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  • Critique - LE PERE DE MES ENFANTS de Mia Hansen-Løve ce soir à 22H10 sur OCS City

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    Peut-être vous en souvenez-vous : en 2005 quelques jours avant le triomphe aux César de « Quand la mer monte » de Yolande Moreau et Gilles Porte qu'il avait produit, le producteur de films indépendants (notamment de Youssef Chahine, Elia Suleiman, Sandrine Veysset...) Humbert Balsan se suicidait. Mia Hansen-Love l'avait rencontré, un an auparavant, ce dernier voulait en effet produire son premier film « Tout est pardonné ».  De sa rencontre avec cet homme passionné est né son désir de réaliser ce film... même s'il ne s'agit nullement (je vous rassure...) d'un biopic.

    Le producteur dont Mia Hansen-Love nous parle ici s'appelle Grégoire Canvel (Louis-Do Lencquesaing), il dirige avec passion sa société de production « Moon films ». Il  a, a priori,  tout pour lui. Une femme qu'il aime (Chiara Caselli), trois filles délicieuses, un métier qui le passionne, producteur de films donc. Pas le producteur caricatural avec cigares, limousines, cynique et désabusé mais un producteur de films indépendants pour qui le cinéma est la vie, sa vie, qui s'investit (et investit) pleinement dans chaque projet. Révéler les cinéastes, accompagner les films qui correspondent à son idée du cinéma, libre et proche de la vie, voilà sa raison de vivre, sa vocation. C'est un homme hyperactif qui ne s'arrête jamais à l'exception des week end, à la campagne, et en famille, et encore... les téléphones portables vissés aux oreilles. Mais à force de produire trop de films et de prendre trop de risques Grégoire va mettre en péril sa société... et surtout son propre équilibre.

    Rarement un film aura réussi à nous faire éprouver une telle empathie pour une famille et les personnages qui la composent et cela dès les premières minutes, la première séquence nous embarquant d'emblée dans l'enthousiasme, l'énergie du bouillonnant Grégoire. C'est néanmoins d'abord dû à l'humanité, la délicatesse avec laquelle Mia Hansen-Love les filme, nous plongeant dans leur intimité tout en leur laissant leur voile de mystère, mais surtout à la personnalité de son personnage principal, à sa façon de le filmer, et à l'acteur qui l'incarne.

    Grégoire vibre constamment pour le cinéma, il s'emballe, croit en des cinéastes que personne ne connaît, les défend contre vents et marées, contre la raison parfois, souvent. Il défend un cinéma qui prend le temps du sens, comme lui n'économise pas son temps pour le défendre. Charmant, charmeur, rayonnant, charismatique, de lui émane une impressionnante et séduisante prestance.  Il s'engage pleinement, inconditionnellement, il n'y a plus de distance entre le cinéma et la vie. Le cinéma est sa vie, même s'il a aussi une femme et trois filles aimantes. Plus que de nous montrer un homme outrancièrement déprimé, complètement anéanti, Mia Hansen-Love montre ses fêlures à peine perceptibles et comment son horizon  s'obscurcit subrepticement  au point qu'il en oublie, l'espace d'un fatal instant, celles qui l'entourent. Son geste restera mystérieux, il n'en est que plus bouleversant. Là encore Mia Hansen-Love a la délicatesse de la filmer de dos. Je suppose autant par pudeur que pour signifier le secret dont lui et sa mort resteront auréolés.

    Que dire de Louis-Do de Lencquesaing tant sa prestation est époustouflante ! Pas parce qu'il ferait de l'esbroufe. Non, parce qu'il donne un visage humain à ce producteur. Dans sa gestuelle bouillonnante, ses regards profondément empathiques qui parfois laissent entrevoir un voile d'ombre. Il EST ce producteur au point qu'on a vraiment l'impression de le voir exister. Il parvient à le rendre vivant, attachant, à la fois proche et mystérieux.

     Rien n'est jamais appuyé, tout est fait avec énormément de subtilité. Une simple boucle d'oreilles suffit à nous faire comprendre d'abord la distraction d'un père, obsédé par le cinéma, son amour aussi puis plus tard l'amour de sa fille qui prendra la relève.

