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IN THE MOOD FOR CINEMA - Page 127

  • Festival de Cannes 2016 - Critique de LA TORTUE ROUGE de Michael Dudok de Wit (Un Certain Regard)

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    À travers l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux, « La Tortue rouge » raconte les grandes étapes de la vie d’un être humain.

    Ce conte philosophique et écologique est un éblouissement permanent qui nous attrape dès le premier plan, dès la première note de musique pour ne plus nous lâcher, jusqu’à ce que la salle se rallume, et que nous réalisions que ce passage sur cette île déserte n’était qu’un voyage cinématographique, celui de la vie, dont le film est la magnifique allégorie.

    Quand la carapace de la tortue rouge va se craqueler, se fendre, une autre histoire commence. Le graphisme aussi épuré  et sobre soit-il est d’une précision redoutable. Jamais l’absence de dialogue ne freine notre intérêt ou notre compréhension mais au contraire rend plus limpide encore ce récit d’une pureté et d’une beauté aussi envoûtantes que la musique qui l’accompagne composée avec talent par Laurent Perez del Mar.

    « La Tortue rouge » a été cosignée par les prestigieux studios d’animation japonaise Ghibli. C’est la première fois que Ghibli collabore avec un artiste extérieur au studio, a fortiori étranger. Le résultat est un film universel d’une force foudroyante de beauté et d’émotions, celle d’une Nature démiurgique, fascinante et poétique.

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  • Festival de Cannes 2016 - Critique de CAPTAIN FANTASTIC de Matt Ross (Un Certain Regard)

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    Dans les forêts reculées du nord-ouest des Etats-Unis, vivant isolé de la société, un père dévoué a consacré sa vie toute entière à l’éducation de ses six jeunes enfants pour qu’ils deviennent des adultes hors du commun.
    Quand le destin les frappe, ils sont contraints d’abandonner le paradis que leur père avait créé pour eux. La découverte du monde extérieur va l’obliger à remettre en question ses méthodes d’éducation et tout ce qu’il avait choisi d’apprendre à ses enfants qui portent les prénoms iconoclastes à l’image de leur éducation : Bodevan, Nai, Rellian, Zaja, Kielyr et Vespyr.

    « Captain Fantastic » confronte l’utopie d’un adulte aux règles sociales et à la réalité du monde, celui de la consommation loin  de la forêt protectrice, sorte d’Eden coupé du monde, où  la famille vit. Le film de Matt Ross a fait souffler un vent d’utopie et d’intelligence salutaires .

    Le film de Matt Ross mériterait d'être primé pour sa photographie (signée Stéphane Fontaine). Au lieu d’imposer un point de vue péremptoire sur l’éducation, à travers cette histoire et ses personnages à l’intelligence jubilatoire, Matt Ross questionne le mode d’éducation, montrant des enfants érudits (qui lisent Rousseau, Marx et Nabokov en opposition à leurs cousins, totalement incultes, d’ailleurs peut-être trop, moins de manichéisme en l’espèce aurait été moins efficace certes) et particulièrement résistants à l’effort, aptes à réfléchir mieux que la plupart des adultes mais en décalage avec le monde réel soudain bipolaire (ou du moins dichotomique) comme leur mère ( dont l’absence si présente éclaire le film d’une aura plus sombre) et les enfants de leur âge (ce qui donne lieu à des scènes irrésistibles). Le film est  un parcours initiatique autant pour les enfants que pour le Captain Fantastic dont l’adjectif fantastique désigne davantage sa capacité à se remettre en question que des pouvoirs extraordinaires dont il serait doté même si la fin peut aussi s’apparenter à un renoncement pour celui qui, en guise de père Noël, célèbre le linguiste, philosophe et anarchiste Noam Chomsky (Noël étant remplacé par le Noam Chomsky’s day) en offrant des armes blanches à ses enfants. Des dialogues savoureux (le film est finalement une ode à la communication), une BO jubilatoire, un Viggo Mortensen plus charismatique que jamais et éperdu d’amour pour ses enfants, font de ce « Captain Fantastic » un personnage aussi attachant que le fut une certaine « little Miss Sunshine ».

