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FESTIVAL DE CANNES 2016 - Page 2

  • Festival de Cannes 2016 - Critique de LA FORÊT DE QUINCONCES de Grégoire Leprince-Ringuet (séance spéciale)

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    Ondine (Amandine Truffy) et Paul (Grégoire Leprince-Ringuet) se sont aimés. Quand elle le quitte, il jure qu'il n'aimera plus. Pour se le prouver, il poursuit la belle Camille, qu'il compte séduire et délaisser. Mais Camille (Pauline Caupenne) envoûte Paul qu'elle désire pour elle seule. Et tandis qu'il succombe au charme de Camille, Paul affronte le souvenir de son amour passé.

    Seuls les prénoms des personnages, à la lecture du pitch officiel, auraient peut-être pu me donner un indice sur le caractère poétique de ce film mais ayant préféré, comme souvent, en savoir le moins possible avant de le voir en salles, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les dialogues étaient (brillamment) écrits en vers. J’ai d’abord cru que le réalisateur avait utilisé les vers d’auteurs célèbres (les références et les influences surtout, revendiquées, sont multiples : Grégoire Leprince-Ringuet revendique ainsi l'influence de Paul Valéry, Baudelaire, Racine, Corneille, Molière, Aragon et Supervielle) mais ma surprise fut d’autant plus grande et agréable en découvrant que le jeune cinéaste en était l’auteur et le seul auteur du scénario.

    Ce dernier s'est ainsi basé sur ses propres poèmes pour écrire le scénario de son film. Voilà qui nous charme d’emblée comme Paul l’est par les deux femmes entre lesquelles son cœur balance. Certains dialogues débutent en prose pour s’achever en vers ou inversement si bien que ce qui aurait pu sembler incongru paraît naturel. La beauté de la langue française en est sublimée et magnifie les échanges entre les personnages. Au lieu d’en faire un film empesé ou suranné, cela démontre au contraire toute la modernité de la poésie, sa force, sa volupté, sa richesse aussi. La caméra, loin d’être statique, virevolte souvent autour des personnages, vibrant de concert avec leur fougue. Les mots s’enchaînent et nous hypnotisent comme une mélopée enchanteresse et magnétique. Et le sortilège par lequel Camille envoûte Paul agit aussi sur le spectateur…

    Le film regorge de trouvailles à l’exemple de son titre, La Forêt de Quinconces se référant à toutes les voies qui s’offrent au personnage principal,  droites et infinies. Le destin. La chance. Les choix. Voilà des thèmes qui ne déplairaient pas à Woody Allen surtout que les quartiers du Nord et de l’Est de Paris, filmés sous des angles inhabituels, font parfois ici penser à New York.

    Le film est aussi empreint d’onirisme et de fantastique, notamment par le biais d’un clochard (excellent Thierry Hancisse) un rôle pour lequel Grégoire Leprince-Ringuet s’est inspiré des personnages de clochards dans Les Portes de la nuit de Carné ou à Faust dans le film de René Clair La Beauté du diable. Deux films magnifiques que je vous recommande au passage.

    Une scène surprenante et ensorcelante, à l’image de tout le film d'ailleurs, mérite à elle seule le déplacement. Du métro à des rues sombres puis à un couloir jusqu’à une scène de théâtre et ses coulisses, Paul suit Camille, danse avec elle (moment hors du temps, scène parfaitement chorégraphiée, d’une force redoutable, sur la musique de Tchaïkovski), puis lui déclare sa flamme dans les coulisses... et du début à la fin de la scène, magistralement et intensément filmée, jouée, dansée, le spectateur retient son souffle. De ces échanges, dansées et parlées, se dégage un magnétisme fulgurant. Sans aucun doute une des plus belles scènes vue au cinéma cette année.

