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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 : GIANTS BEING LONELY de Grear Patterson (compétition)

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    Avant d’évoquer ultérieurement les films du jour, place à mon coup de cœur de ce mardi, un film en compétition, « Giants being lonely », le premier long-métrage de Grear Patterson.

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    Synopsis  : Jake (Bobby White), Adam (Ben Irving) et Caroline (Lily Gavin) traînent leur spleen dans un lycée de Caroline du Nord. Les deux garçons se dépassent en jouant au baseball. L’un, Jake, est le petit ami de Caroline, l’autre Adam la convoite. Adam est le fils de l’entraîneur de baseball, qui lui mène une vie d’enfer à la maison.

    Derrière ces apparences si lisses (du panorama bucolique mais aussi des adolescents), on devine que, à tout moment, la tragédie peut éclater, et qu’elle s'insinue progressivement, constamment sous-jacente. Le récit est très elliptique mais le malaise s’instaure au fil des minutes, malaise exacerbé par la ressemblance troublante entre les deux acteurs principaux et par une réalisation qui laisse planer le mystère trouble. Dans la chaleur moite du sud, l’insouciance de la jeunesse ne semble être qu’un leurre. Le quotidien apparemment banal est dominé par l’ennui nous rappelant la phrase de Sagan "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse." Le surgissement du drame semble inéluctable.

    Ce récit initiatique vaut avant tout pour son atmosphère visuelle mais aussi sonore qui fait la part belle aux non-dits et aux silences, empreinte d’une mélancolie séduisante. Une apparente simplicité dans la réalisation comme dans le quotidien des personnages qui dissimule une réalité plus obscure et opaque. Un film contemplatif qui responsabilise le spectateur et lorgne du côté de Terrence Malick et Gus Van Sant auxquels il empreinte poésie et lyrisme. Le dénouement de cette errance contemplative d’une violence suffocante métaphorise la violence du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Une fin d’une force saisissante pour un film d’une beauté sombre et envoûtante.

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    L’autre coup de cœur du jour, c’est le film projeté en Première ce soir, « Sons of Philadelphia », le deuxième long-métrage du scénariste et écrivain Jérémie Guez dont je vous parlerai ultérieurement et qui lorgne du côté du cinéma de James Gray.

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    SYNOPSIS : Philadelphie. Il y a trente ans, la famille de Michael a recueilli Peter à la mort de son père, dans des circonstances opaques. Aujourd’hui, Peter et Michael sont deux petits malfrats aux tempéraments opposés. L’un est aussi violent et exubérant que l’autre est taciturne. Quand Michael est désigné comme « gênant » par la mafia italienne », le passé trouble de la famille ressurgit…

    Sons of Philadelphia est l’adaptation du roman "Brotherly Love" de Peter Dexter publié en 1991.

     

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 - Critique LES ENSORCELÉS de Vincente Minelli (Hommage à Kirk Douglas)

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    Aujourd'hui, à 14H, au cinéma du Casino, vous pourrez (re)voir le chef-d'oeuvre de Vincente Minelli "Les Ensorcelés" dans le cadre de l'hommage à Kirk Douglas. 

    Les films sur le cinéma se sont  multipliés dans le cinéma américain des années 1950, avec d’ailleurs également une commune structure en flashback comme dans les deux chefs-d’œuvre de Mankiewicz (« Eve » et « La Comtesse aux pieds nus ») qui, avec « Les Ensorcelés » de Minnelli, sont les films sur ce thème que je vous recommande, trois chefs-d’œuvre.

