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  • « La frontière de l’aube » de Philippe Garrel : conte poétique et désenchanté

    Dussé-je être la seule et la dernière, je vous recommande sans réserves le film de Philippe Garrel « La frontière de l’aube » (qui sort demain en salles) malgré l’ostracisme dont il a été l’objet lors du dernier Festival de  Cannes où il était en compétition. Ci-dessous, retrouvez mon récit de la projection cannoise et ma critique du film.

    En bonus vous pouvez voir la vidéo de l’équipe du film sur les marches à Cannes, en cliquant ici.

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    Ci-dessus, l'équipe de "La frontière de l'aube" de Philippe Garrel.
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    Ci-dessus: Louis Garrel et Laura Smet dans "La frontière de l'aube"

     Voilà ce qui, de l’avis général, faisait défaut  au Festival de Cannes cette année : une controverse et de l’effervescence. Pour le second élément il est vrai qu’il était difficile de rivaliser avec l’exemplaire 60ème anniversaire. Pour le premier, encore que le terme soit un peu fort, il y a eu « La Frontière de l’aube » de Philippe Garrel.

    Il a en effet été hué lors de ses projections au « Grand Théâtre Lumière » et méprisé lors de la séance du lendemain dans la salle du 60ème pour la première fois à moitié vide ! Quelle curiosité exemplaire des festivaliers se fiant davantage à la rumeur qu’à leur propre opinion, condamnant avant d’avoir entendu l'argumentaire de l'accusé. C’est donc particulièrement intriguée que je suis allée voir ce film, deuxième film français de la compétition, curieuse de découvrir quelle ignominie pouvait susciter un tel rejet du public, un tel lynchage médiatique.

    Synopsis : Une star (Laura Smet) vit seule chez elle, son mari est à Hollywood et la délaisse. Débarque chez elle un photographe (Louis Garrel) qui doit la prendre en photo pour un journal, faire un reportage sur elle. Ils deviennent amants. Ils vont habiter deux semaines à l’hôtel pour faire ce reportage et repassent de temps en temps à l’appartement de la star.

    Nous sommes d’abord chaleureusement envoûtés par le noir et blanc, par le charme savoureusement désuet et intemporel de la photographie qui magnifie les visages (la fièvre contenue et ravageuse et le désarroi de Laura Smet, le romantisme mélancolique de Louis Garrel), ausculte leurs basculements, leurs tourments, leurs fragilités. Un noir et blanc en hommage à Cocteau et à la Nouvelle Vague à laquelle Philippe Garrel empreinte un style elliptique et un ton décalé qui nous embarque dans son au-delà surréaliste et contribue à cette intemporalité. Les amants ne s’envoient pas de textos ou d’emails mais des lettres. Amants d’aujourd’hui, d’hier, de demain : éternels. 

    Ce qui m’a charmée dans ce film qui a le mérite de ne ressembler à aucun autre de la compétition (et il faut l’avouer, la plupart des films brassent les mêmes thèmes, dans un style relativement similaire ) est probablement ce qui a agacé la majorité des festivaliers : son aspect littéraire (mais alors pourquoi glorifier Desplechin qui emploie , certes différemment, le même procédé ?), sa lenteur qui donne le temps au temps, le temps de s’imprégner de la mélancolie des personnages, son romantisme sans concessions, son aspect surréaliste et sa façon de saisir et juxtaposer des instants.

     « La frontière de l’aube » est vaguement inspiré d’une nouvelle de Théophile Gautier « Spirit » : un mythe romantique dans lequel les protagonistes se rejoignent dans la mort pour vivre dans l’éternité. Avec une poésie désenchantée, entre rêve et réalité, éternité et intemporalité, bonheur bourgeois et bonheur éternel, Philippe Garrel, réfutant tout cynisme, nous redonne le goût de ce que le cinéma d’aujourd’hui s’acharne à nier, par un excès de réalisme et de réalité,: celui de croire en des amours éternels dont la littérature s’arroge désormais l’exclusivité, et encore.

    Un film aux frontières de la réalité, de la folie, de la mort sur la passion dévastatrice. L’aube : une heure incertaine, velléitaire mais qui de toute façon donnera naissance au jour, à l’espoir tout comme cet amour fatal est porteur d’une beauté à la fois sombre et lumineuse .