    Grégoire LePrince-Ringuet a débuté au cinéma à 14 ans dans Les Egarés de Téchiné (pour lequel il fut nommé comme Meilleur jeune espoir masculin). Il a étagement été chanteur au sein du chœur de l’Opéra de Paris. Ces expériences et cette précocité ont sans aucun doute enrichi son expérience puis son film. Vous l’avez peut-être également vu dans  Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (avec une nouvelle nomination aux César à la clef) puis dans La Belle personne du même réalisateur qui était une transposition moderne de la Princesse de Clèves, un mariage habile de classicisme et de modernité par lequel Grégoire Leprince-Ringuet a peut-être aussi été influencé pour cette première réalisation. En 2010, il était en compétition officielle à Cannes avec La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier et hors compétition dans L' Autre monde de Gilles Marchand.

    Fort de ces belles expériences, dans La forêt de Quinconces, il excelle autant devant que derrière la caméra, déclamant les vers avec un naturel déconcertant. Une mention spéciale pour Pauline Caupenne qui crève littéralement l’écran, passionnée comme Carmen. Et quand elle dit :

    Ma présence seule abolit le délire dont je te dote

    Je suis le mal et l’antidote

    ...il nous est bien difficile de ne pas la croire. C'est là toute la puissance commune du cinéma et de la poésie que de nous faire croire à l'impossible.

    Arthur Teboul, le leader de Feu Chatterton, fait également ici ses débuts au cinéma, dans un dénouement très réussi. La bande originale du film a d’ailleurs été composée par Clément Doumic, autre membre de Feu Chatterton, avec  une couleur électro. La musique joue d’ailleurs un rôle central, qu’elle soit classique ou plus moderne (ce qui ne veut d’ailleurs rien dire, la musique classique apportant ici aussi beaucoup de modernité, Tchaikovski mais aussi Debussy).

    Vous l’aurez compris, je suis tombée littéralement sous le charme de ce conte moderne, de ce ballet fiévreux, aux frontières du fantastique et pourtant ancré dans la réalité, d’une inventivité rare porté par des comédiens au talent éclatant, par des contrastes judicieux (entre les formats qui changent au fil du film mais aussi entre le jour et la nuit, l’extérieur et l’intérieur, la force et la douceur). Dix jours après l'avoir vu, je souhaite ardemment revoir ce film pour en savourer chacun de ses dialogues et m'attarder sur chacune de ses trouvailles. Il m'a aussi donné envie de relire Baudelaire et Racine.  Les moments de poésie sont trop rares pour s’en priver et ce film rend un sublime hommage à sa puissance émotionnelle ! En tout cas, sans aucun doute : un cinéaste est né. Et ce serait bien dommage de passer à côté. J'attends d'ores et déjà son prochain film avec impatience mais, en attendant, allez vous perdre dans La Forêt de Quinconces, je vous garantis que vous ne regretterez pas cette promenade poétique, palpitante et envoûtante.

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  • Festival de Cannes 2016 - Critique de PATERSON de Jim Jarmusch (compétition officielle)

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    Paterson (Adam Driver) vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allan Ginsberg, une ville aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura (Golshifteh Farahani), qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, l’inénarrable bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

    Le film dont l’intrigue se déroule sur une semaine, est empreint de dualité et est construit en miroir avec une précision fascinante, une fausse simplicité, une douceur hypnotique, un rythme lancinant. Envoûtants. Sa lenteur, certes captivante, en rebutera peut-être plus d’un, pourtant pour peu que vous acceptiez ce rythme, la poésie contemplative du film vous happera progressivement pour vous plonger et vous bercer dans une atmosphère à la fois mélancolique et ouateuse.

    La dualité et la répétition sont partout. Dans le noir et blanc qui obsèdent la compagne de Paterson (un noir et blanc dont elle décore toute la maison, mais aussi les rideaux,  ses cupcakes, ses vêtements). Les jumeaux que le couple voit partout (en rêve pour l’une, dans son étrange réalité pour l’autre). Dans le patronyme « Paterson » qui est aussi celui de la ville où le protagoniste évolue et celle où a vécu le poète dont il s’inspire (William Carlos Williams). Sans oublier les journées répétitives : le réveil, le trajet à pied pour aller en travail, l’écriture d’ un poème dans son carnet secret toujours interrompue par l’arrivée de son patron déprimé, les conversations des passagers de son bus, le retour à la maison en redressant la boîte aux lettres que le chien fait chaque jour malicieusement tomber, les discussions avec sa femme, et la journée qui s’achève par la promenade du chien et la bière au café où une conversation ou un imprévu viennent aussi briser le rythme routinier. Un seul évènement viendra réellement bouleverser ce rythme répétitif tandis que le couple regarde un film de Jacques Tourneur au cinéma, punis d’avoir dérogés à ses habitudes quotidiennes.