    Même si la deuxième partie du film évoque un sujet sombre (la manière de vivre le deuil), le film est constamment éclairé d'une clarté rassurante, d'une belle luminosité, pas seulement formelle. Cette luminosité provient aussi de  la gaieté des enfants qui finit par prendre le dessus et qu'elle parvient à rendre si attachantes sans en faire des singes mièvres ou savants. C'est aussi la luminosité qui émanait de la personnalité de Grégoire qui semble subsister même après son décès mais aussi de son épouse (Chiara Caselli).

    D'ailleurs Mia Hansen-Love fait savamment jongler les contraires, son film étant lui-même coupé en deux parties, avant et après la mort, les deux étant finalement indissociables, la présence de l'absent se faisant toujours sentir (même mort il restera ainsi le père de ses enfants, bien évidemment), tout comme sont indissociables lumière et noirceur. Un film lumineux sur le secret et le deuil. Un homme solaire qui finira par se suicider, à la fois robuste et vulnérable, fort et fragile. Un film d'une belle clarté malgré le deuil et qui chemine ensuite vers une belle quête de lumière (comme en témoigne cette très belle scène avec les bougies qui ouvrent la voie). Son désir de vie, de construire, de créer et celui de mort qui s'affrontent. Sa mort étant ainsi la fin de quelque chose mais aussi le début d'une autre, de l'émancipation pour sa fille (forte présence d'Alice de Lencquesaing).

    C'est bien sûr un film sur le cinéma, sur l'engagement, l'investissement pécuniaire (Mia Hanse-Love n'élude pas la question et montre à quel point il peut être aliénant) et surtout personnel qu'il représente, le caractère indissociable entre vie professionnelle et privée quand la matière principale d'un métier comme celui-là est humaine, et donc si complexe et fragile.

    Mais, par-dessus-tout, ce film possède ce grand quelque chose si rare et indéfinissable qui s'appelle la grâce. Sans doute en raison de la profonde sensibilité de la réalisatrice et de celui qui a inspiré son film mais aussi par l'universalité des situations et le caractère si attachant des personnages malgré (et à cause de ) leurs mystères.

    Un film qui a l'ambivalence et les nuances de la vie : à la fois lumineux et mélancolique, tragique et plein d'espoir, mystérieux et séduisant. Un film qui m'a bouleversée comme je ne l'avais pas été depuis longtemps au cinéma. La musique de la fin qui vous rappellera un classique du cinéma m'ayant complètement achevée.

    Ce film a eu la malchance de sortir le même jour que le rouleau compresseur « Avatar ».  Je vous le recommande sans aucune réserve.  « Le Père de mes enfants » a reçu la mention spéciale Un certain regard à Cannes.

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  • Sortie DVD - Critique de BELLE DU SEIGNEUR de Glenio Bonder

    Après-demain sortira en DVD « Belle du Seigneur », l’adaptation du chef d’œuvre d’Albert Cohen par Glenio Bonder, l’occasion pour moi de revenir sur cette adaptation ratée (car impossible) et de vous proposer également mon article du magazine de l’ENA (juillet/août 2013) à propos de l’adaptation littéraire.

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    Je suis allée voir ce film (en avant-première, dans le cadre du Champs-Elysées Film Festival, en présence de Natalia Vodianova et de Jonathan Rhys Meyers -vous l’entendrez parler du film dans ma vidéo ci-dessus, tout juste descendu de son avion pour Paris-), avec autant d’impatience que d’appréhension, ce roman étant pour moi inadaptable (pas seulement pour moi d’ailleurs, il est réputé comme tel) et étant surtout celui que je dévore, invariablement, irrationnellement, à chaque lecture, celui que j’aime autant pour son écriture vertigineuse, sa satire si acerbe et juste d’une société avide d’ascension sociale- ah le pathétisme hilarant d’Adrien Deume et de sa médiocrité- que parce qu’il s’agit d’un sublime roman d’amour, ou plutôt roman de désamour d’ailleurs puisque la passion y étouffe ceux qui la vivent, les sublimes et tragiques Ariane et Solal. Roman flamboyant, inoubliable dans lequel Albert Cohen décrit mieux que personne la naissance et la désagrégation de la passion. Un roman éblouissant et terrifiant. Comme les sentiments qu’il dépeint, qu’il dissèque. Un roman, une expérience même, qu’on adore ou déteste mais qui ne laisse sûrement pas indifférent.

     « Belle du Seigneur » a ainsi reçu en 1968 le Grand Prix de l’Académie française. Traduit dans 13 langues, il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires.

