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  • "La belle équipe" de Julien Duvivier(1936): l'utopie d'un bonheur impossible

    • Mes analyses personnelles des classiques du septième art se poursuivent, avec La Belle équipe de Julien Duvivier (1936).
    • La Belle équipe : l’utopie d’un bonheur impossible.
    • S’il ne fallait choisir qu’une fiction pour caractériser l’esprit de 1936, ce serait probablement La Belle équipe de Duvivier dont chaque plan est empreint de l’esprit qui régnait alors : d’une part, par les thèmes qui y sont abordés, les thèmes emblématiques de l’esprit de 1936 que sont la liberté et la fraternité, d’autre part par le débat qui entoura le choix du dénouement.
    • L’éloge de la liberté et de la fraternité
    • Le film est réalisé par Duvivier et scénarisé et dialogué par Charles Spaak. Il sort pendant l’été 1936, à la mi-septembre. Il est considéré comme le film le plus inspiré par les évènements du Front Populaire sans pour autant pouvoir être qualifié de politique. Duvivier n’était d’ailleurs pas considéré comme un cinéaste engagé. Peut-être ce film aurait-il eu une toute autre résonance s’il avait été réalisé par Jean Renoir comme il en fut un moment question. Il était en effet alors prêt à renoncer à La grande illusion pour reprendre le projet. Si la résonance de La belle équipe ne fut pas politique elle fut néanmoins sociale et aujourd’hui encore (surtout) nous en dit long sur ce que fut 1936. Il s’agit de cinq chômeurs, parmi lesquels notamment un réfugié espagnol, qui gagnent à la loterie et après avoir songé à repartir chacun de leur côté, sur la proposition de l’un deux (Jean interprété par Jean Gabin) ils rénovent une guinguette. Bientôt la femme (Gina interprété par Viviane Romance) de l’un d’entre eux Charles (interprété par Charles Vanel) fait sa « ré »apparition. Les choses se compliquent lorsqu’un autre en tombe amoureux. La solidarité et l’amitié sont au centre des séparations, de la mort ou des rivalités amoureuses et selon les versions elles en auront raison ou non. Dès le générique le spectateur est plongé dans une atmosphère particulière : des arbres sont filmés en contre-plongée à partir d’un canot glissant sur l’eau. C’est l’époque des congés payés, le décor est planté : c’est celui d’un dimanche à la campagne qui fait immédiatement écho au vécu du spectateur de l’époque. Ainsi il n’est certainement pas anodin que Charles Vanel et Jean Gabin portent leurs propres prénoms dans le film. Ils participent certainement de la confusion entre la réalité historique et celle retranscrite par le film et donc à l’identification du spectateur de l’époque. Les loisirs à l’honneur en 1936 le sont aussi dans le film. Une référence explicite aux congés payés est faite par une affiche qui titre : « Pourquoi se morfondre à Paris ? Stockez de la santé parmi les neiges éternelles. » La chanson est aussi une référence explicite, véritable leitmotiv du film elle rythme d’ailleurs déjà le générique avec« Quand on se promène au bord de l’eau ». Cette référence aux congés payés est corroborée dans l’évocation de « la promenade au bord de l’eau »où « tout est beau », un « renouveau », »le bonheur(qui)sourit pour pas cher », « le dimanche au bord de l’eau » qui s’oppose au « lundi jusqu’au samedi pour gagner des radis », au »propriétaire, au percepteur », « Paris au loin(qui)semble une prison », « la vie de chien ». Cette chanson récurrente n’est pas la seule qui rythme le film, c’est aussi la Marseillaise provenant du poste de radio. Quel chant plus symptomatique que celui-là du climat de l’époque, symbole d’un élan social et populaire qui en rappelle un autre ? Les cinéastes y eurent en effet souvent recours et Renoir l’utilisa même comme titre de film. Au-delà de l’atmosphère ce sont surtout les thèmes abordés plus ou moins en filigrane qui font référence au contexte de 1936. L’affiche déjà mettait en exergue le thème principal du