    Décrit ainsi, le film pourrait paraître ennuyeux et banal. S’en dégage pourtant une beauté poétique qui sublime l’apparente simplicité de chaque instant, l’ennui routinier qui semble parfois peser sur Paterson (la ville, ville pauvre du New Jersey qui rappelle Détroit dans « Only  Lovers Left Alive » ) et sur Paterson, l’homme. Il regarde ainsi chaque soir les visages célèbres de la ville accrochés dans le bar où s’achèvent ses journées. Admiratif, il écoute une petite fille lui dire le poème qu’elle a écrit et qu’il admire. Il  écoute enfin un touriste Japonais lui vanter les poèmes de William Carlos Williams. Miroirs encore. Ceux de ses regrets, de ses échecs, de sa vie qui semble condamné à cette inlassable routine mais que sublime le plus beau des pouvoirs, celui de savoir jongler avec les mots qui résonnent aux oreilles du spectateur comme une douce et enivrante mélopée.

    Jarmusch, avec une acuité remarquable, capte l’extraordinaire dans l’ordinaire, le singulier dans le quotidien. Les vers qui s’écrivent sur l’écran et la voix de Paterson qui les répète inlassablement est une musique qui s’ajoute à celle de Sqürl, le groupe de Jim Jarmusch, et qui nous charme insidieusement pour finalement nous faire quitter à regrets cet univers réconfortant, tendrement cocasse, et poétique.

    Adam Driver et Golshifteh Farahani sont remarquables. La tendre nonchalance du premier, sa bienveillance envers l’attendrissante folie de sa femme (Golshifteh Farahani, toujours d’une justesse sidérante) sont en effet pour beaucoup dans le l’enchantement irrésistible de ce poème terriblement séduisant.

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  • Critique de TOUR DE FRANCE de Rachid Djaïdani (Quinzaine des Réalisateurs)

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    Far’Hook  (Sadek) est un jeune rappeur de 20 ans. Suite à un règlement de compte, il est obligé de quitter Paris pour quelques temps. Son producteur, Bilal, lui propose alors de prendre sa place et d’accompagner son père Serge (Gérard Depardieu) faire le tour des ports de France sur les traces du peintre Joseph Vernet. Malgré le choc des générations et des cultures, une amitié improbable va se nouer entre ce rappeur plein de promesses et ce maçon du Nord de la France au cours d’un périple qui les mènera à Marseille pour un concert final.

    Au-delà de ce qui les sépare, en particulier le racisme de Serge, peu à peu, au fil des kilomètres, vont se révéler les blessures de ces deux oubliés de la société, ces deux êtres à fleur de peau, en mal d’amour, dont la colère s’exprime par la haine de l’autre (de l’inconnu) pour l’un, par la musique (le rap) pour l’autre. Une relation filiale va peu à peu se nouer entre les deux oubliés de la société, de ceux qui viennent de ces territoires ravagés par le chômage.

     Depardieu toujours aussi monumental laisse peu à peu affleurer les fêlures et les blessures de ce misanthrope qui progressivement révèle un autre visage, pour finalement nous toucher en plein cœur et nous bouleverser lors d’une scène où il est filmé de dos, chancelant d’émotions, rattrapé par son humanité que les blessures de la vie l’ont conduit à masquer.

    Même si le film n’échappe pas à quelques clichés et discours convenus, voire démagogiques, et même si certaines saynètes manquent de liens entre elles, il finit par nous émouvoir et nous emporter tant il est émaillé de moments de grâce comme lorsque  Far’Hook déclame « l’Albatros » de Baudelaire.