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    Pour le réalisateur, Glenio Bonder, ancien diplomate brésilien aux Etats-Unis, (qui avait déjà réalisé un portrait d’Albert Cohen) « Belle du Seigneur » était plus qu’un film : le projet d’une vie. Comment ne pas le comprendre tant l’adaptation de ce sublime roman, véritable vertige littéraire, est un défi magnifique pour un réalisateur ?

    C’est au milieu des années 1980, alors qu’il est diplomate pour le gouvernement brésilien qu’il commence ainsi à se passionner pour le sujet. Après avoir réalisé des courts métrages, des documentaires et des publicités pour de grandes marques, Glenio Bonder écrit alors un scénario de 120 pages, mais il devra attendre jusqu’en 2010 pour débuter le tournage. Il décèdera avant de voir la version finale de ce film auquel il aura consacré 25 ans de sa vie.

    En 1935/1936, à Genève, le séduisant Solal (Jonathan Rhys Meyers), qui travaille à la SDN (Société des Nations), tente de séduire  Ariane Deume (Natalia Vodianova), aristocrate protestante et épouse de son subalterne Adrien, qui l’éblouit lors d’une soirée. Solal s’introduit ainsi chez Ariane et, dissimulé, il lui déclare sa passion. Il jure alors de la séduire, comme il séduit toutes les autres femmes. Le même jour, il accorde à Adrien Deume la promotion que celui-ci espérait. Ce dernier ne rêve en effet que d’ascension sociale dans le monde de la diplomatie de la Société des Nations. Adrien invite alors Solal à dîner, avec la fierté aveugle que vous pouvez imaginer. Mais Solal ne vient pas…

    Passé le plaisir de retrouver, l’espace d’un instant, ces personnages qui m’intriguent et me fascinent tant (il faut avouer que Jonathan Rhys Meyers, physiquement du moins, correspond à l’image que je pouvais me faire de Solal), malgré la musique de Gabriel Yared, malgré la présence à l’écriture de Vincenzo Cerami, scénariste reconnu qui a notamment coécrit « La vie est belle » avec et de Roberto Benigni, cette adaptation s’est révélée être une terrible déception. Mais comment pouvait-il en être autrement ? Comment retranscrire à l’écran la complexité des personnages et plus encore de cette écriture unique, fascinante, qui vous happe comme la relation entre Solal et Ariane qui les entraînent irrésistiblement vers cette issue tragique, comme une tentation hypnotique et dangereuse ? Comment retranscrire l’avidité de la passion entre les deux amants, et entre ce livre d’une beauté redoutable et le lecteur ?

     Les personnages d’Albert Choen si complexes, successivement détestables et compréhensibles,  ne sont ici que mièvres, capricieux, totalitaires, sans nuances.  Nulle trace ici de cette écriture éblouissante, à la fois ardue et limpide, d’Albert Cohen, avec ses digressions, ses apartés, avec ses phrases interminables et étourdissantes, sans ponctuation, terriblement belles et clairvoyantes, aussi lyriques que parfois réalistes, et qui vous font chavirer d’admiration. Comment retranscrire les voix des personnages qui se croisent, s’entrechoquent ? Comment retranscrire cette exaltation de la passion et cette écriture elle-même exaltée à laquelle Albert Cohen semble vouer un amour aussi fou que celui d’Ariane et Solal ?

     Là où le film a également échoué c’est dans la transcription du pathétique, dans la satire de l’administration et du monde de la diplomatie (que  le réalisateur connait pourtant bien !).   Tous les sarcasmes, les nuances, l’ironie, le soin du détail d’Albert Cohen sont ici absents. Quel don de l’observation, quelle acuité chez Albert Cohen pourtant dans la transcription de l’autosatisfaction, la paresse, la médiocrité d’Adrien Deume et de l’administration, dans la description de la vacuité de son travail. Et quelles universalité et intemporalité !

     L’épaisseur du roman rend les ellipses inéluctables mais elles ne sont pas toujours judicieuses ici avec notamment l’absence des « Valeureux », cousins orientaux de Solal, qui le retrouvent à Genève, essentiels à la compréhension de la personnalité de Solal, avec aussi la disparition subite d’Adrien de l’histoire ou encore l’absence de l’évocation de la rencontre entre Adrien et Ariane, et même de la tentative de suicide de cette dernière. Le spectateur qui n’a pas lu le roman comprendra aussi difficilement le titre, Ariane étant « Belle du Seigneur », de son « Seigneur », « religieuse de l’amour » , l’amour devenant un art, un mythe même. Ceux qui n’ont pas lu le roman auront aussi sans doute du mal à saisir pourquoi Solal a été chassé de la SDN et a perdu sa nationalité. Nous passerons sur les présences de… Jack Lang et Georges Kiejman. Signalons que le rôle de Mariette (la servante d’Ariane) est (plutôt bien) interprétée par Marianne Faithfull.

