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  • Bilan du 34ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : le cinéma indépendant à l’honneur et la radiographie d'une Amérique engluée dans le présent

    face18.jpgIl y a une semaine déjà s’achevait le 34ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. Il ne m’en fallait pas moins pour prendre du recul sur ce qu’est invariablement un festival de cinéma, celui-ci en particulier : une tornade émotionnelle dont le tourbillon fascinant, parfois dévastateur mais non moins majestueux, vous emporte et vous laisse bousculé, étourdi, heureux et épuisé, régénéré et mélancolique, un peu changé et riche de paradoxes comme ce festival sait si bien les exhaler et concilier. Cette 34ème édition n’a pas dérogé à la règle même si pour beaucoup ce fut un « petit festival ». Pour moi, au bout de quinze années (et cette année n’était certainement pas la dernière…) je le trouve toujours aussi riche et passionnant, et il me fait toujours vivre des moments, de vie et de cinéma, exaltants et ineffables, souvent même improbables.

    Cette édition fut en effet probablement moins festive et son générique moins spectaculaire que celui de l’an passé mais contrairement à un certain nombre de festivaliers j’ai trouvé sa compétition particulièrement riche et variée, et une nouvelle fois Deauville, à travers sa programmation, a effectué une radiographie particulièrement instructive de l’Amérique contemporaine. Deauville était ainsi cette année avant tout la vitrine du cinéma indépendant (comme en témoignait d’ailleurs aussi son hommage à l’actrice Parker Posey) et peut-être un peu moins la vitrine des blockbusters à venir...quoique…

    affichedeauville2008.jpg  Cela avait pourtant commencé en fanfare sur un air joliment suranné et naïf d’Abba, avec un film enchanté et enchanteur, mené par une Meryl Streep à l’enthousiasme communicatif (voir ma critique sur http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com ). Une légèreté plutôt bannie de la compétition ancrée dans les problèmes de l’Amérique contemporaine, en particulier liés à  l’enfance et à l’adolescence, symboles d’une Amérique qui n’arrive plus à grandir, à trouver une lueur d’espoir alors que ses enfants se font tuer en Irak, une Amérique engluée dans un présent inextricable, terrassant rêves et utopies.

     L’Irak, c’était d’ailleurs le sujet hors champ de mon grand favori de cette compétition 2008, oublié de la compétition « American son » ou l’histoire d’un Marine de 19 ans qui tombe amoureux juste avant d’être envoyé en Irak. La guerre est hors champ et pourtant omniprésente et rend d’autant plus poignante cette histoire d’amour a priori banale mais sur laquelle pèse une épée de Damoclès. A travers le portrait de ce jeune homme comme tant d’autres, le réalisateur Neil Abramson personnifie et humanise ces soldats envoyés en Irak et sans jamais vraiment aborder le sujet de front crée une des dénonciations les plus efficaces de la guerre, de cette guerre qui broie des innocents, implique ces fils américains dans un combat qui les dépasse, un combat parfois aussi pour échapper à la banalité de leur existence ou même la délinquance. Certains ont trouvé l’histoire d’amour banale, naïve mais c’est justement cette banalité et cette naïveté qui exacerbent la profondeur et la dureté de ce qui suit, de cet inéluctable départ à la guerre, la réalité et le poids de son choix. Nous suivons ce jeune Marine et avec lui éprouvons l’impitoyable compte à rebours avant la fin de l’innocence de ce fils américain comme tant d’autres qui, en 96 heures, va devenir adulte. Finalement beaucoup plus efficace que « Dans la vallée d’Elah » projeté l’an passé, pourtant si démonstratif.

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     Mon deuxième coup de cœur de la compétition dont je vous ai déjà parlé c’est « Gardens of the night » un film pudique, sensible, magistralement traité sans complaisance ni voyeurisme  (prix de la critique internationale qui récompense un film pour ses qualités artistiques) sur un sujet particulièrement délicat dont le traitement aurait pu s’avérer scabreux. Un film dont la réalisation témoigne d’un grand savoir-faire et a fait vibrer une poignante note d’espoir chez les festivaliers… Un film qui a fait l’unanimité. (voir ma critique sur http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com )

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    face26.jpg  Le prix de la révélation Cartier et le prix du jury ont été dévolus à mon troisième favori : « Ballast » de Lance Hammer, portrait particulièrement sensible de trois êtres (dont un adolescent, encore) que la mort du frère jumeau de l’un d’entre eux (et père de l’adolescent) va bouleverser. La lenteur lancinante et prenante, la morosité presque fascinante des paysages : tout contribue à nous faire éprouver leur lente réconciliation avec eux-mêmes et l’existence avec une judicieuse économie de mise en scène et d’emphase. (les acteurs sont par ailleurs des non professionnels). Un film d’une efficacité et d’un réalisme bluffant.