    Un film porté par ce duo improbable et attachant, par la beauté des paysages (de la France et des tableaux) et par un bel espoir, au bout de la route,  celui de la réconciliation, avec l’autre et avec soi.

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  • Festival de Cannes 2016 - Critique de MAL DE PIERRES de Nicole Garcia (compétition officielle)

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    Nicole Garcia est cette année à nouveau en compétition au Festival de Cannes en tant que réalisatrice (elle a également souvent gravi les marches comme comédienne). Après avoir ainsi été en lice pour « L’Adversaire » en 2002 et pour  « Selon Charlie » en 2005, elle l'est cette fois avec un film dans lequel Marion Cotillard tient le rôle principal, elle-même pour la cinquième année consécutive en compétition à Cannes. « Mal de Pierres » est une adaptation du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus publié en 2006 chez Liana Lévi. Retour sur un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2016…

    Marion Cotillard incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère.  Ses parents la donnent à José parce qu’il semble à sa mère qu’il est « quelqu’un de solide » bien qu’il ne « possède rien », un homme que Gabrielle n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, un ouvrier saisonnier espagnol chargé de faire d’elle « une femme respectable ».  Ils vont vivre au bord de mer… Presque de force, sur les conseils d’un médecin, son mari la conduit en cure thermale à la montagne pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres qui l’empêche d’avoir des enfants qu’elle ne veut d’ailleurs pas, contrairement à lui. D’abord désespérée dans ce sinistre environnement, elle reprend goût à la vie en rencontrant un lieutenant blessé lors de la guerre d’Indochine, André Sauvage (Louis Garrel). Cette fois, quoiqu’il advienne, Gabrielle ne renoncera pas à son rêve d’amour fou…

    Dès le début émane de ce film une sensualité brute. La nature toute entière semble brûler de cette incandescence qui saisit et aliène Gabrielle : le vent qui s’engouffre dans ses cheveux, les champs de lavande éblouissants de couleurs, le bruit des grillons, l’eau qui caresse le bas de son corps dénudé, les violons et l’accordéon qui accompagnent les danseurs virevoltants de vie sous un soleil éclatant. La caméra de Nicole Garcia caresse les corps et la nature, terriblement vivants, exhale leur beauté brute, et annonce que le volcan va bientôt entrer en éruption.

    Je suis étonnée que ce film n’ait pas eu plus d’échos lors de sa présentation à Cannes. Marion Cotillard incarne la passion aveugle et la fièvre de l’absolu qui ne sont pas sans rappeler celles d’Adèle H, mais aussi l’animalité et la fragilité, la brutalité et la poésie, la sensualité et une obstination presque enfantine. Elle est tout cela à la fois, plus encore, et ses grands yeux bleus âpres et lumineux nous hypnotisent et conduisent à notre tour dans sa folie créatrice et passionnée. Gabrielle incarne une métaphore du cinéma, ce cinéma qui « substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Pour Gabrielle, l’amour est d’ailleurs un art, un rêve qui se construit. Ce monde c’est André Sauvage (le bien nommé), l’incarnation pour Gabrielle du rêve, du désir, de l’ailleurs, de l’évasion. Elle ne voit plus, derrière sa beauté ténébreuse, son teint blafard, ses gestes douloureux, la mort en masque sur son visage, ses sourires harassés de souffrance. Elle ne voit qu’un mystère dans lequel elle projette ses fantasmes d’un amour fou et partagé. « Elle a parfaitement saisi la dimension à la fois animale et possédée de Gabrielle, de sa folie créatrice » a ainsi déclaré Nicole Garcia lors de la conférence de presse cannoise. « Je n’ai pas pensé à filmer les décors. Ce personnage est la géographie. Je suis toujours attirée par ce que je n’ai pas exploré » a-t-elle également ajouté.

