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  • Critique de IN THE MOOD FOR LOVE de Wong Kar-wai (version restaurée 4K en salles le 10 février 2021)

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    « J’aime le secret. C’est, je crois, la seule chose qui puisse nous rendre la vie mystérieuse ou merveilleuse. » (Oscar Wilde).

    Dehors, le ciel verse des larmes intarissables. Comme étreint d’une inconsolable mélancolie ou de secrets suffocants, de ceux qui à la fois accablent mais (trans)portent aussi. L’ambiance parfaite pour se plonger dans celle du film qui, plus que tout autre, a une « gueule d’atmosphère », celui qui immortalise et sublime l’impalpable. Le secret. Les émotions. La mélancolie.

    La dernière fois que j’ai revu "In the mood for love", c'était il y a quelques années, dans un cinéma d’art et essai de Saint-Germain-des-Prés, dans le cadre d’un festival. Le son grésillait. Les images balbutiaient. Cette fois, je le revois dans son éclatante magnificence. Merci à The jokers films pour le lien grâce auquel j’ai pu le revoir dans cette version restaurée 4K, initialement prévue pour le Festival de Cannes 2020 dans le cadre de Cannes Classics, dont la sortie avait été repoussée au 2 décembre 2020 avant d'être à nouveau repoussée au 10 février 2021.

    A partir d’un schéma conventionnel (Hong Kong, 1962, deux voisins, Su -Maggie Cheung- et Chow -Tony Leung-, découvrent que leurs époux respectifs entretiennent une liaison, s’éprennent peu à peu l’un de l’autre mais préfèreront renoncer à leur amour plutôt qu’à leurs idéaux), Wong Kar-wai a réalisé un poème lyrique, une peinture impressionniste éblouissante. A l’image de celles qui dictent les conduites de chacun dans ce Hong Kong des années 1960, les conventions ne sont en effet ici qu’apparences. Tout est dans les silences, les non-dits, les regards, les gestes, les mouvements des corps. Et dans l’atmosphère musicale qui cristallise les sentiments retenus des personnages, leurs frémissements fiévreux, l’intransmissible incandescence d’un amour implicite et ainsi sublimé par un entremêlement de gravité et de flamboyance.

    L’enfermement de Su est suggéré par des tenues qui emprisonnent son corps. La passion, contenue, est reflétée par leurs teintes chatoyantes auxquelles fait écho le décor rouge de l’hôtel qui, lui, contraste avec les couleurs ternes des couloirs exigus et presque insalubres de l’immeuble où ils se croisent tout d’abord. L’hôtel, avec ses tentures rouges, ressemble à un décor irréel (un décor de cinéma) dans lequel flotte une Su aux allures de star hollywoodienne. C’est d’ailleurs là qu’ils écrivent des feuilletons de chevalerie et rejouent la scène de rupture avec l’époux de Su que l’on ne voit d’ailleurs jamais à l’écran (pas plus que la femme de Chow), laissant la réalité à l’extérieur. Rappelant un des premiers plans dans un des appartements : une nature morte et sa copie conforme, annonciateur de ce jeu de recréation (récréation) de réalité.

    Tiré d’un film de Seijun Suzuki, le « Yumeji’s Theme » de Shigeru Umebayashi exacerbe la sensualité de leurs chassés-croisés, complainte troublante, obsédante, languissante et magnétique. Lorsqu’ils s’évitent dans le passage étroit éclairé par un lampadaire tel un projecteur de cinéma braqué sur leurs déambulations quasi fantasmagoriques, la caméra qui avance doucement, voluptueusement, caresse la tristesse rêveuse de leurs visages, leurs pas dansants et indolents, leurs rares mots échangés qui résonnent comme un poème ( «  J'étais libre et je voulais entendre votre voix »), les volutes de fumée de cigarettes, rubans fugaces qui s’élancent comme des pensées insoumises, la pluie qui tombe inlassablement et les enferme tels les barreaux d’une prison de rêves, le long couloir rouge avec ses rideaux dans lesquels s'engouffre le vent. La moiteur et la chaleur semblent sortir de l’écran pour nous emporter dans cette valse étourdissante. Chaque bruit recèle la sensualité qu’ils cadenassent. La pluie. La radio (souvent des opéras adaptés de classiques de la littérature abordant des amours interdites et des rendez-vous secret). Les étoffes. Les talons. Et leurs regards qui, en s’évitant, semblent réclamer un enlacement interdit, un interdit que symbolisent aussi ces tenues (cravates, robes) et le cadre toujours étroit (bureau, couloir, chambre, ruelle) qui les enserrent. Le ralenti et la musique ensorcelante qui les accompagnent lorsqu’ils se croisent et évitent trop soigneusement de se frôler suffisent à nous faire comprendre les sentiments exaltés qui les envahissent malgré l’étroitesse des conventions. La musique latinoaméricaine dont le fameux “ Quizás, Quizás, Quizás ” de Nat King Cole évoquent aussi des amours regrettées ou impossibles. Sans compter « I’m in the Mood for Love » qui ne figure cependant pas dans le film. La musique est là pour traduire l’indicible et en exalter la puissance magnétique.