film : elle mettait en scène cinq silhouettes se tenant par la main. (cf affiche en annexe) Après leurs rêves individualistes ou du moins individuels les cinq amis décident de mettre l’argent en commun et de se « tenir la main » pour créer une guinguette. Jean les rappelle en effet à la solidarité « J’croyais qu’on était des frères ». C’est donc lui qui a l’idée d’une guinguette et communique son enthousiasme aux autres et qui ne cessera de faire l’éloge de l’amitié : « un bon copain ça vaut mieux que toutes les femmes du monde entier », « au fond on veut tous la même chose, la liberté », »aucun de nous peut l’avoir seul. C’est donc ensemble qu’ils construisent la guinguette et ensemble qu’ils protègent Mario, réfugié politique espagnole recherché par la police. Leur solidarité s’oppose à l’égoïsme des propriétaires. Le seul nom de l’établissement est symptomatique de leur amitié : « Chez nous » et l’enseigne représente deux mains qui s’entrelacent, ce qui fera dire à l’ancien propriétaire « C’est naïf mais c’est gentil », ce à quoi Jean Répondra « c’est pas gentil, c’est beau ». L’effervescence qui règne alors est-elle aussi naïve ? Le rêve d’ascension sociale qui est le leur est-il chimérique ? Gabin dit ainsi « Ici c’est une République où tous les citoyens sont le Président ». La guinguette est donc l’emblème de la liberté et de la fraternité. Les termes amitié et liberté sont d’ailleurs accolés à celui de République : « Je vais boire le coup de l’amitié, de la liberté et de la République ». Cette amitié et cette liberté sont donc resituées dans le cadre de la République. Avec un plaisir jubilatoire pour le spectateur Duvivier filme le bonheur populaire qui émane de cette guinguette où se retrouve une foule bigarrée. Tout comme la fatalité plane sur l’époque, des menaces planent néanmoins sur ce bonheur. Le premier obstacle est celui de la loi puisque Mario, le réfugié espagnol, est expulsé. Le deuxième est représenté par les femmes. Jacques part au Canada car amoureux d’Huguette il ne veut pas trahir son ami. Gina qui ne veut plus de son époux(Charles Vanel) entretient une liaison avec l’ami de ce dernier. La mort, la fatalité constituent d’autres obstacles matérialisés notamment lorsque Tintin tombe du toit en voulant y planter le drapeau des travailleurs. Enfin l’argent menace ce bonheur, celui que Gina réclame à Charles et celui que Jacques, Mario et Tintin avaient emprunté en cachette à l’ancien propriétaire. Pour Jean c’est toujours l’amitié qui prime, il renoncera pour elle à la femme qu’il aime. On ne peut donc pas voir dans La belle équipe une œuvre politique. Le chômage n’y est toujours évoqué qu’en toile de fond et la situation d’exilé politique de Mario ne semble être là que pour pimenter le scénario. Et si le patron de l’hôtel du roi d’Angleterre dit au début que les chômeurs sont « un tas de fainéants qui cherchent du travail en priant le bon dieu de ne pas en trouver », la critique sociale n’ira guère plus loin. Ce film ne peut en effet être qualifié de militant même s’il illustre les valeurs du Front Populaire comme la solidarité et la fraternité prônées par Jean. C’est d’ailleurs ce manque d’engagement qui sera parfois reproché à Duvivier. Dans La Flèche, nous pouvons lire en effet que ce film n’est « qu’un bon fait divers par manque de portée révolutionnaire, accusant la fatalité, non le cadre social ». Si la fatalité est désignée comme responsable des maux des protagonistes le cadre social n’en est pas moins présent.
    • Un dénouement à l’image de son époque