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    Face à Gabrielle, les personnages masculins n’en sont pas moins bouleversants. Le mari incarné par Alex Brendemühl représente aussi une forme d’amour fou, au-delà du désamour, de l’indifférence, un homme, lui aussi, comme André Sauvage, blessé par la guerre, lui aussi secret et qui, finalement, porte en lui tout ce que Gabrielle recherche, mais qu’elle n’a pas décidé de rêver… « Ce personnage de femme m’a beaucoup touchée. Une ardeur farouche très sauvage et aussi une sorte de mystique de l’amour, une quête d’absolu qui m’a enchantée. J’aime beaucoup les hommes du film, je les trouve courageux et pudiques» a ainsi déclaré Marion Cotillard (qui, comme toujours, a d'ailleurs admirablement parlé de son personnage, prenant le temps de trouver les mots justes et précis) lors de la conférence de presse cannoise du film (ma photo ci-dessus).  Alex Brendemühl dans le rôle du mari et Brigitte Roüan (la mère mal aimante de Gabrielle) sont aussi parfaits dans des rôles tout en retenue.

    Au scénario, on retrouve le scénariste notamment de Claude Sautet, Jacques Fieschi, qui collabore pour la huitième fois avec Nicole Garcia et dont on reconnaît aussi l’écriture ciselée et l’habileté à déshabiller les âmes et à éclairer leurs tourments, et la construction scénaristique parfaite qui sait faire aller crescendo l’émotion sans non plus jamais la forcer. La réalisatrice et son coscénariste ont ainsi accompli un remarquable travail d’adaptation, notamment en plantant l’histoire dans la France des années 50 heurtée par les désirs comme elle préférait ignorer les stigmates laissées par les guerres. Au fond, ce sont trois personnages blessés, trois fauves fascinants et égarés.

    Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ».

    Rarement un film aura aussi bien saisi la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse et de la quête d’absolu. Un film qui sublime les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma. Un grand film romantique et romanesque comme il y en a désormais si peu. Dans ce rôle incandescent, Marion Cotillard, une fois de plus, est époustouflante, et la caméra délicate et sensuelle de Nicole Garcia a su mieux que nulle autre transcender la beauté âpre de cette femme libre qu’elle incarne, intensément et follement  vibrante de vie.

    La Barcarolle de juin de Tchaïkovsky et ce plan à la John Ford qui, de la grange où se cache Gabrielle, dans l’ombre, ouvre sur l’horizon, la lumière, l’imaginaire, parmi tant d’autres images, nous accompagnent  bien longtemps après le film. Un plan qui ouvre sur un horizon d’espoirs à l’image de ces derniers mots où la pierre, alors, ne symbolise plus un mal mais un avenir rayonnant, accompagné d’ un regard qui, enfin, se pose et se porte au bon endroit. Un très grand film d’amour(s). A voir absolument.

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  • Cannes Classics 2016 - projection exceptionnelle d' UN HOMME ET UNE FEMME de Claude Lelouch (50 ans de sa palme d'or)

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    Combien de fois vous ai-je parlé de ce chef-d'œuvre de Claude Lelouch? Je ne les compte plus de même que je ne compte plus le nombre de fois où j'ai revu ce film qui, à chaque fois, m'emporte dans son tourbillon d'émotions... Alors je vous laisse imaginer ce que fut mon plaisir en le revoyant dans le cadre du festival, en présence du réalisateur, à l'occasion de sa projection pour les 50 ans de sa palme d'or dans le cadre de Cannes Classics.

    Lelouch. Prononcez ce nom et vous verrez immédiatement l’assistance se diviser en deux. Les adorateurs d’un côté qui aiment : ses fragments de vérité, ses histoires d’amour éblouissantes, sa vision romanesque de l’existence, sa sincérité, son amour inconditionnel du cinéma, ses phrases récurrentes, une musique et des sentiments grandiloquents, la beauté parfois cruelle des hasards et coïncidences. Les détracteurs de l’autre qui lui reprochent son sentimentalisme et tout ce que les premiers apprécient, et sans doute de vouloir raconter une histoire avant tout, que la forme soit au service du fond et non l’inverse. Je fais partie de la première catégorie et tant pis si pour cela je dois subir la condescendance des seconds. Le cinéma est pour moi avant tout affaire de passion, de sincérité, d’audace et quoiqu’en disent ses détracteurs, le cinéma de Claude Lelouch se caractérise par ces trois éléments comme le démontrait aussi magnifiquement de documentaire « D’un film à l’autre » réalisé à l’occasion des 50 ans des films 13.

