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"Shutter island" de Martin Scorsese disponible demain en DVD et Blu-ray : critique du film

Parce que "Shutter island" de Scorsese reste pour moi encore le meilleur de 2010 (même si j'attends beaucoup d'"Inception" de Christopher Nolan, j'en profite d'ailleurs pour vous annoncer que je verrai prochainement le film en avant-première et que je serai présente à la conférence de presse de toute l'équipe du film. Compte rendu à suivre donc sur ce blog début juillet), je ne pouvais pas ne pas vous en parler à nouveau à l'occasion de sa sortie en DVD et Blu-ray demain. Si vous ne l'avez pas encore vu, je ne peux que vous le recommander!

CRITIQUE DU FILM

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Cela faisait longtemps. Longtemps que j'entendais parler de cette adaptation tant attendue du best seller de 2003 de Dennis Lehane (que je n'ai pas lu et qui est également l'auteur de best-sellers ayant donné lieu à d'excellentes adaptations cinématographiques comme « Mystic river » de Clint Eastwood et, dans une moindre mesure, « Gone baby gone » de Ben Affleck). Longtemps que je n'avais pas ressenti un tel choc cinématographique. Longtemps qu'un film ne m'avait pas autant hantée des heures après l'avoir vu... Un grand film, c'est en effet comme un coup de foudre. Une évidence. Une évidence qui fait que les mots à la fois manquent et se bousculent. Je vais essayer de trouver les plus justes pour vous faire partager mon enthousiasme sans trop en dévoiler.

Avant toute chose, il faut que je vous présente « Shutter island ». Shutter island est une île au large de Boston sur laquelle se trouve un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. Une île séparée en trois bâtiments : un pour les femmes, un pour les hommes et un pour les criminels les plus dangereux, enfin quatre si on compte son phare qui détient la clef de l'énigme. En 1954, l'une des patientes, Rachel Solando, a mystérieusement disparu... alors que sa cellule était fermée de l'extérieur, laissant pour seul indice une suite de lettres et de chiffres. Le marshal Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et son coéquipier Chuck  Aule (Mark Ruffalo) sont envoyés sur place pour résoudre cette énigme... Alors qu'une forte tempête s'abat sur l'île isolée, une plongée dans un univers étrange, sombre, angoissant s'annonce alors pour Teddy qui devra aussi affronter ses propres démons.

Rarement un film aura autant et si subtilement fait se confondre la fond et la forme, le ressenti du personnage principal et celui du spectateur. Dès le premier plan, lorsque Teddy, malade, rencontre son coéquipier sur un ferry brinquebalant et sous un ciel orageux, Scorsese nous embarque dans l'enfermement, la folie, un monde mental qui tangue constamment, flou, brouillé. Tout est déjà contenu dans cette première scène : cette rencontre qui sonne étrangement, le cadre  qui enferme les deux coéquipiers et ne laisse voir personne d'autre sur le ferry, cette cravate dissonante, le mal de mer d'un Teddy crispé, le ciel menaçant, les paroles tournées  vers un douloureux passé.

Puis, c'est l'arrivée sur l'île et toute la paranoïa que Scorsese suggère en un plan : un visage informe, un regard insistant... En quelques plans subjectifs, Scorsese nous « met » dans la tête de Teddy, nous incite à épouser son point de vue, à ne voir et croire que ce que lui voit et croit. Nous voilà enfermés dans le cerveau de Teddy lui-même enfermé sur « Shutter island ». Avec lui, nous nous enfonçons dans un univers de plus en plus menaçant, sombre, effrayant, déroutant. L'étrangeté des décors gothiques, l'instabilité du climat coïncident avec cette fragilité psychique. Tout devient imprévisible, instable, fugace, incertain.

Commence alors la quête de vérité pour Teddy alors que surgissent des images du passé : des images de sa femme défunte et des images de l'horreur du camp de concentration de Dachau dont Teddy est un des "libérateurs", images qui se rejoignent et se confondent parfois. L'hôpital, autre univers concentrationnaire  rappelle alors les camps, avec ses êtres moribonds, décharnés, ses barbelés..., d'autant plus qu'il est dirigé par l'Allemand Dr Naehring. La guerre froide pendant laquelle se déroule l'intrigue, période paranoïaque par excellence, renforce de climat de suspicion. L'action est par ailleurs concentrée sur quatre jours, exacerbant encore l'intensité de chaque seconde, le sentiment d'urgence et de menace.