    Les ellipses permettent au spectateur de laisser libre cours à son imagination. Rarement une histoire d’amour avait été racontée avec autant de pudeur, de nuance, d’élégance. Il y en a d’autres bien sûr : « Sur la route de Madison » (dans lequel là aussi chaque geste est empreint de poésie, de langueur mélancolique, des prémisses de la passion inéluctable et dans lequel les souvenirs de Francesca Johnson et Robert Kincaid se cristalliseront aussi au son de la musique, le blues qu’ils écoutaient ensemble, qu’ils continueront à écouter chacun de leur côté, souvenir de ces instants immortels), les films de James Ivory pour l’admirable peinture des sentiments contenus, « Casablanca » (avec cette musique, réminiscence de ces brefs instants de bonheur à Paris, entre Rick et Ilsa, à « La Belle Aurore », ces souvenirs dans lesquels le « Play it again Sam » les replonge lorsque Illsa implore Sam de rejouer ce morceau aussi célèbre que le film : « As time goes by »), les films de Truffaut, les films de Sautet où la pluie là aussi rapproche les êtres….

    Chow raconte à Ah Ping qu'autrefois quand on voulait préserver un secret, on creusait un trou dans un arbre, on y racontait le secret puis on bouchait le trou avec de la terre, ce qui le scellait à jamais. Le film s’achève ainsi à Angkor Vat au moment de la visite de De Gaulle au Cambodge, en 1966, une visite que couvre Chow. Le rêve est terminé. La réalité, factuelle, implacable, reprend ses droits. C’est pourtant là, dans le cadre du plus grand monument religieux au monde (dont l’étendue contraste avec l’étroitesse des lieux où se croisaient Chow et Su) que, selon une ancienne coutume, Chow va confier son secret dans le trou d'un mur et le boucher avec une poignée de terre. Le titre chinois du film veut dire « Le temps des fleurs ». Un temps décidément éphémère. C’est à la radio que Su écoutait la chanson « Age of bloom » de  Zhou Xuan à laquelle le film emprunte ce titre.

    « Il se souvient des années passées comme s'il regardait au travers d'une fenêtre poussiéreuse, le passé est quelque chose qu'il peut voir, mais pas toucher. Et tout ce qu'il aperçoit est flou et indistinct. » Du passé ne subsistent alors que des élans mélancoliques et des mots confiés à la pierre.

    Avec cette atmosphère sensuelle, ensorcelante, languissante, Wong Kar-wai a fait de son film une œuvre inclassable et novatrice, intemporelle et universelle. Alors, quand cette rêverie cinématographique s’achève, on quitte à regrets l’atmosphère enchanteresse de cette valse d’une suavité mélancolique à la beauté douloureuse des amours impossibles, cette longue parabole amoureuse qui nous laisse le souvenir inaltérable d’un secret brûlant, et de notes qui s’envolent comme les volutes de fumée qui nous enveloppent dans leur ruban soyeux.

    Wong Kar-wai a mis deux ans à achever « In The Mood For Love », travaillant comme à son habitude sans script et s’inspirant des rushes déjà tournés pour bâtir la structure du film. « In the mood for love » a été présenté en compétition officielle lors du Festival de Cannes 2000. Tony Leung avait alors reçu le Prix d’Interprétation masculine Christopher Doyle, Mark Lee Ping-bing et William Chang avaient remporté le Prix Vulcain remis par la Commission supérieure technique de l’image et du son.

    Et pour terminer comme j’ai commencé, une citation, de Balzac cette fois extraite de « La peau de chagrin » :

    « Pour juger un homme, au moins faut-il être dans le secret de ses pensées, de ses malheurs, de ses émotions. Ne vouloir connaître que l’homme et les évènements c’est de la chronologie ».

