Le Festival International du Film Policier de Beaune 2010 rend hommage à James Gray (18/03/2010)

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Je vous parlais tout à l'heure du concours organisé par inthemoodforcinema.com pour remporter 10 pass permanents pour le Festival du Film Policier de Beaune (ici), un  Festival dont la programmation 2010 s'annonce particulièrement riche et jubilatoire avec notamment un hommage à James Gray!

Après William Friedkin en 2009, le Festival du Film Policier de Beaune continue d’honorer les grands cinéastes. Cette année c’est « New York Polar " qui est à l'honneur, et c’est donc tout naturellement que le festival a décidé de rendre hommage à l’un de ses ambassadeurs les plus prometteurs de ces dernières années, le réalisateur, scénariste et producteur d’origine New Yorkaise.

Tous les films de James Gray seront projetés dans le cadre du festival. Je vous les recommande tous sans réserves.

Le samedi 10 avril à 15H, James Gray donnera une leçon de cinéma au Palais des Congrès de Beaune.

En bonus (sous la biographie et la filmographie de James Gray), je vous propose ma critique de "La Nuit nous appartient" publiée suite à la projection du film dans le cadre du Festival de Cannes. (2007)

Biographie (source: dossier de presse du festival)

Né à New York en 1969, James Gray grandit dans le Queens puis étudie à l’école de cinéma et de télévision de l’University of Southern California de Los Angeles. Il fait ses débuts de réalisateur en 1994 à l’âge de 25 ans avec « Little Odessa », un film salué par la critique dans lequel Tim Roth interprète un tueur à gages. Sans états d’âme, et de retour dans son quartier natal pour un contrat (Brighton Beach à Brooklyn, berceau de la communauté russe), ce dernier se retrouve confronté à son père et son jeune frère, interprété par Edward Furlong, qui l’avaient banni. Le film remporte le Prix de la critique au Festival du Cinéma Américain de Deauville et le Lion d’Argent à la Mostra de Venise. Il est nommé la même année aux Independent Spirit Awards pour le Prix du Meilleur premier long métrage et pour celui du Meilleur premier scénario. En 2000, James Gray écrit et réalise son second long métrage « The Yards », avec, entre autres, Mark Wahlberg, Charlize Theron et James Caan, un film noir qui sera sélectionné en compétition au Festival de Cannes et qui marquera également le début d’une longue collaboration avec l’acteur Joaquin Phoenix, dont il fera son héros et son alter-ego dans ses deux prochains films. Sept ans plus tard, après un long conflit l’opposant à Miramax sur le final cut de ce dernier film, James Gray signe avec « La Nuit nous appartient » une oeuvre sombre à travers laquelle il retrouve son thème fétiche, la famille, et une fois encore l’univers de la mafia Russe. Le film est sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes en 2007, connaît un large succès mondial, et fait de James Gray le plus grand espoir du cinéma américain. Tourné en moins de quarante jours et monté dans la foulée, « Two Lovers » crée la surprise un an plus tard au Festival de Cannes où il est également sélectionné en compétition officielle. Tout en reprenant quelques uns des ingrédients scénaristiques de sa trilogie policière (la communauté juive-russe de Brooklyn, les liens familiaux) James Gray rompt avec le film noir et fait équipe pour la troisième fois avec son double Joaquin Phoenix, qui, entouré de Gwyneth Paltrow et Isabella Rossellini, se retrouve au centre d’un drame romantique réaliste empreint de mélancolie et de noirceur.

FILMOGRAPHIE

1994 LITTLE ODESSA

2000 THE YARDS

2007 WE OWN THE NIGHT (La Nuit nous appartient)

2008 TWO LOVERS

CRITIQUE DE "LA NUIT NOUS APPARTIENT":

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La nuit nous appartient. Voilà un titre très à-propos pour un film projeté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes.  Cannes : là où les nuits semblent ne jamais vouloir finir, là où les nuits sont aussi belles et plus tonitruantes que les jours et là où les nuits  s’égarent, délicieusement ou douloureusement, dans une profusion de bruits assourdissants, de lumières éblouissantes, de rumeurs incessantes. Parmi ces rumeurs certaines devaient bien  concerner ce film de James Gray et lui attribuer virtuellement plusieurs récompenses qu’il aurait amplement méritées (scénario, interprétation, mise en scène...) au même titre que « My blueberry nights », mon grand favori, ou plutôt un autre de mes grands favoris du festival, l’un et l’autre sont pourtant repartis sans obtenir la moindre récompense…

Ce titre poétique (« We own the night » en vo, ça sonne encore mieux en Anglais non ?)  a pourtant une source plus prosaïque qu’il ne le laisserait entendre puisque c’est la devise de l’unité criminelle de la police de New York chargée des crimes sur la voie publique. Ce n’est pas un hasard puisque, dans ce troisième film de James Gray ( « The Yards » son précèdent film avait déjà été projeté en compétition au Festival de Cannes 2000)  qui se déroule à New York, à la fin des années 80,  la police en est un personnage à part entière.  C’est le lien qui désunit puis réunit trois membres d’une même famille :  Bobby Green (Joaquin Phoenix), patron d’une boîte de nuit appartenant à des Russes, à qui la nuit appartient aussi, surtout,  et qui représentent pour lui une deuxième et vraie famille qui ignore tout de la première, celle du sang, celle de la police puisque son père Burt (Robert Duvall) et son frère Joseph (Mark Walhberg) en sont tous deux des membres respectés et même exemplaires. Seule sa petite amie Amada (Eva Mendes), une sud américaine d’une force fragile,  vulgaire et touchante, est au courant. Un trafic de drogue  oriente la police vers la boîte détenue par Bob, lequel va devoir faire un choix cornélien : sa famille d’adoption ou sa famille de sang, trahir la première  en les dénonçant et espionnant ou trahir la seconde en se taisant ou en consentant tacitement à leurs trafics. Mais lorsque son frère Joseph échappe de justesse à une tentative d’assassinat orchestrée par les Russes, le choix s’impose comme une évidence, une nécessité, la voie de la rédemption pour Bobby alors rongé par la culpabilité.