    Synopsis : Le producteur Harry Pebel (Walter Pidgeon)  convoque dans son bureau Georgia Lorrison (Lana Turner), une grande actrice, Fred Amiel (Barry Sullivan), un jeune réalisateur, et James Lee Bartlow (Dick Powell), un écrivain. Pebel attend un coup de téléphone du producteur Jonathan Shields (Kirk Douglas) qui a permis à ces trois personnes d’accéder au rang de star mais s’est parfois mal comporté avec elles. Aujourd’hui en difficulté, il leur demande de l’aider. Avant d’accepter ou refuser, chacun d’eux raconte comment il les a rencontrés et comment il les a déçus, voire blessés…

    « The Bad and The Beautiful ». Tel est le titre original en VO des « Ensorcelés » et qui résume parfaitement la sublime et subtile dualité du personnage de Jonathan (incarné par Kirk Douglas) et du film tout entier. Dualité entre son altruisme apparent et son ambition tueuse et ravageuse dont il est le masque. Lorsque le masque tombe, Minnelli a, à chaque fois, la judicieuse idée de le filmer en gros plan frontalement, le réduisant alors à son égoïsme, alors que le reste du temps il est souvent filmé en plan plus large et rarement de face.

     Dualité aussi des sentiments du spectateur face à ce personnage complexe, digne successeur d’un père diabolique à la personnalité, pour son fils, aussi fascinante qu’écrasante dont il suivra finalement le modèle et face à ce personnage qui, au nom de la gloire et l’ambition, sacrifiera ceux qu’il aime ou qu’il est incapable d’aimer … même si finalement ils y gagneront tous aussi la gloire.

    La gloire ce pourrait aussi d’ailleurs être elle « The bad and the beautiful ». Etincelante en surface, au regard des autres mais qui a nécessité combien de « bad » compromis et de trahisons inavouables ?

     Dualité aussi entre la sincère Georgia (the beautiful)  et le manipulateur Jonathan (the bad).

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     Dualité entre la forme et le fond. Le fond qui critique le monde du cinéma : son hypocrisie, l’arrivisme, la superficialité, la déchéance, le commerce qu’il est souvent, les trahisons, les manipulations. La forme qui est un des plus beaux hommages qu’on puisse lui rendre avec des plans d’une virtuosité admirable (Ah, cette scène où Georgia, époustouflante et lumineuse Lana Turner ici terrifiante tant elle semble réellement terrifiée, fuit en voiture et où le spectateur a la sensation de ressentir sa suffocation cauchemardesque !), un scénario d’une construction astucieuse, une photographie envoûtante et somptueuse, et des acteurs au sommet de leur art et de leur beauté. Dualité entre le rêve que représente le monde du cinéma et la réalité que dépeint Minnelli.

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    « Les Ensorcelés » est à la fois une magnifique déclaration d’amour au cinéma et un regard lucide sur ses travers s’inspirant de la réalité, notamment de David O.Selznick (le producteur et créateur d’ « Autant en emporte le vent ») ou encore de « La Féline » de Jacques Tourneur pour le script du « Crépuscule des hommes chats » que Jonathan produit.

    Les Ensorcelés : ce sont Georgia, Fred et James, ensorcelés et aveuglés par Jonathan. C’est Jonathan, ensorcelé par le cinéma, prêt à tout au nom de celui-ci. Et c’est surtout le spectateur, ensorcelé par la magie du cinéma, de ce cinéma que Minnelli magnifie tout en le montrant dans toute son ambiguïté, d’une cruelle beauté. De ce cinéma qui finalement sort vainqueur. Malgré tout. Plus important que tout.

    « Les Ensorcelés » (1952) remporta 6 Oscars : celui de la meilleure interprétation pour Kirk Douglas, du meilleur second rôle féminin pour Gloria Grahame,  de la meilleure photographie,  de la meilleure direction artistique, des meilleurs costumes et du meilleur scénario.