     Tous les autres films ou presque de cette compétition évoquaient d’ailleurs une enfance ou une adolescence meurtrie, désarçonnée, égarée, douloureuse, des personnages fragiles, un pénible passage à l’âge adulte :

    - une régression infantile dans le mésestimé « Momma’s man » de Azazel Jacob  (ou comment au lieu de rentrer chez lui auprès de sa femme et de son nouveau-né un trentenaire trouve une excuse fallacieuse pour rester chez ses parents)

    - les adolescents surdoués et non moins en crise du très conventionnel et télévisuel « Smart people » avec lesquels leur père taciturne depuis la mort de leur mère n’arrive plus à communiquer

    - le contexte douloureux et âpre d’un premier amour dans « Snow Angels »

    - l’éveil à la sexualité, le rapport au corps, le racisme dans « Towelhead » d’Alan Ball (scénariste de « American Beauty » et créateur de la série « Six feet under »), un film faussement subversif, réellement malsain sous prétexte d’éviter tout manichéisme (auquel il n’échappe pourtant pas dans le personnage de la jeune fille) et toute morale bien pensante : cela aurait pu être intéressant traité avec un peu plus de délicatesse

    - la quête insoluble du père dans « All god’s children can dance »

    - la fascination fatale pour la violence des adolescents dans un prestigieux pensionnat de la Côte Est dans « Afterschool ».

    - les péripéties de deux  sœurs (dans « Sunshine cleaning ») qui décident de créer une société de nettoyage de scènes de crime et cicatrisent ainsi leur blessure d’enfance : le suicide de leur mère. Par l’heureux producteur de « Little miss sunshine » dont sunshine et le ton décalé sont les deux seuls points communs avec ce film-ci, le premier n’arrivant scénaristiquement pas à la hauteur du second.

    Et enfin « The visitor » de Tom McCarthy qui échappe semble-t-il à cette classification, le Grand Prix de cette édition 2008, le seul film de cette compétition que j’ai manqué (mais vous pourrez retrouver ma critique dès sa sortie en salles, le 29 octobre 2008, sur www.inthemoodforcinema.com ) et qui raconte  comment un vieux professeur solitaire retrouve goût à la vie quand il découvre chez lui des squatteurs, un Syrien et une Sénégalaise victimes d’un escroc.

     Carole Bouquet, la présidente du jury de cette 34ème édition, plutôt avare d’explications sur les raisons des choix du jury, lors de la remise des prix, a simplement déclaré « Nous aurions voulu mettre d’autres films et metteurs en scène à l’honneur mais c’est le jeu ». Zoe Cassavetes, présidente du jury Cartier, quant à elle a déclaré : « la sélection nous a montrés des films très différents avec malgré tout une similarité, celle de la provocation et l’honnêteté » ajoutant « Nous avons une élection en novembre qui va nous permettre de redistribuer les cartes du rêve, de la culture et de la paix ». Zoe Cassavetes n’est pas la seule à placer tous ses espoirs en Obama puisque le réalisateur de « Ballast », en recevant son prix, a également déclaré « Notre pays est dans un état lamentable et ça me gêne beaucoup, c’est pourquoi je crois au pouvoir de l’art qui peut vraiment changer les choses. Pour cela nous avons un véritable espoir à saisir et il s’appelle Barack Obama. »

     Le rêve, l’onirisme étaient donc définitivement évincés de cette compétition 2008 même si dans certains émergeaient une (très faible) lueur d’espoir. Comme si le cinéma enserré dans une réalité sombre ne pouvait et ne devait y échapper mais au contraire la mettre en lumière : une lumière bien crue et blafarde le plus souvent.

