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Critiques de "Black swan" de Darren Aronofksy (ce 8 Mai 2012, sur Canal +) et "Les Chaussons rouges" de Powell et Pressburger

La programmation de "Black swan" demain soir, à 20H55, sur Canal plus, est pour moi l'occasion de vous proposer à nouveau ma critique de ce film à ne pas manquer ainsi que celle des "Chaussons rouges" film auquel il a souvent été comparé.

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Nina (Natalie Portman) est ballerine au sein du très prestigieux New York City Ballet. Elle (dé)voue sa vie à la danse et partage son existence entre la danse et sa vie avec sa mère Erica (Barbara Hershey), une ancienne danseuse. Lorsque Thomas Leroy (Vincent Cassel), le directeur artistique de la troupe, décide de remplacer la danseuse étoile Beth Mcintyre (Winona Ryder) pour leur nouveau spectacle « Le Lac des cygnes », Nina se bat pour obtenir le rôle. Le choix de Thomas s’oriente vers Nina même si une autre danseuse, Lily, l’impressionne également beaucoup, Nina aussi sur qui elle exerce à la fois répulsion et fascination. Pour « Le Lac des cygnes », il faut une danseuse qui puisse jouer le Cygne blanc, symbole d’innocence et de grâce, et le Cygne noir, qui symbolise la ruse et la sensualité. Nina en plus de l’incarner EST le cygne blanc mais le cygne noir va peu à peu déteindre sur elle et révéler sa face la plus sombre.

 

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« Black swan » n’est pas forcément un film d’emblée aimable (ce qui, pour moi, est une grande qualité quand les synopsis des films ressemblent trop souvent à des arguments marketing) : il se confond ainsi avec son sujet, exerçant tout d’abord sur le spectateur un mélange de répulsion et de fascination, entrelaçant le noir et le blanc, la lumière (de la scène ou de la beauté du spectacle, celle du jour étant quasiment absente) et l’obscurité, le vice et l’innocence mais le talent de cinéaste d’Aronofsky, rusé comme un cygne noir, et de son interprète principale, sont tels que vous êtes peu à peu happés, le souffle suspendu comme devant un pas de danse époustouflant.

 

« Black swan » à l’image de l’histoire qu’il conte (le verbe conter n’est d’ailleurs pas ici innocent puisqu’il s’agit ici d’un conte, certes funèbre) est un film gigogne, double et même multiple. Jeu de miroirs entre le ballet que Thomas met en scène et le ballet cinématographique d’Aronofsky. Entre le rôle de Nina dans le lac des cygnes et son existence personnelle. Les personnages sont ainsi à la fois doubles et duals : Nina que sa quête de perfection aliène mais aussi sa mère qui la pousse et la jalouse tout à la fois ou encore Thomas pour qui, tel un Machiavel de l’art, la fin justifie les moyens.

 

Aronofsky ne nous « conte » donc pas une seule histoire mais plusieurs histoires dont le but est une quête d’un idéal de beauté et de perfection. La quête de perfection obsessionnelle pour laquelle Nina se donne corps et âme et se consume jusqu’à l’apothéose qui, là encore, se confond avec le film qui s’achève sur un final déchirant de beauté violente et vertigineuse, saisissant d’émotion.

 

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Par une sorte de mise en abyme, le combat (qui rappelle celui de « The Wrestler ») de Nina est aussi celui du cinéaste qui nous embarque dans cette danse obscure et majestueuse, dans son art (cinématographique) qui dévore et illumine (certes de sa noirceur) l’écran comme la danse et son rôle dévorent Nina. L’art, du cinéma ou du ballet, qui nécessite l'un et l'autre des sacrifices. Le fond et la forme s’enlacent alors pour donner cette fin enivrante d’une force poignante à l’image du combat que se livrent la maîtrise et l’abandon, l’innocence et le vice.