Chaque seconde, chaque plan font ainsi sens. Aucun qui ne soit superflu. Même ces images des camps dont l'esthétisation à outrance m'a d'abord choquée mais qui en réalité sont le reflet de l'esprit de Teddy qui enjolive l'intolérable réalité. Même (surtout) cette image envoûtante d'une beauté poétique et morbide qui fait pleuvoir les cendres.

A travers la perception de la réalité par Teddy, c'est la nôtre qui est mise à mal. Les repères entre la réalité et l'illusion sont brouillées.  A l'image de ce que Teddy voit sur Shutter island où la frontière est si floue entre l'une et l'autre, nous interrogeons et mettons sans cesse en doute ce qui nous est donné à voir, partant nous aussi en quête de vérité. Le monde de Teddy et le nôtre se confondent : un monde de cinéma, d'images trompeuses et troublantes qui ne permet pas de dissocier vérité et mensonge, réalité et illusion, un monde de manipulation mentale et visuelle.

Pour incarner cet homme complexe que le traumatisme de ses blessures cauchemardesques et indélébiles et surtout la culpabilité étouffent, rongent, ravagent, Leonardo DiCaprio, habité par son rôle qui, en un regard, nous plonge dans un abîme où alternent et se mêlent même parfois angoisse, doutes, suspicion, folie, désarroi (interprétation tellement différente de celle des "Noces rebelles" mais tout aussi magistrale qui témoigne de la diversité de son jeu). La subtilité de son jeu  fait qu'on y croit, qu'on le croit ; il est incontestablement pour beaucoup dans cette réussite. De même que les autres rôles, grâce à la duplicité des interprétations (dans les deux sens du terme): Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Emily Mortimer, Patricia Clarkson, Max von Sydow... 

Le maître Scorsese n'a pas son pareil pour créer une atmosphère oppressante, claustrophobique, pour déstabiliser les certitudes. Une œuvre pessimiste d'une maîtrise formelle et scénaristique impressionnante, jalonnée de fulgurances poétiques, dont chaque plan, jusqu'au dernier, joue avec sa et notre perception de la réalité. Un thriller psychologique palpitant et vertigineux. Une réflexion malicieuse sur la culpabilité, le traumatisme (au sens éthymologique, vcous comprendrez en voyant le film)  et la perception de la réalité dont le film tout entier témoigne de l'implacable incertitude. Ne cherchez pas la clef. Laissez-vous entraîner. « Shutter island », je vous le garantis, vous emmènera bien plus loin que dans cette enquête policière, bien plus loin que les apparences.

Un film multiple à l'image des trois films que Scorsese avait demandé à ses acteurs de voir  avant le tournage: « Laura » d'Otto Preminger, « La griffe du passé » de Jacques Tourneur, « Sueurs froides » d'Alfred Hitchcock.  Un film noir. Un film effrayant. Un thriller. En s'inspirant de plusieurs genres, en empruntant à ces différents genres, Martin Scorsese a créé le sien et une nouvelle fois apposé la marque de son style inimitable.

 Un film dont on ressort avec une seule envie : le revoir aussitôt. Un film brillant. Du très grand Scorsese. Du très grand cinéma. A voir et encore plus à revoir.

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Commentaires

  • Alors ça, c'est d'une cruauté sans nom !
    Si seulement je savais pleurer bien comme il faut !!!

  • Scorcese nous offre ici un ses films les plus mineurs... 2 étoiles tout de même car Di Caprio est une fois de plus impressionnant (il gagne encore en maturité) et Scorcese reste un maitre de la caméra. Première heure géniale qui tient ses promesses, un vrai thriller noir, alambiqué, sombre et mystérieux... Avant que la dernière demi-heure soit la fin la plus gâchée de Scorcese ! Comme si le réalisateur ne savait plus comment terminé son film. 20mn de blabla explicatif pour dénouer l'intrigue qui s'avère inexistante. On s'attendait à un vrai thriller alors qu'il s'agit d'un jeu de rôle que Scorcese n'a pu finir que dans une fin longue et bavarde. D'ailleurs vu la fin on s'aperçoit que le montage et le scénario ont des trous béants... Comment commencer le film sur le continent avant de prendre un bateau avec une telle fin ?!... Ca donne le film le plus bancal de Scorcese, 1ère heure à 4 étoile avant de s'engouffrer dans la bulle à la fin... Dommage.