    A la différence près que le rôle du producteur n’est aujourd’hui plus le même que celui du producteur du cinéma d’Hollywood des années 30, 40, 50 « Les Ensorcelés » est un film intemporel qui pourrait presque être tourné aujourd’hui. L’ambitieux Jonathan pourrait être le même aujourd’hui. Il se pourrait même que vous croisiez quelques Jonathan Shields, et surtout bien pire, à Cannes ou ailleurs. Alors si vous voulez découvrir Hollywood, son univers impitoyable, voir un film ensorcelant et éblouissant,  un personnage aussi manipulateur qu’amoureux du cinéma bien fait, et fascinant, et surtout si vous aimez le cinéma et forcément les films sur le cinéma, alors laissez-vous envoûter etne manquez pas ce chef-d’œuvre de Minnelli à (re)voir dans le cadre de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 - LAST WORDS de Jonathan Nossiter et LES DEUX ALFRED de Bruno Podalydès

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    « Un bon film est un film qui a un point de vue sur le monde et un point de vue sur le cinéma » selon François Truffaut. Les deux films projetés dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui, deux films de la sélection de Cannes 2020, reflétaient en tout cas indéniablement un point de vue sur le monde. Sur notre monde, ou plutôt sur la vision effroyable de ce qu’il est en train de devenir dans un avenir plus ou moins proche. Le premier a glacé l'assemblée tant la résonance était terriblement forte avec la crise que nous traversons. Le second a fait déferler une inhabituelle vague de rires dans la majestueuse salle du CID.

    Adapté de « Mes derniers mots » de Santiago Amigorena, « Last words » de Jonathan Nossiter nous propulse ainsi en juin 2086. Face caméra, un homme nous déclare être le dernier humain sur terre, laquelle Terre n’est alors plus qu’un immense désert. Il nous raconte alors comment les derniers survivants s’étaient retrouvés à Athènes, appelés par un ultime espoir...Ce dernier homme sur terre, un jeune homme qui ne connaît pas son prénom, dans un Paris dévasté, découvre des pellicules de la Cineteca de Bologne. Il décide de partir pour la ville italienne. Dans ce monde hostile, dénué d'humanité ou même de lueur de vie, un vieil homme se terre au milieu de ses bobines et ce qu’il reste des affiches de films, entre Mastroianni, Barry Lindon, le Guépard comme les derniers vestiges d’un monde disparu. Avec un projecteur à pédales, il fait découvrir le cinéma au jeune homme, d'abord légèrement effrayé comme le furent les premiers spectateurs de L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat puis bientôt fasciné. Tous deux partent pour Athènes, où survivent les ultimes êtres humains.


    Après tout, si un espoir existe, c’est probablement au pied de l’Acropole, en ce lieu symbolique de la démocratie dans une des plus vieilles villes du monde. « Vert, vert » crient les nouveaux arrivants comme des navigateurs égarés auraient autrefois crié « terre, terre ». Dans ce monde oppressant, sur cette terre décharnée, inhospitalière, jonchée de carcasses, menacée par une mer rougeoyante comme ensanglantée, la végétation a en effet disparu et cette lande de verdure apparaît comme un espoir providentiel. Là comme ailleurs, on ne se nourrit néanmoins que de cannettes et la nourriture telle que nous la connaissons n'est désormais plus qu'une étrangeté figée sur pellicule.

    Thierry Frémaux a présenté le film comme « un film d'auteur qui a l'humour du désespoir ». « Le fait que vous soyez là donne de l'espoir. Ne pas être ensemble est la chose la plus terrifiante » a également déclaré Jonathan Nossiter lors de la présentation. « On se souviendra que c'est le moment où on s'est tous reréunis au cinéma » a conclu Thierry Frémaux.