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  • Festival de Cannes 2016 - Critique de LA FORÊT DE QUINCONCES de Grégoire Leprince-Ringuet (séance spéciale)

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    Ondine (Amandine Truffy) et Paul (Grégoire Leprince-Ringuet) se sont aimés. Quand elle le quitte, il jure qu'il n'aimera plus. Pour se le prouver, il poursuit la belle Camille, qu'il compte séduire et délaisser. Mais Camille (Pauline Caupenne) envoûte Paul qu'elle désire pour elle seule. Et tandis qu'il succombe au charme de Camille, Paul affronte le souvenir de son amour passé.

    Seuls les prénoms des personnages, à la lecture du pitch officiel, auraient peut-être pu me donner un indice sur le caractère poétique de ce film mais ayant préféré, comme souvent, en savoir le moins possible avant de le voir en salles, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les dialogues étaient (brillamment) écrits en vers. J’ai d’abord cru que le réalisateur avait utilisé les vers d’auteurs célèbres (les références et les influences surtout, revendiquées, sont multiples : Grégoire Leprince-Ringuet revendique ainsi l'influence de Paul Valéry, Baudelaire, Racine, Corneille, Molière, Aragon et Supervielle) mais ma surprise fut d’autant plus grande et agréable en découvrant que le jeune cinéaste en était l’auteur et le seul auteur du scénario.

    Ce dernier s'est ainsi basé sur ses propres poèmes pour écrire le scénario de son film. Voilà qui nous charme d’emblée comme Paul l’est par les deux femmes entre lesquelles son cœur balance. Certains dialogues débutent en prose pour s’achever en vers ou inversement si bien que ce qui aurait pu sembler incongru paraît naturel. La beauté de la langue française en est sublimée et magnifie les échanges entre les personnages. Au lieu d’en faire un film empesé ou suranné, cela démontre au contraire toute la modernité de la poésie, sa force, sa volupté, sa richesse aussi. La caméra, loin d’être statique, virevolte souvent autour des personnages, vibrant de concert avec leur fougue. Les mots s’enchaînent et nous hypnotisent comme une mélopée enchanteresse et magnétique. Et le sortilège par lequel Camille envoûte Paul agit aussi sur le spectateur…

    Le film regorge de trouvailles à l’exemple de son titre, La Forêt de Quinconces se référant à toutes les voies qui s’offrent au personnage principal,  droites et infinies. Le destin. La chance. Les choix. Voilà des thèmes qui ne déplairaient pas à Woody Allen surtout que les quartiers du Nord et de l’Est de Paris, filmés sous des angles inhabituels, font parfois ici penser à New York.

    Le film est aussi empreint d’onirisme et de fantastique, notamment par le biais d’un clochard (excellent Thierry Hancisse) un rôle pour lequel Grégoire Leprince-Ringuet s’est inspiré des personnages de clochards dans Les Portes de la nuit de Carné ou à Faust dans le film de René Clair La Beauté du diable. Deux films magnifiques que je vous recommande au passage.

    Une scène surprenante et ensorcelante, à l’image de tout le film d'ailleurs, mérite à elle seule le déplacement. Du métro à des rues sombres puis à un couloir jusqu’à une scène de théâtre et ses coulisses, Paul suit Camille, danse avec elle (moment hors du temps, scène parfaitement chorégraphiée, d’une force redoutable, sur la musique de Tchaïkovski), puis lui déclare sa flamme dans les coulisses... et du début à la fin de la scène, magistralement et intensément filmée, jouée, dansée, le spectateur retient son souffle. De ces échanges, dansées et parlées, se dégage un magnétisme fulgurant. Sans aucun doute une des plus belles scènes vue au cinéma cette année.