    Un parcours fait de réussites flamboyantes et d’échecs retentissants. La plus flamboyante de ses réussites fut bien sûr « Un homme et une femme », palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur film étranger et du meilleur scénario parmi 42 récompenses … à 29 ans seulement! Film que Claude Lelouch a, comme souvent réalisé, après un échec. Ainsi le 13 septembre 1965, désespéré, il roule alors vers Deauville où il arrive la nuit, épuisé. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture,  elle  marche sur la plage avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme », la rencontre de deux solitudes blessées qui prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

     

    Critique de UN HOMME ET UN FEMME de Claude Lelouch 

     

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    Je ne sais plus très bien si j'ai vu ce film avant d'aller à Deauville, avant que cette ville soit indissociablement liée à tant d'instants de mon existence, ou bien si je l'ai vu après, après que mon premier séjour à Deauville, il y a 23 ans, ait modifié le cours de mon « destin »... Toujours est-il qu'il est impossible désormais de dissocier Deauville du film de Claude Lelouch qui a tant fait pour sa réputation, « Un homme et une femme » ayant créé la légende du réalisateur comme celle de la ville de Deauville, et notamment sa réputation de ville romantique à tel point qu'il y a 10 ans, pendant le Festival du Cinéma Américain 2006, a été inaugurée une place Claude Lelouch, en sa présence et celle d'Anouk Aimée. J'étais présente ce jour-là et l'émotion et la foule étaient au rendez-vous.

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    Alors sans doute faîtes-vous partie de ceux qui adorent ou détestent Claude Lelouch, ses « instants de vérité », ses hasards et coïncidences. Rares sont ceux qu'il indiffère. Placez son nom dans une conversation et vous verrez. Quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez, peut-être ce film « d'auteur » vous mettra-t-il d'accord...

    Le 13 septembre 1965, Claude Lelouch est désespéré, son dernier film ayant été un échec. Il prend alors sa voiture, roule jusqu'à épuisement en allant vers Deauville où il s'arrête à 2 heures du matin en dormant dans sa voiture. Réveillé le matin par le soleil, il voit une femme depuis sa voiture, étonné de la voir marcher avec un enfant et un chien. Sa « curiosité est alors plus grande que la tristesse ». Il commence à imaginer ce que peut faire cette femme sur cette plage, avec son enfant, à cette heure matinale. Cela donnera « Un homme et une femme ».

    Synopsis : Anne (Anouk Aimée), scripte, inconsolable depuis la mort de son mari cascadeur Pierre (Pierre Barouh), rencontre à Deauville, en allant chercher sa fille à la pension, un coureur automobile, Jean (Jean-Louis Trintignant), dont la femme s'est suicidée par désespoir. Jean raccompagne Anne à Paris. Tous deux sont endeuillés, et tous deux ont un enfant. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui s'aiment, se repoussent, se retrouvent et s'aiment encore...

     J'ai vu ce film un grand nombre de fois, tout à l'heure encore et comme à chaque fois, avec le même plaisir, la même émotion, le même sentiment de modernité pour un film qui date de 1966, étonnant pour un cinéaste dont beaucoup de critiques raillent aujourd'hui le classicisme. Cette modernité est bien sûr liée à la méthode Claude Lelouch d'ailleurs en partie la conséquence de contraintes techniques et budgétaires. Ainsi, Lelouch n'ayant pas assez d'argent pour tourner en couleurs tournera les extérieurs en couleurs et les intérieurs en noir et blanc. Le montage et les alternances de noir et blanc et de couleurs jouent alors habilement avec les méandres du temps et de la mémoire émotive, entre le présent et le bonheur passé qui ressurgit sans cesse.