    Comment, en effet, ne pas établir un parallèle édifiant, suffocant, dramatiquement ironique entre ces derniers humains qui disparaissent en raison d’une pandémie et la situation à laquelle nous sommes confrontés ? Dans ce monde apocalyptique, le cinéma devient l’ultime joie, soudain plus « vivant » que la réalité devenue un champ de ruines dans lequel n’existent plus ni plaisir ni émotion, permettant à ceux qui y évoluent de redevenir des hommes dotés d’humanité, d’expressions. « Rêver la beauté du cinéma avant de mourir ». Tel est le dernier souhait du vieil homme. Si nous savions le cinéma indispensable, ici il pourrait même presque sauver le monde…


    Le réalisateur de « Mondovino », lui-même devenu agriculteur en Italie où il cultive des légumes en permaculture, par cette fable, nous alerte sur une montée des périls sur laquelle il nous incombe de ne pas fermer les yeux comme d'autres en 1939 n'ont pas su ou voulu voir planer un autre danger.

    On en ressort avec un sentiment de malaise, la conscience accrue de l’urgence et de la menace, imminente, et l’envie de s’abreuver plus que jamais à cette source de plaisirs, de joie, de rires, bref d’émotions et de vie : le cinéma !

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    « Les deux Alfred » de Bruno Podalydès évoque un avenir beaucoup plus proche dans lequel le cinéma ne sauve pas le monde mais dans lequel les mots (anglicismes et acronymes) et l’uberisation de la société font courir à leur perte ou du moins à l’égarement ceux qui s’y débattent.

    « J'en suis fou. Il est représentatif de la forte présence et du grand talent des comédiens français. Quelque chose d'une âme fraternelle masculine passe dans ce film » a déclaré Thierry Frémaux lors de la présentation.

    Là aussi il est question de déshumanisation. Alexandre (Bruno Podalydès), chômeur déclassé, a deux mois pour prouver à sa femme partie en mission dans un sous-marin qu'il peut s'occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Seulement, « The Box », la start-up qui veut l'employer à l'essai a pour dogme : « Pas d'enfant ». Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir... ». Dans cette startup, même l’intitulé de son travail et de sa fonction sont absconses sans parler de son pdg, sorte d’adolescent attardé éthéré qui sous des dehors décontractés à l'outrance et jusqu'au ridicule mène son petit monde de manière tyrannique. Sa rencontre avec Arcimboldo (Denis Podalydès), « entrepreneur de lui-même » qui multiplie les petits boulots sur appli pourrait bien aider Alexandre…Ajoutez à ce duo Séverine, une supérieure survoltée incarnée par Sandrine Kiberlain et vous obtiendrez un trio irrésistible qui se débat dans un monde de plus en plus absurde qui, comme ans « The Assistant » dont je vous parlais hier, aurait pu être croqué par Jacques Tati.

    La première scène entre Alexandre et son banquier donne le ton de cette comédie : tendre, mordante, décalée, aux dialogues ciselés. Tous trois sont finalement à leur manière enfermés dans leurs « box ». Séverine, elle, est dépendante d’une voiture sans chauffeur qui dicte sa loi et dont la reconnaissance faciale ne fonctionne plus.

    Les deux Alfred éponymes, ce sont deux doudous, qui ne peuvent vivre l’un sans l’autre, deux peluches qui ressemblent à des pantins désarticulés et attachants à l’image des protagonistes du film. Attachants aussi comme ce film qui vous donne envie de croquer la vie sur un air de claquettes ou de Jean Ferrat. Dans lequel la magie du cinéma nous fait croire qu’un slow peut surgir d’une voiture en pleine rue et rapprocher deux êtres qui semblaient si dissemblables.

    Dans cette comédie irrésistible à la fantaisie réjouissante, Bruno Podalydès porte un regard à la fois doux et acéré sur l’absurdité de notre société. Un monde à la liberté illusoire dans lequel l’apparence prévaut.


    Il y a peu, je vous rappelais cette citation de Tennessee Williams dans « Un tramway nommé désir » : « Je ne veux pas du réalisme. Je veux de la magie ». Espérons que cette journée de festival nous emportera aussi dans un tourbillon de magie, sur les écrans et sur les planches deauvillaises, pour nous faire oublier, un temps, suspendu, le vacarme assourdissant de la réalité.

    À suivre...
     