    Grégoire LePrince-Ringuet a débuté au cinéma à 14 ans dans Les Egarés de Téchiné (pour lequel il fut nommé comme Meilleur jeune espoir masculin). Il a étagement été chanteur au sein du chœur de l’Opéra de Paris. Ces expériences et cette précocité ont sans aucun doute enrichi son expérience puis son film. Vous l’avez peut-être également vu dans  Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (avec une nouvelle nomination aux César à la clef) puis dans La Belle personne du même réalisateur qui était une transposition moderne de la Princesse de Clèves, un mariage habile de classicisme et de modernité par lequel Grégoire Leprince-Ringuet a peut-être aussi été influencé pour cette première réalisation. En 2010, il était en compétition officielle à Cannes avec La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier et hors compétition dans L' Autre monde de Gilles Marchand.

    Fort de ces belles expériences, dans La forêt de Quinconces, il excelle autant devant que derrière la caméra, déclamant les vers avec un naturel déconcertant. Une mention spéciale pour Pauline Caupenne qui crève littéralement l’écran, passionnée comme Carmen. Et quand elle dit :

    Ma présence seule abolit le délire dont je te dote

    Je suis le mal et l’antidote

    ...il nous est bien difficile de ne pas la croire. C'est là toute la puissance commune du cinéma et de la poésie que de nous faire croire à l'impossible.

    Arthur Teboul, le leader de Feu Chatterton, fait également ici ses débuts au cinéma, dans un dénouement très réussi. La bande originale du film a d’ailleurs été composée par Clément Doumic, autre membre de Feu Chatterton, avec  une couleur électro. La musique joue d’ailleurs un rôle central, qu’elle soit classique ou plus moderne (ce qui ne veut d’ailleurs rien dire, la musique classique apportant ici aussi beaucoup de modernité, Tchaikovski mais aussi Debussy).

    Vous l’aurez compris, je suis tombée littéralement sous le charme de ce conte moderne, de ce ballet fiévreux, aux frontières du fantastique et pourtant ancré dans la réalité, d’une inventivité rare porté par des comédiens au talent éclatant, par des contrastes judicieux (entre les formats qui changent au fil du film mais aussi entre le jour et la nuit, l’extérieur et l’intérieur, la force et la douceur). Dix jours après l'avoir vu, je souhaite ardemment revoir ce film pour en savourer chacun de ses dialogues et m'attarder sur chacune de ses trouvailles. Il m'a aussi donné envie de relire Baudelaire et Racine.  Les moments de poésie sont trop rares pour s’en priver et ce film rend un sublime hommage à sa puissance émotionnelle ! En tout cas, sans aucun doute : un cinéaste est né. Et ce serait bien dommage de passer à côté. J'attends d'ores et déjà son prochain film avec impatience mais, en attendant, allez vous perdre dans La Forêt de Quinconces, je vous garantis que vous ne regretterez pas cette promenade poétique, palpitante et envoûtante.

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  • En attendant le compte rendu de ce (formidable) Festival de Cannes 2016...

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    Plutôt que d'écrire des articles expéditifs entre deux séances, j'ai fait le choix de commenter cette 69ème édition sur les réseaux sociaux et de vous en livrer le compte rendu exhaustif a posteriori. Sachez en tout cas que mon programme est aussi riche que passionnant et surtout que cette édition foisonne de très grands films !

    En attendant de vous livrer un compte rendu très complet de cette formidable édition, ci-dessus un indice sur le film qui m'a le plus bouleversée...

    J'ai hâte de partager ici mon enthousiasme pour cette sélection 2016. Vous pouvez toujours suivre mes avis au jour le jour sur twitter (@moodforcinema / @moodforcannes) et sur Instagram pour les photos ( @sandra_meziere).

     

  • Festival de Cannes 2016 - Critique de PATERSON de Jim Jarmusch (compétition officielle)

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    Paterson (Adam Driver) vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allan Ginsberg, une ville aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura (Golshifteh Farahani), qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, l’inénarrable bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

    Le film dont l’intrigue se déroule sur une semaine, est empreint de dualité et est construit en miroir avec une précision fascinante, une fausse simplicité, une douceur hypnotique, un rythme lancinant. Envoûtants. Sa lenteur, certes captivante, en rebutera peut-être plus d’un, pourtant pour peu que vous acceptiez ce rythme, la poésie contemplative du film vous happera progressivement pour vous plonger et vous bercer dans une atmosphère à la fois mélancolique et ouateuse.