    Je ne sais pas si « le cinéma c'est mieux que la vie » mais en tout cas Claude Lelouch fait partie de ceux dont les films et surtout « Un homme et une femme » nous la font aimer.  Rares sont les films qui donnent à ce point la sensation de voir une histoire d'amour naître et vibrer sous nos yeux, d'en ressentir -partager, presque- le moindre battement de cœur ou le moindre frémissement de ses protagonistes, comme si la caméra scrutait les visages et les âmes. Par une main qui frôle une épaule si subtilement filmée. Par le plan d'un regard qui s'évade et s'égare. Par un sourire qui s'esquisse. Par des mots hésitants ou murmurés. Par la musique éternelle de Francis Lai (enregistrée avant le film) qui nous chavire le cœur. Par une photographie aux accents picturaux qui sublime Deauville filmée avec une lumière nimbée de mélancolie, des paysages qui cristallisent les sentiments de Jean-Louis et d'Anne, fragile et paradoxalement impériale, magistralement (dirigée et) interprétée par Anouk Aimée. Rares sont les films qui procurent cette impression de spontanéité, de vérité presque. Les fameux « instants de vérité » de Lelouch.

    Et puis il y a le charme incomparable du couple Anouk Aimée/ Jean-Louis Trintignant, le charme de leurs voix, notamment quand Jean-Louis Trintignant prononce « Montmartre 1540 ». Le charme et la maladresse des premiers instants cruciaux d'une histoire d'amour quand le moindre geste, la moindre parole peuvent tout briser. Et puis ces plans fixes, de Jean-Louis dans sa Ford Mustang (véritable personnage du film), notamment lorsqu'il prépare ce qu'il dira à Anne après qu'il ait reçu son télégramme. Et puis ces plans qui encerclent les visages et en capturent la moindre émotion. Ce plan de cet homme avec son chien qui marche dans la brume et qui  fait penser à Giacometti (pour Jean-Louis). Tant d'autres encore...

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     Avec « Un homme et une femme » Claude Lelouch a signé une histoire intemporelle, universelle avec un ton très personnel et poétique. La plus simple du monde et la plus difficile à raconter. Celle de la rencontre d'un homme et une femme, de la rencontre de deux solitudes blessées. Il prouve que les plus belles histoires sont les plus simples et que la marque du talent est de les rendre singulières et extraordinaires.

    Alors pour reprendre l'interrogation de Jean-Louis dans le film citant Giacometti « Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie » Lelouch, n'a certainement pas choisi, ayant réussi a insufflé de l'art dans la vie de ses personnages et de la vie dans son art. Voilà c'est de l'art qui transpire la vie.

    Alors que Claude Lelouch a tourné sans avoir de distributeur, sans même savoir si son film sortirait un jour, il obtint la palme d'or à Cannes en 1966, l'oscar du meilleur film étranger et celui du meilleur scénario et 42 récompenses au total et aujourd'hui encore de nombreux touristes viennent à Deauville grâce à « Un homme et une femme », le film, mais aussi sa musique mondialement célèbre. Vingt ans après, Claude Lelouch tourna une suite « Un homme et une femme 20 ans déjà » réunissant à nouveau les deux protagonistes. Je vous en parle très bientôt.

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  • Critique de DIAMOND ISLAND de DAVY CHOU (Semaine de la Critique 2016)

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    Diamond Island est  une île sur les rives de Phnom Penh transformée par des promoteurs immobiliers pour en faire le symbole du Cambodge du futur, un paradis ultra-moderne pour les riches. Bora a 18 ans et, comme de nombreux jeunes originaires des campagnes, il quitte son village natal pour travailler sur ce vaste chantier. C’est là qu’il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers de son âge, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et favorisée, ses filles, ses nuits et ses illusions.

    Davy Chou filme ainsi avec grâce  l’adolescence dans un décor à l’image de celle-ci: mélancolique, fascinant, entre 2 époques. En résulte un film au charme lancinant, hypnotique. Présenté à la Semaine de la Critique, ce premier long-métrage fait d’abord de son décor un personnage à part entière entre les immeubles de luxe en construction et les décors de fêtes foraines qui semblent emprisonner les personnages dans leurs griffes de bétons et métalliques où ils évoluent, leurs déambulations semblent chorégraphiées comme une  danse triste à la lueur des néons, aussi factices que l’insouciance de l’adolescence qui finira par s’éclipser.