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  • Critique de THE ASSISTANT de Kitty Green (compétition - Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020)

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    Au programme du jour, "The Assistant" de Kitty Green, en lice pour le Grand Prix, et qu'il ne serait pas étonnant de retrouver au palmarès. Mon premier (grand ) coup de cœur de ce festival. Critique. 

     Synopsis : Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice, vient d’être engagée comme assistante d’un puissant dirigeant, nabab du divertissement. Sa journée type ressemble à celle de toutes les autres assistantes : faire du café, remettre du papier dans le photocopieur, commander à déjeuner, organiser des voyages, prendre les messages. Mais au fil de cette journée, Jane se rend progressivement compte des abus insidieux qui découlent de tous les aspects de sa position et qu’elle n’avait pas anticipés...

    C'est aussi à cette catégorie de films en "quête de la vérité des hommes" dont je vous parlais hier qu'appartient le percutant et brillant deuxième film en compétition intitulé "L'assistante" de Kitty Green qui nous conduit à suivre Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice, et qui vient d’être engagée comme assistante d’un puissant dirigeant (toujours nommé "il" et jamais présent à l'écran). Au fil de cette journée, Jane réalise à quel point il abuse de son pouvoir...

    Comme dans "Les Ensorcelés" (film de Minnelli projeté mardi à Deauville dans le cadre de l'hommage à Kirk Douglas) que j'évoquais ici il y a quelques jours, si le fond est une critique acerbe du milieu dans lequel elle évolue (en l'occurrence Jane est une assistante dans le domaine du cinéma mais cela pourrait s'adapter à d'autres milieux même si on pense évidemment à l'affaire Weinstein) quand la forme est un hommage au cinéma : par l'utilisation judicieuse de toutes ses ressources. Du son et du silence d'abord, oppressants. Du hors-champ (le chef invisible est une menace constante qui plane et asservit). De l'espace ensuite. Les bureaux sont vus comme une sorte de dédale arachnéen, décor clinique dans les fils duquel Jane semble prise et sous emprise. Sans véritable ouverture sur l'extérieur comme si son corps et son âme étaient accaparés et prisonniers de ces bureaux dans lesquels elle effectue des taches répétitives comme un robot, dans un décor qui en devient presque absurde comme dans un film de Tati auquel cette utilisation judicieuse du son, des silences et des espaces fait songer. Et même lorsqu'elle se blesse avec une enveloppe c'est en silence. Les blessures ici doivent demeurer tacites, cadenassées.

    Elle semble presque se fondre dans le décor avec son teint diaphane, son pull couleur chair. Tout est suggéré. Jamais montré ostensiblement. La démonstration implacable n'en a que plus de force. Les fils se resserrent autour de Jane prise dans cet  dans lequel les humiliations et marques de condescendance ne sont pas tonitruantes mais insidieuses et d'autant plus violentes : une tape dans le dos, un manteau ou un enfant pareillement et dédaigneusement jetés dans ses bras, des regards évasifs, une connivence excluante. Julia Garner incarne à la perfection cette âme broyée, écartelée, ombre presque fantomatique condamnée à un silence oppressant.

    La sobriété de la réalisation intelligemment pensée apporte toute sa force, ravageuse et bouleversante, à cette démonstration sans appel et nous invite, au contraire de Jane, anéantie, à ne plus fermer les yeux.