    La dualité et la répétition sont partout. Dans le noir et blanc qui obsèdent la compagne de Paterson (un noir et blanc dont elle décore toute la maison, mais aussi les rideaux,  ses cupcakes, ses vêtements). Les jumeaux que le couple voit partout (en rêve pour l’une, dans son étrange réalité pour l’autre). Dans le patronyme « Paterson » qui est aussi celui de la ville où le protagoniste évolue et celle où a vécu le poète dont il s’inspire (William Carlos Williams). Sans oublier les journées répétitives : le réveil, le trajet à pied pour aller en travail, l’écriture d’ un poème dans son carnet secret toujours interrompue par l’arrivée de son patron déprimé, les conversations des passagers de son bus, le retour à la maison en redressant la boîte aux lettres que le chien fait chaque jour malicieusement tomber, les discussions avec sa femme, et la journée qui s’achève par la promenade du chien et la bière au café où une conversation ou un imprévu viennent aussi briser le rythme routinier. Un seul évènement viendra réellement bouleverser ce rythme répétitif tandis que le couple regarde un film de Jacques Tourneur au cinéma, punis d’avoir dérogés à ses habitudes quotidiennes.

    Décrit ainsi, le film pourrait paraître ennuyeux et banal. S’en dégage pourtant une beauté poétique qui sublime l’apparente simplicité de chaque instant, l’ennui routinier qui semble parfois peser sur Paterson (la ville, ville pauvre du New Jersey qui rappelle Détroit dans « Only  Lovers Left Alive » ) et sur Paterson, l’homme. Il regarde ainsi chaque soir les visages célèbres de la ville accrochés dans le bar où s’achèvent ses journées. Admiratif, il écoute une petite fille lui dire le poème qu’elle a écrit et qu’il admire. Il  écoute enfin un touriste Japonais lui vanter les poèmes de William Carlos Williams. Miroirs encore. Ceux de ses regrets, de ses échecs, de sa vie qui semble condamné à cette inlassable routine mais que sublime le plus beau des pouvoirs, celui de savoir jongler avec les mots qui résonnent aux oreilles du spectateur comme une douce et enivrante mélopée.

    Jarmusch, avec une acuité remarquable, capte l’extraordinaire dans l’ordinaire, le singulier dans le quotidien. Les vers qui s’écrivent sur l’écran et la voix de Paterson qui les répète inlassablement est une musique qui s’ajoute à celle de Sqürl, le groupe de Jim Jarmusch, et qui nous charme insidieusement pour finalement nous faire quitter à regrets cet univers réconfortant, tendrement cocasse, et poétique.

    Adam Driver et Golshifteh Farahani sont remarquables. La tendre nonchalance du premier, sa bienveillance envers l’attendrissante folie de sa femme (Golshifteh Farahani, toujours d’une justesse sidérante) sont en effet pour beaucoup dans le l’enchantement irrésistible de ce poème terriblement séduisant.

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  • Critique de TOUR DE FRANCE de Rachid Djaïdani (Quinzaine des Réalisateurs)

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    Far’Hook  (Sadek) est un jeune rappeur de 20 ans. Suite à un règlement de compte, il est obligé de quitter Paris pour quelques temps. Son producteur, Bilal, lui propose alors de prendre sa place et d’accompagner son père Serge (Gérard Depardieu) faire le tour des ports de France sur les traces du peintre Joseph Vernet. Malgré le choc des générations et des cultures, une amitié improbable va se nouer entre ce rappeur plein de promesses et ce maçon du Nord de la France au cours d’un périple qui les mènera à Marseille pour un concert final.

    Au-delà de ce qui les sépare, en particulier le racisme de Serge, peu à peu, au fil des kilomètres, vont se révéler les blessures de ces deux oubliés de la société, ces deux êtres à fleur de peau, en mal d’amour, dont la colère s’exprime par la haine de l’autre (de l’inconnu) pour l’un, par la musique (le rap) pour l’autre. Une relation filiale va peu à peu se nouer entre les deux oubliés de la société, de ceux qui viennent de ces territoires ravagés par le chômage.