Le film commence vraiment dans la boîte de nuit de Bobby, là où il est filmé comme un dieu, dominant et regardant l’assemblée en plongée, colorée, bruyante, gesticulante, là où il est un dieu, un dieu de la nuit. Un peu plus tard, il se rend à la remise de médaille à son père, au milieu de la police de New York, là où ce dernier et son frère sont des dieux à leur tour, là où il est méprisé,  considéré comme la honte de la famille, là où son frère en est la fierté, laquelle fierté se reflète dans le regard de leur père alors que Bobby n’y lit que du mépris à son égard. C’est avec cette même fierté que le « parrain » (les similitudes sont nombreuses avec le film éponyme ou en tout cas entre les deux mafias et notamment dans le rapport à la famille) de la mafia russe, son père d’adoption, regarde et s’adresse à Bobby. Le  décor est planté : celui d’un New York dichotomique, mais plongé dans la même nuit opaque et pluvieuse, qu’elle soit grisâtre ou colorée. Les bases de la tragédie grecque et shakespearienne, rien que ça, sont aussi plantées et même assumées voire revendiquées par le cinéaste, de même que son aspect mélodramatique (le seul bémol serait d’ailleurs les mots que les deux frères s’adressent lors de la dernière scène, là où des regards auraient pu suffire...)

Les bons et les méchants.  L’ordre et le désordre. La loi et l’illégalité. C’est très manichéen  me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que ce manichéisme participe de la structure du film et du plaisir du spectateur. Non, parce que Bobby va être écartelé,  va évoluer,  va passer de l’ombre à la lumière, ou plutôt d’un univers obscur où régnait la lumière à un univers normalement plus lumineux dominé par des couleurs sombres. Il va passer d’un univers où la nuit lui appartenait à un autre où il aura tout à prouver. Une nuit où la tension est constante, du début et la fin, une nuit où nous sommes entraînés, immergés dans cette noirceur à la fois terrifiante et sublime, oubliant à notre tour que la lumière reviendra un jour, encerclés par cette nuit insoluble et palpitante, guidés par le regard lunatique (fier puis désarçonné, puis déterminé puis dévasté de Joaquin Phoenix, magistral écorché vif, dont le jeu est d’ailleurs un élément essentiel de l’atmosphère claustrophobique du film). James Gray a signé là un film d’une intensité dramatique rare qui culmine lors d’une course poursuite d’anthologie, sous une pluie anxiogène  qui tombe impitoyablement, menace divine et symbolique d’un film qui raconte aussi l’histoire d’une faute et d’une rédemption et donc non dénué de références bibliques. La scène du laboratoire (que je vous laisse découvrir) où notre souffle est suspendu à la respiration haletante et au regard de Bob est aussi d’une intensité dramatique remarquable.

 « La nuit nous appartient », davantage qu’un film manichéen est donc un film poignant constitué de parallèles et de contrastes (entre les deux familles, entre l’austérité de la police et l’opulence des Russes,-le personnage d’Amada aussi écartelé est d’ailleurs une sorte d’être hybride, entre les deux univers, dont les formes voluptueuses rappellent l’un, dont la mélancolie rappelle l’autre- entre la scène du début et celle de la fin dont le contraste témoigne de la quête identitaire et de l’évolution, pour ne pas dire du changement radical mais intelligemment argumenté tout au long du film, de Bob) savamment dosés, même si la nuit brouille les repères, donne des reflets changeants aux attitudes et aux visages.  Un film noir sur lequel plane la fatalité :  fatalité du destin, femme fatale, ambiance pluvieuse. James Gray dissèque aussi les liens familiaux, plus forts que tout : la mort, la morale, le destin, la loi.

 Un film lyrique et parfois poétique, aussi : lorsque Eva Mendes déambule nonchalamment dans les brumes de fumées de cigarette dans un ralenti langoureux, on se dit que Wong Kar-Wai n’est pas si loin... même si ici les nuits ne sont pas couleur myrtille mais bleutées et grisâtres. La brume d’une des scènes finales rappellera d’ailleurs cette brume artificielle comme un écho à la fois ironique et tragique du destin.

 C’est épuisés que nous ressortons de cette tragédie, heureux de retrouver la lumière du jour, sublimée par cette plongée nocturne. « La nuit nous appartient » ne fait pas  partie de ces films que vous oubliez sitôt le générique de fin passé (comme celui que je viens de voir dont je tairai le nom) mais au contraire de ces films qui vous hantent, dont les lumières crépusculaires ne parviennent pas à être effacées par les lumières éblouissantes et incontestables, de la Croisette ou d’ailleurs…

11:30 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, beaune, james gray | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | | Pin it! | |