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  • Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020 – épisode 1 (édito, cérémonie d’ouverture, hommage à Kirk Douglas et Minari)

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    Selon Saint-Exupéry « Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction » : ainsi, avec tous ces regards avides tournés vers un même écran, le cinéma serait-il le paroxysme amoureux ? Ne nous fait-il pas régulièrement chavirer d’émotion(s) ? Ne nous rend-il pas souvent plus clairvoyants ? Plus intensément vivants même parfois ? Comme Amélie Poulain, n’avez-vous jamais éprouvé la tentation de vous retourner pour regarder cette salle envoûtée? (Moi, si). Je l’aime un peu, beaucoup, passionnément ce cinéma. Mais que serait-il ce palpitant voyage immobile, ce jubilatoire rendez-vous avec des destins capturés ou sublimés, sans cet antre familier évocateur et projecteur de mystères qui en exalte et exacerbe la puissance évocatrice ? Des rêves bridés. Une fenêtre sur le monde seulement entrebâillée. Une étreinte avec l'imaginaire bâclée. Incomparable est la fébrilité impatiente d'une salle qui retient son souffle quand le générique s'élance ou à la fin juste avant qu'un film ne balbutie ses derniers secrets. Et ce bruissement quand une salle entière vacille de la même émotion ! Et cet étourdissement quand on ressort de la salle, ignorant la foule et la réalité et le présent et le lendemain et même que tout cela n'est « que » du cinéma, transportés ailleurs, loin, avec l'envie parfois même de « chanter sous la pluie » et de croire en tous ces (im)possibles auxquels il donne vie et invite et incite ! Sans salle de cinéma, lanterne décidément magique qui suspend le vol de notre temps insatiablement impatient, le 7ème art, comme le personnage de Gabin dans « Le jour se lève », a « un œil gai et un œil triste ». Et moi aussi j'ai l'impression de ne voir qu'à ½ émotion ou indistinctement ces images qui méritent d'étinceler. Alors quelle joie de retrouver cette salle de cinéma à l’occasion de ce Festival du Cinéma Américain de Deauville qui a relevé le défi de se maintenir contre vents et marées, une édition sans Américains certes mais avec toujours de belles découvertes de films américains et en prime des films de la sélection du label « Cannes 2020 ».  Une idée judicieuse qui permet au festival aussi de se renouveler en accueillant les films du Festival de Cannes 2020 qui n’a pu avoir lieu sur la Croisette en mai comme d’habitude (mais qui a tout de même proposé une sélection de films avec ce label).

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    Un instant suspendu. Palpitant. Subrepticement inquiétant comme l'est l'inconnu, aussi. Voilà ce que sont les heures qui précèdent les pérégrinations immobiles auxquelles invite un festival de cinéma, toujours riche d'oxymores surtout quand il a pour cadre la mélancolie gaie et réconfortante de Deauville. Alors, c’est le cœur battant que nous avons assisté à l’ouverture de la 46ème du Festival du Cinéma Américain de Deauville avec la projection de l'un des 15 films en compétition, « Minari » de Lee Isaac Chung précédée de l'hommage à Kirk Douglas. C’était au moins la 25ème cérémonie d'ouverture successive de ce festival à laquelle j'assistais, et mon 28ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. C'est à la fois rassurant et vertigineux ce rendez-vous qui résiste à l'écoulement implacable des ans. Rassurant car c'est un peu comme la douce réminiscence de ce premier festival ici, au temps de l'enfance et de sa découverte émue et éblouie. Comme si on remontait le fil du temps, arrêté à jamais à ce premier festival.

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    Cette édition, je l'imagine telle sa présidente du jury, dans ce film dans lequel elle crève l'écran, « La fille sur le pont ». Mêlant gravité et légèreté. Une sorte de fantaisie désenchantée pleine de charme et ébréchée de séduisantes fêlures. 9 jours pour s'acharner à tenter de laisser un peu la réalité de l'autre côté de la Touques, là, aux portes de Deauville. Pour juste se laisser emporter par le « tourbillon de la vie ». Et du cinéma.