     En allait-il autrement des Premières ? Il est vrai que cette année, pour mon plus grand plaisir, tous les genres ou presque étaient représentés : du western avec le second film en tant que réalisateur d’ Ed Harris «  Appaloosa » à la comédie romantique avec le très efficace « Coup de foudre à Rhode Island » de Peter Hedges, à la comédie d’action avec « Max la menace » de Peter Segal en passant par le thriller suffocant avec « Harcelés » de Neil La Bute, la comédie grinçante à suspense avec le très réussi « Married life », le film de guerre engagé avec « Miracle à Santa Anna » de Spike Lee, le film inclassable avec « Meurtres à l’Empire State Building » de William Karel, le film politique sous forme de « fiction documentaire » avec « Recount », le mélo improbable avec « The Yellow handkerchief » de Udayan Passad…

     Parmi ces 10 jours si intenses et forcément trop courts, je retiendrai :

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    -la passion communicative et l’engagement infaillible de Spike Lee lors de son hommage mais aussi à travers son dernier film projeté en Première : le magnifique et lyrique « Miracle à Santa Anna » (voir ma critique sur http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com )

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    -l’émotion d’Ed Harris lors de son hommage ("Quand j'exprime ce qu'il y a au fond de mon coeur, je m'émeus moi-même, désolé! Je ne me sens jamais autant en vie que lorsque je joue. Je suis un homme extrêmement chanceux. Au mois de novembre, je fêterai mes vingt-cinq ans de mariage avec mon épouse, l'actrice Amy Madigan. Son amour, son soutien, son encouragement et sa passion pour la vérité m'apportent une stabilité constante, la joie et m'inspirent tous les jours.") et le plaisir de retrouver un western classique qui respecte magistralement les codes du genre avec en prime une ode à l’amitié, beaucoup d’humour et évidemment des Indiens, des paysages majestueux…, et cette envie de « laisser le temps au temps » à l’image de l’époque à laquelle se déroule le film. Dommage juste que le « méchant » incarné par Jeremy Irons ait un rôle si plat, voire inexistant. « Appaloosa » du nom d’un petit village du Mexique, à la fin du 19ème. Sortie en salles le premier octobre : je vous en reparlerai à cette occasion sur www.inthemoodforcinema.com . Me voilà presque prête à rejoindre « l’IAFT » l’Immense Amicale de vos Fans Tricolores, pour reprendre l’expression du président fondateur du festival Lionel Chouchan !

    - la magie intemporelle du cinéma avec mon coup de cœur de ce festival 2009 : « Meurtres à l’Empire State Building » de William Karel, une œuvre inclassable d’une inventivité visuelle et scénaristique incroyable, un hommage drôle, palpitant et émouvant au film noir américain et à toutes ses figures mythiques

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    -la modestie, l’enthousiasme de Juliette Binoche lors de la conférence de presse de « Coup de foudre à Rhode Island » , une comédie romantique dans laquelle elle irradie et excelle (de même que Steve Carell), un genre dans lequel on aimerait les voir l’un et l’autre plus souvent (un film actuellement à l’affiche que je recommande à tous les amateurs du genre qui, s’il ne le renouvelle pas, en respecte les règles avec beaucoup de talent et utilise avec ingéniosité ceux, multiples, de ses interprètes principaux)

    -Steve Carell, encore, aussi efficace dans la comédie romantique « Coup de foudre à Rhode Island » que dans la comédie d’action : le très réussi « Max la menace » (une comédie d’action aux scènes d’action aussi impressionnantes, enfin presque, que dans un James Bond, et au scénario qui tient la route et se suit avec jubilation)

    -la palpitante épopée électorale de « Recount » (que je n’espère pas prémonitoire pour cette élection 2008…)

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    -la très réussie première œuvre d’Helen Hunt en tant que réalisatrice « Une histoire de famille » qui fait beaucoup penser à Woody Allen, mêlant humour, émotion, profondeur avec beaucoup d’habileté, brassant de nombreux thèmes avec le même intérêt, dressant des portraits de personnages exubérants, attachants, fragile, humaines et débutant par une citation juive que je vous laisse découvrir qui prend toute sa signification à la fin. Un premier film étonnamment maîtrisé, drôle et poignant.