    •  Duvivier a souvent été considéré comme un cinéaste pessimiste, il n’est donc pas étonnant que cette fin ait eu sa préférence. Avant même que la fin ne soit évoquée, ce film tout entier, s’il fait référence à une période d’effervescence n’en est pas moins imprégné de pessimisme. La fatalité pèse ici aussi même si elle est moindre par rapport à d’autres films de l’époque. Le sifflement du train rappelle régulièrement les cinq amis à la réalité : le sifflement du départ qui menace. La fatalité c’est aussi celle qui cause la mort d’un des cinq compères (Tintin, lorsqu’il tombe du toit) ou encore le départ d’un autre. Le pessimisme est aussi celui de la nostalgie de la grand-mère qui voit sa petite-fille partir. C’est aussi le désespoir signifié par le silence des deux amis qui se retrouvent seuls après que la maison ait été ampli de bruit. C’est après la projection spéciale au cinéma Le Dôme à La Varenne-Saint-Hilaire que la production décida d’en modifier le dénouement. Les 366 spectateurs présents eurent à choisir entre deux fins. Le happy end a été approuvé par 305 d’entre eux. Dans la première version cette histoire de guinguette achetée en commun par des ouvriers s’achevait sur la séparation des amis et les deux derniers s’entretuaient pour une femme. Duvivier et son scénariste Charles Spaak n’avaient pourtant pas caché leur préférence pour cette fin tragique. Après la projection spéciale de la Belle équipe la production a décidé d’en modifier le dénouement, le happy end ayant été approuvé par 305 spectateurs sur 366 .Le dilemme posé par le choix de la fin de la Belle équipe : fin pessimiste ou optimiste, est aussi celui du climat qui divise la société française, une société encore euphorique et qui ressent les effets du Front Populaire mais qui commence aussi à percevoir la montée des périls. En tout cas en 1936, les Français ont envie de se distraire et préfèrent ignorer la menace qui gronde outre-Rhin, ils préfèrent célébrer la victoire de la fraternité plutôt qu’imaginer la défaite du Front Populaire à laquelle le célèbre « C’était une belle idée…c’était une belle idée. C’était trop beau pour réussir.» fait référence. Les Français ne veulent pas regarder le Front Populaire comme une utopie, un passé et un rêve révolus comme Jean qui, tout en prononçant cette dernière phrase, regarde les vestiges de la fête dans sa guinguette. Les Français ont préféré une espérance rose à un cinéma noir. Toute la différence entre les deux fins se trouve dans le montage. Les derniers plans de la fin pessimiste sont originaux tandis que la fin optimiste reprend des plans déjà utilisés, dans une chronologie repensée. Un seul plan a été tourné deux fois avec un texte et un jeu de scène antithétiques. Le dénouement heureux est aujourd’hui considéré comme le meilleur, la fin tragique étant en contradiction avec la psychologie des personnages. En effet, c’est Jean qui a insisté pour que tous se réunissent pour mener à bien ce projet, c’est lui encore qui a voulu quitter Gina pour ne pas entraver son amitié avec Charles. La fin suivant laquelle il tuait ce dernier manquait donc de crédibilité et annihilait même ce qui faisait la force et la singularité du film : cette atmosphère de fraternité. La psychologie de Jean est d’ailleurs résumée dans cette phrase qu’il adresse à Gina : « la plus belle nuit de ma vie je l’ai passée sur un toit ». C’est en effet là que les 5 amis passeront la nuit, en pleine tempête et sous la pluie afin d’éviter que les tuiles qu’il venait d’installer ne tombent du toit. Malgré et le vent et la pluie ils passeront la nuit à chanter et surtout tous ensemble. Dès le début du film l’issue heureuse dans laquelle il privilégie l’amitié à l’amour semble annoncée. Ainsi, pour Jean, « Un bon copain, ça vaut mieux que toutes les femmes du monde entier. »Duvivier n’eut pourtant de cesse de montrer ensuite la fin heureuse qui reste aujourd’hui sous-titrée seulement en allemand. Si ce film n’est pas engagé, il reste donc éminemment révélateur de son époque, notamment pour le recours à ses thèmes particuliers : la solidarité « la coopérative », et par ses héros (des ouvriers). Deux aspects qui rappellent le film auquel il fut souvent comparé : Le Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir dont je vous proposerai très bientôt aussi mon analyse.