  • Tout à fait d'accord, je suis totalement conquis aussi par le film !!!

  • Moi c'est un film que je classe dans les plus grandes déceptions de l'année... J'avais réussi à éviter toute les formes du marketing viral pour arriver en salle en ne sachant que deux choses, deux noms : Martin Scorsese, Leonardo DiCaprio (je fais la même chose avec Inception mais malheureusement, une affiche géante m'a attaquée dans les couloirs du métro parisien et je connais désormais le nom de deux actrices). J'étais donc vierge de toutes informations et au bout de qq minutes, j'ai compris ce qui se tramait et le fait la forme serve le récit m'a encore plus agacé : ça devient lourd, pompeux. J'ai trouvé les scènes oniriques et les flashbacks ridicules, ça m'a rappelé cette série B sur M6, "Au delà du réel".
    Alors oui, Leonardo DiCaprio joue bien, mais on le savait déjà avant.
    (ah si, Scorsese nous offre une poignée de clair-obscurs vraiment jolis.)

    Vivement le prochain projet Scorsese/De Niro !

  • @Pascale: Mais tu vas y arriver te dis-je!!! Sinon, on passe au plan b!
    @selenie: Des intrigues "inexistantes" comme celle-là, j'en veux bien tous les jours alors! J'ai trouvé la fin vraiment palpitante et je n'ai pas vu les trous béants dans le montage et le scénario. Lesquels? Cela reste pour moi le meilleur film de l'année.:-)
    @Foxart: Tant mieux! :-)
    @Dom : je ne comprends pas "le fait que la forme serve le récit m'a encore plus agacé". Parce que la forme doit normalement désservir le récit? Cela signifie donc que la forme était bonne? Je persiste et signe à dire que ce film m'a bluffée à tous points de vue...

  • @Pascale: Pas besoin. Sinon on passe au plan B. Mais le plan A va marcher, je te le dis!
    @selenie: Des intrigues aussi inexistantes, j'en veux bien tous les jours! Quels sont les trous béants du scénario et du montage? Ils ne doivent pas l'être tant que ça car je n'ai rien vu...Je me suis simplement laissée emporter par l'histoire.
    @Foxart: Tant mieux!:-)
    @Dom: Ce film m'a bluffée à tous points de vue et reste pour moi le film de l'année.:-) Et je ne comprends pas "le fait que la forme serve le récit m'a agacé"?? Cela signifie donc que la forme était bonne? Elle doit normalement desservir le récit??

  • Sandra, en fait, je me suis très mal exprimé en écrivant "le fait que la forme serve le récit m'a agacé". Je voulais dire que la mise en scène directement liée aux délires de son protagoniste et de la "situation" (pour ne pas spoilé ceux qui liraient nos commentaires) m'est restée en travers de la gorge : la musique grandiloquente, "l'évolution" de l'ile, les faux-raccords, (...) Au final, j'ai deviné ce qui clochait assez rapidement, ce qui m'a poussé hors du métrage. Dans la filmographie de Scorsese, je pense que le film qui s'en rapproche le plus est son remake de Cape Fear (Les Nerfs à vifs) que je lui préfère pour son second degré latent.
    (Je vais tout de même revoir Shutter Island d'ici quelques semaines mais je pense rester sur mes désagréables premières impressions.)

  • Sandra, en fait, je me suis très mal exprimé en écrivant "le fait que la forme serve le récit m'a agacé". Je voulais dire que la mise en scène directement liée aux délires de son protagoniste et de la "situation" (pour ne pas spoilé ceux qui liraient nos commentaires) m'est restée en travers de la gorge : la musique grandiloquente, "l'évolution" de l'ile, les faux-raccords, (...) Au final, j'ai deviné ce qui clochait assez rapidement, ce qui m'a poussé hors du métrage. Dans la filmographie de Scorsese, je pense que le film qui s'en rapproche le plus est son remake de Cape Fear (Les Nerfs à vifs) que je lui préfère pour son second degré latent. (Je vais tout de même revoir Shutter Island d'ici quelques semaines mais je pense rester sur mes désagréables premières impressions.)

  • @Dom: Peut-être que le fait d'avoir deviné la fin( quoique, pour moi, même la fin reste à double sens...) a influé sur ta perception du film et que la connaissant, la seconde fois, tu seras subjugué par tout le reste. Eternelle optimiste je suis.:-)

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