    -le galimatias d’André Halimi lors de la remise du prix littéraire à François Forestier (si quelqu’un a la traduction, je suis preneuse…)

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    -la disponibilité de Viggo Mortensen et son indissociable drapeau de l’équipe de San Lorenzo

    -le percutant, courageux et nécessaire « Johnny Mad Dog », prix Michel d’Ornano 2008 pour son réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire, sur les enfants soldats et son utilisation intelligente du hors champ

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    -Des regards aussi : ceux, bleutés et perçants, de Ed Harris et Viggo Mortensen,  ou celui, terrifiant, de Samuel L.Jackson lors d’une conférence de presse où il a particulièrement économisé son sourire si bien que le soir même le voir dans « Lakeview terrace » où il interprète un policier raciste était d’autant plus crédible et terrifiant !

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    -la causticité et le cynisme réjouissant de « Married life »

    -la polémique suscitée par « The girl next door » de Gregory Wilson (que je n’ai pas vu), un film qui a tellement heurté les festivaliers que son réalisateur a dû être accompagné de 4 gardes du corps pendant toute la fin de sa présence à Deauville

    -les étourderies attendrissantes et la gentillesse de la présentatrice Gennie Godula (qui aura consolé les admirateurs de Sir Didier Allouche)

    -la richesse, la noirceur, la diversité des films en compétition

    -l’intransigeance de certains spectateurs et « journalistes » qui peut-être devraient retourner à Appaloosa au 19ème et, comme le préconise Ed Harris donner eux aussi le temps au temps , le temps aussi d’admettre que leur avis n’est que l’expression d’une subjectivité faillible (comme le mien sur ce blog) et non l’expression d’une vérité objective infaillible qui ne tolère aucune tentative d’objection

    -le regret de n’avoir pas eu le temps de profiter des Nuits Américaines ( des projections de classiques du cinéma américain 24H sur 24H)

    - de belles rencontres professionnelles et de drôles de hasards et coïncidences à la Lelouch (d’ailleurs absent cette année ?)

    -les musiques d’Abba qui n’ont cessé de résonner dans le CID lors de l’ouverture, entre les séances toute la semaine… et même dans « Max la menace » et qui résonnent encore dans ma pauvre tête endolorie de festivalière traumatisée 

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    -l’absence regrettée de Canal plus (presque) compensée par le fameux et incontournable lounge Orange

    -les couleurs changeantes des Planches et des festivaliers à fleur de peau, finalement pareillement chatoyantes

    -les facéties et l'humour joyeusement décalé d’Edouard Baer à chacune de ses apparitions toujours acclamées

    -les charismatiques et francophiles présences de William Hurt et John Malkovich

     Et tant d’émotions viscérales, de souvenirs contrastés, d’images bigarrées, d’instants magiques, de rencontres ou retrouvailles passionnantes et/ou impromptues que ces quelques lignes ne sauraient retranscrire et que j’aurai tout juste assez d’une année pour digérer d’ici la 35ème édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville que vous pourrez évidemment suivre sur « In the mood for Deauville » après avoir suivi le Festival de Cannes sur http://inthemoodforcannes.hautetfort.com , et, dès maintenant, de nombreux autres événements cinématographiques sur www.inthemoodforcinema.com . En attendant, n’hésitez pas à livrer vos commentaires sur cette édition 2008 du Festival du Cinéma Américain de Deauville…et n’oubliez surtout pas de plonger « in the mood for cinema » !

    Sur http://inthemoodfordeauville.hautetfort.com retrouvez de nombreuses photos et vidéos inédites et mes critiques de film de ce 34ème Festival du Cinéma Américain.

     PALMARES COMPLET DE CE 34ème FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE 

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     Grand prix

     « The Visitor » de Thomas McCarthy

     Prix du jury

     « Ballast » de Lance Hammer 

     Prix de la Révélation Cartier

     « Ballast » de Lance Hammer 

     Prix de la critique internationale

     « Gardens of the night » de Damian Harris

     Prix Michel d'Ornano

     Jean-Stephane Sauvaire (“Johnny Mad Dog”)

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  • Avant-première : « Mesrine, l’instinct de mort » et «Mesrine, l’ennemi public n°1 » de Jean-François Richet : la fascination de l’image…

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    Photos de Vincent Cassel ci-dessus  par "In the mood for cinema": l'invité "surprise" de la soirée...

    Après la projection en avant-première de « Wall-E » en juin dernier inaugurant ainsi son « Club 300 », Allociné organisait hier soir, à l’Elysée Biarritz, une projection en avant-première du diptyque consacré à Mesrine interprété par Vincent Cassel et réalisé par Jean-François Richet.