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  • Portrait de Claude Sautet, cinéaste: chef d'orchestre de génie et/ou peintre de la société et de l'âme

    « Mon festival du cinéma », dans cette nouvelle rubrique « Travellings avant sur des cinéastes », vous fait (re)découvrir un cinéaste par mon approche personnelle de son univers. Cette rubrique n’a ni la prétention du didactisme ni celle de l’exhaustivité, juste l’objectif de vous faire partager ma passion pour un cinéaste en aspirant à vous donner envie de (re)voir ses films.

     

    Il y a les cinéastes qui vous font aimer le cinéma, ceux qui vous donnent envie d’en faire, ceux qui vous font appréhender la vie différemment, voire l’aimer davantage encore. Claude Sautet, pour moi, réunit toutes ces qualités. Cet article est le premier d’une série qui sera consacrée à ce cinéaste. Très bientôt vous pourrez retrouver mes critiques de ses films.

     

    « Les films de Claude Sautet touchent tous ceux qui privilégient les personnages par rapport aux situations, tous ceux qui pensent que les hommes sont plus importants que ce qu’ils font (..). Claude Sautet c’est la vitalité. » (François Truffaut)

     

    Un cinéma de la dissonance

     

    Sur la tombe de Claude Sautet au cimetière Montparnasse, il est écrit : « Garder le calme devant la dissonance », voilà probablement la phrase qui définirait aussi le mieux son cinéma : d’abord parce-que son cinéma est un cinéma de la dissonance, de l’imprévu, de la note inattendue dans la quotidienneté et ensuite parce-que cette épitaphe fait référence à la passion de Claude Sautet pour la musique. Claude Sautet a ainsi été critique musical au journal Combat, un journal de la Résistance, il avait ainsi une vraie passion pour le jazz et pour Bach, notamment. Il a par ailleurs consacré un film entier à la musique, Un cœur en hiver, (d’après un recueil de nouvelles de Lermontov : Un héros de notre temps) le meilleur selon moi, certainement le film que j’ai le plus revu, tant les personnages y sont ambivalents, complexes, bref humains, et tout particulièrement le personnage de Stéphane interprété par Daniel Auteuil, le « cœur en hiver », pouvant donner lieu à une interprétation différente à chaque vision du film.

     

    Un peintre des sentiments et de la société ?

     

    Je disais « dépeindre » car Claude Sautet est souvent évoqué comme le « peintre de la société française » ou encore comme le "peintre des sentiments ». Pour la première expression, qu’il récusait d’ailleurs, s’il est vrai que la plupart de ses films sont des tableaux de la société contemporaine, notamment de la société d’après 1968, et de la société pompidolienne, puis giscardienne, et enfin mitterandienne ses personnages et les situations dans lesquelles il les implique sont avant tout universels, un peu comme La Comédie Humaine peut s’appliquer aussi bien à notre époque qu’à celle de Balzac.

     

    Concernant l’expression « peintre des sentiments » il est vrai que rarement un cinéaste aura su esquisser aussi bien les passions contenues et les tourments de l’âme humaine. Pour moi Claude Sautet est pourtant davantage un chef d’orchestre de génie qu’un peintre. D’abord, parce-que ses films ont un véritable aspect chorégraphique, Garçon et sa mise en scène chorégraphiée qui est aussi un hommage à Tati en est la preuve flagrante, Claude Sautet y montrant la vie d’une grande brasserie filmée comme un théâtre en mouvement perpétuel, ensuite parce-que le tempo de ses films est réglé comme une partition musicle, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition.

     

    L'unité dans la diversité

     

     Pour qualifier son cinéma et l'unité qui le caractérise malgré une diversité apparente, nous pourrions ainsi paraphraser cette devise de l’Union européenne. Certes a priori, L’arme à gauche est très différent de Vincent, François, Paul et les autres, pourtant si son premier film  Classe tous risques  est un polar avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo ( Bonjour sourire, une comédie, a été renié par Claude Sautet qui n’en avait assuré que la direction artistique), nous pouvons déjà y trouver ce fond de mélancolie qui caractérise tous ses films.

    Il faudra attendre Les choses de la vie en 1969 pour que Claude Sautet connaisse la notoriété.

    Et en 1971, s’il revient au polar avec Max et les ferrailleurs, c’est pourtant avant tout un film très noir, tragique même, une étude de mœurs qui se caractérise par l’opacité des sentiments des personnages.

    Tous ses films se caractérisent d’ailleurs par le suspense (il était fasciné par Ford et Hawks ) : le suspense sentimental avant tout, concourant à créer des films toujours haletants et fascinants.

     

    Un cinéma de l’implicite et de l’incertitude

     

    Claude Sautet citait ainsi souvent la phrase de Tristan Bernard : « il faut surprendre avec ce que l’on attend ». On ne peut certainement pas reprocher au cinéma de Claude Sautet d’être démesurément explicatif, c’est au contraire un cinéma de l’implicite, des silences et du non dit.

    Dans Nelly et M. Arnaud se noue ainsi une relation ambiguë entre un magistrat à la retraite, misanthrope et solitaire, et une jeune femme au chômage qui vient de quitter son mari. Au-delà de l’autoportrait ( Serrault y ressemble étrangement à Sautet ), c’est l’implicite d’un amour magnifiquement et pudiquement esquissé, composé jusque dans la disparition progressive des livres d'Arnaud, dénudant ainsi sa bibliothèque et faisant réfèrence à sa propre mise à nu. La scène pendant laquelle Arnaud regarde Nelly dormir, est certainement une des plus belles scènes d’amour du cinéma: silencieuse, implicite, bouleversante. Le spectateur retient son souffle, le suspense, presque hitchcockien y est à son comble. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu'il a initié: le thriller des sentiments.