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    « C’est un signe de médiocrité que d’être incapable d’enthousiasme » écrivait Balzac. Alors laissons la médiocrité de côté et n'ayons pas peur de nous laisser transporter d'enthousiasme. Enthousiasme pour ce festival, pour le cinéma et pour la vie qu'ils célèbrent. A l'issue de ces 9 jours qui sait si, comme
    dans « La fille sur le pont », je ne vous dirai pas :
    «  Peut-être qu’on a rêvé [...]et que c’était pas si mal. »

    La « fenêtre ouverte sur le monde » pour la première fois de son histoire depuis 1895 s'était refermée ces derniers mois alors, lors de la cérémonie d'ouverture, ce vendredi soir, c'est non sans émotion qu'elle s'est à nouveau entrouverte après ces semaines qui ont bousculé toute habitude, toute certitude, tout repère. C'est aussi avec émotion que s'est exprimé Michael Douglas lors de son discours enregistré (la COVID-19 oblige, aucune équipe de film américaine évidemment ne pourra être présente à Deauville pendant cette édition 2021) pour l'hommage vibrant rendu à son père qui ouvrait cette 46ème édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, louant notamment sa ténacité et sa générosité. Ensuite, quelques notes bien connues d'Ennio Morricone interprétées au piano par Steve Nieve ont fait frissonner la salle nous rappelant à la fois sa disparition et des musiques grâce auxquelles tant de films sont devenus des chefs-d’œuvre, eux, immortels.

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    Plus prosaïquement, les différents intervenants ont ensuite rappelé que ce festival, en cette année si particulière, serait la fête du cinéma avant tout, avant même d'être celle du cinéma américain après une année au cours de laquelle 300 festivals ont été reportés ou annulés.

     

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    Cette année, à Deauville, c'est un peu mai en septembre puisque 10 films de Cannes sont invités de même que le Délégué Général, Thierry Frémaux et le Président dudit festival, Pierre Lescure, également présents sur scène lors de l'ouverture. Un festival au tapis rouge très politique, une ancienne Ministre, un ancien Premier Ministre et l'actuelle Ministre de la Culture sans oublier deputé(s) et sénateur(s), là pour souligner la force de cette reprise amorcée par ce festival, ce dont chacun avait conscience lors de cette ouverture.

     « L'art dérange comme les films de cette année » nous a également annoncé le directeur du festival Bruno Barde pour cette édition inédite.

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    Cette année, c’est donc Minari de Lee Isaac Chung qui a ouvert le festival.

    Synopsis : Une famille américaine d’origine sud-coréenne s’installe dans l’Arkansas où le père de famille veut devenir fermier. Son petit garçon devra s’habituer à cette nouvelle vie et à la présence d’une grand-mère coréenne qu’il ne connaissait pas.

    « L’art du cinéma consiste à s’approcher de la vérité des hommes et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes. » disait Jean Renoir.

    C'est plutôt à cette catégorie qu'appartenait le film d'ouverture en partie autobiographique, premier film des 15 de la compétition et 5ème de son réalisateur. « Minari » de Lee Isaac Chung évoque ainsi le rêve américain d'une famille coréenne qui emménage dans un mobile home posé au milieu d’un champ, dans l’Arkansas.

    Leurs cœurs malades (au figuré et au propre pour le petit garçon de la famille) vont cicatriser et renaître au milieu de ce champ de ruines. Pour que tout renaisse, il faudra que tout s'embrase, réellement et symboliquement. Que tout vole en éclats pour qu'explosent et se ressoudent les sentiments essentiels...finalement presque une métaphore involontaire de la situation singulière que nous connaissons.

    Inspiré de l’enfance de son réalisateur, « Minari » charme par sa simplicité dénuée de cynisme, centré presque entièrement sur cette famille, comme si le monde extérieur n'existait plus. Une chronique sociale sur le rêve américain et la difficile situation des migrants.   Un film tendre et sensible qui place ce début de festival sous le signe de l’optimisme et la bienveillance. Tout ce dont nous avions besoin, non ?

    « Minari » a remporté le Grand Prix du Jury et le Prix du public au Festival de Sundance. Emportera-t-il aussi le cœur du jury et du public à Deauville ? Réponse dans une semaine.

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