    Philippe Garrel a également le mérite d’assumer : son titre nous plonge d'emblée dans son univers revendiqué, celui d’un conte poétique. Les contes de noël sont semble-t-il plus nobles, plus flatteurs pour ceux qui les apprécient. Oui, Desplechin flatte finalement le spectateur, par des références multiples et redondantes, lui donnant le sentiment (réel ou illusoire) de son intelligence, et lui donnant par sa dérision le sentiment, éloge semble-t-il suprême, de sa bonne cyniquitude (j'ai le droit d'utiliser des néologismes:-)), de son insensibilité à un romantisme forcément mièvre, dépassé, ridicule. Philippe Garrel nous prouve pourtant le contraire avec ce film intemporel.

    Un film sombre à la poésie lumineuse et enchanterresse qui mériterait de figurer au palmarès.

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  • Reprise des Master Class Jean-Laurent Cochet : le rendez-vous incontournable des amoureux du théâtre

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    Je vous ai déjà parlé un certain nombre de fois des Master Class de Jean-Laurent Cochet (voir les liens vers mes précédents articles à la fin de celui-ci), et cette fois-ci n’est certainement pas la dernière. De nouveau, hier soir, inexorablement aimantée par le théâtre de la Pépinière Opéra, je me suis en effet retrouvée à la Master Class Jean-Laurent Cochet  ayant à peine pris le temps d’y réfléchir.  Ces cours sont un peu comme des rendez-vous amoureux auxquels on se rend le cœur battant, exalté,  des rendez-vous d’amoureux du théâtre surtout… auxquels il est impossible de renoncer, de résister.

     A croire que tous les chemins mènent à la Pépinière Opéra, j’y ai croisé plusieurs connaissances…égarées de festivals divers. Mais dès que le bruissement de la salle se fait entendre, peut-être plus fébrile qu’ailleurs en raison de la particularité de l’exercice auquel Jean-Laurent Cochet et ses élèves se plient, seul ce qui se passe sur scène existe qui ne nous éloigne pas de l’existence mais au contraire, par l’étude, la sublimation des mots et des textes, la rend plus palpitante, fébrile elle aussi.

     Dès son arrivée sur scène, c’est un jeu entre les spectateurs et « le maître » Cochet qui observe, joue du silence, son regard malicieux balayant la salle. On parle de la magie du cinéma. Il faudrait évoquer aussi celle du théâtre, ici tellement flagrante. Rien : pas un décor, pas une mise en scène, pas un projecteur pour guider notre attention, notre regard, notre pensée. Juste les comédiens et les mots. Et notre souffle suspendu. Et l’écoute, cette écoute si rare et si précieuse comme l’a déploré Jean-Laurent Cochet. Cette écoute qui là semble reprendre sens. Loin du tumulte de l’existence. Et exaltant aussi ce tumulte.

     Cela commence par un exercice improvisé sur « Ruy Blas » de Victor Hugo. Six élèves débutants enchaînent à l’appel de leur nom  par Jean-Laurent Cochet, disant une phrase complétée par un autre sur ordre du maître : un exercice de haute voltige. L’exercice est périlleux d’autant plus qu’improvisé et le résultat est d’autant plus magistral, fascinant, comme si ces six interprétations n’en faisaient qu’une, comme si ces six comédiens en herbe constituaient chacun une part indissociable du texte et du personnage lui donnant ainsi vie. Rien que cela aurait déjà mérité le déplacement. 

     Puis, Jean-Laurent Cochet parle, il parle beaucoup. Du livre « L’affaire Molière » de Denis Boissier (Ed.Cyrille Godefroy) qui va faire grand bruit selon lequel Molière serait plus un acteur qu’un auteur, du fait que Corneille aurait écrit beaucoup de ses textes. Et puis de Molière on parle de Meryl Streep, trouvant qu’une de ses élèves lui ressemble et nous prenant à témoin, et de Meryl Streep il en vient à évoquer « Mamma mia » dans lequel l’actrice est magistrale. Jean-Laurent Cochet n’est pas sectaire, juste vigoureusement passionnée, tout en fustigeant le sectarisme, le politiquement correct de ceux qui ont osé dire qu’ils aimaient « La fille de Monaco » et détestaient « Mamma mia ! », sans doute considéré comme moins noble, dans lequel oui, Meryl Streep est exceptionnel, quelle que soit la qualité du film (voir ici mon article consacré  à l’ouverture du 34ème Festival du Cinéma Américain de Deauville pour laquelle ce film a été projeté). Il égratigne au passage certains cours qui pour raisons « politiques » se refusent à jouer certains auteurs comme Guitry. Guitry qu’il cite toujours à loisir comme Giraudoux sur un texte de qui un élève nous montrera à quel point c’est un métier avant d’être un art, à quel point chaque mot, chaque virgule, chaque intonation, chaque souffle importent et contribuent à faire vivre et exister un texte et un personnage, à quel point la langue française est multiple et précise, à quel point le comédien est funambule.