     

     Pascal Jardin disait  de Claude Sautet qu’il « reste une fenêtre ouverte sur l’inconscient ». Ainsi, dans un Cœur en hiver, c’est au cours des répétitions d’un enregistrement de deux sonates et d’un trio de Ravel que les rapports ambigus des personnages se dévoilent : leurs regards sont plus explicites que n’importe quel discours. L’incertitude n’est donc pas seulement sociale mais également affective. Sautet aimait ainsi tout particulièrment La peau douce de Truffaut, ceci expliquant peut-être cela...

     

    Des caractéristiques communes

     

    Les films de Sautet ont tous des points communs : le groupe, (dont Vincent, François, Paul et les autres est le film emblématique), des personnages face à leurs solitudes malgré ce groupe, ses scènes de café,( « A chaque film, avouait Sautet, je me dis toujours : non, cette fois tu n'y tournes pas. Et puis, je ne peux pas m'en empêcher. Les cafés, c'est comme Paris, c'est vraiment mon univers. C'est à travers eux que je vois la vie. Des instants de solitude et de rêvasseries. ») les personnages filmés à travers les vitres de ces mêmes cafés, ses scènes de pluie qui sont souvent un élément déclencheur, ses scènes de colère (peut-être inspirées par les scènes de colère incontournables dans les films de Jean Gabin, Sautet ayant ainsi revu Le jour se lève …17 fois en un mois!), des femmes combatives souvent incarnées par Romy Schneider puis par Emmanuelle Béart, des fins souvent ouvertes et avant tout un cinéma de personnages : César, Rosalie, Nelly, Arnaud, Vincent, François, Paul, Max, Mado, …et les autres, des personnages égarés affectivement et/ou socialement, des personnages énigmatiques et ambivalents.

     

    Un cinéma du désenchantement enchanteur

    Claude Sautet en 14 films a imposé un style, des films inoubliables, un cinéma du désenchantement enchanteur, d'une savoureuse mélancolie, de l’ambivalence et de la dissonance jubilatoires, une symphonie magistrale dont chaque film est un morceau unique indissociable de l’ensemble.

     

    Il a signé aussi bien des "drames gais" avec César et Rosalie, ou encore le trop méconnu, fantasque et extravagant Quelques jours avec moi, un film irrésistible, parfois aux frontières de l’absurde, des films plus politiques notamment le très sombre Mado dans lequel il dénonce l’affairisme et la corruption…

     

    Claude Sautet disait lui-même que ses films n’étaient pas réalistes mais des fables. Son univers nous envoûte en tout cas, et en retranscrivant la vie à sa « fabuleuse » manière, il l’a indéniablement magnifiée. Certains lui ont reproché son classicisme, pour le manque de réflexivité de son cinéma, comme on le reprocha aussi à Carné dont Sautet admirait tant Le jour se lève. On lui a aussi reproché de toujours filmer le même milieu social (bourgeoisie quinquagénaire et citadine). Qu’importe, un peu comme l’ours en peluche du Jour se lève qui a un œil qui rit et un autre qui pleure, nous ressortons de ses films, entre rires et larmes, bouleversés, avec l’envie de vivre plus intensément encore car là était le véritable objectif de Claude Sautet : nous « faire aimer la vie »…et il y est parvenu, magistralement. Personne après lui n’a su nous raconter des « histoires simples » aux personnages complexes qui nous parlent aussi bien de « choses de la vie ».

    Né à Montrouge (près de Paris) en 1924, Claude Sautet est mort à Paris le samedi 22 juillet 2000 à l'âge de soixante-seize ans…

     

    Longs-métrages réalisés par Claude Sautet

    Bonjour sourire (1955)

    Classe tous risques (1960)

     L'Arme à gauche (1965)

    Les Choses de la vie (1970)

     Max et les Ferrailleurs (1970)

    César et Rosalie (1972)

    Vincent, François, Paul et les autres (1974)

    Mado (1976)

    Une histoire simple (1978)

     Un mauvais fils (1980)

    Garçon ! (1983)

    Quelques jours avec moi (1988)

    Un coeur en hiver (1991)

     Nelly et Monsieur Arnaud (1995)

     

    A voir : le documentaire de N.T.Binh Claude Sautet ou la magie invisible , festival de Cannes 2003.

