages caractérisés d’une réplique. Le jazz dont la tristesse sous-jacente à ses notes joyeuses fait écho à la joie trompeuse des personnages. Des pensées sur la vie, l’amour, la mort. Une mise en scène élégante sublimée ici par la photographie du chef opérateur triplement oscarisé Vittorio Storaro (pour « Apocalypse now », « Reds », « Le dernier empereur ») qui travaille pour la première fois avec Woody Allen, et pour la première fois en numérique.

    Ajoutez à cela la grâce et l’intelligence de jeu de Kristen Stewart, éblouissante, dont le regard un instant s’évade et se voile de mélancolie, des seconds rôles excellents et excellemment écrits, la voix de Woody Allen narrateur, une écriture d’une précision redoutable et vous obtiendrez un film au charme nostalgique et ravageur.

    La caméra virtuose de Woody Allen tournoie à l’image de cette société virevoltante dont les excès et les lumières étourdissent et masquent la vérité et les désillusions.  Tous ces noms célèbres cités et égrenés le sont comme un masque sur la vanité de l’existence.  Woody Allen fait dire à un de ses personnages «  Il sait donner au drame une touche de légèreté » alors pour le paraphraser disons qu’ici Woody Allen sait donner à la légèreté une touche de drame. Si drame et comédie s’enlacent et se confondent, le film est par ailleurs construit comme une brillante dichotomie (que symbolise très bien une scène de conversation entre Bobby et Phil, chacun assis sous une colonne, l’espace scindé en deux) : la vérité et le cinéma, New York et Hollywood etc.  Quelle vitalité, lucidité, modernité dans le 47ème film de cet octogénaire !

    Plus qu’une chronique acide sur Hollywood que le film aurait seulement et simplement pu être (Hollywood qualifiée ici tout de même de « milieu barbant, hostile, féroce » et dont Woody Allen n’épargne pas le vain orgueil et la superficialité), c’est surtout un nouvel hommage à la beauté incendiaire de New York empreint d'une féroce nostalgie mais aussi  un hymne aux amours impossibles qui auréolent l’existence d’une lumineuse mélancolie. « L’amour est une émotion et les émotions ne sont pas rationnelles. On tombe amoureux et on perd le contrôle ».  « Le côté poignant de la vie : accepter qu’elle n’ait pas de sens et même se réjouir qu’elle n’ait pas de sens. » Le film se passe dans les années 30. 1939, qui sait ? Et ce réveillon de la nouvelle année par lequel il s’achève est peut-être annonciateur d’un autre crépuscule, celui d’une autre paix bien fragile que cette Café Society qui se noie dans une joie partiellement factice essaie peut-être d’occulter.

    Une scène vaudevillesque digne de Lubitsch et une autre romantique à Central Park valent  à elles seules le voyage. Mais aussi tant de quelques réjouissantes citations parmi lesquelles :

    «  La vie est une comédie écrite par un auteur sadique. »

    « Vis chaque jour comme le dernier, un jour ça le sera. »

     « Tu es trop idiot pour comprendre ce que la mort implique .»

    « C’est bête que les Juifs ne proposent pas de vie après la mort, ils auraient plus de clients. »

    « L’amour sans retour fait plus de victimes que la tuberculose. »

    Le film précédent de Woody Allen qui avait ouvert le festival de Cannes, « Minuit à Paris » était une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination,  à la magie de la ville lumière et surtout à celle du cinéma qui nous permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et de s’étreindre, le cinéma  évasion salutaire  «  dans une époque bruyante et compliquée ». Ce film-ci est plus empreint de pessimisme, de renoncement mais c’est notre cœur qu’il étreint, une fois de plus… Le film idéal pour une ouverture du Festival de Cannes avec New York et Hollywood nimbées de lueurs crépusculaires d’une beauté hypnotique, élégamment cruelles.  A l’image des projecteurs et des flashs aveuglants sur les marches du Festival de Cannes.

    « Dreams are dreams » entend-on dans « Café Society » comme une rengaine aux accents de regret. A l’image de ce plan de Bobby dos à la « scène », d’une mélancolie et d’une lucidité bouleversantes et redoutables. Comme un homme face à l’écran. Celui du cinéma qu’est devenue sa vie. Une « Rose pourpre du Caire » dans laquelle rêve et réalité seraient condamnés à rester à leur place. Comme un écho à la sublime affiche du film « Café Society » sur laquelle une larme dorée coule sur un visage excessivement maquillé tel un masque. Celui de la société que ce café d’apparats et d’apparences métaphorise.  Un « café society » qui vous laissera longtemps avec le souvenir de deux âmes seules au milieu de tous, d’un regard lointain et d’un regard songeur qui, par-delà l’espace, se rejoignent. Deux regards douloureusement beaux. Bouleversants. Comme un amour impossible, aux accents d’éternité. Un inestimable et furtif instant qui, derrière la légèreté feinte, laisse apparaître ce qu’est ce film savoureux : un petit bijou de subtilité dont la force et l’émotion vous saisissent à l’ultime seconde. Lorsque le masque, enfin, tombe.