    « Diamond island », aussi contradictoire que son titre, est un beau portrait de l’adolescence cambodgienne, un judicieux  écho entre ce pays en friche, fascinant et douloureux (ce diamant n’éblouit guère longtemps et ne cache pas le labeur qu’il nécessite à sa construction) et cette époque de la vie, où, un jour le décor s’écroule et les lumières éblouissantes s’éteignent pour laisser place à la réalité, souvent cruelle ou en tout cas médiocre, dans laquelle le véritable amour n’a plus sa place.

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  • Festival de Cannes 2016 - Critique de I DANIEL BLAKE de Ken Loach (compétition officielle)

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    I, Daniel Blake est un film pour lequel le cinéaste britannique pourrait bien à nouveau recevoir la palme d'or. Dix ans après l’avoir déjà obtenue pour « Le vent se lève » Ken Loach, ainsi, pourrait intégrer le cénacle des cinéastes ayant reçu deux palmes d’or : les Dardenne, Francis Ford Coppola, Shohei Imamura, Emir Kusturica, Michael Haneke. Alors qu’il avait annoncé il y a deux ans, après « Jimmy’s hall » (en compétition officielle du Festival de Cannes 2014) qu’il ne tournerait plus, Ken Loach est donc revenu à Cannes. Sa sélection était une évidence tant ce film capte et clame les absurdités cruelles et révoltantes d’un monde  et d’une administration qui broient l’individu, l’identité, la dignité comme celles de Daniel Blake (formidable Dave Johns), menuisier veuf, atteint d’une maladie cardiaque mais que l’administration ne considère pas comme suffisamment malade pour avoir droit à une pension d’invalidité. 

    Le regard plein d’empathie, de compassion que pose Loach sur Daniel Blake, et celui plein de clairvoyance sur le monde qui l’entoure et plein de colère contre les injustices dont il est victime contribuent à cette  œuvre à la fois très personnelle et universelle. Que Daniel Blake évoque sa femme décédée, que Ken Loach dessine les contours d’ une famille qui se reconstitue (Daniel Blake rencontre une jeune mère célibataire de deux enfants contrainte d’accepter un logement à 450 kms de sa ville natale pour ne pas être placée en famille d’accueil), son point de vue est toujours plein de tendresse sur ses personnages, teinté d’humour parfois aussi, et de révolte contre ces « décisionnaires » qui abusent de leur pouvoir, presque de vie et de mort, dans des bureaux qui ressemblent aux locaux labyrinthiques, grisâtres et déshumanisés  de « Playtime »  comme un écho à cette époque d’une modernité  aliénante, déshumanisante et parfois inhumaine que Tati savait déjà si bien tourner en dérision et envelopper dans un vaste manège.

    « Moi, Daniel Blake », c’est l’histoire d’un homme qui veut rester maître de son existence, qui se réapproprie son identité et son honneur que cette administration étouffante essaie de lui nier, qui prend le pouvoir, celui de dire non, de clamer son patronyme, son existence, lors de deux scènes absolument bouleversantes. Le poing levé de Ken Loach  qui nous lance un uppercut en plein cœur, ce cœur qui (ce n’est sans doute pas un hasard que le mal se situe là)  lâche peu à peu Daniel Blake, lui qui en possède tant. 

    « Moi, Daniel Blake » c’est un film qui donne la parole à tous ceux qu’un système inique veut murer dans le silence et leur détresse. « Moi, Daniel Blake »,  c’est la démonstration implacable de la férocité meurtrière d’un système, un film d’une force, d’une simplicité, d’une beauté, mais aussi d’une universalité redoutables et poignantes.

    Un film en forme de cri de colère, de douleur, et d’appel à l’humanité dont les lueurs traversent le film et nous transpercent le cœur, bien après les derniers battements de ceux de Daniel Blake.  

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