    A noter: Claude Sautet a également travailler comme ressemeleur de scénarii pour de nombreux cinéastes et notamment sur  (parmi de nombreux autres films ) Borsalino de Jacques Deray.

     

    Retrouvez très bientôt sur ce blog des critiques des films de Claude Sautet , l'article ci-dessus sera par ailleurs complèté.

    Sandra Mézière

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  • Une place pour l'Enfer oppressant de Tanovic...

    Une longue file de spectateurs fébriles attend devant le cinéma MK2. L’enfer attirerait-il autant de spectateurs ? Non, ces spectateurs là prennent la direction du non moins inquiétant Poudlard. Ma file est celle d’à côté où quelques spectateurs (Distraits ? Egarés ? Persuadés d’assister à une rétrospective Chabrol, confortés dans leur certitude par la présence d’Emmanuelle Béart au casting ? D’ailleurs qu’est-ce donc que cette nouvelle mode de reprendre des titres de chefs d’œuvre, Krawczyk ayant ainsi aussi repris le titre de La vie est à nous pour son film qui sort le 7 décembre, le pauvre Renoir doit s’en retourner dans sa tombe) attendent patiemment, courageusement surtout. Je ne me décourage pas pour autant et demande ma place pour l’Enfer, le sourire aux lèvres, impatiente d’en connaître les dédales, encore marquée par le précèdent chef d’œuvre de Tanovic, No man’s land qui, avec un humour noir savoureux et intelligence, traitait du conflit bosniaque et pour lequel Tanovic avait notamment été primé du prix du scénario à Cannes en 2001 et de l’Oscar du meilleur film étranger. Après un tel succès, l’attente et la pression sont évidemment énormes pour ce second long-métrage.

    Le conflit n’est plus ici politique mais familial, Tanovic nous dressant les portraits croisés de trois sœurs traumatisées par le drame familial qu’elles ont vécu dans leur enfance, trois sœurs qui survivent chacune de leur côté, trois sœurs désemparées, passionnées, interprétées par Emmanuelle Béart, Marie Gillain et Karin Viard.

    Alors certes Tanovic use et abuse des métaphores et réflexions philosophiques qui alourdissent quelque peu le récit, mais cela n’enlève rien à l’intensité oppressante de cet enfer intime. La caméra encercle les protagonistes comme leur passé les emprisonne. Un rouge kieslowskiesque sur lequel évoluent des personnages parfois vêtus de noir teinte de nombreuses scènes leur procurant des allures d’abîmes infernaux. Mais surtout le malaise nous envahit peu à peu, saisis d’empathie et d'angoisse pour  et avec ces personnages prisonniers de leur passé étouffant et de leurs existences trop étriquées. Personnages désemparés qui aspirent à ce regard de l’autre qui leur échappe.

     L’enfer ici ce n’est pas les autres, c’est l’absence du regard des autres. Un regard nécessaire, qu'elles implorent toutes trois à leur manière. L’enfer c’est encore ici le regard inoubliable et obsédant sur cet autre qui a apparemment commis l’innommable. L'enfer c'est le passé que l'on tente d'enfouir mais qui imprègne chaque moment de leurs existences.

    Non, le véritable lynchage médiatique n’était pas mérité. Alors évidemment la différence de style avec No man’s land peut déconcerter mais il ne s’agit là que d’un second long-métrage quand bien même le premier ait été un véritable chef d’œuvre, l'indulgence est donc requise. Tanovic parvient à nous secouer, nous transporter dans les douleurs indicibles de ces 3 femmes, nous qui sommes pourtant habitués à cette frénésie visuelle sensée anesthésier nos émotions. Le malaise qui s’immisce dans la vie de ces personnages depuis leur enfance et la noircit s’empare peu à peu de nous, atteignant son paroxysme à la dernière seconde du film. Seconde violente et irréfutable qui donne toute sa force à cette plongée en enfer.

    Un Enfer qui mérite qu’on se risque à en franchir les portes…ne serait-ce que pour le plaisir inoffensif de demander une place pour l’Enfer au guichet, ce qui ne vous empêcher pas de prendre la direction de Poudlard une autre fois, moi également…

    Sandra Mézière

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