     

  • « Les 3 Royaumes », le film évènement de John Woo : ma critique en avant-première (sortie en salles : le 25 mars)

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    En 208 après J.-C., l’empereur Han Xiandi règne sur la Chine pourtant divisée en trois royaumes rivaux. L’ambitieux Premier ministre Cao Cao (Zhang Fengyi) rêve de s’installer sur le trône d’un empire unifié, et se sert de Han Xiandi pour mener une guerre sans merci contre Shu, le royaume du sud-ouest dirigé par l’oncle de l’empereur, Liu Bei. Liu Bei dépêche Zhuge Liang (Takeshi Kaneshiro) , son conseiller militaire, comme émissaire au royaume de Wu pour tenter de convaincre le roi Sun Quan (CHANG CHEN)  d’unir ses forces aux siennes. A Wu, Zhuge Liang rencontre le vice-roi Zhou Yu (Tony Leung). Très vite, les deux hommes deviennent amis et concluent un pacte d’alliance. Furieux d’apprendre que les deux royaumes se sont alliés, Cao Cao envoie une force de 800 000 soldats et 2 000 bateaux pour les écraser. L’armée campe dans la Forêt du Corbeau, de l’autre côté du fleuve Yangtze qui borde la Falaise Rouge où sont installés les alliés. Face à l’écrasante supériorité logistique de Cao Cao, le combat semble joué d’avance, mais Zhou Yu et Zhuge Liang ne sont pas décidés à se laisser faire… Dans un déluge de puissance et de génie tactique, la bataille de la Falaise Rouge va rester comme la plus célèbre de l’Histoire et changer le destin de la Chine pour toujours.

    Pourquoi ce film est-il un évènement ?  Tout d’abord, en raison de son budget : 80 millions de dollars qui en font le film en langue chinoise le plus cher de l’Histoire du cinéma. Le tournage a ainsi débuté le 14 avril 2007, et s’est étalé sur une période de huit mois et demi au cours de laquelle la première équipe a tourné pendant 203 jours, la seconde 117 jours, et la troisième 27 jours. Ensuite, en raison de son nombre d’entrées : c’est à ce jour le record absolu au box office asiatique. Il a ainsi battu les records de recettes pour un premier jour (2,5 millions d’euros) et pour un week-end de démarrage (10 millions d’euros en 4 jours).  Enfin, en raison de l’ambition de son réalisateur, John Woo, de faire de ce film chinois une grande fresque donnant au public occidental le sentiment de regarder « une guerre de Troie asiatique » et  « un spectacle universel et une histoire qui s’adresse à chacun de nous, quelles que soient notre culture et nos origines », avec l’objectif d’atteindre l’ampleur et le niveau technique des grandes fresques hollywoodiennes.

    Pour être tout à fait honnête : à 9H30, sous un froid polaire (si,si), heure de la projection presse à l’UGC Normandie, sur les Champs Elysées, ce matin, j’étais un peu réticente à l’idée d’aller voir un film de batailles aussi évènementiel soit-il, mais il n’a pas m’a pas fallu beaucoup de temps pour changer d’avis et me laisser totalement embarquer sur cette falaise rouge, à tel point que je n’ai pas vu passer les 2H30 que durent la version occidentale (le film de 4h, pour la version asiatique, est sorti en deux parties en Asie).

    royaumes6.jpgMême s’il s’agit là de « L’histoire des 3 royaumes » ("Romance of the Three Kingdoms") de Luo Guanzhong, un roman historique figurant parmi les livres les plus lus en Asie ayant inspiré une douzaine de jeux vidéo et de nombreuses bandes dessinées, pour la majorité d’entre nous, Occidentaux, il s’agit d’une histoire inconnue, d’un univers dans lequel nous devrions éprouver quelques difficultés à nous immerger :  l’époque où la Chine était divisée en trois royaumes ( Wei, Shu et Wu) avant l’ère de la dynastie des Han orientaux. L’empire était alors en pleine guerre civile.

     Le but que s’est fixé John Woo est, malgré cela, pleinement atteint. Il ne nous faut pas plus de quelques minutes, grâce à la maestria du scénario et de la mise en scène, à l’universalité des desseins et caractères des personnages (pourtant des héros) pour nous prendre d’empathie, voire nous identifier à ces personnages venant pourtant d’une époque et d’une culture a priori éloignées. L’avidité de puissance, l’orgueil, la soif de conquérir, tout cela appartient autant à la dynastie des Han qu’à notre époque contemporaine, c’est pourquoi malgré le déploiement de moyens, le réalisme époustouflant (mais aussi grâce à ce réalisme) des décors (signés Tim Yip qui avait obtenu l’Oscar des meilleurs décors pour « Tigre et dragon »), de l’architecture, des costumes, des armes, cette histoire transcende les peuples et les époques.