     Jean-François Richet  "s’attaque" donc à l’ennemi public n°1 ou plutôt devrais-je dire Thomas Langmann puisque ce projet a été initié par son producteur, d’ailleurs présent hier soir pour un débat impromptu à la suite de la projection, j’y reviendrai. 

     Simplement en préambule, je m’interroge sur la fascination que peut exercer Mesrine. Symbole d’une époque, la nôtre, où la gloire apparaît  comme la qualité ultime, qu’elle qu’en soit la source. Une époque en mal de héros, même d’une lâche violence. Une époque où les médias sont fascinés par ce qu’ils dénoncent. Une époque où le pouvoir des images l’emporte sur celui de la raison, ce que nous voyons sur ce que nous savons (dans la première partie nous avons beau voir un Mesrine violent, raciste, assassin nous le suivons, pour certains avec indulgence et fascination, tout comme le public de l’époque ).  Mais après tout peut-être est-il là le sujet ? (malgré l’intention du producteur !) Comment un homme arrive-t-il à fasciner les foules de l’époque de même que le personnage incarné au cinéma fascinera le spectateur d’aujourd’hui malgré ce que nous en savons, malgré ce qu’ils en savaient ? Peut-être est-ce une démonstration implacable du pouvoir, sans cesse renouvelé, de fascination de l’image ? Allez savoir.  (Il me semble que c’était d’ailleurs l’intéressant parti pris du film de Jean-Paul Rouve.)

     A l’image du film, ma critique devrait être séparée en deux parties… tant ces deux films sont différents, tant mon avis sur le premier diffère de mon avis sur le second.

    "Mesrine, l'instinct de mort": première partie

     Le générique du premier film « L’instinct de mort » avec son rythme haletant et effréné, empruntant au cinéma des années où sévissait Mesrine, avec son split screen, était,  il faut l’avouer, plutôt prometteur nous immergeant d’emblée dans une atmosphère tendue de tragédie inéluctable en débutant par son issue fatale, connue de tous : « l’assassinat » (selon l’interprétation du producteur) de Mesrine par la police alors qu’il quittait Paris avec sa compagne  Sylvia Jeanjacquot (Ludivine Sagnier, crédible) après une traque sans relâche et de nombreuses évasions. Immédiatement après, nous retrouvons Mesrine, des années plus tôt, en Algérie pendant la Guerre, mais cette fois ce n’est plus lui mais un Algérien sur lequel une arme est braquée, un Algérien qu’il assassine, sous la contrainte. Comme un écho, une résonance, une explication sans doute. Simpliste sans doute aussi mais après tout nous ne sommes pas là pour nous embarrasser de psychologie. Tout  comme la lâcheté du père (Michel Duchaussoy) soumis à sa femme, soumis aux Allemands aussi explique la rébellion et la violence vengeresses et rageuses du fils. Et ensuite ?

     Ensuite c’est une suite d’événements sans homogénéité qui nous embarquent de France en Espagne, puis de nouveau en France au Canada, du Canada aux Etats-Unis. Entretemps il se sera marié avec Sofia (Elena Anaya), aura eu deux autres liaisons. Des personnages apparaissent, d’autres disparaissent sans que nous sachions pourquoi ( Guido  interprété par Gérard Depardieu,  Paul  interprété par Gilles Lellouche), sans faire plus de sentiments que Mesrine avec ces derniers comme si la fascination exercée par celui-ci avait déteint jusque dans la forme : aride, saccadée, violente, vaine, illogique, laide,  éparpillée, zappant les personnes comme les événements et les vies.

     Exemple, subitement Mesrine et sa compagne Jeanne Schneider (Cécile de France qui prouve une nouvelle fois son incroyable capacité de transformation physique) attaquent un tripot sans que nous sachions très bien pourquoi, sans lien apparent avec ce qui précède, sans que le personnage de cette dernière n’ait eu le temps d’exister. Les scènes semblent n’être là que pour justifier les suivantes : les menaces dont fera ensuite l’objet Mesrine.