     Depardieu toujours aussi monumental laisse peu à peu affleurer les fêlures et les blessures de ce misanthrope qui progressivement révèle un autre visage, pour finalement nous toucher en plein cœur et nous bouleverser lors d’une scène où il est filmé de dos, chancelant d’émotions, rattrapé par son humanité que les blessures de la vie l’ont conduit à masquer.

    Même si le film n’échappe pas à quelques clichés et discours convenus, voire démagogiques, et même si certaines saynètes manquent de liens entre elles, il finit par nous émouvoir et nous emporter tant il est émaillé de moments de grâce comme lorsque  Far’Hook déclame « l’Albatros » de Baudelaire.

    Un film porté par ce duo improbable et attachant, par la beauté des paysages (de la France et des tableaux) et par un bel espoir, au bout de la route,  celui de la réconciliation, avec l’autre et avec soi.

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  • Festival de Cannes 2016 - Critique de MAL DE PIERRES de Nicole Garcia (compétition officielle)

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    Nicole Garcia est cette année à nouveau en compétition au Festival de Cannes en tant que réalisatrice (elle a également souvent gravi les marches comme comédienne). Après avoir ainsi été en lice pour « L’Adversaire » en 2002 et pour  « Selon Charlie » en 2005, elle l'est cette fois avec un film dans lequel Marion Cotillard tient le rôle principal, elle-même pour la cinquième année consécutive en compétition à Cannes. « Mal de Pierres » est une adaptation du roman éponyme de l’Italienne Milena Agus publié en 2006 chez Liana Lévi. Retour sur un de mes coups de cœur du Festival de Cannes 2016…

    Marion Cotillard incarne Gabrielle, une jeune femme qui a grandi dans la petite bourgeoisie agricole de Provence. Elle ne rêve que de passion. Elle livre son fol amour à un instituteur qui la rejette. On la croit folle, son appétit de vie et d’amour dérange, a fortiori à une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage. « Elle est dans ses nuages » dit ainsi d’elle sa mère.  Ses parents la donnent à José parce qu’il semble à sa mère qu’il est « quelqu’un de solide » bien qu’il ne « possède rien », un homme que Gabrielle n’aime pas, qu’elle ne connaît pas, un ouvrier saisonnier espagnol chargé de faire d’elle « une femme respectable ».  Ils vont vivre au bord de mer… Presque de force, sur les conseils d’un médecin, son mari la conduit en cure thermale à la montagne pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres qui l’empêche d’avoir des enfants qu’elle ne veut d’ailleurs pas, contrairement à lui. D’abord désespérée dans ce sinistre environnement, elle reprend goût à la vie en rencontrant un lieutenant blessé lors de la guerre d’Indochine, André Sauvage (Louis Garrel). Cette fois, quoiqu’il advienne, Gabrielle ne renoncera pas à son rêve d’amour fou…

    Dès le début émane de ce film une sensualité brute. La nature toute entière semble brûler de cette incandescence qui saisit et aliène Gabrielle : le vent qui s’engouffre dans ses cheveux, les champs de lavande éblouissants de couleurs, le bruit des grillons, l’eau qui caresse le bas de son corps dénudé, les violons et l’accordéon qui accompagnent les danseurs virevoltants de vie sous un soleil éclatant. La caméra de Nicole Garcia caresse les corps et la nature, terriblement vivants, exhale leur beauté brute, et annonce que le volcan va bientôt entrer en éruption.