    royaumes2.jpgAvant d’être une histoire de batailles (même si elles constituent les trois moments clefs du film et sont  magistralement réalisées : la bataille de Changban au début, la bataille de San Jiang Kou au milieu, et celle de la Falaise Rouge à la fin qui donne son titre à la version anglophone ), c’est aussi l’histoire de royaumes qui s’affrontent mais encore celle d’un homme (Cao Cao) guidé par la soif de pouvoir, de conquête, d’ambition dévorante et de puissance mais aussi par l’amour d’une femme (Xiao Qiao, la femme de Zhou Yu) qu’il veut conquérir en même temps que son royaume ou même pour et à cause de laquelle il veut conquérir son royaume, et celle d’un homme (Zhou Yu) déchiré entre la loyauté envers son pays et l’amour qu’il  pour sa femme qui n’aspirait qu’à la paix (Xiao Qiao interprétée par le top model asiatique Chiling Lin).

     Le cadrage (d’une précision redoutable), le rythme (qui ne nous laisse pas une seconde de répit), le montage (qui dose et alterne savamment les scènes de batailles et les autres, non moins palpitantes) , la musique (absolument sublime), la caméra si mobile et aérienne de John Woo sont à l’unisson pour contribuer à donner à cette grande fresque un souffle épique. Si ce film n’a rien en commun avec le lyrisme des films de Zhang Yimou par exemple ou ceux d‘Ang Lee, on peut le déplorer ou bien se féliciter du réalisme que John Woo a su y apporter sans pour autant oublier la poésie inhérente au genre. Contrairement aussi à ce qu’on aurait pu attendre, voire craindre, du maître du polar asiatique, la violence n’est jamais excessive, gratuite ou soulignée, ce qui ne nuit pas au réalisme tout en facilitant notre immersion.  Les stratégies qui guident ces batailles, les conciliabules qui les précèdent, sont autant mis en valeur que les batailles elles-mêmes pour la réalisation desquelles le gigantisme était le maître mot, ce qui aurait pu donner au spectateur le sentiment de les surplomber et en être exclu, ce qui ne l’y implique que davantage. Pour donner cette sensation frappante de réalisme, John Woo s’est ainsi inspiré du style et de l’ambiance des peintures classiques et de leur souci du détail.

    Les dialogues ne sont jamais trop didactiques, jamais trop parcimonieux et tout l’Art consiste même à en établir un sans qu’une parole soit échangée comme lors de cette magnifique de scène de duel musical entre Zhou Yu et Zhuge Liang, si prémonitoire et significative.

    Et puis il y a ces personnages, suffisamment forts, probablement complexes mais ce sera là mon bémol, les 4H ramenées à 2H30 ne nous laissant pas entrevoir toute leur complexité et en laisse certains de côté comme l'empereur Han Xiandi ou comme le fin stratège Zhuge Liang (dont l’étude de la course des nuages est aussi une stratégie de guerre.) L’ensemble est d’une qualité et universalité telles que je pense que le film aurait très bien pu aussi sortir en 2 parties en Occident. Ces personnages sont par ailleurs servis par des acteurs talentueux comme Tony Leung qui ne cesse de nous charmer et surprendre par la diversité de ses rôles qui interprète ici Zhou Yu. Acteur reconnu du cinéma chinois et international, il a ainsi reçu plusieurs récompenses et a été plébiscité pour ses rôles dans des films comme « Lust, caution » d’Ang Lee, « Infernal affairs » d’Andrew Lau et Alan Mak, « In the mood for love » de Wong Kar-Wai pour lequel il a reçu le prix d’interprétation à Cannes, en 2000.

    Ce film connaîtra-t-il le même succès en Occident que celui qu’il a connu en Asie ? Probablement pas, ces héros n’appartenant pas à notre mémoire collective comme c’est le cas en Asie. Il est en tout cas indéniable que cette grande fresque romanesque, spectaculaire, poétique et épique mérite de nous plonger dans l’histoire de ces trois royaumes que John Woo, par son souci du détail, parvient à rendre universelle, intemporelle et passionnante. Peut-être lui manque-t-il ce tout petit plus qui ferait de ce grand film un film inoubliable ou même un chef d’œuvre, peut-être tout simplement cette heure trente dont nous sommes privés...

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    Sortie en salles en France : le 25 mars 2009

    Site officiel du film : http://www.les-trois-royaumes-le-film.com/

    Sandra.M

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