      Pourquoi autant d’ellipses dans un film aussi long ? Pourquoi tellement de changements de styles (s’inspirant tantôt du cinéma américain, tantôt d’un cinéma français plus réaliste) ? Pourquoi a-t-on l’impression d’assister à une compilation d’informations, sans relief, sans point de vue, comme si ébloui par son sujet et par la tonne d’informations amassées le réalisateur (ou devrais-je dire le producteur) n’avait pas su choisir, éliminer, trancher ? Pourquoi les dialogues semblent-ils adaptés d’un soap-opera ? Pourquoi ai-je eu constamment envie de rire quand il fallait pleurer ou du moins s’émouvoir ? Comme si, à l’image de ces médias que Mesrine utilisait, on nous abreuvait d’informations et de musiques assourdissantes pour que nous ne pensions pas, pour que nous soyons éblouis par le film comme Mesrine parvenait à éblouir. Oubliant le temps du silence. Melville aurait fait de ce film un chef d’œuvre, lui aurait indéniablement donné un « second souffle ». Cette respiration nécessaire quand la musique n’a pas besoin d’être omniprésente pour combler, pour susciter, forcer une émotion absente. Succession hypnotisante d’images et assourdissante de sons n’est d’ailleurs pas antinomique d’ennui qui m’a envahie et dont je suis ressortie avec la scène de l’évasion au Canada par laquelle à mon humble avis aurait pu débuter ce film qui n’aurait dû en faire qu’un seul.

      Je ne peux pourtant m’empêcher de louer l’audace de cette forme bipartite qui risque d’en décourager plus d’un alors que l’attention (et le portefeuille …) du spectateur est si volatile. Donc si je devais vous en recommander un et ne vous en recommander qu’un, je vous recommanderais le second volet : « L’ennemi public n°1 ».

    "Mesrine, l'ennemi public n°1" (Deuxième partie)

     Venons-en donc à la seconde partie : « L’ennemi public n°1 ». Cela débute de nouveau sur le lieu de « l’assassinat » de Mesrine avec le Commissaire Robert Broussard (Olivier Gourmet ) qui lui aussi aime beaucoup poser devant les médias (sorte de double de Mesrine, mais du côté de la loi). Une impression de réalisme se dégage alors des premiers plans (lié au jeu si nuancé d’Olivier Gourmet ?) alors que la première partie m’était apparue tellement artificielle. Puis, on assiste à l’évasion de Mesrine du tribunal d’abord puis de prison avec François Besse (Mathieu Amalric , une nouvelle fois remarquable). Spectaculaires. Et c’est là que cela devient intéressant : dans le spectaculaire. Se mettre en scène, apprivoiser, guider les médias, se glorifier d’être l’ennemi public n°1 parce qu’il est le n°1 : à l’affiche. Voilà ce qu’était Mesrine. Une sorte de télé-réalité avant l’heure. L’illustration du besoin vorace et irrationnel du public de tout savoir, de s’identifier même à la vanité, la vacuité, le méprisable. Et le besoin insatiable de paraître, d’apparaître, d’être le n°1, quitte à payer des journalistes pour poser et risquer d’être arrêté. Le paraître avant l’être, la vie même. Le surjeu est assumé puisque Mesrine se créait lui-même un personnage. Richet ose le décalage, assume le côté presque granguignolesque du personnage. Les dialogues assument l’ironie. On ne rit plus de mais avec sans pour autant éprouver de la sympathie ou même être en empathie avec le personnage. Cabotin. Hâbleur. Fasciné par ce qu’il suscite. Deux orgueils s’affrontent : celui de Mesrine et celui de l’inspecteur. Deux images en quête de reconnaissance. De l’ordre ou du désordre. Un double face-à-face palpitant : entre le commissaire et Mesrine d’un côté, entre eux deux et les médias ou l’opinion publique de l’autre.

    Mesrine se retrouve alors dans des combats  qui le dépassent, se contredisant parfois: les Brigades rouges, la révolution, pour donner une valeur politique à ses actes qui en étaient dénués. Et puis la fin où l’on retrouve ce suspense qui avait fait le sel du début : la tension et le suspense malgré le caractère inéluctable et fatal, annoncé dès les prémisses. Réussir un début et une fin, ce n’est déjà pas si mal, même quand plus de quatre heures les séparent.

     Quant à Vincent Cassel, il incarne le (sur)jeu de Mesrine, ceux qui aiment l’un et/ou l’autre apprécieront : les 20 kilos en plus, la démarche, le métamorphose physique. Je vous laisse juges… Gérard Lanvin fait très bien l’accent du Sud aussi. L’aspect  pittoresque n’est pas non plus à négliger.