      L’élève qui  ressemble à Meryl Sreep joue un texte de Colette, dont on découvre l’étonnante poésie et diversité du style car comme souvent Jean-Laurent Cochet nous donne le nom de l’auteur après que le texte ait été joué. Et puis il nous parle de cinéma, des réalisateurs, cinq selon lui seulement méritant le nom de grands réalisateurs citant pour exemple Renoir et Grémillon. Il nous parle du théâtre évidemment, toujours avec autant de passion communicative,  de vigueur, de vivacité, de conviction : de ce théâtre qui est un métier avant tout, avant d’être un art, de ce théâtre qui est tout sauf de la démonstration, qui doit faire oublier que l’acteur joue, si ce n’est jouer à être. Et de tant de choses encore…

     Et puis arrive le second moment de grâce après celui du début. Un comédien avec lequel Jean-Laurent Cochet, toujours en phase avec l’actualité, trouve une ressemblance (du moins un emploi similaire) avec Paul Newman. Là encore, le texte est joué avant d’être nommé. Une histoire palpitante sur les ravages dévastateurs et criminels du temps, une histoire caustique, cruelle et tendre d’une étonnante modernité, que l’on croirait écrite hier…une nouvelle signée Maupassant que la modernité du jeu nous a fait croire contemporaine.  On a l’impression de voir les personnages tous exister sous nos yeux, de voir le décor, la scène, les lumières tantôt poétiques tantôt crues. Mais lorsque le comédien dit son dernier mot, un peu après même, le temps de reprendre notre souffle nous aussi, nous réalisons que tout cela n’existait que dans notre imagination guidée par le jeu du comédien si réel, vibrant : là.

     Et puis les fables de La Fontaine dont raffole toujours autant Jean-Laurent Cochet. Le dernier élève apparaît. Jean-Laurent Cochet le qualifie de génie et d’être d’exception. Il n’en dit pas davantage. Il ne dira plus un mot. Une démonstration de cette qualité du silence dont il fait l’éloge.  La dernière note d’un moment d’exception.

     Si le théâtre n’était pas tout à fait plein hier soir, il l’a souvent été. Sans nul doute, cela vaut plus que  15 euros (11 pour les étudiants) : un moment inestimable de poésie, où surgit la grâce là et quand on ne l’attend pas, qui suspend le vol du temps bien sûr mais surtout la volatilité de l’attention, un moment de passion, qui réunit des passionnés, un moment unique où tout peut arriver, surtout la flamme incandescente de la vie sublimée par le théâtre et les mots qui transfigurent ceux qui les jouent.

     « Les œuvres d’art qui ont cherché la vérité profonde et nous la présentent comme une force vivante s’emparent de nous et s’imposent  à nous ». Cette phrase d’Alexandre Soljenitsyne (Discours non prononcé pour le Prix Nobel de 1970) figure sur le programme de la soirée et l’illustre magnifiquement. Ces œuvres d’art dont on nous joue des bribes, cette force vivante nous accompagne longtemps après avoir franchi le seuil du théâtre et fera certainement que la prochaine fois de nouveau je serai inexorablement attirée par le théâtre de la Pépinière Opéra. Un rendez-vous amoureux vous disais-je, même avec la peur délicieuse au ventre, la peur pour ceux qui jouent là et qui jouent finalement tellement plus qu’un texte.  (ce qui d’ailleurs est déjà beaucoup…)

     Site internet : http://www.jeanlaurentcochet.com

    Prochaines Master Class : 20 octobre, 3 et 10 novembre. Théâtre de la Pépinière Opéra. 7 rue Louis Le Grand 75002 Paris- Location : 0142614416 –Tarif normal : 15€ , Tarif étudiant : 11€

    Mes autres articles consacrés au cours Cochet:

    -Article du 21 novembre 2005 : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2005/11/21/cours-publics-d’interpretation-de-jean-laurent-cochet-quand.html

    -Article du 11 Avril 2006 : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2006/04/11/prolongations-des-cours-publics-d’interpretation-de-jean-lau.html

    -Article du 21 septembre 2006 : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2006/09/21/reprise-des-cours-publics-jean-laurent-cochet.html

    -Article du 13 décembre 2006 : http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2006/12/13/reprise-des-cours-publics-jean-laurent-cochet-en-2007.html

     J’en profite pour dire que je recherche un cours de théâtre pour débutants (ou presque) amateurs, avec préférence pour un cours « classique » (apprentissage de grands textes classiques plutôt qu’improvisation)… Merci d’avance pour l’info !

     Sandra.M