 

Quel talent fallait-il pour se montrer à la hauteur de la musique de Tchaïkovski (qui décidément inspire ces derniers temps les plus belles scènes du cinéma après « Des hommes et des dieux ») pour nous faire oublier que nous sommes au cinéma, dans une sorte de confusion fascinante entre les deux spectacles, entre le ballet cinématographique et celui dans lequel joue Nina. Confusion encore, cette fois d’une ironie cruelle, entre l'actrice Winona Ryder et son rôle de danseuse qui a fait son temps. Tout comme, aussi, Nina confond sa réalité et la réalité, l’art sur scène et sur l’écran se confondent et brouillent brillamment nos repères. Cinéma et danse perdent leur identité pour en former une nouvelle. Tout comme aussi la musique de Clint Mansell se mêle à celle de Tchaïkovski pour forger une nouvelle identité musicale.

 

La caméra à l’épaule nous propulse dans ce voyage intérieur au plus près de Nina et nous emporte dans son tourbillon. L’art va révéler une nouvelle Nina, la faire grandir, mais surtout réveiller ses (res)sentiments et transformer la petite fille vêtue de rose et de blanc en un vrai cygne noir incarné par une Natalie Portman absolument incroyable, successivement touchante et effrayante, innocente et sensuelle, qui réalise là non seulement une véritable prouesse physique (surtout sachant qu’elle a réalisé 90% des scènes dansées !) mais surtout la prouesse d’incarner deux personnes (au moins...) en une seule et qui mérite indéniablement un Oscar.

 

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Un film aux multiples reflets et d’une beauté folle, au propre comme au figuré, grâce à la virtuosité de la mise en scène et de l’interprétation et d’un jeu de miroirs et mise(s) en abyme. Une expérience sensorielle, une danse funèbre et lyrique, un conte obscur redoutablement grisant et fascinant, sensuel et oppressant dont la beauté hypnotique nous fait perdre (à nous aussi) un instant le contact avec la réalité pour atteindre la grâce et le vertige.

 

Plus qu’un film, une expérience à voir et à vivre impérativement (et qui en cela m’a fait penser à un film certes a priori très différent mais similaire dans ses effets : « L’Enfer » d’Henri-Georges Clouzot) et à côté duquel le « Somewhere » de Sofia Coppola qui lui a ravi le lion d’or à Venise apparaît pourtant bien fade et consensuel...

 

Ci-dessous ma vidéo du débat après la projection : Darren Aronofsky y explique notamment la genèse du film.

 

 

 

Bande-annonce du film:

 

 

 

 

 

 

 

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Critique - "Les Chaussons rouges"

Les Chaussons rouges : affiche Emeric Pressburger, Michael Powell

 

"Les Chaussons rouges" avaient à nouveau créé l’événement à Cannes en 2009, soit soixante ans après sa sortie, en faisant l’ouverture de Cannes classics, en version restaurée, une belle revanche sachant que les financiers refusèrent de sortir le film en salles, en 1949, le jugeant alors inintéressant. Il fut ainsi condamné à être projeté en séance de minuit et la presse le jugea trop « dur ». Sans compter que Spielberg, Coppola et Scorsese le citent régulièrement comme référence et que « Les Chaussons rouges » a été élu le 9e meilleur film britannique du XXe siècle d'après un sondage élaboré par le British Film Institute auprès d'une centaine de professionnels du cinéma. C’est donc avec une curiosité aiguisée que j’ai découvert ce film.

 

Synopsis : Le célèbre impresario Boris Lermontov (Anton Walbrook) qui dirige une troupe de ballet éponyme se laisse persuader par la jeune danseuse Victoria Page (Moira Shearer) de l’engager tandis qu’il engage également un jeune compositeur, Julian Craster (Marius Goring). Il décide de monter un projet d’une ampleur inégalée : un nouveau ballet intitulé « Les Chaussons rouges » et inspiré du conte d’Andersen. Julian Craster devra le composer et Victoria Page le danser. Lermontov est exigeant et intransigeant et leur demande de se consacrer uniquement à leurs carrières…et même de tout y sacrifier, ce qui se complique lorsque Victoria et Julian tombent amoureux…

 

La violence qui fut reprochée au film paraît sans doute bien dérisoire aujourd’hui si on la compare par exemple à celle d’un succès récent comme « Drive » mais celle du premier n’en a pour moi que plus d’impact, de force, de beauté douloureuse. La violence est celle d’une chute inextricable, d’un étau destructeur qui broie les artistes à qui on demande de choisir entre l’art et l’amour (la vie) afin qu’ils se consacrent entièrement à leur art.