    Je suis étonnée que ce film n’ait pas eu plus d’échos lors de sa présentation à Cannes. Marion Cotillard incarne la passion aveugle et la fièvre de l’absolu qui ne sont pas sans rappeler celles d’Adèle H, mais aussi l’animalité et la fragilité, la brutalité et la poésie, la sensualité et une obstination presque enfantine. Elle est tout cela à la fois, plus encore, et ses grands yeux bleus âpres et lumineux nous hypnotisent et conduisent à notre tour dans sa folie créatrice et passionnée. Gabrielle incarne une métaphore du cinéma, ce cinéma qui « substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs ». Pour Gabrielle, l’amour est d’ailleurs un art, un rêve qui se construit. Ce monde c’est André Sauvage (le bien nommé), l’incarnation pour Gabrielle du rêve, du désir, de l’ailleurs, de l’évasion. Elle ne voit plus, derrière sa beauté ténébreuse, son teint blafard, ses gestes douloureux, la mort en masque sur son visage, ses sourires harassés de souffrance. Elle ne voit qu’un mystère dans lequel elle projette ses fantasmes d’un amour fou et partagé. « Elle a parfaitement saisi la dimension à la fois animale et possédée de Gabrielle, de sa folie créatrice » a ainsi déclaré Nicole Garcia lors de la conférence de presse cannoise. « Je n’ai pas pensé à filmer les décors. Ce personnage est la géographie. Je suis toujours attirée par ce que je n’ai pas exploré » a-t-elle également ajouté.

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    Face à Gabrielle, les personnages masculins n’en sont pas moins bouleversants. Le mari incarné par Alex Brendemühl représente aussi une forme d’amour fou, au-delà du désamour, de l’indifférence, un homme, lui aussi, comme André Sauvage, blessé par la guerre, lui aussi secret et qui, finalement, porte en lui tout ce que Gabrielle recherche, mais qu’elle n’a pas décidé de rêver… « Ce personnage de femme m’a beaucoup touchée. Une ardeur farouche très sauvage et aussi une sorte de mystique de l’amour, une quête d’absolu qui m’a enchantée. J’aime beaucoup les hommes du film, je les trouve courageux et pudiques» a ainsi déclaré Marion Cotillard (qui, comme toujours, a d'ailleurs admirablement parlé de son personnage, prenant le temps de trouver les mots justes et précis) lors de la conférence de presse cannoise du film (ma photo ci-dessus).  Alex Brendemühl dans le rôle du mari et Brigitte Roüan (la mère mal aimante de Gabrielle) sont aussi parfaits dans des rôles tout en retenue.

    Au scénario, on retrouve le scénariste notamment de Claude Sautet, Jacques Fieschi, qui collabore pour la huitième fois avec Nicole Garcia et dont on reconnaît aussi l’écriture ciselée et l’habileté à déshabiller les âmes et à éclairer leurs tourments, et la construction scénaristique parfaite qui sait faire aller crescendo l’émotion sans non plus jamais la forcer. La réalisatrice et son coscénariste ont ainsi accompli un remarquable travail d’adaptation, notamment en plantant l’histoire dans la France des années 50 heurtée par les désirs comme elle préférait ignorer les stigmates laissées par les guerres. Au fond, ce sont trois personnages blessés, trois fauves fascinants et égarés.

    Une nouvelle fois, Nicole Garcia se penche sur les méandres de la mémoire et la complexité de l’identité comme dans le sublime « Un balcon sur la mer ». Nicole Garcia est une des rares à savoir raconter des « histoires simples » qui révèlent subtilement la complexité des « choses de la vie ».

    Rarement un film aura aussi bien saisi la force créatrice et ardente des sentiments, les affres de l’illusion amoureuse et de la quête d’absolu. Un film qui sublime les pouvoirs magiques et terribles de l’imaginaire qui portent et dévorent, comme un hommage au cinéma. Un grand film romantique et romanesque comme il y en a désormais si peu. Dans ce rôle incandescent, Marion Cotillard, une fois de plus, est époustouflante, et la caméra délicate et sensuelle de Nicole Garcia a su mieux que nulle autre transcender la beauté âpre de cette femme libre qu’elle incarne, intensément et follement  vibrante de vie.

    La Barcarolle de juin de Tchaïkovsky et ce plan à la John Ford qui, de la grange où se cache Gabrielle, dans l’ombre, ouvre sur l’horizon, la lumière, l’imaginaire, parmi tant d’autres images, nous accompagnent  bien longtemps après le film. Un plan qui ouvre sur un horizon d’espoirs à l’image de ces derniers mots où la pierre, alors, ne symbolise plus un mal mais un avenir rayonnant, accompagné d’ un regard qui, enfin, se pose et se porte au bon endroit. Un très grand film d’amour(s). A voir absolument.

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