     Ariane et Solal, par ailleurs, n’apparaissent jamais dans toute leur complexité, Solal qui est certes irrésistiblement beau mais, aussi, derrière le cynisme, un personnage épris d’absolu tout en se conduisant comme un Don Juan ou un Valmont manipulateur (pléonasme) - Jonathan Rhys Meyers a d’ailleurs déjà interprèté le plus machiavélique des manipulateurs, dans le chef d’oeuvre de Woody Allen, « Match point »-, bref un personnage magnifiquement ambivalent. D’ailleurs, ce personnage me semble à chaque page et même à chaque relecture du roman différent, tour à tour admirable ou haïssable, sublime ou pitoyable, parfois tout cela à la fois.

     Et alors que dans le roman chaque mot est essentiel (monologues sans ponctuation, sans paragraphes qui obligent –obligent n’est d’ailleurs pas le bon terme tant chaque mot se savoure dans l’attente insatiable du suivant- à une attention constante pour ne pas laisser échapper un détail qui éclairerait différemment les personnages), ici tout est réduit à l’anecdotique, à une succession de scènes clefs qui, sans la richesse et la précision de l’écriture ciselée d’Albert Cohen, n’ont plus aucune saveur. La scène de la rencontre du Ritz, d’une beauté si troublante, ardente, dans le roman (et que je ne peux m’empêcher de reprendre ci-dessous pour vous faire découvrir, si vous ne la connaissez pas encore, l’envoûtante musique des mots de Cohen) est ici absurde, accessoire, dénuée d’émotions :

     « En ce soir du Ritz, soir de destin, elle m’est apparue, noble parmi les ignobles apparue, redoutable de beauté, elle et moi et nul autre en la cohue des réussisseurs et des avides d’importances, mes pareils d’autrefois, nous deux seuls exilés, elle seule comme moi, et comme moi triste et méprisante et ne parlant à personne, seule amie d’elle-même, et au premier battement de ses paupières je l’ai connue. C’était elle, l’inattendue et l’attendue, aussitôt élue en ce soir de destin, élue au premier battement de ses longs cils recourbés. Elle, c’est vous.[...] Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites-moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle… ».

     Peut-on blâmer Glenio Bonder d’avoir échoué dans cette impossible entreprise, d’avoir fait de ce roman violemment beau, de passions exaltées et exaltantes, et qui déchaîne les passions, un film tiède et lisse, qui nous laisse indifférents ? « Belle du Seigneur » n’est-il pas le roman qui prouve que tout livre n’est pas adaptable ? Pouvait-on retranscrire, traduire en images, sans les trahir, l’ambivalence des personnages, le mélange d’ironie et de tragédie, de beauté et de pathétisme, le vertige procuré par l’écriture qui happe et étourdit comme l’amour qui unit puis désunit Ariane et Solal ?

     Vous l’aurez compris : je vous recommande plus que vivement de (re)lire « Belle du Seigneur ». Je vous le promets, ce roman vous hypnotisera, happera, bouleversera, étourdira et, malgré son pessimisme, en le refermant, vous n’aurez qu’une envie, le relire avec avidité, redécouvrir les personnages, retrouver des indices qui vous feront les envisager différemment, les retrouver pour presque éprouver (grâce à la magie de l’écriture magistrale de Cohen) l’espace d’un instant ce qu’ils éprouvent, les plaindre, les détester, les envier, ne pas toujours les comprendre : revivre cette expérience d’une troublante, tragique, violente et singulière beauté. Quant au film, il pourrait être un cas d’école sur une adaptation impossible…et nous ne saurons jamais si Glenio Bonder aurait été satisfait de cet ultime montage beaucoup trop elliptique et de ce film auquel il aura eu la (compréhensible) folie de consacrer 25 ans de sa vie.

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    Pour une meilleure lecture de l'article suivant rendez-vous sur : http://inthemoodlemag.com/2013/12/02/critique-de-belle-du-seigneur-de-glenio-bonder-sortie-dvd/

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