 

« Pourquoi voulez-vous danser ? » demande ainsi Lermontov à Victoria Page au début du film. « Pourquoi voulez-vous vivre ? » lui rétorque-t-elle. Telles sont les passionnantes questions au centre du film. Est-il possible de vivre et créer ? Créer ne doit-il pas impliquer de tout sacrifier, y compris la vie que l’art, souvent, exalte et sublime ? Un choix binaire, un dilemme que semblent refléter d’autres titres de films de Powell comme « Une question de vie ou de mort », ce qu’est finalement aussi l’art quand sa nécessité est aussi viscérale.

 

Mais ce que je vous dis là peut sembler bien conceptuel et ne doit pas faire oublier la magnificence et la flamboyance visuelles de ce film (dont Martin Scorsese dit que c’est « le plus beau film en technicolor ») qui culminent lors d’une fameuse scène de ballet de 17 minutes. Une scène éblouissante au cours de laquelle les spectateurs du film deviennent aussi les spectateurs du ballet, éblouis, fascinés, une scène onirique et réaliste à la fois, une scène pendant laquelle vie et art (danse, cinéma) se confondent.

 

La réussite de cette scène doit beaucoup à la mise en scène, aux 120 peintures (signées Hein Heckroth) qui ont servi de décor mais aussi à la magnifique interprétation de Moira Shearer, étoile montante du ballet britannique qui fut choisie pour ce rôle inoubliable et dont la flamboyance de la chevelure fait écho à celle de ce ballet vertigineux qui mobilisa pas moins de 53 danseurs. Le film obtint ainsi deux oscars, l’un pour le décor et l’autre pour ma musique, l’Académie rendant ainsi hommage à la somptuosité de cette séquence.

 

Ce ballet raconte l’histoire du conte d’Andersen « Les Souliers rouges » dans lequel une jeune femme trouve une paire de souliers rouges qui lui plaisent énormément. Elle les porte et danse alors avec bonheur, grâce et légèreté, jusqu’à l’épuisement mais lorsque, exténuée, elle veut s’arrêter de danser, les chaussons, eux, continuent de danser encore et encore… Evidemment, c’est aussi la métaphore du destin de Victoria : la danse plus forte que la fatigue, que la vie qu’elle emporte… Nous revoyons le ballet à la fin du film dans une scène d’une tristesse infinie puisque le ballet se déroule sans Victoria mais l’art, malgré tout, l’art et ses exigences qui l’ont tuée, lui survivent.

 

Lermontov incarne le créateur intransigeant (celui en lequel peuvent se reconnaître aussi des cinéastes qui ont tant admiré ce film, ou même l’ont directement cité dans leurs propres films, comme Coppola), jaloux non pas d’amour, mais que sa créature lui échappe et se consacre à autre chose qu’à ce qui importe pour lui plus que tout le reste, sa « religion » : l’art, la danse qui mérite tous les sacrifices.

 

La beauté mélancolique et tragique du film réside dans le choix de Victoria qui préfère la mort à la résolution de ce dilemme insoluble : l’art ou l’amour. La fin contraste avec cette scène du début où des jeunes amoureux de musiques et de ballets se ruent dans le théâtre pour assister au ballet mais la voracité de leur désir (de voir, d’écouter), fait aussi écho à cet art vorace qui dévorera Victoria.

 

Le DVD propose une explication de la restauration du film par Scorsese mais aussi un documentaire sur la genèse du film et sa réception, une rencontre avec Thelma Schoonmaker (épouse de Michael Powell) et une autre surprise que je vous laisse découvrir!

 

L’occasion de découvrir ou revoir ce film d’une beauté et d’une flamboyance enivrantes et mélancoliques, un drame musical, un conte obscur à la magnificence éblouissante qui sublime l’art toute en le montrant dans sa redoutable et somptueuse voracité et véracité.

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