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Critique de CLÉO, MELVIL ET MOI de Arnaud Viard (au cinéma le 5 juillet 2023)

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Selon Léonard de Vinci, « La simplicité est la sophistication suprême. » C’est aussi souvent de la simplicité que provient la grâce comme celle qui surgit (et, brusquement, et subrepticement nous émeut) dans le quatrième long-métrage en tant que réalisateur du comédien Arnaud Viard après l’excellent Clara et moi (2004), puis Arnaud fait son deuxième film (2015) et Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (2020).

Saint-Germain-des-Prés. Le noir et blanc. La simplicité, donc. Déjà trois bonnes raisons d’aimer ce film.

A Paris, dans la stupeur du premier confinement, Arnaud (Arnaud Viard), séparé d’Isabelle (Romane Bohringer) et papa de Cléo (Cléo Viard Garcin) et Melvil (Melvil Viard Garcin), va profiter de cette parenthèse pour prendre soin de ses enfants et faire le point sur sa vie, ce qui le conduit aux souvenirs mais aussi à l’avenir... L’avenir, c’est peut-être Marianne (Marianne Denicourt), la pharmacienne du quartier, aux yeux verts et au sourire contagieux.

Un père. Deux enfants. Saint-Germain-des-Prés. Un moment suspendu. Une rencontre. Cela pourrait être le pitch d’un film d’Agnès Varda, comme un écho au titre et au prénom de sa fille, ou le début d’un film de Claude Sautet. Je me souviens des scènes de café filmées à travers la vitre, indissociables des films de ce dernier, déjà présentes dans Clara et moi. Dans l’adaptation des nouvelles d’Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, il y était question des « choses de la vie », aussi, déjà.

Tout commence au Jardin du Luxembourg : une conversation entre hommes qui pourraient être Vincent, François Paul et les autres. Des cris joyeux d’enfants ponctuent la conversation. La France va bientôt être confinée. Un soleil aussi irréel que ces annonces règne et règnera imperturbablement. La caméra caresse la beauté et la sérénité exacerbées de Saint-Germain-des-Prés. Nimbé de ce noir et blanc élégant et intemporel, le quartier légendaire du sixième arrondissement de Paris apparaît dans toute sa splendeur romanesque. Rue de Seine. Rue Jacob. Rue de Tournon... « La capitale est en apnée » mais semble aussi, enfin, respirer.

16 mars 2020. Le Président de la République annonce que nous sommes « en guerre ». En ce mois de mars 2023, alors que j’écris ces lignes, pour beaucoup, le souvenir de ces 55 jours improbables pendant lesquels l’activité économique s’est arrêtée (et le monde, aussi), s’est déjà presque évanoui dans les limbes de nos souvenirs et de nos vies tempétueuses, dévoré par l’actualité carnassière. Et pourtant qui peut dire que cette période surréaliste n’a pas modifié le cours de sa vie, qu’elle n’a pas suscité de nombreux questionnements quand elle ne l’a pas confronté à ses pires angoisses (l’inaction, la maladie, la mort) ? Pour d’autres, cette période éprouvante fut aussi paradoxalement une douce parenthèse. Du temps pour soi. Du temps d’introspection. De respiration. Comme pour Arnaud avec ses deux enfants de 6 ans et 3 ans et demi (ceux du réalisateur). Les scènes, improvisées, avec ces derniers distillent une fraicheur, printanière, à l’exemple de la météo si incroyablement clémente pendant ces 55 jours.

Ce film est joliment inclassable, à part. Entre l’autobiographie, la réflexion poétique, le journal intime, teintés de fiction, bercés par la voix off à la deuxième personne du singulier de son réalisateur/protagoniste. Cela crée à la fois une distance et une intimité avec le spectateur, un écho à ses propres émotions, notamment lorsqu’il évoque son père avec beaucoup de tendresse. Les rires des enfants et leur parfum d’insouciance viennent alors contrebalancer ces mots nostalgiques et poignants qui évoquent le disparu ( et plus ou moins consciemment nos disparus à qui nous voudrions adresser une lettre posthume qui aurait l'élégance de ce noir et blanc) : « Tu te mets à sangloter comme un enfant avec ton père alors tu lui dis je t'aime papa. », « Mais ton héros ultime était ton père. » ou quand son père lui dit devant une salle de cinéma comble « Tu es un acteur magnifique » et qu’il en conclut : « Ton père venait de te reconnaître. »

Parmi ces moments de grâce évoqués en préambule :  le sourire rayonnant de Marianne Denicourt, des mots et dessins d’enfant glissés sous l’oreiller, une incursion dans la comédie musicale avec une scène de danse (en)chantée et enchanteresse (qui rappelle celle de Clara et moi entre Julie Gayet et Julien Boisselier), rue Bonaparte, sur une chanson spécialement composée par Vincent Delerm, douce et grisante (« le Flore fantôme, la nuit qui vient, ce décor-là, Cinecittà à Saint-Germain »). La chanson s’intitule Je n’avais pas vu les choses comme ça. Ce fut aussi un temps le titre du film. En effet, personne n’aurait imaginé l’inconcevable et sans doute chacun l’a-t-il vécu de manière singulière. Parmi ces instants de grâce encore, la musique de l’iconoclaste et irremplaçable Christophe (disparu aux premiers jours de la pandémie, et avec lui un peu de la poésie qu’il trimballait, avec sa voix si émouvante et sa démarche dégingandée) qui s’échappe d’une fenêtre et envahit la place de Fürstenberg et à la fois charme et accable Arnaud comme le surgissement d’une beauté triste, soudain bouleversante car à la fois présente et évanouie. La musique, celle de la chanson La Dolce vita, le poursuit jusqu’à la place de l’Odéon, vide, où il danse avec Marianne. La vie et la poésie l’emportent sur le prosaïque, et nous emportent. A propos de musique, il faut aussi souligner la douceur, là encore, de celle, originale, de Philippe Jakko, Jean Marc Fyot et Alex Shelter.

Vous l’aurez compris, je vous recommande cette promenade germanopratine, à la fois joyeuse et mélancolique, jalonnée d’escales nostalgiques et gracieuses, que l’on termine à regret avec, en tête, la beauté de Paris, le sourire de Marianne et un parfum de Dolce vita :

Tous les soirs sans fin

J'traîne un vieux désarroi

Mon gilet de chagrin

Loin de la dolce vita

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