     Le projet fut un temps confié à Barbet Schroeder, le réalisateur de « L’avocat de la terreur » aurait peut-être su donner un sens, un ton, un point de vue. (Mais après tout certains apprécieront sans doute aussi l’aspect neutre de la mise en scène et le rôle de juge attribué au spectateur).  Vincent Cassel s’était alors d’ailleurs désengagé du projet (remplacé un temps par Magimel, un temps par Elbaz) puis il a demandé la réécriture du scénario faisant trop l’apologie de Mesrine selon lui.

    Débat avec Thomas Langmann, le producteur des deux films:

     Lors du débat qui a suivi la projection, Thomas Langmann a d’abord évoqué la genèse du projet : lui qui ne lisait pas est tombé, à 12 ans, dans la bibliothèque familiale, sur « L’instinct de mort » de Jacques Mesrine et l’a dévoré. Thomas Langmann dit « ne pas admirer Mesrine » tout en « ne pouvant nier que lorsqu’il a lu le livre » « L’instinct de mort » et vu le documentaire sur celui-ci, il a été fasciné. Selon lui, le cinéma n’est « pas là pour avoir un regard critique » (quelle naïve je suis, et moi qui croyais qu’un cinéaste devait avoir un point de vue…). Il ajoute que le film sera interdit aux moins de 12 ans, sans le déplorer. Il dit ne pas avoir voulu faire un film de divertissement mais de réflexion (décidément j’ai encore tout faux…). « Il n’y a pas de héros dans la criminalité, que des marginaux » dit-il en reprenant les termes de Mesrine pour arguer du fait qu’il n’a pas voulu en faire un héros, puisque lui-même ne se considérait pas comme tel (mais ne détestait pourtant pas être considéré comme tel non ?). Thomas Langmann ajoute s’être  entêté pour le faire en deux films car  « artistiquement » il estimait que c’était indispensable. Il établit ainsi une comparaison avec « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone, rien de moins. Il est certain qu’il n’aurait pas eu les moyens de faire Mesrine sans « Astérix aux Jeux Olympiques » qu’il a également produit (précisant suite aux remarques concernant l’échec de celui-ci qu’il a quand même fait « 7 millions d’entrées »). Pour la première partie il explique qu’elle était essentiellement basée  sur le livre de Mesrine « L’instinct de mort » : ceci expliquant peut-être cela… Enfin, il explique que la viabilité du film reposait beaucoup sur le fait de pouvoir le sortir à l’étranger : Il sortira partout et notamment aux Etats-Unis. Thomas Langmann termine en répondant à une question sur sa scène favorite : la fin et le générique du début. Au moins, là, nous sommes d’accord. Il précise que le film a été fait avec l’accord des 3 enfants. (Au fait où ont-ils disparu au cours du film ces trois-la ?)

    Donc...:

     Si je voulais être mesquine je dirais aussi que c’est un formidable coup médiatique et mercantile, un sujet en or (même si je sais qu’aujourd’hui n’existent plus de sujets en or garantissant de faire des entrées) : un bandit populaire, une « belle » image médiatique, une forte image du moins. Un casting de rêve avec tout ce que la France, la Belgique et le Québec comptent d’acteurs populaires (et d’accents). Et même un air de Piaf comme la réminiscence d’un gros succès récent (tout ça parce que « non, rien de rien [il] ne regrette rien) . Mais loin de moi cette idée. Je crois pourtant qu’il s’agissait vraiment du désir d’un producteur de traiter d’un sujet le fascinant depuis l’enfance. Et je ne raille jamais les mythes et rêves d’enfants même quand ils sont devenus grands.

     En résumé, si vous voulez un bon divertissement allez voir le second volet intitulé « L’ennemi public n°1 » (enfin pardon: un grand moment de réflexion) ou méditez sur le pouvoir fascinant et hypnotisant de l’image. Rien de plus. Rien de moins. Ah si et pour Olivier Gourmet, Georges Wilson, Anne Consigny, Myriam Boyer.

    « Mesrine, l’instinct de mort » : sortie le 22 octobre 2008

    « Mesrine, l’ennemi public n°1 » : sortie le 19 novembre 2008

     Petite information allocinéesque : Allociné lancera sa radio le 30 septembre.

    Remarque : Prononce-t-on le S de Mesrine ? En tout cas, cela déplaisait fortement à l’intéressé qui préférait être appelé "Mérine"…

    Sandra.M

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